Chapitre 1 : Bienvenue à Asagi-land
Assis devant sa télé, un jeune garçon brun affichait une mine dépitée. Seul dans un petit studio, son manque de confort traduisait un manque financier certain. A travers le petit écran, il était possible de voir une femme parler, telle une présentatrice de journal télévisé. Comme gros titre : « La réussite de la conquête de Johto. L'extraordinaire Arkheid premier du nom agit. »
— Agit pour quoi, sérieusement... soupira-t-il. Tellement de gens à sauver... Si seulement j'y étais...
La veille, une offensive avait été lancée contre le pays de Johto. Utilisant toutes les technologies disponibles, l'Empereur s'était bien volontiers servi de bombes à dématérialisation, le top du top en matière d'explosifs. Un simple souffle frais, et les cellules vivantes étaient vaporisées. Rien de plus. Pas de dégâts matériels quelconques, pas de souffrances, pas de corps, juste des morts. Des morts en millions, évidemment, mais rien de plus.
Et les autres pays plus démocratiques s'en faisaient là une joie de relayer ces informations, suivis par les gouvernements qui « ne pouvaient pas fermer les yeux sur les agissements du nouveau grand Empereur Arkheid ». En somme, une critique, mais lâche au plus haut point.
Après tout, personne ne pouvait se permettre de critiquer ouvertement Kanto. Transportées par les Abîmes, ceux-ci utilisant la technologie des trajets supra-dimensionnels, il n'aurait pas fallu longtemps avant que des millions de bombes à dématérialisation ne tombe sur les régions « ennemies ». Bien plus qu'il n'en fallait, d'ailleurs, mais suffisamment pour qu'il ne reste pas la moindre trace d'une quelconque bactérie.
Bien entendu, ce n'était le cas que pour les pays développés. Pour les régions féodales, l'accès à l'information ne se faisait que par missive, mais celles-ci ne passaient plus, la faute à la construction du Bord. Le Bord, c'était le nom donné au gigantesque mur d'acier érigé par l'Organisation des Pays Unis – un pseudo ordre démocratique mondial – entre eux et les anciens pays.
Et si de tels écarts de niveau de vie étaient possibles c'était grâce aux – nombreuses – guerres mondiales ayant déchiré la planète. Un petit millénaire plus tôt, alors que l'humanité n'en était qu'à l'âge de l'atome, une guerre avait éclaté pour la possession des dernières ressources fossiles disponibles. Plusieurs régions – deux pour être exact – s'étaient retrouvées ciblées par les assauts : Hoenn et Alola. Neuf dixièmes de la population ayant été brutalement éliminée, il ne resta que quelques survivants qui tentèrent du mieux qu'il purent de se reconstruire, malgré l'horreur encore présente des affrontements.
Suite à cet épisode fâcheux, les pays développés survivants se rendirent compte de l'erreur qu'ils avaient commis, ayant détruit accidentellement les ressources fossiles, et décidèrent de tourner la page. Un seul et unique mémorial fut bâti en l'honneur des disparus. Son nom : le Bord. S'élevant jusqu'à cinq cent kilomètres de haut, ce monstre d'acier, large comme sept lieues, n'avait à sa construction qu'un seul but officiel : faire se souvenir les humains, qu'importe l'endroit où ils se trouvent, des horreurs commises. Une seconde, officieuse, vint s'ajouter plus tard ; selon certains, le mur représenterait le bord du monde. Au-delà du mur, il n'y aurait rien. Rien d'autre que la désolation et l'enfer. Et aussi étrange que cela puisse paraître, cette légende s'installa des deux côtés du Bord. Qu'importe l'endroit où l'on se trouve, il n'y a rien d'autre que ce que l'on connaît.
Zeke Asagi était donc ce jeune garçon flemmard et rêveur vivant dans un vieux studio miteux au quatre-vingt-cinquième étage de la tour Coconut, dans le quartier Ciel de Bourg-Palette, petit village d'à peine dix millions d'habitants. Soudain...
« BIP BIP BIP BIP... »
« ...BIP BIP BIP BIP... »
« ...BIP BIP BIP B... »
— Aaargh c'est bon t'as gagné ! s'exclama Zeke Asagi, s'éveillant d'une courte nuit de sommeil.
Encore somnolent, il jeta un œil à son réveil Rondoudou, celui-ci indiquant « 07 : 43 ». Il resta de longues secondes à l'observer, troublé, jusqu'à ce que le « 3 » se change en « 4 ». Ce fut alors un choc.
— Nooon !! hurla-t-il. Je suis encore en retard !!
Se relevant dans l'obscurité de sa pièce, il ramassa ses affaires, étalées par ci par là, et entreprit d'enfiler son uniforme scolaire.
— Bon sang, maugréa-t-il, c'est déjà la cinquième fois cette semaine !! Et on n'est que vendredi !
Une fois habillé, il se saisit d'un croissant qu'il fourra dans son sac, et ouvrit la porte. Jetant un regard derrière-lui, il aperçut un petit tas, dans un coin de sa pièce.
— Merde, ma tenue de héros. … Bon tant pis, je n'en aurai pas besoin !
La tenue de héros se résumant donc à des gants de ménage en latex, un vieux tee-shirt à manches longues sali par le temps, et un survêtement noir. Le seul élément « beau » restant bien entendu les larges bottes noires en cuir traînant non loin. Il ferma la porte, et sauta en trombe dans l'ascenseur.
Quatre-vingt-cinq étages, c'était long. Mais là, encore plus. Après que l'interminable moment fut passé et qu'il fut arrivé au sol, il se mit à courir, débouchant dans l'éblouissante lumière du jour. Là, cherchant de tous côtés un bus, il se mit à paniquer et...
Bref, vous avez compris, Zeke Asagi était en retard pour aller au lycée, en seconde spécialité Pokémonologie. Bien qu'il ne s'y intéresse pas, le jeune garçon s'était vu contraint de rejoindre cette classe-là, étant obligé. Et si ce n'était pas à cause des parents qu'il n'avait plus, c'était en raison de son nom de famille.
Oui, Zeke était un Asagi, un Inférieur. Un enfant orphelin dont le nom avait été si nonchalamment effacé par l'administration du pays afin de réduire les difficultés à l'insérer dans la société. Et comme tous les Asagi, Zeke n'avait pas le choix de son destin. Ainsi, il avait été mis dans la case "Pokémonologie", afin de lui faire étudier les Pokémon. En somme, bien que ça ne paraisse pas particulièrement mauvais, seuls quelques métiers inaccessibles des Asagi permettaient de s'illustrer, tandis que les autres...
Toujours en retard, il parvint finalement à l'entrée de son lycée, l'un des cinq majeurs de la ville... Asagi-land.
…
Comme le nom l'indiquait, il s'agissait bel et bien d'un lycée réservé aux Asagi. Le plus gros, d'ailleurs, comptant une cinquantaine de milliers d'élèves. Cet établissement était fait pour la classe du dessous, tandis que les élites avaient droit aux lycées de prestiges, où vingt était le nombre maximum d'élèves par classes.
Ah oui, petite précision : le quartier Ciel était également réservé aux Asagi. Après tout, il n'y avait pas de raison pour qu'ils aient à côtoyer les autres. Ils étaient bien chez eux, non ?
Et c'est muni d'un bon quart d'heure de retard en cours de biologie que Zeke ouvrit la porte de sa classe, tout suant de sa longue course.
— V... VEUILLEZ EXCUSER MON RETARD ! s'écria-t-il, faisant sursauter le professeur.
Énervé, l'autre ramassa ses lunettes et tenta de masquer sa colère.
— Bon sang Zeke... Tu n'en as pas marre de TOUT LE TEMPS te pointer après les autres ? gronda-t-il.
— Je... euh...
— C'est pas vrai ça... Bon, vas t'asseoir ! Et j'espère que tu sauras prendre tes dispositions, la semaine prochaine !
Après tout, ce n'était que la trente-deuxième fois qu'il se pointait après les autres. Ses camarades (appelons ça camarades, mais nous sommes tous conscients que ce terme est ridiculement niais et n'a aucun sens, à moins de vivre au pays des Chelours) ricanèrent, et c'est rouge comme un Voltorbe malade qu'il monta les escaliers de l’amphithéâtre pour s'installer aux côtés de l'un de ses amis, se prenant au passage le pied contre une marche et s'étalant de tout son long.
— Bordel... murmura le professeur, remettant une fois encore ses lunettes. Qui m'a refilé un idiot pareil...
C'était un jeune homme, n'ayant pas encore atteint la trentaine, aux cheveux courts et noirs, très charismatique et athlétique. Pour sûr, il faisait un malheur auprès de ses collègues. Et des élèves, d'ailleurs, mais c'est un autre débat dangereux qu'il serait plus prudent de ne pas aborder.
— Alors, lui chuchota son pote, toujours la bonne vieille discrétion des familles, hein ?
L'autre soupira. Son ami – de son petit nom Ethan – était un garçon de son âge, légèrement enrobé, châtain, et l'exact opposé de Zeke : ponctuel, assuré, et énergique. Concernant le courage et la force, c'était son deuxième ami, Rodolphe, qui les avait. Athlétique, populaire – quand il le voulait – et surtout oisif au lycée, il était un autre opposé du Zeke fragile, timide et assidu. Lui était sur la table d'à côté. Bien entendu, ces trois-là constituaient un bon groupe hétéroclite et bien cliché.
— Hé, tu vas battre des records toi, non ? lui fit-t-il, moqueur.
Aussi triste que cela puisse paraître, seules trois personnes adressaient la parole à Zeke : Ethan, Rodolphe, et l'étrange Monsieur Fridhal, professeur beau gosse aux lunettes tombantes. Pourquoi diantre, alors que ces trois personnages avaient tout de différent ? Certainement à cause tout de même d'un seul et unique point commun, uniquement propre à eux quatre : l'amour inconditionnel des super-héros !
Même si, concernant Fred Fridhal, ça allait au-delà de cela. Pour faire simple, il était bien le seul et unique professeur d'Asagi-land à ne pas être un Asagi. Et si sa vie au sein de l'Empire (riz) Kantonais avait parfois été difficile, c'était à cause de son choix de travailler d’arrache-pied pour voir un jour disparaître les terribles distinctions de classes au sein de la société du pays. Bien sûr, au même titre que certains le respectaient, d'autres le considéraient comme un déchet.
— T'as vu l'épisode de Single Punch Man, hier ? demanda Ethan à Zeke, déjà absorbé dans ses pensées.
— Non, j'ai oublié ! se maudit le jeune garçon aux taches de rousseur. J'étais resté sur les infos !
— Les infos ?! répéta son ami. T'as l'air de bien te marrer, chez toi.
Zeke soupira.
— Oublie pas que ma famille, moi, elle est pas là pour mettre l'ambiance. Tant pis, je le regarderai en rediff' ce soir.
Une heure plus tard, le cours du professeur Fridhal se termina au son de la douce cloche du lycée. Oui, un agréable « DRIIIIIIING » comme on les aime. Aussitôt, les élèves s'échappèrent, ravis de pouvoir respirer un air différent de celui régnant dans l’amphithéâtre. Le groupe des trois mousquetaires descendit lui aussi les escaliers d'une traite, Zeke vérifiant bien à ne pas se tordre une cheville ou deux.
— Fred ! s'exclama-t-il lorsqu'ils furent à sa portée.
— Pour l'amour d'Arceus, fit celui-ci en se retournant, ne m'appelez pas ainsi quand il y a encore des élèves autour !
— Vous avez vu l'épisode de hier ? s'excita soudainement Ethan.
— Évidemment que je l'ai vu ! s'exclama alors un Fred Fridhal passionné. Un vrai bonheur que cette deuxième saison soit sortie !
— Et ce tocard, là, il l'a raté ! fit le garçon à l'adresse de Zeke.
Fred soupira.
— Mais mon garçon, comment peux-tu même réussir à louper ça ?
— Eh bien... je... euh... je sais pas...
— Bref sinon, que diriez vous... d'aller assister à un tournoi avec moi, ce soir ? enchaîna alors le professeur.
— T...Tous les quatre ?! s'enthousiasma Rodolphe.
L'autre ouvrit un tiroir de son bureau et en tira quatre billets frappés du logo de la Ligue Pokémon nationale. Chacun était valable pour assister à un match du champion de la ville contre dix challengers d'affilée. Toutes les semaines, ce spectacle était retransmis par la télévision communale, et des milliers de gens tentaient d'y assister. L'intérêt était de voir l'invincible champion de l'arène de Bourg-Palette écraser dix jeunes dresseurs, tous pleins d'espoirs. En repartant, il ne leur restait qu'un porte-feuille vide – oui une inscription au match de mille pokédollars *tousse* – et des larmes pleins les yeux.
— Absolument, jeunes gens ! Vingt et une heure, comme tous les soirs !
— Au fait, monsieur... bredouilla Zeke. Vous avez vu ce qu'il s'est passé à Johto ?
L'autre regarda un instant son élève, puis, remettant ses lunettes en place, il tourna la tête. Au bout d'un moment, Fred Fridhal hocha la tête, tandis que Rodolphe et Ethan jetaient un regard noir à leur ami.
— J'ai vu, oui. J'ai travaillé plusieurs années à Johto, dans ma jeunesse. Forcément, je me sens impacté par ces événements, mais il faut savoir relativiser. Nous sommes à une époque où nous n'avons plus le pouvoir de nous soulever, mais malgré cela nous avons la chance, même si de tels comportements sont difficilement admissibles, de vivre dans un pays fort et qui ne craint pas les assauts ennemis. L'OPU ne se permettrait pas de dire quoi que ce soit, sachant que l'Empereur y possède un siège. Le moindre commentaire serait désastreux pour l'entente internationale.
— Oh, je... je suis désolé, murmura Zeke, baissant les yeux.
Fred posa la main sur sa tête, lui ébouriffant au passage les cheveux.
— Ce n'est rien, mon garçon. Tu as eu raison d'aborder un sujet tel que celui-ci, il est important d'en parler.
C'était vraiment l'homme parfait, à réconforter ainsi son élève. Waouh.
— C'est quand même pas joyeux, commenta inutilement Ethan. Je veux dire... C'est pas fou quoi.
Rodolphe resta les yeux braqués sur lui pendant les secondes qui suivirent, dans l'espoir que quelque chose allait arriver. Mais aucune nouvelle parole ne s'échappa de la bouche d'Ethan.
— T'es vraiment inutile, toi en fait, lui adressa-t-il platement.
— Bon les enfants, reprit Fred, c'est pas que je veux vous dégager, mais j'ai mon café à prendre, et j'ai pas envie de le rater, sachant les têtes d'abrutis que je vais me taper pendant la journée. On se retrouve ce soir vers vingt heure devant l'arène, compris ?
— Compris ! firent trois voix à l'unisson, bien que totalement décalées.
Et sur ce, Fred Fridhal prit ses clic, prit ses clac, et suivi par ses élèves, sortit de la salle de classe. Tandis que lui prit la direction de sa salle des profs préférée, les garçons prirent la direction de leur prochain cours, dans le couloir 5B, du huitième étage du lycée d'Asagi-land, dans le quartier Ciel de la grande ville de Bourg-Palette, dans l'Empire Kantonais, dans le Nouveau Monde, le tout, bien entendu, en 3150 après Arceus.