Partie 11 : Contre tous, pour tous.
L’Éternôme
Talos, le Géant de Bronze. Il méritait parfaitement son surnom. Il devait mesurer dans les quinze mètres à présent, signe qu’il était sérieux. On pourrait croire qu’un titan tel que lui serait une cible lente et facile, que nenni. Il se déplaçait avec une vélocité rare et ses coups créaient des tempêtes. Si j’avais dû l’affronter seul, je serais déjà vaincu.
Toutefois, j’avais un avantage : le corps du Kaiser – ou plus précisément sa tête. Meloet, comme ses camarades l’appelaient, pouvait cracher à volonté des rayons destructeurs. Non, le terme était encore trop faible, ils défiaient tout sens commun. Même un golem de puissance comme Talos ne pouvait ignorer la menace, et se tenait à bonne distance de moi. Je pouvais alors en profiter pour passer à l’offensive, faisant pleuvoir un déluge psychique explosif sans discontinuer.
— Pourquoi l’aidez-vous ? tonna soudain Talos en direction de Meloet tout en esquivant mes assauts. L’Éternôme est un traître. Le Primonarque n’œuvre que pour le bien d’Iræ, il est le seul à savoir comment vaincre Eurasc !
Le fourbe, m’amusai-je. Voyant que le corps du Kaiser compromettait sa victoire, il décidait de s’attaquer directement à lui. Une tactique vicieuse, mais à la guerre comme à la guerre, disait-on.
— Vous êtes une partie du Kaiser, vous devriez le comprendre, continuait le Haut-Gardien. Le Primonarque ne fait que suivre vos pas. Cessez donc d’assister ce traître, et rejoignez notre cause !
Malheureusement pour lui, Meloet ne semblait pas comprendre le tiers du quart de sa réplique. Talos pensait peut-être réveiller en elle les relents de l’ancien Kaiser et il essuyait à présent un terrible échec. Toutefois, je voulais assurer mes arrières. J’avais bien trop à perdre, je ne devais rien laisser au hasard.
— Ne me trahis pas, soufflai-je à l’oreille de Meloet. N’oublie pas que le destin de tes amis repose entre mes mains. Sans moi, ils sont condamnés.
Une phrase digne des plus grandes pourritures, mais nécessaire. Je sentis la petite tête tressaillir, et des larmes humides couler sur son visage. La pauvre, elle devait avoir l’esprit sens dessus-dessous. Étant l’Éternome, je possède naturellement un regard omniprésent sur le monde, un regard bien plus efficient que le Primonarque. Ce n’est que logique, le Primonarque ne fait qu’emprunter mes pouvoirs, il est donc évidemment moins doué que moi dans ce domaine. Lui, il ne peut que voir, moi, je peux en plus ressentir.
Et le corps du Kaiser, Meloet… je l’avais repéré bien avant le Primonarque, sans lui en parler bien sûr. Je l’observais depuis des siècles, alors qu’elle était encore enfermée dans son tombeau, sans pouvoir en sortir. Je le ressentais. Sa peur. Sa terreur. Ses pleurs. Être seule dans un endroit si sombre, si exigu, si triste, pendant des dizaines et dizaines d’années… et surtout sans savoir pourquoi, ni pouvoir mourir. Je ne pouvais blâmer son désespoir. Le calvaire qu’elle avait dû vivre dépassait toute imagination.
Lorsque Morflam avait ouvert son tombeau, lorsque Meloet avait enfin pu respirer l’air de l’extérieur, lorsqu’elle avait enfin pu voir le soleil, lorsqu’elle avait enfin pu converser avec d’autres êtres vivants… sa joie était si intense et si attendrissante…
Je m’en voulais énormément de jouer sur son traumatisme passé pour m’assurer sa loyauté. C’était un acte ordurier ; je devais le supporter. Pour le destin de tous les Pokémon d’Iræ.
Talos comprit enfin que toute discussion avec Meloet était futile. Cependant, cela ne suffit pas pour le démoraliser. Avec une hargne orgueilleuse, il multipliait de terribles coups de poings dans le vide. L’air s’en retrouva distordue, et ce fut de véritables Cyclones qui déferlèrent sur moi. Les vents étaient si violents qu’ils repoussaient même mes assauts psychiques. Qu’à ne cela ne tienne. Il voulait faire preuve de sa puissance, tant mieux, je le pouvais également.
Je me concentrai une demi-seconde. Instantanément, je me mis à briller, et toute la pièce s’illumina d’une agréable lueur violette. Les Cyclones s’arrêtèrent. Non, il serait plus juste de dire qu’elles se figèrent. J’avais soumis ce lieu sous mon joug, exerçant un contrôle psychique sur chaque élément.
D’un claquement de doigt, je renvoyais les catastrophes orageuses vers leur envoyeur, ce qu’il apprécia moyennement. Dans un fol espoir, je tentais de contrôler Talos pour qu’il se frappe lui-même ; malheureusement, le bougre possédait une incroyable volonté.
Cependant, mon contrôle restreignait de beaucoup ses possibilités. Ce fut alors avec une grande délicatesse que j’ordonnais à Meloet de tirer l’un de ses rayons chaotiques. Même un phénomène comme Talos ne pouvait en encaisser un seul – je doute que personne ne le puisse en vérité, sauf peut-être Eurasc.
La volonté de mon adversaire m’étonna encore. Brisant mon emprise, il bondit jusqu’au plafond, évitant la mort de justesse. Il dirigea sa masse considérable sur moi, certainement dans le but de m’écraser, mais je me téléportai à l’autre boue de la zone. J’avais eu bien raison. Son impact provoqua un Séisme d’une ampleur catastrophique qui alla jusqu’à fissurer les murs – mes murs – pourtant si solides, en plus de cela, d’immenses Lames de Rocs émergèrent du sol, aussi fatales qu’imprévisibles.
Je dus utiliser mes dons de Prescience au maximum pour ne pas me faire embrocher par mégarde. Or, en agissant aussi défensivement, je commettais l’erreur de laisser la main à Talos. Non content de son Séisme, le Haut-Gardien ré-invoqua ses Cyclones, et ponctua son assaut d’un second Séisme.
Tout se déchaînait autour de moi. Le sol ouvrait sa gueule béante pour me dévorer, la roche était armée de la solide volonté de m’empaler, tandis que le vent désirait ardemment m’engloutir dans ses typhons. Dans de telles conditions, impossible de me concentrer et de réitérer mon emprise totale.
Mon frêle bras gauche se solidifia brusquement. Si je ne pouvais plus me défendre, je n’avais qu’à attaquer. Boosté avec une Coupe-Psycho, le tranchant de ma main éclatait purement et simplement la roche qui osait me barrer la route. De même pour les cyclones, que je désorganisai en un seul coup. Talos devrait réfléchir à mieux s’il voulait m’avoir.
Je continuais ma vive percée, arrivant jusqu’à mon gigantesque adversaire. Il fut surpris de me voir me rapprocher autant. Je profitai de l’instant et lui infligeai un terrible coup tranchant en plein torse. En dépit de notre différence de taille considérable, le colosse fut bruyamment projeté contre l’un de mes murs. Ne le laissant pas le temps de récupérer, je fusais à sa rencontre, multipliant les offensives sur son corps meurtri, bientôt, de nombreuses cicatrices sanglantes souillèrent le sol d’un abondant lac écarlate.
— Meloet, à toi de finir, ordonnai-je.
Le rayon annihilant ne se fit pas attendre. Mais Talos avait déjà pris la fuite à une vitesse fulgurante. Il ne pouvait décidément pas tenir en place. Mes sens m’avertirent subitement d’un danger imminent ; je me téléporte de justesse, juste avant que deux mains jointes en un poing gargantuesque ne fracasse l’endroit où je me trouvais précédemment.
— Le Primonarque sait choisir ses serviteurs, lançai-je. Puissant, docile, dépendant. Vous faites le parfait esclave.
— Appelez-moi comme vous le voudrez, se retourna le titan. C’est avec un grand honneur et une grande fierté que je sers le sauveur du monde.
— Vous ne tarissez pas d’éloges sur votre maître, c’est certain. Mais dites-moi, vous savez que feriez-vous, une fois Eurasc vaincu ? Que feriez-vous d’un monde peuplé de zombies ?!
— …
Pris dans l’adrénaline du combat, je laissai ma voix s’élever, hurlant toute ma rage contre mon créateur.
— C’est bien de cela qu’il s’agit n’est-ce pas ?! Utiliser le Mortem pour fusionner le monde des Morts et celui des Vivants ! Vous voulez rompre l’équilibre de la vie elle-même ! Il n’y aura plus de mort, et plus de naissance également ! C’est cela, le monde stérile dont vous rêvez !
— C’est là l’unique solution pour vaincre Eurasc, posa Talos. Le Primonarque y a longuement réfléchit. Même si nous rassemblons tous les Pokémon de la région, nous ne pourrions vaincre Eurasc. Cependant, si aucun de nous ne peut mourir, que signifie ce manque de force ? Rien. Eurasc n’est pas lié à ce monde, il restera mortel quoiqu’il arrive, alors que nous autres, ne connaîtrons plus la fatalité. Nous finirons bien par l’avoir à l’usure.
— D’où ma question, imbécile ! Que feriez-vous ensuite ?! Un monde sans Eurasc, certes, mais un monde où la vie n’aura plus aucun sens ! Est-ce vraiment là ce que vous désirez ?!
— C’est ce que désir le Primonarque, cela me suffit.
Talos coupa court à notre discussion et fusa vers moi. Même s’il tenait à conserver une attitude impassible, les énormes veines apparentes sur son crâne de bronze trahissait son énervement. La marque typique des fanatiques, incapable d’entendre une critique frapper leur gourou. Soudain, un coup de poing me projeta au plafond.
— … !
Un second m’étala au sol, et un troisième m’enterra plus profondément. Je ne comprenais pas, d’où Talos était-il devenu si rapide ?! Il se retenait depuis le début ?! Choqué, je relâchai malgré moi mon emprise sur la tête de Meloet, qui roula loin de moi dans la foulée.
— Vous avez perdu notre jouet, apparemment, tonna le colosse en écrasant mes jambes sous un seul de ses doigts.
— … Talos…
— Je te l’avais dis, Éternome, je suis bien plus puissant que toi. J’ai été choisi pour te vaincre, au cas où tu te rebellerais. J’espère que vous n’avez pas pensé pouvoir m’avoir. Depuis le début, je ne faisais que vous analyser pour pouvoir vous prendre à revers de la façon la plus efficiente possible.
— … haha…, je me suis fait avoir comme un bleu…
— Exactement. Notre petit jeu est terminé à présent.
J’esquissai un petit sourire.
— En êtes-vous certain ?
— Encore dans vos chimères ? se moqua Talos.
C’était plutôt lui qui étaient plongé dans les siennes, pensai-je puérilement. Non, j’avais parfaitement conscience de ma faiblesse, et ce, depuis le début. J’étais l’Éternôme, or, le Primonarque m’avait arraché de mes murs, réduisant ainsi ma force. J’étais naturellement handicapé dans cette enveloppe physique.
Cependant, contrairement à ce que semblait penser mon adversaire, je n’étais pas fou. Jamais je ne me lancerais dans un assaut contre le Primonarque lui-même sans un dernier recours. Le corps du Kaiser n’était qu’un bonus, j’avais déjà en ma possession une arme bien plus redoutable.
— Réfléchissez, Haut-Gardien, souriais-je. J’ai été formé à partir d’un quart de la puissance du Primonarque. Par conséquent, je suis lui sans être lui.
— Que baragouinez-vous encore ? Se lassa le titan.
— Son nom. Le nom de Primonarque. Le sort ultime qui s’enclenche à sa simple prononciation.
Talos blêmit subitement, comprenant où je voulais en venir.
— V-Vous… vous ne pouvez pas l’utiliser ! Seul le Primonarque en personne en est capable, les fous qui tentent d’outrepasser la règle ne connaissent que la mort !
— C’est juste, si je prononce son nom, je mourrais. Toutefois, étant également une part de lui, le sort s’enclenchera tout de même, dans une version moindre certes, mais suffisante pour accomplir mon dessein.
— Qu…
— Allons, Haut-Gardien Talos, le Géant de Bronze. Posez-vous la question. Quel était mon plan ? Parvenir jusqu’au Primonarque et le convaincre de tout arrêter ? Le vaincre alors qu’il possède des amplificateurs démultipliant sa maîtrise Psychique ? Ne soyez pas ridicule.
Talos me fixa de ses deux énormes yeux écarquillés. Apparemment, il semblait avoir du mal à me suivre.
— C’est très simple, expliquai-je, je veux détruire le Primonarque de l’intérieur. Il fait le fier sur son trône, mais que fera-t-il sans lui ? Je peux détruire ce qu’il reste de l’Éternôme avec son propre sortilège. Je peux tout détruire. Il ne pourra plus avoir son œil omniscient sur le monde comme actuellement et il perdra de facto un quart de sa force totale. Et je ne compte pas le Mortem que Stalhblume détruira certainement, ce qui résultera à un doublement de cette perte.
Mon regard se raffermit, toisant gravement le titan paniqué.
— Voici mon jugement, Haut-Gardien. Pour avoir voulu jouer avec l’équilibre du monde, je condamne le Primonarque à perdre ce qui faisait son prestige : sa force. Dans un monde régit par la Loi d’Or, n’est-ce pas un comble ? Qui l’écoutera après cela ? Il tenait les quatre Présidents dans ses mains grâce à l’influence de la Guilde, mais après son effondrement, sa parole faudra autant que celle d’un vulgaire Sauvage. Nous entrons dans une nouvelle ère, mon ami, une ère où le Primonarque n’a plus sa place.
— J-Je ne vous laisserez pas faire !
Et le Titan me mitrailla de ses poings dévastateurs, à un rythme effréné. La vigoureuse douleur n’était rien face à ma résolution. Mon sourire ne s’effaça pas. J’eus une pensée pour Stalhblume, j’étais désolé de l’avoir entraînée là-dedans. Je m’excusai également pour Meloet. La pauvre, pauvre créature, ne sachant pas pourquoi elle existe, et cachant sa tristesse derrière un masque d’insouciance…
Il était temps de tirer ma révérence désormais. Ma vie s’achevait ici, un sacrifice nécessaire pour le futur. Le futur brillant des Pokémon d’Iræ. Je fermai les yeux, matérialisant dans mon esprit mon ultime incantation, le nom du Primonarque, le 3ème Indicible :
— … Samar...taoth !
Et ma vision devint blanche.
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Eurasc
Une explosion d’une blancheur immaculée. L’éruption nébuleuse continuait d’émerger au travers du siège de la Guilde, transperçant le ciel et l’espace. Un dénouement inattendu. Je pouvais voir l’avenir, cependant, j’avais également appris une chose. Le futur pouvait changer. Aucune route n’était écrite à l’avance. Une seule poussière dans les rouages, et la face du monde s’en trouvait bouleversé.
L’idée était réconfortante. J’étais présent depuis le début. J’avais entendu les horreurs prononcées à mon encontre. Eurasc, le mal incarné, l’ennemi d’Iræ, celui qui doit être vaincu. Était-ce là vraiment mon destin ? Être le démon voulant détruire ces terres ? Étais-je si mauvais que cela ? Je ne savais rien sur moi-même. Depuis que j’avais ouvert les yeux sous le ciel azur, j’avais comme seul ambition de me trouver, sans succès.
Désormais, j’avais appris que j’étais un monstre. Qu’est-ce qu’un monstre ? Mon acte à Wearl était-il monstrueux ? En quoi était-il différent d’une conquête dirigé par un Pokémon ? Au niveau de la cruauté ? Étais-je cruel dans ce cas ? Je ne pouvais y répondre. Je n’avais fait que ce que je pensais juste, émerveillé par la Loi d’Or.
Je ne voulais pas être un monstre. Je l’étais certainement, en vérité. Ma puissance dépassant tout ce qui existe le prouvait. Mon existence était monstrueuse. Or, derrière ce masque, se cachait un véritable désir. Je voulais avoir une place dans ce monde. Un désir ardent que je refoulais, le sachant impossible. Mais un sentiment refoulé existe toujours, et continue de consumer sa victime de l’intérieur.
J’espérais que de plus en plus de poussières gangrènent les rouages. Peut-être qu’ainsi, un futur où je ne serais plus un monstre surgira.
Mais est-ce une bonne solution de rester passif, en ‘‘espérant’’ seulement ? Je m’étais juré de m’impliquer au minium dans les affaires de ce monde, en raison de ma puissance extraordinaire. Toutefois, je commençai à penser que ce n’était pas la bonne attitude. Je voulais trouver ma place, ma voie, la raison de mon existence. Un objectif que je ne pouvais décemment pas atteindre en me tournant les pouces.
— T-T’es qui toi ?!
En une seconde, mon environnement avait changé. De Sotarc, j’avais atterri dans une vaste plaine désertique. Devant moins, un groupe de Pokémon, j’en dénombrais au moins une centaine, mais je savais que le plus gros de leur troupe se trouvait sous la terre, en embuscade. Un groupe préparé pour la guerre.
— Hé, j’t’ai posé une question ! beugla un Tyranocif.
— C-Chef, ce type n’est pas normal ! trembla un Manternel. Il est apparu de nulle part et…. son corps étrange… je n’ai jamais vu un Pokémon comme ça !
— Tss, ouais, il a pas l’air net. Et qu’est-ce qu’on fait des types pas nets ? On les extermine !
Techniquement, je n’étais pas celui ayant débuté les hostilités. Ils m’avaient attaqué, je me défendais. Je n’avais pas besoin de bouger, ni même de me concentrer. Mes pics nébuleux fusaient d’eux-mêmes par millier, accueillants chacun de mes adversaires sans effort.
Pourquoi m’interposai-je entre ce groupe de guerriers ? Une soudaine impulsion, un désir égoïste, l’envie d’une réponse. Je ne pouvais pas les laisser avancer. J’avais besoin d’un futur où leur plan de conquête ne pouvait qu’échouer. Wearl ne devait pas tomber si tôt.