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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 14/03/2017 à 10:54
» Dernière mise à jour le 17/03/2017 à 08:56

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 19 : Les poèmes de Michelle

Les poèmes de Michelle - Teri Moïse


Ce bonus commence plus de quatre ans après la mort de Cassy.


Michelle était assise sur un coussin, accoudée à une table basse aux couleurs criardes, sur laquelle elle dessinait à l'aide de crayons gras. Bien qu'elle soit âgée de quatre ans seulement, elle démontrait déjà un talent artistique certain. Là où les oeuvres de ses camarades de maternelle s'apparentaient surtout à des gribouillages, ses esquisses étaient facilement identifiables.

Elle venait de croquer une nuit sombre, où la lune était en grande partie masquée par des nuages ténébreux. Il n'y avait aucune étoile. Seule les ombres des branches d'arbre décharnées se découpaient sur l'éther obscur.

- Michelle, ma petite... Tu ne veux pas aller t'amuser avec les autres, dehors, au lieu de rester toute seule ici ?

La fillette ne leva même pas les yeux de sa feuille pour les poser sur son enseignante. Elle se contenta de secouer la tête en signe de dénégation. Elle ne parlait jamais avec les inconnus. Même avec ses parents, elle s'exprimait rarement. Elle ne souffrait pourtant d'aucun défaut d'élocution, pas plus que de retard intellectuel. Au contraire, elle semblait même en avance sur les enfants de son âge.

L'institutrice n'insista pas. Elle ne parvenait jamais rien à obtenir de son élève contre le gré de celle-ci, aussi insister n'aurait servi à rien. Elle aurait simplement perdu du temps et fait patienter inutilement sa visiteuse, qui l'attendait dans le couloir, devant la porte de la salle de classe.

- Madame Shirona... Pardon, Goyo. Je vous prie de m'excuser, même après tout ce temps, je ne m'habitue pas encore à vous nommer par votre nom d'épouse.
- Il n'y a pas de mal, d'autant que vous êtes loin d'être la seule.

Cynthia rajusta les deux pans de son manteau noir avant de tendre une main franche à son interlocutrice, qui la serra sans hésiter. Celle-ci paraissait mal à l'aise. La fille de l'ex-maîtresse de Sinnoh avait beau étudier dans sa classe, elle n'avait eu que rarement l'occasion de s'adresser en personne à sa célèbre mère.

- J'ai cru comprendre que vous souhaitiez vous entretenir avec moi au plus vite. Qu'y a-t-il ? Un souci ?
- Non, pas vraiment. Pour être honnête, je m'inquiète pour votre enfant, madame Goyo. Elle a un comportement... atypique, pour ne pas dire étrange. Est-elle ainsi uniquement à l'école ou également chez elle ?
- Michelle est un peu renfermée, effectivement, mais c'est une fillette très sage. Je serais très surprise d'apprendre qu'elle vous cause le moindre problème.
- C'est tout le contraire. Je n'ai pas la moindre raison de me plaindre de son attitude, si ce n'est son mutisme constant, cependant... J'ai conscience que ce n'est pas à moi de juger cela, toutefois je crains qu'il ne soit pas sain pour elle de s'isoler de la sorte, en particulier à un si jeune âge.
- J'ai souvenance d'avoir été moi-même très timide, étant enfant. Quant à son père, il ne s'agit pas de la personne la plus loquace qu'il m'ait été donné de rencontrer au cours de ma vie. Elle tient sûrement son caractère de nous.
- Soit. Je ne voudrais pas me montrer insistante, néanmoins j'aimerais me permettre d'évoquer avec vous un dernier point.
- Je vous écoute.
- Ses dessins. Ne sont-ils pas un peu sombres, surtout pour une fille de quatre ans ?

Cynthia ne releva pas. Michelle ne lui montrait jamais ses esquisses, pourtant elle avait eu l'occasion d'en apercevoir quelques-unes, souvent par hasard, en passant l'aspirateur dans la chambre de sa fille, lorsque celle-ci oubliait de les ranger dans sa pochette. Sur ce point, elle ne pouvait donner tort à l'institutrice.

Toutes ses représentations étaient dénuées de couleur, ou presque. Les crayons les plus usés de sa trousse étaient le noir, ses deux teintes de gris et le marron. Les autres, en revanche, étaient pratiquement intactes, comme si elle se plaisait à ne jamais rien dessiner d'autre que les ténèbres.

- Je vais tenir compte de vos craintes, madame Shubiro. Je vous remercie de m'en avoir fait part. Le bonheur de Michelle est notre principale inquiétude. Soyez assurée que Lucio et moi-même faisons notre maximum pour qu'elle soit la plus heureuse possible, même si...

Cynthia n'acheva pas sa phrase. Sa fille ne manquait de rien. Elle recevait de l'affection de ses parents, disposait de jouets en quantité, partait régulièrement en vacances dans tout Sinnoh... Elle vivait dans un foyer modèle et ne se plaignait jamais de rien, toutefois pas un sourire n'avait un jour étiré ses fines lèvres d'enfant.

- Je vais veiller sur elle, affirma catégoriquement l'ex-Championne. Vous pouvez me faire confiance là-dessus.

***
- Ma chérie, la fête foraine est en ville. Est-ce que ça te dirait d'aller y faire un tour ? Il y aura plein de peluches, des bonnes sucreries à manger et beaucoup de manèges.

Michelle refusa d'un mouvement de la tête et Cynthia, accroupie à côté d'elle, contint un soupir. Cela faisait désormais plusieurs semaines qu'elle avait eu cette discussion avec l'institutrice. Elle s'efforçait de rendre sa fille moins introvertie, mais ses efforts se soldaient à chaque fois par des échecs.

- Tu vas peut-être croiser des amies à toi. Ou t'en faire de nouvelles. Cela ne te plairait-il pas, d'avoir des amies ? Tu pourrais ensuite les inviter à la maison. Papa leur ferait son spectacle avec son Archéodong, et moi, je pourrai vous cuisiner des cookies à la menthe et au chocolat.

Cynthia se heurta à un autre signe de dénégation. Elle ne voulait pas abandonner, mais elle était pour l'heure à court d'inspiration. Elle ne trouvait jamais un seul argument pour convaincre Michelle de pratiquer des activités normales, du moins pour une enfant de son âge.

Elle se leva et quitta la pièce en silence, en prenant grand soin de refermer la porte dans son sillage. De ses bras, elle enlaça son buste. Elle n'aimait pas ce sentiment qui l'étreignait, celui de se remettre constamment en question, de chercher où étaient ses torts. En tant que Maître de Sinnoh, autrefois, elle avait toujours fait preuve d'assurance et de confiance en elle.

C'était en grande partie pour s'occuper de sa fille qu'elle avait décidé de laisser son titre, mais également parce qu'elle jugeait avoir déserté son poste trop longtemps, à l'époque de la Confrérie, pour continuer à s'en montrer réellement digne. Lucio aurait dû hériter de la tête de l'Elite des Quatre, toutefois il avait refusé ses responsabilités pour les mêmes raisons qu'elle, à ceci près qu'il avait conservé son poste de Champion. C'était à présent Adrien qui possédait le rôle du dresseur ultime de la région.

- Je suis une mauvaise mère... affirma-t-elle, de retour dans le salon.

Elle s'affala sur le canapé, à côté de son mari qui lisait le journal en silence. Il rajusta ses lunettes sur le bout de son nez, puis la fixa à travers ses verres correcteurs. Elle affichait une moue dépitée et paraissait au bord des larmes.

- Ne dis pas cela. N'importe quel enfant rêverait d'avoir une telle maman. Tu es belle, intelligente, talentueuse, et tu sais t'y prendre avec les petits.
- Avec tous, sauf avec la mienne. Même toi, tu es plus proche de Michelle que moi.
- Proche est un bien grand mot. Pour cela, il faudrait que tu considères que lui arracher cinq phrases quotidiennes relève de l'exploit.
- Pourquoi ? Ne s'en agit-il pas d'un ?

Cynthia passa une main dans ses longs cheveux blonds pour les repousser vers l'arrière de son crâne. Elle ne savait plus quoi faire, ni comment s'y prendre. Elle avait la désagréable impression d'être dépassée par les événements.

***
- Maman veut que je me fasse des amis.

Michelle, allongé sur son lit, regardait le plafond. Il avait été élégamment décoré avec de la peinture, afin de donner l'illusion qu'il s'agissait du ciel, vu de l'espace. Elle ignorait lequel de ses parents avait eu cette idée, mais c'était dans l'ensemble une réussite.

- Tu es mon ami, toi, n'est-ce pas ?
- Bien sûr que oui.

La voix s'exprimait dans sa tête. Elle était douce, profonde et rassurante. Michelle aimait l'entendre. Elle l'appréciait plus encore que les chants fredonnés par sa mère et les histoires racontées par son père.

- Alors pourquoi est-ce que je ne te vois pas ? interrogea-t-elle.
- Cela se produira, le moment venu.
- Quand viendra-t-il, ce moment ?
- Plus vite que tu ne le crois, mon enfant. En attendant, je veille sur toi.
- Je sais, tu me l'as déjà dit. Tu es mon protecteur. Pourquoi, d'ailleurs ?
- Cela aussi, je te l'expliquerai, mais pas maintenant. Plus tard.
- Et ton nom ? Quand pourrais-je le savoir ?
- Bientôt.

***
L'institutrice se pencha par-dessus le petit pupitre de Michelle, afin d'observer son dessin. Ceux-ci étaient plus sombres que jamais. Elle avait suggéré à Cynthia de l'emmener consulter une psychologue. L'ex-Championne s'était tout d'abord offusquée, avant de finir par s'y résoudre.

Les trois séances auxquelles la fillette avait assisté n'avaient donné aucun résultat. Elle s'était contentée de rester assise, sans prononcer le moindre mot ni faire le moindre geste, à chaque fois pendant une heure. Même le médecin avait fini par renoncer en affirmant qu'il ne réussirait pas à lui arracher la moindre parole.

Michelle n'aimait pas que les adultes s'immiscent dans ses dessins, et encore moins dans sa vie. Indépendante, que ce soit de ses parents ou de son enseignante, elle jugeait qu'elle n'avait besoin de personne. A bientôt cinq ans, elle savait déjà lire, écrire et compter, ce qui représentait un avantage considérable sur les autres enfants.

- Pourquoi tous tes dessins montrent la nuit ? Tu n'aimes pas le soleil ? s'enquit l'institutrice.

Elle se heurta comme de coutume à un mur de silence pendant que la fillette taillait son crayon noir. Non, elle n'aimait pas le soleil, ni même le jour. Son ami ne se manifestait jamais, dans ces moments-là. Il n'y avait que dans les ténèbres qu'il venait lui parler. Il lui avait avoué s'y sentir plus à son aise.

Il n'était pas tout le temps présent dans sa tête, seulement parfois. Il lui manquait lorsqu'il n'était pas là. Il était le seul avec qui elle acceptait de communiquer, sans pour autant connaître quoi que ce soit de lui. Personne ne connaissait son existence. Elle savait qu'on la trouvait étrange. Prétendre entendre des voix n'aurait rien arrangé à la situation.

Michelle fit passer son crayon dans sa main gauche, car la droite commençait à être douloureuse à force de colorier. Cas relativement rare, elle était ambidextre. Les deux côtés de son corps possédaient la même dextérité et elle n'hésitait pas à abuser de cette particularité.

Son esquisse était enfin terminée. Des formes longilignes, parfaitement identiques les unes aux autres, se découpaient sous un ciel remplis d'étoile. Elles prenaient leur source dans un sol plat, sur lequel elle avait également dessiné des formes qui auraient pu paraître étrange à quiconque ne les connaissait pas.

- Cet endroit m'est familier, déclara l'enseignante. C'est le sommet du Mont Couronné, non ? Pourquoi as-tu représenté les colonnes intactes, cependant ? La majorité d'entre elles se sont écroulées sur elles-même depuis des siècles.

Michelle, qui était en train de ranger ses fournitures scolaires dans sa trousse, interrompit brièvement son action avant de la poursuivre, comme si de rien n'était. Elle croyait la femme sur parole : elle n'avait jamais vu les Colonnes Lances.

***
- Et ton amie Esméralda ? Peut-être qu'elle pourrait savoir ce qui se passe dans sa tête.
- Pas question qu'elle utilise sa projection astrale sur ma fille ! protesta Cynthia. Et puis, comment voudrais-tu expliquer cela à Michelle ? Je n'ai aucune envie qu'elle soit traumatisée.
- En attendant, je crois que c'est elle qui traumatise les gens.
- Tu... Pff.

Lucio interprétait toujours la situation avec beaucoup plus de calme que son épouse. Pour lui, leur enfant était simplement à part. Elle vivait dans un monde bien à elle, qu'elle cherchait à matérialiser parmi ses dessins. Cynthia, toutefois, ne pouvait se résoudre à croire que son âme était déjà si sombre. Les humains étaient censés ne découvrir la noirceur de la vie qu'en grandissant.

- Je devrais m'y prendre autrement, avec elle.
- Comment ? s'enquit le Champion. Tu as déjà tout tenté.
- Pas tout. Il reste forcément quelque chose que je n'ai pas essayé. Je refuse de baisser les bras.

Elle retroussa les manches du pull à col roulé qu'elle portait ce jour-là et quitta le salon pour se diriger vers la chambre de Michelle. Elle toqua à la porte. Elle n'avait jamais renoncé à cette habitude, en dépit du fait que sa fille ne l'invitait jamais oralement à pénétrer à l'intérieur. Elle devait toujours s'y résoudre d'elle-même.

Elle ne fut pas surprise de découvrir l'enfant installée à son petit bureau, sur lequel elle était penchée, l'air appliqué. Elle devait certainement être en train de dessiner, comme toujours. Cynthia s'approcha doucement, afin de ne pas la brusquer. Michelle ne se retourna pas afin de l'observer.

- Est-ce que je peux faire du coloriage avec toi ?

Elle acquiesça d'un hochement de tête, sans poser les yeux sur sa mère. Celle-ci s'installa en tailleur sur le sol, prit une feuille blanche, un crayon et un support, puis entama une esquisse. Puisqu'il n'y avait que par l'art que la fillette s'exprimait, elle allait lui montrer qu'elle aussi, elle en était capable.

- Regarde ! s'exclama-t-elle avec une gaieté infantile lorsqu'elle eut achevé son ouvrage. J'ai terminé. Comment le trouves-tu ?

L'image les représentait les trois membres de la famille, main dans la main, en train de se promener sur la plage de Rivamar. Michelle observa l'illustration un instant, sans que ses traits n'expriment le moindre sentiment. Elle se remit ensuite au travail, toujours silencieuse.

- Tu ne veux pas me montrer le tien ? demanda Cynthia.

Sa fille parut hésiter. Son regard passa de sa feuille à sa mère à plusieurs reprises. Au terme de quelques minutes, elle finit par s'y résoudre. Elle fit glisser la page sombre devant elle afin de la placer à hauteur de la dresseuse. Celle-ci pâlit à la vue de la représentation qui se trouvait dessus.

- Palkia... Et Dialga... souffla-t-elle, la gorge nouée. Comment...

Elle s'interrompit. La grotte de Celestia, bien sûr. Cynthia confiait parfois sa fille au professeur Carolina durant quelques jours, afin qu'elle puisse respirer l'air de la campagne, et surtout lorsqu'elle décidait de rendre visite à Tina, seule membre de la Confrérie avec laquelle elle avait gardé un réel contact, puisqu'elle était la plus proche géographiquement parlant.

- Tu as vu les gravures par le mur lorsque tu étais chez grand-mère, n'est-ce pas ?

Michelle ne releva pas et l'ex-Championne en arriva à la conclusion que c'était effectivement le cas. Pendant un instant, elle avait senti la panique poindre en elle. Sa fille ne devait jamais rien savoir des légendaires, ni du groupuscule d'humains qui s'était opposé à eux. Même si le monde était censé être désormais en paix et avoir recouvré son équilibre, elle tenait à lui épargner le poids d'une telle vérité.

Elle sourit tendrement à l'enfant qui l'ignora, ébouriffa affectueusement ses cheveux, puis se leva. Elle avait l'impression, ou du moins tentait-elle de s'en convaincre, d'avoir trouvé un moyen de se relier davantage à Michelle, par le biais de ses dessins. Peut-être qu'à travers ce procédé, elles finiraient par s'ouvrir l'une à l'autre.

La fillette reprit son oeuvre, tandis que sa mère quittait la pièce. Elle contempla un instant l'esquisse des deux dragons légendaires qu'elle avait faite, puis retourna le document. Au dos, de son écriture soignée, elle avait rédigé un poème :

Les quatre bannis bientôt reviendront
Jusqu'alors prisonniers de leur dimension
La Belle l'a promis il y a peu de temps
Et elle tiendra encore serment

***
Michelle avançait dans les ténèbres. Elle rêvait, elle le savait. C'était pour cette raison qu'elle n'avait pas peur. De toute manière, elle ne redoutait rien. Quoi qu'il puisse lui arriver, son ami serait là pour la protéger. Il lui avait donné sa parole et elle lui faisait confiance. Elle ne tarda d'ailleurs pas à entendre sa voix :

- Approche, mon enfant.
- Où donc ? Où dois-je aller ? Il n'y a rien, ici.
- Vraiment ? Regarde mieux.

En plissant les yeux, elle réussit à apercevoir un point bleu qui brillait dans les ténèbres. Elle se précipita dans sa direction. Elle avait beau ne pas voir le sol sous ses pieds, celui-ci était plat et égal, si bien qu'elle ne risquait pas de s'entraver. Elle se rapprochait de l'étrange lueur à chaque foulée, aussi décida-t-elle de presser l'allure.

- Oh ! s'exclama-t-elle dans un souffle. Alors... C'est toi ?

Elle se tenait face à ce qui ressemblait à une ombre aux épaules carrées, aussi noire que la nuit la plus sombre, en dépit de la collerette rouge qu'il arborait, de la fumée blanche qui lui faisait office de chevelure et de ses yeux profonds à la couleur étincelante.

- Dans mon monde, l'on me nomme Darkrai.
- Darkrai... Mon ami... Pourquoi avoir attendu si longtemps à m'apparaître enfin ?
- Je craignais que tu ne sois pas prête à endurer ma vision. Vois mon apparence. Ne la trouves-tu pas effrayante ?
- Pas du tout. Tu es comme je t'imaginais. Ou plutôt, comme je voulais que tu sois. Je n'aimerais pas être face à quelqu'un de différent. Je t'aime ainsi.

La fillette passa ses bras autour du corps fantomatique du légendaire. Elle fut surprise de constater qu'il avait une constitution solide. En réalité, il était simplement en mesure de la contrôler et pouvait se rendre immatériel à chaque fois qu'il le désirait. Il caressa les cheveux aussi ténébreux que lui de l'enfant à l'aide de ses mains griffues.

- Je suis ravie de pouvoir t'étreindre enfin, ma précieuse Michelle.
- Moi de même, ami Darkrai. A présent que nous nous sommes rencontrés, plus rien ne nous séparera, n'est-ce pas ? Tu seras toujours là pour moi.
- Je te promets que pas un instant je ne cesserai de veiller sur toi.

Il déposa un baiser sur le sommet de son crâne, tandis qu'elle se lovait contre lui. Il s'était attendu à de la peur, de l'effroi, du dégoût, or il ne découvrait qu'une adorable fillette qui l'aimait tel qu'il était, quand tous les humains avaient au contraire tendance à le craindre instinctivement, sans même le connaître.

Il comprenait désormais mieux l'affection que Crios avait toujours paru nourrir à l'égard de la petite Yohanna. Leur espèce était plus attachante qu'ils ne le laissaient paraître et il était plus facile qu'ils ne l'auraient cru, eux, des divinités, de se prendre d'adoration pour l'un d'entre eux. Peut-être était-ce finalement les mortels, la vraie faiblesse des dieux.

***
- Michelle, mon trésor, je vais devoir te quitter quelques jours.
- Me quitter ? Comment ? Pourquoi ? Que fais-tu de ta promesse ?
- Elle sera tenue. Ce n'est pas parce que tu ne m'entends pas que je ne suis pas là. Je garde constamment un oeil sur toi, d'une façon ou d'une autre.
- Où vas-tu ? Que vas-tu faire ?
- Il me faut rendre visite à une très vieille amie. J'ai repoussé autant que possible cette échéance, mais à présent, il me faut m'y résoudre, sans quoi c'est elle qui viendra à moi. Sauf qu'elle est toujours très énervée lorsqu'elle est contrainte de se déplacer, pourtant elle fait partie de ces dames qu'il vaut mieux ne jamais contrarier.
- Darkrai... Je veux que tu restes. Ne pars pas, s'il te plaît. Pour moi.
- Tu n'as rien à craindre, ma puce. Tu es en sécurité, ici. Tu as tes parents, tu es à l'abri. Tu...
- Si tu t'en vas, je n'aurai plus mon ami. Mon seul ami.
- Ce n'est que l'histoire d'une semaine au maximum. Tu peux aisément patienter jusque-là.
- Non ! répondit-elle catégoriquement. Reste. Pour moi.

Elle obtint pour toute réponse un interminable silence. Darkrai demeurait immobile face à elle, le regard vide, son corps se confondant avec les ténèbres alentours. Elle étendit la main dans sa direction pour le frôler, ce qui n'éveilla chez lui aucune réaction. Enfin, il dit doucement :

- Je suis navré, Michelle. Ta vie et ton bonheur m'importent par-dessus tout, tu en as conscience, mais... Il y a parfois des choix que nous sommes tenus de faire. Un honneur que nous devons respecter. Un devoir qu'il nous faut accomplir. Je suis désolé, mon coeur. Pour... tout.

Il commença à s'évaporer dans l'obscurité. La fillette tenta de le retenir, alors qu'il s'évanouissait en dizaine de volutes de fumée. Ses doigts se refermèrent sur le vide. Elle devait le rattraper, pourtant. S'il la quittait, elle allait se retrouver toute seule, et lorsqu'elle était seule, elle avait peur. C'était lui qui la rendait courageuse. Paniquée, elle hurla son nom :

- Darkrai !

Elle se réveilla en sursaut, moite de sueur mais en sécurité dans son lit. Moins d'une seconde plus tard, la porte de sa chambre s'ouvrait à la volée sur une Cynthia angoissée, alertée par le cri qu'elle venait de pousser. Elle se précipita à son chevet, auquel elle s'agenouilla.

- Que se passe-t-il, ma puce ? Tu as fait un cauchemar ?

Michelle hésita à secouer la tête. Ce n'était pas un mauvais rêve, mais la triste réalité. Darkrai venait de la laisser. Il l'avait laissée alors qu'elle l'avait supplié de ne pas le faire. Il avait osé l'abandonner quand elle avait besoin de lui. En réalité, elle avait toujours besoin de lui. C'était comme si sa présence lui était vitale.

Cynthia l'observa avec une inquiétude non dissimulée. C'était la première fois que sa fille souffrait de ce genre de troubles du sommeil. En dépit de l'univers très sombre dans lequel elle semblait se murer et que reflétait ses dessins, elle ne souffrait pas de cauchemars, le reste du temps.

- Est-ce que tu veux m'en parler ?

Non, bien sûr. Qu'elle était idiote de poser la question. Michelle ne lui parlait pas. Elle ne lui parlait jamais, sauf quand elle ne pouvait faire autrement. Elle lui caressa un instant les cheveux, avant de reculer. La fillette n'aimait pas se sentir oppressée, encore moins que quelqu'un.

- Est-ce que tu veux que je t'installe une veilleuse ?

Elle répondit d'un signe de tête négatif. Elle avait toujours dormi bercée par les ténèbres depuis son plus jeune âge. Elle était d'ailleurs que c'était cela qui avait mené Darkrai jusqu'à elle : l'obscurité. Si elle se rendormait, qu'elle l'appelait encore, il l'entendrait sûrement, et il reviendrait peut-être.

***
- Michelle semble perturbée, depuis ce matin.
- Plus que les autres jours ? s'enquit Lucio, sans lever les yeux du magazine de dressage qu'il était en train de feuilleter.
- Comment peux-tu parler de ta propre fille de la sorte ? s'offusqua Cynthia en lui jetant le torchon avec lequel elle essuyait la vaisselle au visage.
- Notre petite puce est très intelligente. Elle est adorable et elle a de nombreuses qualités. Quant à ses défauts... Je ne considère pas qu'il s'en agit d'un, mais plutôt d'un fait. Je crains qu'elle n'ait jamais vraiment été toute seule dans sa tête, cette enfant.
- De la schizophrénie ? Absurde. Nous nous en serions aperçus.
- Dans ce cas, je te laisse conclure qu'elle est parfaitement normale et je retourne à ma lecture.

Lucio se blasait parfois de l'anxiété constante de son épouse. C'était peut-être parce qu'il avait grandi, et vieilli, en compagnie de pokémon psy qu'il s'offusquait moins de voir des esprits qu'il qualifierait de différents, à l'instar de celui de Michelle. Cynthia, elle, avait nettement moins de connaissances que lui sur tout ce qui concernait le psychisme, l'inconscient et les sombres secrets qu'ils renfermaient.

- Je suis convaincue que c'est à cause de ce maudit cauchemar qui l'a éveillée dans la nuit. Je vais voir si je peux faire quelque chose pour elle.
- Et tu vas revenir en te lamentant qu'elle n'a pas besoin de toi... comme toujours, marmonna le Champion tandis qu'elle quittait la cuisine.

Le silence retomba sur la pièce durant une minute, jusqu'à ce que sa femme ne le brise à nouveau. Elle le déchira, plus exactement, car elle poussa un cri strident. Lucio ravala le soupir qu'il était sur le point de pousser. Cynthia était anxieuse et souvent contrariée par Michelle, certes, mais jamais à ce point. Si elle se mettait à hurler, elle avait forcément une bonne raison de le faire.

D'un pas rapide, il la rejoignit dans la chambre de leur fille. Ses sourcils se froncèrent légèrement lorsqu'il découvrit celle-ci entièrement vide. Il n'y avait rien. Leur enfant avait disparu sans crier gare.

- Ce n'est pas possible ! Où est-elle passée ? interrogea-t-il, gagné pour une fois par la panique, lui aussi. Il faut pratiquement la supplier pour qu'elle sorte d'ici, d'ordinaire.
- Elle... Elle... Est-ce que tu penses que quelqu'un aurait pu l'enlever ?
- Au premier étage d'un appartement ? La fenêtre est fermée, en plus de cela. Et pour quel motif quelqu'un voudrait-il kidnapper la petite ?
- Une demande de rançon, sans doute. Je suis l'ancien Maître de Sinnoh, et toi le dresseur de tête de l'Elite des Quatre. Personne n'ignore que nous ne manquons pas de moyens financiers.
- Si Michelle avait été enlevée, je ne crois pas que tout serait si... normal. Il n'y a aucune trace de lutte, aucun indice, rien. Or notre fille est terriblement intelligente. Elle aurait crié, agi... Bref, d'une quelconque façon, nous saurions qu'il se passait ou s'est passé quelque chose de grave dans cette chambre.
- S'il ce n'est pas un rapt, alors pourquoi n'est-elle plus ici ?
- Elle... Cynthia, je pense qu'elle a fugué.

Le visage de l'ex-Championne se décomposa en une expression horrifiée. Pour Lucio, cette nouvelle lui causait un moindre choc. Michelle donnait l'impression d'être un esprit libre, incontrôlable et son comportement était souvent inexplicable. Son caractère suffisait à lui seul à expliquer son geste, aussi inattendu soit-il.

Il s'approcha de son bureau, où elle avait abandonné quelques feuilles blanches, recouvertes d'esquisses pour la plupart. Sans grand espoir, il songea qu'elle avait peut-être laissé un mot, en dépit de ces piètres qualités de communication. Au lieu de cela, il repéra un dessin qui attira son attention.

Contrairement à tous les autres, il était en couleur. Il représentait un oeil tracé avec soin, aux nuances et aux détails parfaits. Sa teinte bleu électrique contrastait avec les tons obscurs qui ornaient toutes les autres oeuvres de sa fille. En le retournant, il blêmit. Il avait peut-être eu tort, finalement, de se moquer de la sempiternelle inquiétude de sa femme.

- Cynthia... Tu devrais...

Il n'acheva pas sa phrase. Il se sentait sot. Il se croyait responsable de la situation car il n'avait rien fait pour l'arranger, persuadé qu'elle finirait par s'arranger d'elle-même et qu'il n'était pas en leur pouvoir d'intervenir. A présent, celle-ci les dépassait totalement.

D'une main tremblante, son épouse s'empara du document. Elle contempla l'oeil étrange, qui éveilla chez elle un mauvais pressentiment. Michelle s'était volatilisée et plus rien, désormais, ne lui inspirait confiance. La respiration saccadée, elle retourna le papier. Au dos, un poème était élégamment calligraphié.

Pourquoi être parti
Ô, ami ?
Tu m'as promis ta présence
Je souffre en ton absence

Si tu ne reviens pas à moi
Alors j'irai à toi
Dans les ténèbres tu m'as quittée
Darkrai, je t'y ramènerai

Cynthia porta ses doigts à ses lèvres. Sa bouche s'entrouvrit, mais aucun son n'en jaillit. L'air n'atteignait plus ses poumons et, tandis qu'elle haletait bruyamment, ses jambes s'affaissèrent sous elle. Lucio la retint au moment où elle perdait connaissance.

***
La Route Victoire. Un endroit que tous prétendaient hostile et dangereux. L'ultime étape des dresseurs avant d'oser affronter la Ligue de Sinnoh. Il y faisait sombre et d'aucuns racontaient que les pokémon présents dans les boyaux inhospitaliers de ses entrailles étaient d'un niveau nettement supérieur à la moyenne.

Michelle n'avait pas d'équipe, personne pour combattre à ses côtés. Elle était seule. Elle avait seulement qu'elle devait traverser ce lieu si elle désirait gagner le sud, autrement dit Rivamar, qui lui ouvrirait le reste de la région.

Elle ignorait où elle allait pouvoir retrouver Darkrai. Il n'avait pas voulu lui révéler où allait le conduire son absence, aussi ne pouvait-elle qu'émettre des suppositions. L'une d'entre elle, néanmoins, lui paraissait plus plausible que toutes les autres. A maintes reprises, il avait fait mention du Mont Couronné et de ses Colonnes Lances.

Apparemment, il y avait là-haut une femme, qu'il prétendait belle comme le jour et qu'il tenait en très haute estime, qui veillait sur l'équilibre du monde, ainsi que sur la paix. Elle était certaine que c'était elle qu'il était parti rejoindre. Elle n'en doutait pas une seule seconde.

Il allait apprendre à ses dépends qu'on ne l'abandonnait pas si facilement. Elle escomptait bien le retrouver, après quoi, il serait hors de question pour elle de le laisser repartir. Elle avait besoin de lui. Elle se sentait seule et vide lorsqu'il n'était pas là. Tout était trop silencieux sans sa voix dans sa tête pour la guider, lui dire quel chemin arpenter.

Michelle était brave, doté d'un courage sans faille. Là où même un adulte aguerri aurait hésité, elle s'engouffra sans réfléchir dans le labyrinthe que formait la Route Victoire. Cynthia lui avait décrit ces tunnels à maintes reprises, pour les avoir souvent parcourus du temps où elle était encore Maître, afin d'entraîner ses pokémon. Grâce à ces informations, couplées à son intelligence, elle était convaincue qu'elle parviendrait à trouver la sortie sans peine.

Elle avait choisi de faire le chemin à l'envers. Elle commençait par le plus difficile. Tout le reste, une fois cette épreuve achevée, lui semblerait être une véritable sinécure. Elle trouverait un pokémon sauvage amical, comme il y en avait de nombreux dans la baie rivamarine, pour la conduire jusqu'à la rive de la ville, après quoi elle prendrait la direction de Célestia. Elle connaissait le trajet par coeur pour avoir si souvent rendu visite à sa grand-mère.

***
- Darkrai, mon ami. Qu'il est bon de te revoir parmi nous. Comment se passe ton temps dans le monde d'en-bas ?
- A merveille, ma dame.

Il s'inclina avec déférence devant le trône d'Athéna, qui le gratifia d'un sourire éclatant. Elle était divine, dans sa robe blanche moulante, son sceptre d'Alpha identique à celui de Némésis à la main. Elle se mit debout, tandis qu'il conservait l'échine légèrement plié en signe de respect.

- Redresse-toi, très cher. Et, je t'en conjure, ne m'appelle plus ma dame. Je voudrais que tu continues à t'adresser à moi ainsi que tu l'as toujours fait. Comme à une égale. Mieux que cela, comme à une amie.
- Vous n'étiez pas l'Alpha, il y a encore quelques années de cela.
- Un simple titre doit-il vraiment tout bouleverser à ce point, Darkrai ?
- Je l'ignore. C'est vous qui avez toutes les réponses, Athéna. Je ne suis qu'un modeste légendaire à côté de vous.
- Et surtout l'un des rares à me connaître réellement. A savoir qui je suis et ce que je vaux. Je suis heureuse que tu sois rentré. J'espère que tu vas pouvoir à nouveau m'aider. Némésis est... Ses pouvoirs ne sont pas encore suffisamment puissants pour contenir les miens en cas d'échec. Avec toi, je sais que je me sentirai davantage en sécurité afin de m'exercer. Je ne peux pas vivre dans la sempiternelle peur de mes capacités.
- Il n'appartient qu'à vous de les dompter. Je pourrais vous enseigner tout ce que vous me demandez, Athéna, mais votre contrôle, vous seule êtes en mesure de l'acquérir. Tous les conseils du monde n'y changeront rien, hélas. Qui plus est, je suis au regret de vous annoncer que mon retour n'est en rien définitif. Je repars pour la Terre incessamment sous peu. Je suis seulement venu demander une audience avec Némésis.
- Je suis tout ouïe, Darkrai.

Les portes situées juste derrière le trône de l'Alpha s'ouvrirent par enchantement pour laisser passer la déesse de la justice. Le maintien altier, le visage méprisant et la beauté ensorcelante, elle avança avec élégance jusqu'à venir se poster aux côtés d'Athéna, qui lui jeta un bref regard avant de ramener son attention sur le pokémon noirtotal. Celui-ci attendit une fraction de seconde, puis déclara, d'un ton qu'il souhaitait parfaitement neutre :

- Je l'ai trouvé.
- Où est-il ?

Némésis plongea son regard dans les yeux vifs et pénétrants de Darkrai. Celui-ci le soutint. Rares étaient les téméraires qui osaient le faire, mais il comptait parmi eux. Il attendit quelques secondes avant d'avouer :

- Cela fait un moment que je sais où il est.
- Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt, dans ce cas ?
- La situation est légèrement complexe, ma dame.
- Complexe ? En quoi peut-elle l'être ? Si tu es convaincu que cet humain est compatible avec le glyphe ténèbres, il ne me reste qu'à lui infiltrer le type. C'est aussi simple que cela. Conduis-moi jusqu'à cette personne.
- C'est une enfant. Une fillette, pour être exact.

Athéna entrouvrit la bouche, mais ne souffla mot. Apparemment, impliquer de jeunes mortels dans la Confrérie ne lui plaisait pas. Némésis, au contraire, n'eut aucune réaction. Cela lui était parfaitement égal. Elle justifia tout de même son indifférence :

- J'ai confié leur rôle à une grande partie de la Confrérie alors qu'ils étaient encore peu aguerris. Certains glyphes sont apparus très vite, d'autres ont mis longtemps à se manifester. Qui plus est, ceux qui ont péri n'étaient pas les plus novices, loin de là.
- Il ne s'agit pas de remettre en doute vos choix, ma dame. Je ne me le permettrais jamais.
- Qu'est-ce, alors, si ce n'est cela ? Darkrai, le temps nous presse. J'ai l'intime conviction qu'une menace plane sur mes projets et je veux qu'ils aient toutes les cartes en main s'ils s'avèrent être en danger.
- En danger ? Comment le pourraient-ils ? La paix règne sur le monde, désormais.
- Les Zarbis ne détectent actuellement aucune menace, confessa Athéna, cependant je les ai toujours priés de ne m'avertir qu'en cas d'extrême nécessité, aussi je suppose qu'ils ne le feront qu'au tout dernier moment. Le sixième sens de Némésis, toutefois, est à prendre très au sérieux, car il ne faillit jamais.
- Darkrai, dis-moi où je peux trouver cette enfant.
- Ma dame... Il s'agit de la fille de Cynthia.

Le visage froid de la Justice perdit aussitôt sa rigidité naturelle pour afficher une moue stupéfaite. Ses lèvres se séparèrent de quelques centimètres afin d'exprimer son étonnement pendant qu'elle clignait des yeux à plusieurs reprises, dans un mouvement très vif.

- Voilà pourquoi je jugeais la situation complexe, précisa le pokémon noirtotal, sans qu'elle ne trouve quoi lui répondre.

***
La fatigue commençait à se faire sentir dans le corps de Michelle. Si son mental était extrêmement développé pour son âge, ce n'était pas le cas de son corps, qui souffrait des limitations de l'enfance.

Elle était partie de chez elle depuis trois jours, désormais. Elle dormait peu, à la belle étoile ou dans des grottes obscures, et ne mangeait pratiquement rien. Elle craignait que ses forces ne l'abandonnent avant qu'elle n'ait atteint les Colonnes Lances, où elle était sûre de retrouver Darkrai.

Elle avait atteint le Lac Courage la veille au soir et, après s'être accordée une brève pause, elle était repartie en direction de Voilaroc. Elle n'avait cependant pas l'intention de traverser la cité. Elle craignait que quelqu'un ne la reconnaisse. En tant que fille de Cynthia et de Lucio, de nombreuses photos d'elle filtraient régulièrement dans les médias.

Pour l'heure, elle parcourait la route 214, où elle avait choisi de laisser de côté l'itinéraire balisé afin de se déplacer dans l'ombre des arbres. Elle risquait certes de rencontrer des pokémon sauvages, mais également moins de dresseurs. Elle n'aimait pas les gens. Elle ne tenait pas à en croiser.

Elle marchait depuis un long moment lorsqu'un grondement menaçant parvint à ses oreilles. Elle garda son calme. Michelle faisait preuve d'un sang-froid admirable dans n'importe quelle situation. Elle tenait cette faculté de son père, lui-même doté d'un flegme incroyable.

Des bruits de pas se rapprochaient, de même qu'un souffle saccadé. Visiblement, une créature fondait sur elle. Elle s'immobilisa et ferma les yeux. En écoutant attentivement, elle saurait rapidement de quel côté elle allait surgir. Elle s'orienta en direction du nord-est, puis rouvrit les paupières.

Un Démolosse aux prunelles plus sombres que la nuit la plus noire se tenait devant elle. Il la fixait avec insistance, la gueule entrouverte, les crocs saillants, et émettait un ronflement qui n'inspirait pas confiance. Il s'approcha, passa sa langue sur ses babines de carnassier et se prépara à bondir.

- Non ! gronda férocement la fillette. Va-t-en !

Les oreilles du pokémon, plaquées vers l'arrière, se redressèrent soudain. Il poussa un glapissement soumis, puis s'empressa de tourner les talons pour disparaître en courant sans demander son reste. Il allait devoir se trouver une autre proie à menacer s'il tenait à déjeuner.

Michelle avait la chance de posséder ce don, même si elle avait remarqué qu'il ne fonctionnait qu'avec les types ténèbres. Elle parvenait à se faire obéir d'eux, du moins en grande partie. Souvent, elle se demandait si cela n'était pas dû à Darkrai, qui appartenait à cette même classe

- Et tu n'as même pas tremblé... Impressionnant.

La fillette sursauta. Elle observa les alentours, à la recherche de la personne qui venait de s'exprimer. Elle ne vit personne. Seuls les arbres l'entouraient, ainsi que la pénombre que projetaient sur elle leurs feuillages. Rien ne semblait bouger. Même le vent paraissait avoir cessé de souffler.

- Qui est là ? Darkrai ?

La voix éclata de rire, sans que son propriétaire ne se dévoile. Son timbre était doux, sensuel et agréable. Elle était sotte d'avoir posé la question : il n'avait rien à voir avec celui de son ami. Qui plus est, elle pouvait l'entendre, or le pokémon ne s'exprimait jamais autrement que dans sa tête.

- Non, je ne suis pas Darkrai. Je suis...

Un mouvement furtif dans son dos l'obligea à se retourner. Elle resta étonnamment stoïque, malgré le fait qu'un homme se tenait désormais face à elle. Grand et mince, l'allure altière, il était très beau. Il possédait de longs cheveux noirs, plus sombre que la nuit, à l'instar de ses yeux et des habits seyants qu'il portait. Sa peau était hâlé et le tout contrastait avec la blancheur immaculée de son sourire.

- ... enchanté de connaître, acheva-t-il.

Avant qu'elle n'ait pu esquisser le moindre geste, il s'inclina avec galanterie et prit sa petite main dans la sienne pour y déposer un baiser. Michelle l'observa, osant à peine respirer. Elle ne comprenait rien à cette situation et cela ne lui plaisait pas.

- Que me voulez-vous ?
- Aucun mal, rassure-toi. Au contraire, je suis ici parce que l'on m'a confié une mission très importante. Celle de veiller sur toi.
- J'ai déjà quelqu'un qui veille sur moi, répliqua sèchement l'enfant. Enfin... Qui veillait.
- Et qui t'a affirmé, avant de partir, qu'il continuerait à garder un oeil sur toi, n'est-ce pas ?
- Oui. Une minute... Comment le savez-vous ?
- Cet oeil, c'est moi. Je suis Satan, l'humain de Darkrai.

Michelle ne releva pas. Son ami avait vaguement évoqué, à plusieurs reprises, les compagnons des pokémon tels que lui, qui étaient qualifiés de légendaires. Il n'avait cependant jamais fait ouvertement mention du sien. Par politesse, elle se présenta à son tour.

- Je sais qui tu es. Tu es la fille unique de Cynthia Shirona. J'apprécie beaucoup ta mère, elle est un exemple de courage et de vertu.
- Vous... Vous la connaissez ? Comment ? Elle ne m'a jamais parlé de vous.
- C'est parce qu'elle ne m'a jamais... Disons officiellement rencontré. Je lui ai sauvé la vie il y a quelques années de cela. Elle avait subi un grave accident et je l'ai aidée à rejoindre sa conscience.
- Est-ce que vous êtes son protecteur ? Darkrai dit que c'est ce qu'il est pour moi.
- Non, je n'irai pas jusque-là. C'est plus compliqué que cela, pour être honnête avec toi. Ta mère, en revanche, était en quelque sorte la protectrice d'une jeune femme, autrefois, qui elle-même était la disciple de l'une de mes amies très chères. C'est pour cette raison que je suis intervenu.
- Et aujourd'hui ? Pourquoi êtes-vous là ?
- Pour te ramener chez toi. Tu es brave, Michelle. Ne sois pas téméraire pour autant. C'est un défaut qui peut parfois coûter très cher à celui qui ne le combat pas. Tu n'aurais pas dû t'aventurer aussi loin de chez toi.
- Je voulais simplement retrouver Darkrai. Je pensais qu'il serait aux Colonnes Lances.
- Non, il est au-dessus, dans un endroit que l'on nomme la Salle Originelle, expliqua Satan sur un ton pédagogue. Les mortels comme toi, cependant, n'ont pas le droit d'y accéder. Les légendaires sont les seuls à posséder un pareil privilège.
- Qu'y fait-il ? Va-t-il bientôt revenir ?
- Il doit parler à l'une de ses grandes amies, qui est également l'être suprême. C'est elle qui veille à l'équilibre de votre monde, ainsi qu'à sa sécurité.
- La belle dame ?
- La... C'est ainsi que Darkrai la surnomme lorsqu'il est avec toi ? Eh bien... Cela me surprend de sa part et en même temps... Je ne trouve pas vraiment cela si déroutant. Oui, il est avec elle. Athéna. Celle que vous, mortels, vous auriez plutôt tendance à qualifier d'Alpha.
- Est-ce qu'elle est gentille ?
- Bien sûr. Il s'agit de la personne la plus douce et la plus aimable de ma connaissance.
- Alors pourquoi semblait-il ne pas être enthousiasmé à l'idée de la voir ? Etait-ce parce qu'il devait me quitter pour cela ? interrogea Michelle.
- Il... Je crois qu'il y a eu un léger quiproquo. Je ne pensais pas qu'il l'évoquerait directement avec toi, mais puisqu'il en est ainsi. En ce moment, il est avec Némésis. Elle est... Elle est notre juge à tous. Nous lui devons respect et obéissance. En quelque sorte, c'est l'Alpha des dieux.
- Va-t-elle faire du mal à Darkrai ?

Satan soupira. Voila pourquoi celui à qui il était lié l'avait simplement prié de surveiller Michelle en son absence, sans lui donner plus de raison sur les motifs qui le poussaient à se rendre à la Salle Originelle. Il avait d'abord cru qu'Athéna l'avait convoqué, comme elle le faisait souvent, mais il s'était trompé. Il était parti tenir son serment, celui de rapporter à Némésis la trace du glyphe ténèbres.

- Non, elle ne lui fera rien. Il faut que je te raccompagne chez toi, à présent. Ta place est auprès de tes parents.

Il lui tendit une main qu'elle prit sans hésiter. Il l'observa, d'un regard attristé. Il savait que Darkrai avait repoussé l'échéance autant que possible, car il n'avait aucune envie de voir Michelle intégrer la Confrérie. Il avait confiance en la déesse de la Justice, certes, mais après le sort qu'avaient subi Cassy, Sven et Eric, il ne voulait pas la laisser courir le moindre risque. Les dés étaient cependant jetés, désormais.

***
La mer il pourfendra
Et le Titan jaillira
Hors de l'eau miroitante
Après sa longue attente

Au sommet il s'inclinera
Face à sa reine, son Alpha
Et obtiendra son pardon
Après avoir retenu la leçon

Il y en avait pour tous les légendaires ou presque. Si Cynthia avait observé avec plus d'assiduité les dessins de sa fille, elle les aurait reconnus. Kyogre... Darkrai... Toutes ces créatures qu'elle ne connaissait qu'à travers les mythes et auxquelles la Confrérie avait eu affaire.

Si elle avait grandi dans le respect de la Pokible, elle n'avait jamais éduqué Michelle dans la religion arcésienne. Cela n'aurait servi à rien de le faire, surtout pas pour elle qui savait toute la vérité qui se dissimulait derrière ces mythes. Par conséquent, elle ne comprenait pas d'où pouvaient provenir les informations de l'enfant.

Elle n'avait encore rien dit à Lucio de sa découverte. Celui-ci avait mobilisé la police pour tenter de retrouver leur fille, mais elle, elle était restée parfaitement sereine, ce qui était à l'exact opposé de son comportement habituel. Michelle n'avait pas réellement fugué, elle en était convaincue. Il y avait autre chose, une autre chose qui l'avait attirée et qui était en lien avec les divinités.

Une série de coups furent frappés à la porte. Pensant qu'il s'agissait de son mari qui avait oublié son trousseau de clé, elle rangea les esquisses qu'elle avait entre les mains à leur place et quitta la chambre de la fillette pour se diriger vers le grand salon, qui donnait sur l'entrée. Elle ne s'attendait pas à ce que l'agent Jenny soit parvenue à localiser Michelle, cependant elle demanda quand même, en ouvrant le battant :

- Est-ce qu'il y a du nouv... Oh !

Ce n'était pas Lucio qui se tenait sur le seuil. C'était une femme à l'allure des plus surprenantes. Elle possédait une beauté voluptueuse, presque venimeuse, avec un teint aussi clair que la neige, des lèvres aussi rouges que le sang et des yeux aussi noirs que la nuit. Une cascade de cheveux ténébreux tombaient le long de son dos jusqu'au creux de ses reins élégamment galbés. Sa robe fendue laissait entrevoir une paire de jambes parfaites et interminables.

- Cynthia Shirona ? C'est un plaisir de vous rencontrer enfin.

Sa visiteuse lui offrit sa paume et l'ex-Championne la serra, légèrement hésitante. Grâce à la description que lui en avait faite Marion, elle réussit à identifier la personne face à elle. Même sans cela, toutefois, elle serait certainement parvenue à déduire de qui il s'agissait.

- Némésis... Dans le fond, ce n'est pas une réelle surprise. Je ne m'attendais pas à ce que vous vous déplaciez personnellement jusqu'ici mais... J'ai compris et depuis que ma fille est partie, je m'attendais à voir arriver l'un d'entre vous.
- Son départ n'était pas planifié et ne résulte en aucun cas d'une intervention de ma part. Sachez cependant qu'elle est entre de bonnes mains. Elle est en route pour vous retrouver.
- Voulez-vous... Voulez-vous entrer ?

La déesse acquiesça d'un hochement de tête et Cynthia s'écarta pour la laisser pénétrer à l'intérieur. Elle n'avait jamais vraiment côtoyé de légendaires, hormis Artémis et Circé lorsqu'elle avait accompagné la Confrérie au Paradis Fleuri et elle se sentait terriblement mal à l'aise face à celle que les dieux eux-mêmes redoutait.

- Je suis navrée, je... J'ignore comment je dois me comporter avec vous.
- Soyez naturelle, je ne m'en offusquerai pas. J'accepterais volontiers que vous me proposiez de m'asseoir, cependant. Nous serions ainsi plus à notre aise pour discuter.
- Oui, bien sûr. Je vous en prie, prenez place.

D'un geste de la main, la dresseuse désigna le canapé où Némésis alla s'installer. Une telle majesté émanait d'elle qu'un trône aurait été plus adéquat à sa prestance, néanmoins elle ne parut pas être vexée par le mobilier mis à sa disposition. Elle conserva une expression neutre tandis que Cynthia s'installait face à elle.

- Vos amis vous ont parlé de moi, n'est-ce pas ? s'enquit-elle en esquissant un sourire en coin. Vous semblez guindée, pour ne pas dire terrifiée.
- Je sais que vous êtes celle que tous les légendaires redoutent, mais aussi que vous êtes la mère, si vous me permettez ce terme, de la Confrérie.
- Vous avez toujours possédé de grandes connaissances et c'est une qualité que je suis obligée de louer. Comme vous le savez sûrement, le savoir est la clé de tous les maux.
- Veuillez m'excuser si ma remarque vous parait déplacée, mais n'est-ce pas Athéna qui le craint, elle qui le possède pourtant ? Tout cela n'est-il pas antithétique ?
- Non, bien au contraire. Elle considère qu'il se mérite, à l'instar de tout ce que nous souhaitons obtenir. Ne pas se servir des Zarbis démontre une grande sagesse de sa part, ainsi qu'une forme de modestie. Elle n'use ni n'abuse de son pouvoir, ce qui lui permet de rester digne et de ne pas répéter les erreurs commises avant elle.
- Je comprends. Je crois, du moins. J'imagine qu'en tant que déesse, et désormais en tant qu'Alpha, elle sait ce qu'elle fait. Qui suis-je, pauvre mortelle, pour avoir une opinion là-dessus ?
- Ne vous dépréciez pas de la sorte, Cynthia. Vous avez beaucoup plus d'importance que vous ne semblez le croire. C'est d'ailleurs la raison de ma présence ici.
- Parce que ma fille est vraisemblablement destinée à intégrer votre Confrérie ?
- C'est justement là où le bat me blesse. Oui, en effet, Michelle est compatible avec le glyphe ténèbres, mais...
- Le glyphe ténèbres ? N'était-ce pas l'enfant de Cassy qui devait en hériter ?
- L'enfant de Cassy étant mort, il m'a fallu me mettre en quête d'une autre personne digne de le recevoir. Hélas, le hasard a fait que la seule âme apte à l'accepter soit celle de votre fille. Darkrai a cherché, au cours de ces dernières années, en vain. Il n'y a qu'elle.
- Le savez-vous depuis longtemps ?
- Il me l'a appris à l'instant. Cynthia, cette situation me navre et me contrarie terriblement.
- Pourquoi cela ? s'étonna l'ex-Championne, les sourcils froncés.
- Parce que j'ai une dette envers vous.

Un silence pesant s'abattit sur la pièce. La femme ouvrit la bouche à deux reprises, pour la refermer presque aussitôt à chaque fois. Elle tenta de s'exprimer, cependant aucun son ne paraissait enclin à s'échapper d'elle. Au bout de plusieurs longues minutes, elle parvint à bredouiller, abasourdie :

- U-Une dette en-envers m-moi ? Pourquoi ? Comment...
- Il y a un point que vous devez absolument connaître, Cynthia. Je suis en quelque sorte à l'origine de la Team Galaxie. Trois décennies plus tôt, j'ai rencontré un jeune homme, fort serviable et attentionné qui, comme vous, possédait une passion infinie pour la mythologie. Il se nommait Niklaus, mais vous l'avez connu sous le nom d'Hélio.
- Hélio ? Que... Quel est le rapport avec lui ? Vous...
- Il n'aurait jamais connu l'existence de la Confrérie si je ne lui en avais pas parlé. J'ai fait de lui ma marionnette. A cette époque-là, Arceus me croyait encore captive des ruines Sinjoh et, ayant perdu mes pouvoirs lors de mon évasion, j'étais vulnérable. Je ne pouvais me permettre d'interagir moi-même avec votre monde, aussi l'ai-je formé afin qu'il s'en charge à ma place. Il devait rassembler mes glyphes et les préparer à la mission qui les attendait. Hélas, tout ne s'est pas déroulé comme je l'espérais. Il est rapidement devenu obsédé par les Gijinkas, par l'idée de créer une race supérieure, dédaignant la notion d'équilibre qui était pourtant mon objectif.
- Jusqu'à présent, j'arrive sans mal à suivre votre histoire, néanmoins j'avoue ne toujours pas saisir le lien avec cette dette que vous avez évoqué précédemment.
- C'est simple, Cynthia. Sans le savoir, vous avez accompli l'oeuvre à laquelle je destinais Hélio. Vous avez réuni la Confrérie, vous l'avez protégée lorsqu'elle était vulnérable et vous l'avez guidée, grâce à votre savoir et à vos conseils. Vous n'êtes néanmoins pas la seule dans ce cas. Sandra Lance a formé le dragon, qui s'est ensuite chargé de former les autres. Je suis votre débitrice, à l'une comme à l'autre.
- C'est trop d'honneur que vous me faites... Que vous nous faites à toutes les deux. Sandra et moi n'avons rien accompli d'exceptionnel. Nous nous sommes simplement chargés de prendre soin d'une jeune fille et de ses amis lorsqu'ils étaient désespérés.
- Justement, c'est cela qui est exceptionnel. Vous avez fait ce que je ne pouvais accomplir par moi-même. A cause de cela, je dois désormais me heurter à un cruel dilemme. Vous m'avez rendu un service non négligeable en agissant comme vous l'avez fait, même si vous n'en aviez pas conscience. Vous avez tant donné et tant sacrifié qu'il serait injuste qu'en plus de tout cela, je vous demande votre fille.
- Vous... Que va-t-il se passer, exactement ?
- Je pressens des heures sombres pour la Confrérie, bien que je ne saurais prédire avec exactitude le moment où les ennuis referont surface pour elle. Dans l'attente, je m'efforce de rassembler à nouveau dix-sept glyphes, pour m'assurer qu'elle soit fin prête le moment venu.
- La Confrérie n'a jamais combattu à dix-sept.
- Non, mais je crains que treize, ce ne soit trop peu, souligna calmement Némésis.
- Treize ? Qui... Léa ?
- Il y a de fortes chances pour que, dans un futur proche, elle devienne une légendaire à part entière. Par conséquent, le glyphe plante sera également vaquant.
- Donc... Vous avez vraiment l'intention de me prendre Michelle ? interrogea Cynthia d'une voix rendue tremblante par l'émotion.
- Je voulais avoir cette conversation avec vous, afin que vous ayez pleinement conscience de la situation. Elle est la seule humaine actuellement prédestinée à accueillir un glyphe ténèbres. Un combat dont j'ignore encore tout menace la Confrérie. Malgré cela, je sais ce que je vous dois. C'est à vous de décider, mais cela ne changera rien au fait que votre fille a un lien très fort avec le type auquel elle est compatible.
- Je... Est-ce que cela signifie que, si je vous demande de la laisser tranquille, vous le ferez ?
- Je ne peux vous le promettre. Je suis la Justice, tout repose sur mes épaules. Je n'ai pas le droit de refuser de me soumettre à mes propres règles. En revanche, tant que cela se révélera possible, je me rangerai à votre décision.
- Me permettez-vous... Me permettez-vous de réfléchir un instant ?
- Je vous en prie.

Cynthia se leva du fauteuil dans lequel elle était assis et se mit à arpenter la pièce de long en large. Pour la première fois, elle ne se pinça pas le menton pour s'aider dans sa réflexion, mais elle se massa les tempes. Une violente migraine venait de l'assaillir, due au flot d'informations qu'elle venait d'entendre.

Michelle était si jeune. En dépit de sa grande maturité, elle n'avait pas l'allure d'un membre de la Confrérie. Le redoutable Sven, l'intelligent Eric et Cassy, le dragon, avaient tous trois péri, or ils comptaient parmi les plus forts du groupe. Quant à Léa, elle avait disparu sans laisser de traces, pour finalement rejoindre les rangs des légendaires.

Elle ne voulait pas que sa fille subisse un sort similaire. Bien sûr, elle pouvait tout aussi bien devenir comme Tina ou comme Angus un combattant honorable, malgré son âge juvénile, et ensuite retrouver une vie normale, à leur instar. Rien ne lui prouvait, toutefois que Michelle rentrerait dans la catégorie de ceux qui s'en étaient le mieux sortis.

La Confrérie avait affronté des dangers qui dépassait l'entendement humain. Certes, la guerre millénaire qui opposait les divinités entre elles était désormais terminé, mais si un autre groupe de fanatique tel que Team Galaxie faisait surface, ce serait à la troupe de Némésis de les affronter, puisque c'était pour cela qu'elle les avait créés.

Elle imaginait mal son enfant sur un champ de bataille. Elle passait ses journées enfermée, penchée sur ses dessins ou ses poèmes. Elle disposait de peu de connaissances pokémon, n'ayant jamais émis le souhait de posséder une créature bien à elle. Elle n'avait pas la moindre notion en dressage, et encore moins en combat.

- Elle...

Au moment précis où Cynthia s'apprêtait à reprendre la parole, quelqu'un frappa à sa porte. Elle s'excusa auprès de Némésis afin d'aller ouvrir. Elle redoutait qu'il ne s'agisse de Lucio, car il aurait fallu qu'elle justifie la présence de la déesse au milieu du salon, mais elle se rassura. Son mari possédait son propre trousseau de clé, il n'aurait pas frappé.

- Décidément... Il faut croire que les surprises n'en finissent pas, aujourd'hui.

Elle s'agenouilla sur le pas de la porte pour se mettre à hauteur de Michelle, qui se tenait sur le seuil. Satan était juste dans son dos, ses deux mains posées sur ses épaules dans un geste à la fois tendre et protecteur. Il les retira dès que Cynthia esquissa un mouvement pour l'étreindre.

D'ordinaire, sa fille repoussait ses marques d'affection, mais cette fois, elle l'accepta sans protester. L'ex-Championne fut d'autant plus étonnée qu'elle vint de surcroit placer ses propres bras autour de sa taille, afin de lui rendre son embrassade.

- Je suis désolée, maman.

La femme sourit. Elle ne l'avait jamais nommée ainsi jusqu'à présent, pas plus qu'elle n'avait appelé Lucio « papa ». Elle dégagea une mèche de cheveux qui tombait devant son visage afin de déposer un baiser sur front. Elle se remit ensuite debout, pour faire face au Malin.

- Mes hommages, madame. Je suis plus qu'honoré de faire enfin votre connaissance dans des circonstances... favorables.
- Satan. C'est plutôt moi qui suis flattée. Enfin, je rencontre mon sauveur.

Il s'inclina avec déférence devant elle et lui baisa la main dans une attitude parfaitement galante. Malgré son éducation religieuse, Cynthia n'éprouvait plus la moindre crainte à son égard depuis longtemps. Si elle n'avait jamais pu éprouver une réelle confiance en Lilith, les propos de la Confrérie sur l'humain de Darkrai l'avait convaincue de laisser toutes ses certitudes de côté.

- Merci de m'avoir ramené ma fille.
- Tout le plaisir est pour moi.

Elle s'écarta de l'encadrement afin de les laisser rentrer. Satan ne parut absolument pas surpris de découvrir Némésis dans la pièce et Michelle ne réagit même pas. Elle conservait son inexpressivité habituelle. Un long silence s'abattit dans l'appartement, que personne ne brisa. Cynthia poussa un soupir, avant de s'y résoudre.

- Il y a presque six ans, j'aurais pu mourir, à cause de la Team Galaxie. Mourir sans avoir l'occasion de donner naissance à ma magnifique enfant. Satan m'a sauvée la vie et ma gratitude envers lui est sans limite. Je ne peux cependant m'empêcher de songer à ceux qui n'ont pas eu cette chance. Les parents de Cassy, le petit Emilien... Eux ne sont plus avec nous, parce que ces fanatiques l'ont décidé ainsi. Des centaines de milliers de personnes auraient pu subir le même sort s'ils avaient atteint leur objectif, celui de détruire l'univers que nous connaissons. C'est la Confrérie qui a permis l'échec de ce projet. Sans elle, l'intervention salvatrice de Satan n'aurait servi à rien. Je ne serais plus de ce monde de toute manière, et Michelle ne l'aurait jamais connu non plus.

La déesse, à laquelle elle s'adressait principalement, l'écouta avec patience. Elle avait croisé les jambes et posé élégamment ses mains sur ses genoux, afin de lui offrir toute son attention.

- Ce que je veux dire par là, c'est que sans la Confrérie, nous n'aurions pas cette conversation aujourd'hui. Je n'ai pas le droit de les priver d'un membre juste parce que cela me touche personnellement. Vous l'avez dit vous-même, je suis impliquée dans cette histoire depuis le début. Je ne peux pas me permettre de tourner le dos à tout cela maintenant.
- Ce sont de sages paroles que vous tenez, Cynthia. Athéna elle-même n'aurait pu prononcer un discours plus vrai et plus profond que le vôtre.
- Je ne l'ai pas terminé, si vous m'en excusez. Je connais également les combats qui ont été menés par la Confrérie. Je sais à quel point ils ont été rudes et sanglants. Michelle a beau être prédestinée à recevoir un glyphe, elle n'est pas encore prête à affronter de telles situations. Je suis sa mère, je suis en mesure de déceler ses limites mieux que quiconque.
- Que me proposez-vous ?
- Attendez. Même si elle reçoit le don des ténèbres, elle ne sera d'aucune utilité au groupe dans l'immédiat. Laissez-moi quelques années afin de la préparer à son destin. Lorsque je sentirai que le moment sera venu, je vous le ferai savoir, d'une manière ou d'une autre. Ce jour-là, je ne m'opposerai plus à ce qu'elle rejoigne les rangs de la Confrérie. Et si celle-ci a besoin d'un membre supplémentaire avant, je la remplacerai. Je n'ai peut-être pas de pouvoirs, ni de capacités spéciales, mais je suis une bonne dresseuse. J'ai combattu Artikodin aux côtés d'Artémis. Je peux me révéler utile si la situation l'exige.

Michelle observait à tour de rôle sa mère et son interlocutrice. Elle ne comprenait pas vraiment leur conversation. Elles discutaient sans doute de l'un de ces nombreux sujets que Darkrai n'avait jamais voulu aborder avec elle, prétextant toujours qu'il le ferait en temps voulu. Il lui expliquerait sûrement tout cela lorsqu'il reviendrait.

Némésis se mit debout et Cynthia s'efforça de soutenir son regard pénétrant sans faillir. Elle manqua de le détourner à plusieurs reprises, cependant elle résista. Elle prit une profonde inspiration, destinée à l'aider à ne pas se départir de son courage face à la Justice. Sa bravoure fut d'ailleurs récompensée, car la déesse tendit la main dans sa direction.

- C'est d'accord. J'accepte. Je me plie à cette volonté, en échange de quoi ma dette envers vous sera remboursée.
- Merci. Merci infiniment.
- C'est à moi de vous remercier. Une fois encore, vous avez compris, là où tant d'autres en auraient été incapables. Vous êtes l'exact opposé de l'image qu'Arceus possédait des humains. Vous êtes altruiste, visionnaire, attentive, généreuse. Vous vous efforcez d'agir de la meilleure façon et, pour cela, vous méritez mon respect, ainsi que mon admiration. Je sais que ce que je vous demande n'est pas facile, néanmoins vous le faites. Vous faites ce qui est juste et pour moi, ces paroles signifient beaucoup, comme vous pouvez vous en douter.

Némésis s'inclina doucement et Cynthia, profondément gênée, décida de l'imiter. Michelle se rapprocha ensuite d'elle pour se blottir contre son flanc. Sa mère, attendrie, posa sa paume sur son épaule en lui adressant une oeillade complice.

- Bien, déclara la déesse. Je crois que ma visite ici s'achève. Permettez-moi de vous souhaiter bonne chance, à toutes les deux.

Sur ces mots, elle tourna les talons et, après avoir échangé un bref regard avec Satan, elle quitta l'appartement, sans que l'ex-Championne n'ait eu l'idée d'ajouter quoi que ce soit. Quand la porte se fut refermée dans son sillage, son attention se reporta sur le Malin, qui était resté immobile.

- Darkrai la protègera, affirma-t-il avec un sourire. Il sera toujours là lorsqu'elle aura besoin de lui.

Cynthia acquiesça d'un hochement de tête. Elle avait deviné, grâce aux dessins et aux poèmes découverts dans la chambre de sa fille, que celle-ci était en contact direct avec le pokémon noirtotal, même si elle ignorait comment. Sans doute communiquait-il avec elle par l'intermédiaire de ses rêves, comme il en avait le pouvoir.

- Maman... Tu sais, pour mon secret ? interrogea la fillette. Tu es fâchée ?
- Michelle, ma chérie... Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire.

Elle observa Satan, qui acquiesça d'un signe de tête. La main de l'enfant dans la sienne, la femme s'assit sur le canapé et l'invita à prendre place sur ses genoux, pendant que le légendaire venait s'installer à côté d'elle. Ensemble, ils prirent la parole :

- Nous allons te raconter une histoire qui débute à l'origine du monde et qui se poursuit encore aujourd'hui, avec nos amis que l'on nomme la Confrérie. Tout commence avec la première humaine. Elle s'appelle Lilith et...