Ch 15 : Babil
De tous les membres du Quatuor, c’était sur Moi que courait le plus de ragots. Personne n’avait jamais vu son visage, sauf Casus Belli durant son entretien d’embauche, et tous s’accordaient sur le fait que Moi ne pouvait pas être son vrai nom.
Quinze nouvelles rumeurs alimentaient chaque jour les discussions des laquais de l’ultimage sur ce fort mystérieux personnage que l’on surnommait le Maître de la Confusion, car il avait le don de retourner le cerveau à quiconque lui posait trop de questions.
Plus qu’un don, c’était devenu un jeu pour lui. Semer le trouble dans l’esprit des autres le divertissait plus que tout au monde, il se délectait avec délice de la faiblesse mentale d’autrui. Plus d’une fois, il voulut essayer avec Casus Belli, mais ce dernier avait la fâcheuse tendance à annihiler les personnes autour de lui dans les situations de stress intense.
Aussi, quand arriva le moment d’occire Lymnesine, Moi ne put se résoudre à accomplir sa tâche immédiatement. Il préféra jouer un petit peu avec elle à son passe-temps favori, d’autant que l’adolescente semblait abasourdie de le voir surgir devant elle. Du moins, selon Moi.
Car le haussement de sourcil de la magicienne qu’il interpréta comme de la surprise signifiait plutôt : « Pff, c’est quoi ce machin-là encore ? Il faut que je lui pète la gueule ou pas ? ». Puis Lymnie se reconcentra sur son estomac qui menaçait de grogner à tout moment. Il était presque dix heures et demie et elle n’avait toujours pas pris son goûter.
Quasiment ignoré, l’assassin s’éclaircit la voix pour attirer l’attention de sa future victime. Sans introduction, il déclara :
« Je suis Moi.
- Vous êtes vous ? fit Lymnesine. Ça me fait une belle jambe !
- Je ne suis pas Vous, je suis Moi, insista le membre du Quatuor.
- Ben, encore heureux que vous n’êtes pas moi, j’ai quand même un meilleur style que vous !
- Je viens de vous dire que j’étais Moi, comment osez-vous prétendre le contraire ? Et qui est ce Vous dont vous ne cessez de parler ?
- Mais c’est vous qui me parlez de vous, pas moi !
- Je ne parle pas de Vous, je parle de moi.
- Dans ce cas arrêtez de parler de nous, cela règlera le problème !
- Qui est Nous ?
- Vous voulez dire “qui sommes-nous ?”, non ?
- Vous êtes Nous ?
- Ben, non, je suis moi !
- Sauf votre respect, je suis Moi. Pas vous.
- Alors je suis qui, moi ?! râla la Magical Girl. »
Gottfried leva les yeux au ciel. S’il méprisait les charlatans usant de techniques grossières pour manipuler les autres, il détestait encore plus les idiots assez complaisants pour se laisser embrouiller l’esprit.
Autrefois neurochirurgien, puis psychiatre, le Fouinar millénaire connaissait parfaitement le fonctionnement du cerveau, ce n’était pas un mentaliste de pacotille qui se jouerait de lui. Petite précision quand même, Gottfried avait mis un terme à sa carrière de neurochirurgien au bout de six mois, quand il s’était rendu compte que, finalement, découper le cerveau des gens c’est barbant.
Bien sûr, Gottfried pouvait mettre une branlée intellectuelle à ce rigolo masqué, mais il n’en tirerait aucune gloire. Autant laisser ce menu fretin à la Magical Girl.
« Lymnie, utilise ta tête, bon sang ! rouspéta le Fouinar argenté.
- Je ne vais quand même pas lui mettre un coup de boule ?! Il porte un masque en bronze, je vais me faire mal ! répliqua la jeune fille.
- Chère Lymnesine, laissez-moi donc converser avec cet intriguant personnage, intervint Chrystosmus, je pense parvenir à déjouer les méandres de son verbe. »
Pour Moi, peu importait l’adversaire, il gagnait toujours à la fin. De toute façon la Magical Girl ne songerait pas à s’enfuir, elle ne se doutait pas que son dernier souffle était proche. Moi laissa donc le Galeking remplacer Lymnesine et lui accorda même la première réplique.
Round 2 ! GO !!!
« Donc, vous vous nommez Moi ?
- Que je vous nomme ? Mais pourquoi donc ?
- Oh, je ne vous ai point sommé de me nommer, je disais que vous vous nommiez Moi.
- Utiliser l’imparfait ne change rien au fait que vous vouliez que je vous nomme, mon bon monsieur.
- Non, je possède déjà un nom, il me suffit.
- Donc vous ne voulez pas que je vous renomme ?
- Non.
- Non ou nom ? Je ne saisis pas.
- Mais non, nom de nom !
- Deux noms ? Ne venez-vous pas de me dire qu’un seul vous suffisait ?
- Ah, le fourbe, il m’a bien eu ! pesta le Galeking. A présent, je ne sais que lui répondre ! »
Malgré ses airs posés, Chrystosmus détestait perdre. Il s’écarta en shootant dans un caillou et rejoignit Lymnie qui, adossée contre un mur, marmonnait des chapelets d’injures à l’encontre du mystérieux personnage.
Gottfried soupira. Décidément, il se trimballait de gros boulets avec lui. Quelle chance qu’ils sachent au moins se battre, sinon il les aurait abandonnés depuis belle lurette. Face à un adversaire aussi rusé, le Fouinar n’avait pas le choix, il se devait de prendre les choses en main. C’est pourquoi Gottfried fit ce qu’il faisait de mieux : déléguer.
« Ewart, discute donc avec ce monsieur ! Je suis certain que vous avez beaucoup en commun.
- Oh, je n’en doute pas, répondit Moi avec un grand sourire que personne ne vit à cause du masque. »
Pour l’assassin du Quatuor, tout filait comme sur des roulettes. Il ridiculiserait verbalement ce Kicklee mal dégrossi, puis il buterait la gosse avant de prendre la fuite. Les affaires ne pouvaient mieux tourner.
A nouveau, en bon seigneur, il décida d’accorder à son opposant le droit de prononcer la première phrase. Le jeu devenait trop facile sans ce handicap, Moi n’avait qu’à utiliser un de ses multiples scenarii de retournement cérébral pour remporter la victoire. La dernière manche pouvait commencer.
Heaven or Hell ? Fight !!!
« Shiki no uta.
- Pardon ? Vous pouvez répéter ? fit Moi, pris au dépourvu.
- Mata yo ga akereba owakare yume wa tooki maboroshi ni.
- Je n’ai rien compris à ce que vous venez de dire.
- Anata wo oikakete ita hikari no naka de dakareru tabi atatakai kaze wo tayori.
- Ah d’accord. Vous vous foutez de ma gueule, c’est ça ?
- Mada mabuta no oku ni aru itsuka no natsu tooisugita aozora.
- Je proteste, c’est de l’anti-jeu !
- Te wo tsunagu hana tsukamiutau itsu ya omoide.
- Stop ! Je ne veux plus entendre un mot ! »
Moi ne jubilait plus. Le Kicklee trichait ouvertement et en tout impunité, plongeant l’assassin dans un sentiment d’injustice profond, semblable à celui vécu par un enfant de quatre ans que l’on oblige à finir son assiette de courgettes trop cuites alors qu’il veut retourner voir les dessins animés.
Dire qu’il avait accordé quelques minutes de plus à vivre à la Magical Girl, voilà comment on le remerciait ! Pour la peine, il allait trancher la gorge à Lymnesine immédiatement. Moi sortit sa dague courbe et frappa sa cible sans aucun remord.
En un éclair, Lymnie transmuta son bras en acier sur un riff vénère qui résonna dans l’impasse déserte, et para le coup de son adversaire. La moue contrariée qui assombrissait le visage de l’adolescente se changea en un sourire satisfait. A présent, ils jouaient à son jeu favori !
Cela fait plusieurs fois déjà que la Magical Girl transforme son bras en métal, sans qu’aucune description supplémentaire ne vous soit fournie. Quel dommage, vous risquez de vous imaginer la chose d’un gris brillant grossier, issu des effets spéciaux de la fin des années quatre-vingt-dix, ou d’un jaune lumineux façon Marvel-Netflix.
Au contraire, la peau et le tissu de la manche de l’adolescente se couvraient de petites écailles d’acier acérées et irrégulières, qui s’allongeait légèrement au fur et à mesure que l’on s’éloignait de la main. Les ongles étaient recouverts de griffes cuivrées, de la même couleur que le crénelage habillant le tranchant de la main.
Par ailleurs, de petites aiguilles décoraient les articulations des doigts et deux petites lames pointues perpendiculaires au bras sortaient du poignet de la jeune mage. Autant dire que Lymnesine soignait le visuel de cette magie.
Un “duel à l’épée” débuta entre Moi et Lymnesine. L’assassin multipliait les assauts avec sa dague en visant les points vitaux de l’adolescente. Celle-ci se défendait avec aisance, sans chercher à porter le moindre coup.
A chaque choc, la Magical Girl faisait pleuvoir une gerbe d’étincelles pour que cette joute mollassonne paraisse plus épique. Pour narguer son adversaire, elle se mit à chanter.
« Aiguisée comme le fil d’un sabre de samurai
La lame de l’esprit tranche la chair et les os
Bien que je sois en paix, le monde n’est que chaos
Manquant de chaleur interne, la vie se refroidit
Oh oui, je dois trouver ma voie
Rien de moins que marcher sur la terre, l’eau et le feu
Les éléments composent un gigantesque magma
Mon mode opératoire en est l’amalgame »
Ne se souvenant plus de la suite des paroles, elle arracha la lame de son adversaire, puis abattit son poing métallisé contre le masque de Moi. Cela sonna l’assassin quelques instants.
Lymnesine s’écarta pour lui laisser reprendre ses esprits, tout en réfléchissant à la manière de terrasser son opposant. Un coup de genou dans l’entrejambe lui semblait être le compromis idéal entre sadisme et efficacité.
Mais Moi ne lui en laissa pas l’opportunité, il s’enfuit à toute allure en sautant sur le toit le plus proche, puis continua sa course en se dirigeant vers le centre du Béjé. Sa démarche tordue n’était malheureusement pas optimale dès lors qu’il s’agissait de prendre la fuite. La Magical Girl et sa troupe n’eurent aucun mal à le prendre en chasse depuis le sol.
Chrys râlait un peu. Lui qui n’aimait pas courir, il était servi depuis le début de la matinée.
Boitillant légèrement, Moi parvint tant bien que mal à atteindre le square au centre du quartier. Ce parc bordé de buissons fleuris accueillait une foule de visiteurs, de jour comme de nuit. L’assassin n’aurait qu’à se dissimuler parmi les passants et poignarder Lymnie sans qu’elle ne le remarque.
Il bondit pour descendre du toit, ce qui aurait pu être classe dans n’importe quel endroit de Rivustel ou du Pokémonde, mais pas ici. En ces lieux, nul ne pouvait prétendre à un quelconque style. Moi ne tarda pas à comprendre pourquoi.
Les yeux du tueur se posèrent sur l’immense statue qui dominait le parc. Elle représentait Sire Iglutsoa, le fondateur du Béjé, incarnation parfaite et absolue de la classe. La sculpture de douze mètres de haut semblait luire d’un éclat plus fort que le soleil, pourtant elle ne représentait qu’environ six pourcents de la classe réelle d’Iglutsoa, c’est dire à quel point l’homme rayonnait de son vivant.
La légende voulait qu’à son trépas, les plus beaux et plus puissants Pokémons se soient donnés la mort pour le rejoindre dans l’au-delà, ce qui expliquait le design passable des Pokémons actuels.
Personne ne pouvait poser les yeux sur la statue du Sire mythique sans tomber immédiatement dans un état proche de l’adoration. D’ailleurs, une plaque en argent placée aux pieds de la statue portait l’inscription « venerez moi de preferance ». Si les caractères avaient presque disparu au fil des siècles, le message perdurait dans le cœur des fidèles.
Sire Iglutsoa aurait pu être sculpté dans un étron géant, cela n’aurait rien changé à son prestige. Chaque jour, des centaines de passants auraient été subjugués par la prestance illimitée de sa statue. Bien sûr, pour lui rendre hommage, on avait plutôt choisi du marbre incrusté de diamants.
Le groupe de la Magical Girl tomba à son tour en dévotion envers le fondateur du Béjé, dès son entrée dans le parc. Lymnie repéra l’assassin parmi la foule des adorateurs, mais elle éprouva toutes les peines du monde à détourner son regard de la bégéitude de marbre et de diamant.
De même, Moi voulait déguerpir à nouveau, tout en ressentant un besoin irrépressible de baigner dans la lumière intense d’Iglutsoa. Il leur fallut donc une grosse demi-heure pour s’extraire laborieusement du square et gagner une rue adjacente où poursuivre leur combat, en un lieu où ils jouiraient à nouveau d’un ersatz de style, vulgaire et limité.
Lorsque la magicienne et sa troupe rattrapèrent Moi, celui-ci venait de se démultiplier en une centaine d’exemplaires. Les quatre lascars accueillirent la chose avec un long « Ooooooooh… ».
A la surprise générale, Moi s’avérait être un Pokémon, ainsi que le prétendait le leak du laquais n°87 521 de Casus Belli. L’assassin avait recouru à Reflet, une des trois attaques les plus utilisées dans les fanfics Pokémon avec Ultralaser et Abri.
Ayant perfectionné la technique à son paroxysme, Moi pouvait générer bien plus d’images rémanentes de lui-même que le commun des Pokémon. Ainsi Lymnie se retrouva cernée par une cohorte de clones de l’assassin.
Ce dernier pensait attendre l’instant où la Magical Girl lui tournerait le dos pour remplir enfin sa mission. Même à quatre, ils ne parviendraient jamais à se débarrasser de toutes ses copies. Une fois de plus, il mésestimait l’adolescente.
« Chrys ! Ewart ! Balancez une Tempête de Sable !
- Voyons, ma chère Lymnesine, il est prohibé de…
- Exécution !!! »
Les deux compagnons obéirent sans chercher à contrarier davantage leur Magical Girl. Gottfried n’eut pas le temps de chercher un endroit pour s’abriter, des rafales déchaînées soufflèrent violemment sur les toits du Béjé, apportant avec elle des nuées de sable occasionnant de lourds dégâts au bâtiments et habitants quartier. La tempête forma un voile semi opaque à travers lequel il était difficile de voir à plus de deux mètres.
Seule la zone autour de la statue du Sire Iglutsoa fut épargnée, car quand on suinte autant la classe, on ne se fait pas fouetter le visage par un truc aussi insignifiant que le vent.
En moins de cinq secondes, la tempête balaya la centaine de copies de Moi, laissant l’assassin seul face à une Lymnie prête à en découdre. Les notes d’un saxophone enjoué résonnèrent malgré le vacarme des bourrasques s’acharnant contre le Béjé. Moi vit les bras de la magicienne s’envelopper de flammes, vertes à gauche, pourpres à droite. Il sentit que la suite ne lui plairait pas.
L’adolescente fondit sur lui et le frappa de toutes ses forces. Son manteau ne tarda pas à s’enflammer. Lymnie découvrit alors quelle figure hideuse se cachait en dessous. Une vile créature, abjecte, résolument vouée aux ténèbres, la seule dont l’âme ne brillait pas de la lumière d’Arceus : un Spinda. Monté sur échasse en plus !
Lymnesine le bombarda de coups jusqu’à ce qu’il en perde connaissance. Alors, comme pour marquer la fin du combat, la tempête de sable se calma.
Quand l’épais voile de sable disparut, la magicienne découvrit avec stupeur une vingtaine de miliciens qui l’encerclaient, braquant leurs armes sur elle et ses trois compagnons. Les hommes portaient chacun une armure de mailles sombre ornée de trois lettres d’argent, MDK (Milice de Kezerkastel).
L’ado et sa bande levèrent les mains en l’air sans se faire prier. Ils savaient que certains miliciens étaient des fous de la gâchette et qu’il valait mieux ne pas les provoquer. Ne vous méprenez pas, ces gardiens de la paix ne portaient pas de flingues, mais bien des épées.
C’est bien connu, n’importe quel humain ayant sa barre de vie remplie à fond est capable d’envoyer des lasers avec une épée. Si vous n’y parvenez pas, il n’y a que trois raisons possibles :
- vous avez perdu quelques PV sans vous en rendre compte ;
- vous ne tenez pas une vraie épée dans vos mains ;
- vous n’êtes pas un être humain (navré de vous l’apprendre).
Le gros sergent moustachu qui dirigeait cette unité de la Milice se mit alors à brailler :
« Vous êtes en état d’arrestation pour invocation d’un climat dans l’enceinte de la capitale !
- Ouais, on sait, maugréa Gottfried. Article M3T30-009C du Code Pénal. T’es chiante Lymnie ! A cause de tes conneries, ils vont nous mettre en taule !
- La prison se trouve dans le Thug, répondit malicieusement la Magical Girl. Cela veut dire que la Milice va non seulement nous faire sortir du Béjé sans que les Wizards ne puissent l’empêcher, mais en plus nous rapprocher du château. »
Les quatre compagnons partagèrent un sourire complice, puis se laissèrent menotter sans broncher. Les miliciens les jetèrent ensuite dans leur fourgonnette tirée par trois Tauros peu respectueux du code de la route.
Pendant ce temps, dans les locaux de la Milice, Everett Lokoms attendait que le Magistrat daigne le recevoir. Selon son exécrable assistant administratif (on ne dit plus secrétaire, c’est péjoratif), il était en réunion ultrasecrète jusqu’à dix heures et demie.
Le brave notaire regarda sa montre à gousset pour la cent trente-huitième fois depuis son arrivée. Onze heures vingt. Soit sa montre avait beaucoup d’avance, soit le Magistrat se foutait clairement de lui.
Lokoms soupira en silence, il avait épuisé son panel de mouvement d’attente (prendre un magasine, regarder par la fenêtre, siffloter, se racler la gorge, faire semblant de réfléchir à quelque chose de vraiment important, tapoter du pied, faire les cents pas, regarder le contenu de ses poches, se retenir de pleurer, citer mentalement les cinq dates les plus marquantes de l’Histoire de l’Humanité, préparer sa liste de course, épousseter son manteau, gagner des débats contre lui-même, analyser l’articulation de sa main, poser sa jambe droite sur son genou gauche, se recoiffer, poser sa jambe gauche sur son genou droit, imaginer un concept abstrait, objectif, se définissant en son essence indépendamment de tout paradigme philosophique ou scientifique…)
Pour faire court, sa patience atteignait ses dernières limites.
Alors qu’il hésitait entre la fuite et le scandale, une silhouette sinistre apparut devant lui, droite comme la justice, froide comme la mort. C’était le Magistrat.
Malgré son jeune âge, il arborait une mine tellement sévère que n’importe qui se retrouvait noyé sous des réminiscences de l’école primaire en sa présence. Tout le monde craignait le Magistrat. Il entra en matière avec une exquise politesse :
« Quand mon assistant m’a rappelé que j’avais un entretien avec le capitaine Sulfurax ce matin, je me suis empressé de venir vous voir. Pas que cela me comble de joie de traiter vos petits problèmes de bourgeois outré, mais c’est toujours mieux que me prendre la tête avec l’autre emplumé !
- Euh… bonjour ? articula le notaire, trop abasourdi pour relever l’insulte.
- Comme vous dites ! siffla le Magistrat d’une voix glaciale, en regardant avec mépris la main tendue par Lokoms. Et je suppose que je devrais m’excuser pour le retard, un problème sérieux et urgent occupait toute mon attention. Vous ne comprenez sans doute pas ce que signifie « avoir des responsabilités » à un poste comme le mien.
- Et bien…
- Oui, j’ai cru comprendre que vous étiez victime de menus larcins à votre domicile. Votre confortable routine en est toute chamboulée, n’est-ce pas ?
- Pouvez-v…
- J’ai mis une des mes relations les plus fiables sur l’affaire, répondit le jeune magistrat, fatigué par la lenteur de son interlocuteur. Il s’agit de l’Inspecteur Metamorph, le plus fin limier de Rivustel. Il sera chez vous cet après-midi et débusquera votre voleur. Paiement en liquide, une fois sa prestation achevée. Des questions ?
- A vrai dire…
- C’est bien ce qu’il me semblait. A présent, nous sommes quittes. Passez une bonne vie, loin de moi et priez pour que l’on ne se rencontre plus jamais. Adieu. »
Le Magistrat quitta Lokoms à grandes enjambées, pressé de se vouer à nouveau, corps et âme, à la lutte contre le crime. Arrivé à son bureau, il vit une enveloppe zébrée, déposée par son assistant quelques minutes plus tôt. Le jeune homme grinça des dents. Une des personnes inscrites sur sa liste noire venait d’être arrêtée.
Il déchira l’enveloppe de papier et lut avec une grimace le nom inscrit à la plume sur une fiche de papier cartonné.
Lymnesine Hesperides.
Et merde !