Quand j’y repense encore aujourd’hui, je me souviens qu’on a voulu aller au-devant de cette bataille. Volontairement. Et pourtant, je n’arrive pas à me débarrasser de cette impression que l’on a été manipulés dès le départ.
C’est désagréable.
~*~Serena ouvrit lentement les yeux. Aussitôt, une douleur lancinante lui traversa la jambe.
« Oh non… pourvu qu’elle ne soit pas cassée ! » Pour s’en assurer, la jeune fille voulut se mettre debout, mais fut assaillie de vertiges lorsqu’elle se redressa.
- Ah, tu es réveillée, morveuse… ?
Même si elle était déformée par la peur et la fatigue, Serena reconnut la voix de Miaouss. Le chat était recroquevillé non loin d’elle, entre les longues pattes de Galopa. L’équidé pencha la tête vers la jeune dresseuse, et effleura son bras.
- Oui, je vais bien merci, lui sourit-elle en caressant son museau tout chaud. Mais où sommes-nous… ?
Serena trouva sa réponse en observant les alentours. Elle s’était réveillée au milieu d’un jardin autrefois soigneusement aménagé, mais qui semblait avoir été laissé à l’abandon depuis quelque temps. De part et d’autre des longues haies mal taillées, d’imposants piliers surmontés de toutes aussi grosses Pokéballs de pierre délimitaient l’entrée d’un bâtiment. Un bâtiment que Serena connaissait bien, pour l’avoir visité avec ses amis, quelques mois auparavant.
- L’Usine de Pokéballs…
Elle retint à temps un cri de stupeur en voyant la colonne de fumée noire qui s’élevait au loin, par-delà l’usine.
- Est-ce que c’est… ?
- Oui, confirma Miaouss. C’est tout ce qu’il reste du vaisseau. Autant dire qu’on l’a échappé belle…
Galopa souffla par les naseaux. Serena se souvint : l’équidé les avait tous sauvés en sautant de l’appareil en plein vol. Elle frissonna ; sans lui, ils seraient tous partis en fumée à l’heure qu’il était… Serena voulut le remercier, avant de remarquer quelque chose d’étrange.
Galopa était couché dans une drôle de position, les pattes repliées sous lui. Les muscles tressautaient sous sa peau.
- Malheureusement, tout le monde ne s’en est pas tiré à très bon compte, dit Miaouss en suivant le regard de la jeune fille. Galopa nous a sauvé la vie, mais il a sauté de tellement haut… ses pattes n’ont pas tenu le choc. Je crois qu’il en a une ou deux de cassées… Et pourtant, même blessé, il a trouvé la force de nous traîner jusqu’ici, alors que nous étions tous inconscients.
Galopa murmura doucement, comme pour confirmer les dires de son homologue félin. Impressionnée, Serena caressa doucement les naseaux du Pokémon Feu.
- Tu as été très courageux, lui souffla-t-elle. Merci, Galopa.
La fierté dominant sur la douleur, Galopa hennit doucement, avant de gémir à cause d’un mauvais mouvement. Miaouss se renfrogna ; son ego lui interdisait de remercier publiquement celui qui lui avait pourtant sauvé la peau. Néanmoins, il était très reconnaissant… Plus qu’il n’aurait voulu l’admettre.
- Au fait, et Sacha ?
- Aucune idée, répondit le chat. Il n’est nulle part dans les environs. Cela dit, ajouta-t-il en voyant l’expression inquiète de la jeune fille, Sonistrelle a affirmé l’avoir vu en compagnie de Brutalibré et Flambusard quand on a sauté du vaisseau.
Serena ne put retenir un soupir de soulagement.
- C’est vrai qu’il avait deux types Vol avec lui, ils ont dû lui venir en aide. J’espère qu’ils vont bien… Mais au fait, et Sonistrelle ? Où est-il ?
Comme si prononcer son nom l’avait appelé, le Pokémon Dragon arriva vers eux en piaillant de joie. Heureuse de voir le dernier membre de leur petit groupe de rescapés sain et sauf, Serena prit la chauve-souris dans ses bras.
- Tu n’as rien, quel soulagement ! Où étais-tu passé ?
- Pendant que tu étais au pays des rêves, miaula Miaouss en guise de réponse, le petit gars est parti en éclaireur dans l’usine, afin de repérer où ils détiennent tous nos copains.
Sonistrelle hocha vigoureusement la tête, et s’échappa des bras de Serena pour désigner l’usine de ses petites ailes. Tous saisirent le message.
- Tu les as trouvés ?
- Bravo, le félicita la dresseuse. Montre-nous le chemin.
Fier comme un Déflaisan, Sonistrelle prit son envol, leur indiquant la direction à suivre. Galopa fit mine de se lever, mais ses jambes cédèrent aussitôt sous son poids.
- Oh non ! l’avertit Serena. Toi, tu restes ici. Tu en as déjà fait assez, il faut que tu te reposes.
Le cheval protesta vigoureusement, mais Serena demeura inflexible. Miaouss leur rappelant que le temps pressait, Galopa finit par capituler, et se recoucha entre les herbes hautes, la mine triste.
- Nous reviendrons vite, lui assura la jeune dresseuse. Reste ici, et fais en sorte que personne ne te voie. On ne sait jamais...
Le Pokémon feu opina, lui signifiant qu’il avait compris. Sonistrelle lui adressa quelques babillements de réconfort, avant de guider le petit groupe jusqu’à l’usine. Boitillant de son mieux pour le suivre, Serena jeta un dernier coup d’œil en direction du panache de fumée, dont le noir d’encre se découpait sur le gris uniforme du ciel.
« Sacha… Pourvu que tu ailles bien… »
~*~Le souffle coupé, le sang battant à mes tempes, je ne pouvais plus bouger, incapable de détacher mon regard de l’homme qui se tenait face à moi. Un homme que je n’avais pas vu depuis des jours, mais dont le souvenir – le mauvais souvenir – était encore très frais dans mon esprit.
Le rire glacial qui s’échappa du masque de fer de l’Homme Masqué manqua de me faire avoir une crise cardiaque.
- Haha ! Prévisible, comme toujours… C’était presque trop facile.
Il fit un pas en avant. Je dus mobiliser toute ma volonté pour ne pas en esquisser un vers l’arrière. Mes jambes tremblaient tellement que mes genoux jouaient presque des castagnettes. Mon bras gauche, et plus précisément la plaie qui le traversait, me démangea furieusement ; je ne pus m’empêcher d’agripper mes doigts dessus.
Protecteurs, Brutalibré et Flambusard se positionnèrent devant moi, faisant barrage à l’Homme Masqué. Roucarnage voletait lentement au-dessus de nos têtes, son regard acéré braqué sur mes Pokémon.
- Si tu savais comme il est jouissif de voir sa proie tomber dans ses filets exactement comme on l’avait prévu…, poursuivis le masqué. Mais c’est là tout l’art du chasseur : être capable de prévoir les actions de celui qu’il chasse, et échafauder son plan en conséquence…
- Où sont Lem et Clem ? l’interrompis-je, plus pour masquer ma peur que pour jouer les braves. Où sont mes amis ?
- Du calme… Tu les reverras très bientôt.
La voix mielleuse qu’il avait prise me rendait enclin à penser qu’il ne s’agissait que d’un énième mensonge de sa part. Puis l’Homme Masqué sortit sa main gantée de sous sa cape, dévoilant un bracelet orné d’une pierre irisée. Même un cerveau affolé comme le mien, qui n’arrivait plus à penser correctement, devinait aisément ce qui allait suivre.
- Mais pour le moment… J’ai un compte à régler avec toi !
Deux lumières aveuglantes jaillirent, l’une du gantelet de l’Homme Masqué, l’autre de la pierre attachée à la patte de Roucarnage. Ce dernier commença alors sa métamorphose. Ses ailes s’élargirent ; sa longue mèche s’allongea davantage. Puis, dans un éclair irisé, la Méga-Évolution s’acheva sur un cri perçant du rapace.
- Utilise Lame d’Air.
Déclenchant une véritable bourrasque d’un simple battement d’aile, Méga-Roucarnage s’éleva au-dessus de nous, et lacéra littéralement l'air. Son attaque était si puissante qu’elle perfora le sol – ou plutôt le toit du bâtiment. Si je m’en sortis à temps, ce ne fut que grâce à l’intervention de Brutalibré, qui me poussa sur le côté juste à temps. Plusieurs explosions retentirent tout près de nous, pareilles à des bombes. J’avais l’impression d’être en plein cauchemar ; pourtant tout était bien réel, cette fois. J’étais bel et bien en train d’affronter l’Homme Masqué. A nouveau.
Le cri puissant de Flambusard me tira de ma torpeur. Levant prudemment les yeux, je le vis foncer droit sur le volatile, qui devait bien faire au moins trois fois sa taille. Roucarnage évita son assaut, mais pas assez vite pour empêcher mon Pokémon de lui arracher quelques plumes.
- Ainsi tu souhaites te battre ? tonna l’Homme masqué. C’est inutile ! Lance Aile d’Acier !
Vite ! Il fallait que je réagisse !
- Riposte avec Aile d’Acier !
Les deux oiseaux fondirent l’un sur l’autre, leurs ailes lumineuses se percutant avec tant de force que l’onde de choc se fit sentir jusqu’au sol. A présent que j’étais lancé dans le combat, j’avais les idées un peu plus claires. Ou du moins cela m’empêchait de trop réfléchir à ce qui allait arriver ensuite...
Quoi qu’il en soit, je commandai à Flambusard de lancer Nitrocharge. Méga-Roucarnage usa de maintes pirouettes aériennes pour éviter les assauts à répétition de mon Pokémon. Mais à mesure que l’effet de Nitrocharge s’activait, Flambusard gagnait du terrain, et Roucarnage eut toutes les peines du monde à le semer.
- Quand je pense que je vous ai traqués, tes Pokémon et toi, sans même savoir que tu étais la personne que je recherchais depuis tout ce temps…
La voix puissante de l’Homme Masqué me déstabilisa. Comme dans un rêve, je le vis se saisir d’une Pokéball noire – une Pokéball Obscur – et appeler son Akwakwak. Une fois matérialisé, le Pokémon Eau nous toisa d’un œil mauvais. Une mauvaise sueur me trempa la nuque.
- Sacha Ketchum… Tu vas payer pour ce que tu m’as fait. Lance Laser Glace !
Effrayé par l’éclat meurtrier dans les prunelles du palmipède, je roulai sur le côté en même temps que Brutalibré pour éviter de me retrouver congelé sur place. Lorsque je me redressai – péniblement – un vent glacial me fit frissonner.
Je n’en croyais pas mes yeux : toute la zone avait été gelée ! Toute la tôle, même les parties perforées par l’attaque Lame d’Air, était désormais recouverte d’une pellicule de givre. Celle-ci était très fine, et crissait sous mes chaussures. Pas de quoi en faire une patinoire, mais il fallait tout de même faire attention à nos mouvements pour ne pas glisser. Sans parler de la chute de température, qui fut brutale. Brutalibré et moi grelottions déjà.
Apparemment indifférent à ce changement, l’Homme Masqué enchaîna :
- Choc Psy.
Des particules d’où émanait une étrange lueur violacée se matérialisèrent autour d’Akwakwak, qui les projeta dans notre direction.
- Vite, esquive ! ordonnai-je à Brutalibré.
Mais au lieu de faire ce que je lui disais, l’oiseau de combat se planta devant moi, et reçut en plein dos toute l’attaque de type Psy. Avec un cri de douleur, il mit un genou à terre. Abasourdi, je n’en revenais pas. Brutalibré venait de
me protéger. L’attaque n’était pas destinée à le viser lui, mais moi !
Les mots de Miaouss me revinrent en mémoire :
« S’il te revoit, il va te faire la peau ! L’Homme Masqué veut te tuer ! »Je rendais à présent compte qu’il avait raison. L’Homme Masqué ne livrait pas bataille. Les attaques de ses Pokémon ne visaient pas les miens. C’était
moi qu’il visait.
- J’ai tant attendu ce moment… (Le masqué peinait à contenir son excitation. Et ça m’effrayait.) Le moment où je pourrais enfin t’écraser de mes propres mains !
- Mais attendez ! Pourquoi vous êtes autant en colère contre moi ? Qu’est-ce que je vous ai fait ?!
- Cesse donc de te moquer de moi, gamin. Je sais que c’est toi le responsable… C’est de
ta faute si Fantôme est mort !
Ces mots m’ébranlèrent. Fantôme ? Mort ? Ma faute ? Je ne voyais absolument pas de qui ni de quoi l’Homme Masqué voulait parler. Mais de là à ce qu’il m’accuse de meurtre… C’était tout de même terrible – et sacrément gonflé, de la part d’un gars qui n’avait eu aucun scrupule à blesser à mort mes Pokémon !
Seulement, l’Homme Masqué ne me laissa pas le temps de me remettre de ces accusations. Il brandit son autre main, dont le gantelet était lui aussi orné d’une pierre, mais cette fois noire d’obsidienne. Je craignis le pire.
- Tu as tué l’homme qui a donné un sens à ma vie… Et pour ça… Tu dois périr !
Akwakwak se mit soudain à hurler, et saisit sa tête entre ses pattes palmées. Une pierre noire pendue à son cou se mit à briller, entrant en résonance avec celle de l’Homme Masqué.
« C’est une Méga-Évolution ?! » Pourtant, cela ne se passait pas comme avec Roucarnage. La lumière qui entoura Akwakwak était d’un noir violacé, et ses cris étaient des cris d’agonie à vous briser le cœur.
- Dévoile ta nouvelle puissance, Akwakwak. Laisse parler ta rage à travers la Néo-Méga-Évolution, et écrase-moi ce morveux !
~*~A des dizaines de mètres au-dessus de l’Usine de Pokéballs, deux oiseaux se disputaient les cieux, leurs attaques lancées à une telle vitesse qu’il était impossible de les distinguer à l’œil nu.
Le regard brûlant, Flambusard défia son adversaire d’un cri puissant. Certes, ce volatile était bien plus gros que lui ; mais il n’allait pas se laisser impressionner pour autant !
Roucarnage ne parut pas réagir à la provocation. Ses yeux couleur sang brillaient d’un éclat terne, glacial. Comme la dernière fois que Flambusard l’avait affronté, l’oiseau géant n’agissait que sur ordre de son maître. Sauf que cette fois-ci, l’ordre était de tuer.
Roucarnage piqua soudain vers le sol. Comprenant qu’il cherchait à retourner près de Sacha, Flambusard se hâta de le poursuivre. Il ne fallait surtout pas que ce fou furieux approche son dresseur ! Le chat de la Team Rocket avait été clair : Sacha était en danger de mort. Et c’était à ses Pokémon qu’il incombait de le protéger.
Entourant son corps de flammes, Flambusard fonça droit sur son homologue, et le percuta par le flanc. Déséquilibré, Roucarnage chassa l’importun qui avait osé interrompre son piqué d’un battement d’aile assez puissant pour déplacer l’air. L’oiseau de feu en eut le souffle coupé ; mais il ne renonça pas. Têtu, il s’agrippa au dos du Méga-Pokémon, essayant de le forcer à remonter.
Hurlant de rage, Roucarnage fouetta violemment Flambusard à l’aide de sa longue mèche effilée. Les coups claquaient et brûlaient tels des coups de fouet. Flambusard ne put retenir des piaillements plaintifs. Mais malgré la douleur, il continua de labourer de ses puissantes serres le dos de l’oiseau géant, qui se contorsionnait de son mieux pour le déloger.
Hors de question de laisser ce tas de plumes s’en prendre à Sacha. On avait beau lui avoir lavé le cerveau, à force de recevoir des coups, il allait bien finir par s’énerver et riposter, non ? Alors Flambusard continuait de s’acharner, espérant détourner définitivement l’attention de son adversaire sur lui, et lui seul.
Finalement, un dernier claquement de mèche eut raison de la ténacité de l’oiseau de feu. Cependant, son acharnement eut le résultat escompté : Roucarnage fonça sur lui, ses prunelles sombres et froides toujours illuminées de cet éclat sanguinaire, mais cette fois dirigé vers lui. Flambusard ne put en revanche avoir le temps de s’en réjouir ; son opposant lui asséna une terrible Aile d’Acier dans l’abdomen, expulsant l’air de ses poumons. Pendant un court instant, l’oiseau rouge et noir se retrouva la tête en bas, et aperçut au-dessous de lui les silhouettes de Sacha et Brutalibré. Tous deux faisaient face à l’humain masqué et à un de ses Pokémon.
Parfait. Au moins, personne ne s’occupait de son combat aérien. Ragaillardi, Flambusard se redressa, et rendit la monnaie de sa pièce à Roucarnage, qui ne vit pas la Nitrocharge arriver.
Le latino pouvait très bien s’en sortir, peu importe l’adversaire qu’il avait en face de lui. Et il restait encore Sonistrelle et Croâporal. Sacha était entre de bonnes pattes.
Tout ce que Flambusard avait à faire, désormais, c’était réduire ce gros tas de plumes en cendres !
~*~Brutalibré entendit l’appel de Flambusard au-dessus de leurs têtes. Il n’eut pas besoin de lever les yeux ; il savait parfaitement ce que ce cri signifiait.
Que c’était à lui de jouer, maintenant.
L’oiseau de combat reporta son attention sur l’humain masqué, et sur son Pokémon métamorphosé.
Les pattes, le dos et la queue d’Akwakwak étaient désormais pourvues de nageoires. Les griffes de ses pattes avant étaient plus recourbées qu’avant, et la pierre qui ornait son front s’était divisée en plusieurs perles rouges, lui formant comme une couronne gravée à même la peau.
Le regard bestial, presque prédateur du palmipède naviguait entre Sacha et Brutalibré, comme s’il se demandait lequel attaquer en premier. Le Pokémon Combat frissonna. Il détestait se l’avouer, mais son adversaire lui fichait totalement les jetons. Néanmoins, il était prêt à tout pour protéger Sacha.
- Et alors ? rit soudain l’Homme Masqué. Tu ne tentes pas de t’enfuir, comme la dernière fois ?
Les poings serrés, Sacha ne répondit pas. Ses yeux brillaient d’une colère contenue ; mais Brutalibré connaissait trop bien son dresseur pour ne pas deviner que derrière toute cette rage se dissimulait une autre émotion : la peur.
- Je suis venu ici pour sauver mes amis, dit finalement le jeune dresseur d’une voix claire. Et je ne repartirai pas sans eux !
- Comme c’est touchant… Eh bien, je t’en prie, sauve-les, si tu t’en crois capable…
La pique n’avait pas encore terminé d’hérisser le dresseur de Brutalibré que l’humain masqué tendit le bras en avant :
- Lance Hydroqueue.
Grondant férocement, Akwakwak se cramponna au sol de ses quatre pattes, et déversa un torrent d’eau depuis sa queue.
La riposte de Sacha fut immédiate.
- Brutalibré, Pied Voltige !
L’oiseau s’élança, et bloqua le jet aquatique avec son genou. La pression formidable de l’eau lui mit aussitôt l’articulation au supplice ; il sut qu’il ne faudrait pas longtemps avant qu’elle ne lui arrache la jambe. Alors, d’un mouvement de hanches, Brutalibré dévia l’attaque, et la masse d’eau s’abattit plus loin sur le toit de l’usine, perforant le métal gelé comme s’il était fait de carton.
Brutalibré atterrissait tout juste lorsque l’Homme Masqué sonna le prochain coup :
- Utilise Choc Psy.
Les particules violettes de tout à l'heure se matérialisèrent de nouveau autour d’Akwakwak, qui les projeta sur son adversaire.
- Vite, esquive !
Malgré ses jambes engourdies, Brutalibré zigzagua du mieux qu’il put pour éviter les assauts à répétition du canard. Le givre sous ses pattes le brûlait, quand il ne le faisait pas déraper. Mais alors qu’il pivotait pour éviter un énième coup, il réalisa une chose terrible.
L’attaque visait aussi Sacha.
Le dresseur, les yeux écarquillés par la surprise, réussit à plonger sur le côté juste à temps. Brutalibré n’eut pas le temps de s’inquiéter pour lui : des particules psychiques lui éraflèrent les plumes. Il dérapa de nouveau, et perdit l’équilibre. Pendant une seconde, le ciel et la terre s’inversèrent ; les explosions pétaradaient autour de l’oiseau catcheur, qui partit en culbute sans parvenir à se redresser. Par miracle ou par chance, il ne fut pas touché.
Le froid lui mordit la peau lorsqu’il rencontra de nouveau le sol. Il entendit Sacha l'appeler :
- Brutalibré ! Ça va ?
- Akwakwak, Poing Boost.
Brutalibré grogna. Toujours aussi avare en répit, celui-là ! Il se remit aussitôt sur ses pattes, prêt à encaisser le choc.
Le coup fut rude, mais l’oiseau de combat tint bon. Seulement, à peine Akwakwak l’avait-il fait reculer qu’il le doubla, avant de se précipiter sur Sacha. Une fois encore, ce dernier évita le Pokémon Eau de justesse.
- Hé ! Arrêtez ça ! s’écria-t-il. C’est pas du combat Pokémon, si vous m’attaquez aussi !
- Oh… On a peur de se faire mal ? railla son opposant. Moi qui pensais que tu serais heureux de ne pas devoir assister à la seule souffrance de tes chers Pokémon… Mais si tu insistes, je peux très bien me déchaîner sur eux. Comme la dernière fois…
Sacha hoqueta, terrifié. Il en oublia par conséquent de bouger pour éviter Akwakwak, qui – contredisant les dires de son dresseur – armait déjà son poing pour le frapper.
Vif comme un Serpang, Brutalibré s’interposa entre Sacha et le palmipède, et bloqua l’attaque Poing Boost. Il crut entendre les os de ses bras craquer sous l’impact, mais ne s’en soucia pas et repoussa au mieux son opposant. Akwakwak recula avec un cri furieux.
- Brutalibré…
- Bru ! Bruta !
«
Né l’écoute pas,
amigo !
Yé peux tenir le coup, fais-moi confiance ! » Voilà ce que Brutalibré dit à son dresseur, même s’il savait que celui-ci ne pouvait comprendre son langage.
Fairy Tail 2014 OST - Absolute Zero Silver (Silver's Theme)Étrangement – mais pas tant que ça, venant de lui – Sacha parut saisir le message. Une lueur d’effroi dansait dans ses yeux ; néanmoins il opina du chef. Il avait choisi d’accorder sa confiance à Brutalibré. Ce dernier fit de son mieux pour lui adresser un sourire confiant, taisant les plaintes de ses membres douloureux.
- Hum… Coriace, celui-là, commenta l’humain au masque. Tant mieux, ça rendra les choses plus intéressantes… Utilise Hydroqueue !
- Lance Poing-Karaté !
Brutalibré était déterminé à ne plus laisser ce canard de malheur le toucher. Alors, rapide comme le vent, il survola presque la zone gelée, et faucha Akwakwak de deux coups fluides et précis, portés aux points faibles qu’étaient le bec et le ventre. Le Pokémon Eau fut propulsé un peu plus loin, et tituba, sonné.
- Maintenant, lance Plaie-Croix !
Après avoir fait s’entrechoquer ses griffes, Brutalibré se rua sur son adversaire et le lacéra de part en part. Mais alors qu’il savourait son coup si magnifiquement porté, l’oiseau se rendit compte qu’il n’avait plus de sensation au bout des pattes.
Il glapit d’incrédulité. Ses mains étaient gelées !
Brutalibré fit volteface. Akwakwak était toujours debout, une fine brume blanche s’échappant de son bec. Deux longues estafilades en croix barraient son ventre, et pourtant la blessure saignait à peine. Quelle peau épaisse !
- Laser Glace.
Encore sous le choc, Brutalibré entendit à peine l’ordre, prononcé tel un glas sinistre, de l’Homme Masqué.
- BRUTALIBRÉ, VA-T’EN !!
Le cri de Sacha le tira de sa torpeur. Au tout dernier instant, Brutalibré se jeta sur le côté. Le rayon glacé lui effleura les plumes, et diffusa une vague de froid qui le transit jusqu’aux os. Son bec heurta violemment le sol ; l’oiseau en vit trente-six Funécire. Sentant tous ses membres s’engourdir, Brutalibré tenta de se relever, avant de s’apercevoir que sa jambe ne lui répondait plus. Et pour cause : elle était prise dans la glace !
Affolé, l’oiseau catcheur frappa le bloc de glace de toutes ses forces ; hélas celles-ci s’amenuisaient à mesure que le froid progressait dans son organisme. Ses coups devinrent faiblards, et chacun d’entre eux cisaillait sa peau gercée, le faisant atrocement souffrir.
- Brutalibré ! (La voix de Sacha lui parut lointaine.) Tiens bon, je vais t’aider !
Sacha porta la main à sa ceinture ; mais à peine saisit-il la Pokéball qu’un laser blanc fusa sur lui, et frappa sa main. Avec un râle étouffé, le jeune dresseur mit un genou à terre, serrant son poignet touché. Plus loin, la Pokéball de Croâporal roula au sol, entièrement recouverte d’une épaisse couche de glace.
Brutalibré serra les dents. Le brigadier ne viendrait pas les sauver, cette fois. Si la situation n’avait pas été aussi grave, il en aurait volontiers ri. Mais là, il devait bien l’admettre, Brutalibré n’aurait pas été contre un coup de patte de son vieux rival...
- Ha ! Regarde-toi, rit l’Homme Masqué. Tu es pathétique. Tu essayes toujours de t’accrocher à un espoir inexistant, alors que tu sais pertinemment que tout est joué d’avance pour toi. Tu n’as visiblement rien appris depuis la dernière fois…
Sacha tremblait. Mais était-ce dû seulement au froid ?
- Quand je pense que c’est un pauvre gamin naïf comme toi qui aura su causer la perte de Fantôme… Tu en salirais presque son nom !
- Mais c’est qui, ce Fantôme dont vous parlez ?! s’emporta Sacha, sa voix partant dans les aigus.
Les paupières de Brutalibré se firent plus lourdes à mesure que le froid le paralysait. Néanmoins, il vit clairement l’Homme Masqué serrer le poing avec rage.
- Fais-tu semblant d’avoir oublié ?! Akwakwak !
Le palmipède se tourna vers Brutalibré, le regard mauvais. Il agita sa longue queue, laquelle s’entoura d’une colonne d’eau. L’attaque Hydroqueue gifla violemment le Pokémon Combat, qui crut bien y laisser ses dents. Un autre coup, porté cette fois à la poitrine, le fit croasser de douleur.
- Brutalibré ! hurla Sacha. Arrêtez, Brutalibré ne peut pas se défendre !
- Cesse donc de te plaindre ! Tu n’es pas en position d’exiger quoi que ce soit, gamin !
Toute trace de moquerie avait définitivement disparu de la voix désincarnée de l’Homme Masquée. N’y transparaissait désormais plus qu’une haine palpable. Une haine qui paraissait se diffuser à travers les attaques d’Akwakwak, qui multiplia les Hydroqueues sur un Brutalibré incapable de riposter.
L’eau sous pression était une arme terrible, qui martelait le corps de Brutalibré, arrachait ses plumes et mettait sa peau à vif. Le souffle coupé, il dut lutter pour respirer, ses poumons ne cessant de se vider à chaque nouveau cri poussé.
N’en pouvant plus, Sacha se précipita pour aller l’aider. C’en était trop ; il ne supporterait pas de voir à nouveau ses Pokémon souffrir sous ses yeux !
Malheureusement pour lui, l’Homme Masqué avait déjà tout prévu.
- Oh, non, tu n’en feras rien. Laser Glace !
Akwakwak cessa un instant de torturer Brutalibré pour se tourner vers Sacha, et cracha un nouveau rayon glacé sur lui.
Le jeune dresseur eut la très brève impression de sentir toute l’énergie de ses jambes happée, avant de s’effondrer à quatre pattes. Hébété, il contempla avec stupeur le bloc de glace qui emprisonnait le bas du corps.
- A force, je commence à te connaître, Ketchum. C’est toujours le même schéma, avec toi : dès que tes précieux Pokémon se retrouvent un tant soit peu malmenés, tu te précipites à leurs secours. Un tel comportement est déjà pathétique… Mais avec toi, c’en devient même ridicule !
Sacha ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Le froid engourdissait ses jambes, à tel point qu’il crut qu’on les lui avait arrachées.
Akwakwak, quant à lui, revint vers Brutalibré. L’oiseau était couvert de sang, et des hématomes violacés affleuraient sous ses plumes. Sans aucune pitié, le palmipède arma les poings, et se mit à frapper Brutalibré de toutes ses forces. Totalement à sa merci, Brutalibré ne pouvait que se recroqueviller et encaisser, pattes en avant pour protéger sa tête.
- Et maintenant ? railla l’Homme Masqué. Que comptes-tu faire, maintenant que tu es pieds et poings liés ? Observe combien tu es faible ! Tu ne peux plus protéger personne !
Le Pokémon Eau redoubla d’ardeur, au grand dam de son souffre-douleur. Les doigts en sang, enfoncés dans la couche de givre qui couvrait le sol, Sacha ne pouvait que regarder, impuissant, son Pokémon se faire lapider sous ses yeux. L’Homme Masqué savoura la lueur de désespoir qui illuminait ses prunelles brunes. Mais cela n’était pas encore assez. Ce gamin n’avait pas encore eu le traitement qu’il méritait pour avoir poussé Fantôme à la mort.
Akwakwak faisant déjà du bon travail, l’Homme Masqué choisit d’enfoncer le clou :
- Je vais te dire une chose : toutes tes bravades, et tes discours sur l’amitié que tu m’avais sortis, la dernière fois… Tout cela n’est qu’une pitoyable excuse pour camoufler ta faiblesse écœurante. A ton avis, pourquoi crois-tu que tu aies sans arrêt besoin de sauver tes Pokémon ? Je vais te le dire : parce qu’ils sont faibles, tout comme toi. Non pas qu’ils n’aient pas de potentiel, loin de là. Mais à les surprotéger comme tu le fais, à les empêcher de connaître la vraie douleur, tu les empêches de progresser. Ta touchante naïveté est devenue une entrave à la puissance de tes Pokémon, qui pensent être les plus forts, juste parce que tu « crois en eux ». Que d’inepties ! Un Pokémon ne devient puissant que lorsqu’on le pousse à ses extrêmes limites ! Pas en le gavant de belles phrases inutiles !
Pour une quelconque raison, Akwakwak cessa soudain d’harceler Brutalibré, et se figea, tremblant.
- N’est-ce pas, Akwakwak ? fit l’Homme Masqué en se tournant vers son Pokémon. N’es-tu pas heureux de pouvoir pleinement exploiter toute cette puissance ? Grâce à la Pokéball Obscur, et à la Néo-Méga-Évolution, tu es plus fort que jamais !
Le palmipède serra ses poings palmés encore plus fort, gémissant pitoyablement. L’Homme masqué, indifférent, rit à gorge déployée. L’écho métallique de son masque se répercuta dans l’air glacé tel un coup de tonnerre.
- …Pourquoi… ?
- Hm ?
Le chasseur de Pokémon baissa les yeux sur le garçon gisant à ses pieds. Sacha respirait de plus en plus difficilement. Son souffle formait de légers nuages, et ses lèvres commençaient à bleuir. Les yeux à demi fermés, il paraissait lutter contre l’engourdissement lié au froid.
- Pourquoi vous faites tout ça… ? murmura-t-il. Pourquoi vous acharner à ce point sur nous… ?
- Il me semble te l’avoir déjà dit. Tu as causé la mort de Fantôme. Par ta faute, son rêve de capturer Célébi s’est soldé par un échec cuisant. (Il serra rageusement le poing.) Il ne l’a pas supporté. A cause de toi, ses rêves et ses ambitions ont été anéantis…
Le regard perdu de Sacha ne fit que décupler la colère du masqué. Le jeune dresseur pouvait-il vraiment avoir oublié ?
- …Alors, c’est par vengeance que vous voulez…me tuer ? demanda Sacha.
- Appelle ça vengeance si tu veux, répliqua le chasseur de Pokémon. Moi, j’appelle ça un juste retour des choses.
Un étrange silence suivit ce bref échange. Aucun Pokémon ne bougeait ; les humains se taisaient. Une tension presque palpable flottait dans l’air. Et ce n’était pas uniquement dû à l’orage grondant au-dessus de leurs têtes.
Au bout d’un moment, Sacha finit par lâcher :
- … Vous êtes un monstre.
- Qu’est-ce que tu dis ?
Sacha attrapa son bras bandé, et y enfonça presque les ongles. Sa voix tremblait à mesure qu’il s’exprimait, sans que l’on sache si c’était à cause du froid... ou d’autre chose.
- Je sais pas qui est ce Fantôme, ni quel rôle j’ai joué dans sa mort… Mais même si c’était vraiment de ma faute, cela n’excuse en rien votre comportement. Que vous m’en vouliez, passe encore ; mais cela ne vous donne pas le droit de faire souffrir les autres ! Mes Pokémon et mes amis n’ont rien à voir avec cette histoire. Et pourtant, vous n’avez aucun scrupule à les faire souffrir ! Vous n’avez de pitié pour personne, pas même pour vos propres Pokémon !
Passé les premières secondes de choc, l’Homme Masqué émit un bruit rauque, à mi-chemin entre le rire et le grognement de rage. Et à vrai dire, lui-même ne savait pas laquelle de ces deux options choisir pour réagir à la tirade du jeune dresseur.
- Tu veux me faire la morale ? Tu ne manques pas de culot, gamin ! Dois-je te rappeler que tu es désormais à ma merci ? Ou bien est-ce encore l’une de tes tirades de pseudo-héros à la gomme ?
- Je suis loin d’être un héros, répliqua Sacha avec gravité. Jouer les redresseurs de torts, c’est pas ce que j’ai le plus envie de faire ; et ce n'est pas comme ça que j'ai envie qu'on me voie. Tout ce que je fais, c’est dénoncer et combattre quelque chose qui me révolte. Et là, en l’occurrence, c’est vous, et votre fichu comportement égoïste qui me tape sur le système !
L’Homme Masqué siffla telle une bouilloire sur le point d’exploser – une métaphore à l’image de son état d’esprit suite à ces paroles. Sans crier gare, il s’avança d’un pas rapide vers le jeune dresseur à moitié congelé, et le saisit par le cou. Le garçon glapit comme un Sapereau terrifié, avant de se retrouver face contre terre, maintenu par la poigne de fer de l’Homme Masqué.
- Cette fois, tu es allé trop loin, sale nabot. J’avais tellement envie de torturer encore plus longtemps tes chers Pokémon, histoire de te faire goûter plus encore à ce sentiment d’impuissance, et de désespoir… Mais là, tu as dépassé les bornes !
Sacha se débattit aussi furieusement que possible, bien que piégé du fait de sa mauvaise position.
- La seule personne qui mérite mon respect est le Fantôme au Masque d’Acier, m’entends-tu ? Les autres ne sont que larves à côté de lui ! Pourquoi me soucierai-je de leur sort ?
- Et vos Pokémon… ? haleta Sacha. Ils ne représentent rien, pour vous ?
Une brève hésitation saisit l’homme au masque. Néanmoins, il la chassa rapidement, et raffermit sa prise.
- Les Pokémon ne sont que des soldats à ma merci. C’est ainsi que fonctionne le monde, vois-tu ? Les plus forts dominent les plus faibles… Et les Pokémon ne sont là que pour les y aider ! C’est grâce à eux que nous pouvons exposer notre puissance ! Tâche de bien retenir ça lorsque tu passeras dans l’autre monde…
La main de l’Homme Masqué tremblait. Enfin… il avait à sa merci le gamin qui avait détruit sa vie et celle de son bien-aimé maître… Il suffisait d’un geste, d’une pression supplémentaire, pour lui briser la nuque. Et alors tout serait terminé. Sa vengeance, qu’il ruminait depuis maintenant cinq longues années, serait enfin assouvie.
Et pourtant. Ses doigts refusèrent de bouger. Pourquoi ? Pourquoi hésitait-il tant ? Il n’y avait pas à réfléchir ! Celui qui avait ruiné les plans de Fantôme ne méritait que la mort !
« Maître… J’ai juré de vous venger… Et je le ferai… »
Soudain, l’Homme Masqué sentit quelque chose s’accrocher à sa jambe. Surpris, il réalisa que le garçon avait lâché son bras pour s’agripper à sa botte. Bien qu’affaibli, il avait conservé une certaine énergie.
- J’ai pas… J’ai pas l’intention de mourir maintenant…, grogna Sacha. Tant que vous ferez du mal aux Pokémon, je me battrai jusqu’au bout ! J’vous laisserai jamais gagner, JAMAIS !
Pris d’un étrange pressentiment, l’homme au masque leva les yeux vers le ciel.
Et, bien que personne ne puisse s’en rendre compte, il écarquilla les yeux.
Une gigantesque boule de feu se dirigeait droit sur eux.
~*~La chaleur était insupportable. Les mains moites, Lem essuya pour la cinquième fois au moins la buée qui envahissait ses lunettes. Il lui semblait que tous les pores de sa peau avaient décidé de s’ouvrir pour exhaler toute la sueur de son corps.
- Morveux…, fit une voix plaintive au-dessous de lui. T’en as encore pour longtemps… ?
- Une seconde, j’y suis presque, répliqua Lem passablement agacé. Accrochez-vous encore un peu…
- J’ai chauuuuud…
Alerté par l’intonation épuisée dans la voix de sa sœur cadette, Lem ne put s’empêcher de détourner les yeux de son travail pour vérifier son état. Comme à peu près toutes les personnes présentes dans leur cage – car ils étaient bel et bien dans une vraie cage, aussi fou que cela puisse paraître – Clem avait dû enlever quelques couches pour faire face à la chaleur étouffante.
Mais si la fillette n’arborait désormais qu’un tee-shirt mouillé, sur lequel tombaient ses longues mèches blondes, la moins pudique de tous était sans conteste Jessie. Lem regretta bien vite de ne pas être resté concentré sur sa tâche.
La femme aux cheveux mauves était désormais allongée à même le sol, un bikini ayant remplacé son uniforme, rapidement abandonné dans un coin de la cage. A la voir ainsi, on aurait presque dit qu’elle revenait de la plage.
- Cette chaleur est horripilante ! se plaignait-elle. Regardez mes cheveux : ils sont gras et trempés, c’est une catastrophe !
- Jessie, estime-toi au moins heureuse que nous ne soyons pas quelques mètres plus bas…, tempéra James. Autrement, tes cheveux seraient le cadet de tes soucis.
Lem n’écouta pas la réplique – cinglante évidemment – de l’intéressée à son partenaire. L’évocation du brasier qui grondait telle une bête féroce à moins de dix mètres sous leurs pieds lui avait rappelé ses priorités.
Après avoir été appréhendés par les Sépiatroces, Lem, Clem et la Team Rocket avaient été escortés jusqu’ici, à l’Usine de Pokéballs. Pourquoi, ils n’en avaient aucune idée. Jusqu’à ce que l’Homme Masqué apparaisse devant eux.
Malgré la fournaise, Lem sentit un frisson le parcourir lorsqu’il repensa à cet affreux personnage. Celui qui avait tant fait souffrir Sacha et ses Pokémon… Celui qui avait brisé leur équipe… Dire qu’il se trouvait tout près d’ici, prêt à accueillir Sacha dans le piège qu’il lui avait savamment tendu. En ce moment même, les Sépiatroces devaient être à sa recherche, ainsi qu’à celle de Serena…
En repensant à son amie, l’inventeur se mordit les lèvres. Aujourd’hui plus que jamais il regrettait d’avoir agi comme un imbécile, ce fameux jour. Celui où il avait laissé Serena partir seule à la recherche de Sacha. S’il n’avait pas été si lâche… S’il avait accepté de lui venir en aide, et de l’accompagner… Aurait-il pu éviter cette situation ?
Lem secoua la tête, préférant ne pas y penser. Ce qui était fait, était fait. Il ne pouvait plus rien y changer. Tout ce qu’il pouvait faire, à présent, c’était racheter sa faute en sauvant ses compagnons de cet horrible endroit. Tout reposait sur lui, désormais ; il ne se permettrait jamais d’échouer. Alors il épongea son front une nouvelle fois, et se remit au travail.
- Vous avez entendu ? demanda soudain Clem.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Ça recommence… Y’a des bruits bizarres qui viennent du toit. Comme si quelqu’un tapait dessus.
- C’est sûrement l’orage, voulut la rassurer Lem. Le temps se gâte drôlement là-dehors…
Sa sœur cadette ne répondit pas, fixant la fenêtre visible un peu plus loin. L’extérieur ne leur apparaissait que comme une tache sombre, distante, inaccessible.
- Excusez-moi, intervint James, dont les épaules ployaient sous l’effort, mais vous ne voudriez pas vous dépêcher un peu ? Je ne vais pas tenir bien longtemps, à ce rythme…
La cage étant d’une hauteur assez conséquente, Lem avait dû demander l’aide de son aîné de la Team Rocket. Il s’excusa aussitôt :
- Désolé, il va falloir tenir encore un petit peu plus longtemps… Mais c’est bientôt terminé, rassurez-vous.
- Tu m’as déjà dit ça il y a environ dix minutes…
James s’interrompit brusquement. Il ne l’aurait pas juré, mais il était persuadé d’avoir entendu un bruit de pas…
- Qu’est-ce que c’est ? fit Clem.
- Chht ! Quelqu’un vient !
Tous aussitôt, se raidirent, craignant de voir surgir un Sépiatroce ou pire, l’Homme Masqué. Les bruits de pas se rapprochaient, à présent. Le rythme était rapide…comme si la personne courait.
Tout à coup, trois silhouettes surgirent de l’obscurité des couloirs, illuminées par la couleur chatoyante des flammes. Les prisonniers n’en crurent pas leurs yeux.
- Serena !
- MIAOUSS !!
Serena faillit bondir de joie en voyant la fratrie saine et sauve – bien que derrière les barreaux. Au-dessus d’elle, Sonistrelle babillait gaiment, tandis que Miaouss, les larmes aux yeux, se précipita à la rencontre de ses compères.
- Jessie ! James ! J’vous ai retrouvés… MES BONS VIEUX COPAINS !!
- Attention Miaouss, ne t’approche p-
Trop tard. Le chat avait déjà saisi les barreaux à pleines pattes. L’électricité traversa son corps, qui retomba sur le sol avec un bruit de chair grillée.
- J’allais te prévenir, dit Lem, ces barreaux sont alimentés par un courant électrique. Impossible de les toucher sans se prendre une décharge.
- Tu aurais pu le dire plus tôt…, gémit le Pokémon Chadégout.
Sonistrelle atterrit à ses côtés, la tête penchée comme s’il se demandait pourquoi le félin restait allongé par terre. Serena s’avança près de la cage, tout en restant à bonne distance. La chaleur la frappa aussitôt. Bien vite, son front se perla de sueur.
- Mais… Quel est cet endroit ?
- Hmmm… Par mes moustaches ! jura soudain Miaouss, qui s’était relevé. Mais c’est quoi ce chantier ?!
Les nouveaux venus remarquèrent qu’ils se trouvaient en ce moment même sur une sorte de plateforme en hauteur, située juste au-dessus d’un gigantesque trou béant, où brûlaient des flammes rouge vif. Pas étonnant que la chaleur fusse si écrasante…
En contrebas, l’on pouvait apercevoir le cœur même de l’usine. Serena et Miaouss eurent pourtant bien du mal à le reconnaître, bien qu’ils l’aient tous déjà visité.
Malgré un personnel absent en première apparence, les machines tournaient à plein régime. Sur un réseau complexe formé de nombreux de tapis roulants, des capsules métalliques étaient acheminées vers des dizaines de bras articulés, qui les manipulaient en tous sens. Jusqu’ici, rien d’étonnant, à ceci près que toutes les machines avait été taguées à la peinture noire. Les Pokéballs en fabrication étaient toutes forgées dans le même métal noir d’obsidienne, bien différent du gris froid habituel.
- Qu’est-ce qui s’est passé, ici ? murmura Serena, à la fois impressionnée et effrayée.
- C’était déjà comme ça quand on a été emmenés ici, répondit Jessie avec une moue dégoûtée. Ce grand gaillard masqué et ses Sépiatroces semblent avoir pris possession de l’usine, et s’en servent comme bon leur semble.
- Un peu comme nous à l’époque, quoi…, précisa James avec un rictus mi-moqueur, mi-désolé.
Serena sentit un frisson la parcourir. L’Homme Masqué était donc bel et bien ici. L’inquiétude la gagna ; et si Sacha était tombé sur lui ?
- Hé, Serena, comment tu as fait pour nous retrouver ? demanda Clem. J’espère que c’est pas les Sépiatroces qui t’ont amenée ici !
- Non, la rassura son aînée. Je suis venue ici avec Sacha.
La stupeur fut complète. Lem en lâcha l’objet qu’il tenait. Celui-ci tomba au sol avec un tintement métallique.
- Sacha ? Il est ici ?!
- Oui, enfin… On a été séparés… c’est un peu long à expliquer.
Sans un mot, Lem descendit de son perchoir, au grand soulagement de James, qui massa ses épaules endolories. La jeune fille remarqua, non sans surprise, que l’inventeur portait, malgré la chaleur étouffante, des gants de caoutchouc noir.
- Quoiqu’il en soit, la priorité est de sortir d’ici, trancha Lem. Je ne sais pas pourquoi on nous a mis au-dessus de l’incinérateur, mais ce n’est certainement pas pour nous mettre à l’aise…
- Tu as raison…, opina son amie, préférant ne pas se poser la question. Mais comment faire ? Si ces barreau sont intouchables, comment peut-on espérer ouvrir cette cage ?
- Ne t’en fais pas. J’ai un plan. Je travaillais dessus avant que tu n’arrives.
Dans ses mains brillait une petite broche, que Serena reconnut comme étant celle de Clem. Elle n’avait pas immédiatement percuté, mais maintenant qu’elle s’en rendait compte, la fillette avait les cheveux détachés.
- Ne me dis pas que…
- Si. Tu vois ce trou, là-haut ? (Il désigna un point au sommet de la cage, ou le métal semblait avoir été perforé.) C’est là que se situe le générateur. Cette cage semble être faite pour être déplacée, alors le système de sécurité y est directement intégré. Les Sépiatroces nous ont pris toutes nos affaires après nous avoir capturés… Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas s’en tirer avec le peu qu’on a.
Serena regarda son ami remonter sur les épaules de James, impressionnée. Même s’ils n’avaient plus rien, et étaient à la merci de leurs ennemis, Lem tentait désespérément de trafiquer le système par ses propres moyens. C’était risqué ; même si le caoutchouc de ses gants le protégeait du courant électrique, la chaleur devait les rendre impossible à porter.
- De toute façon, lâcha l’inventeur comme s’il lisait dans ses pensées, ce n’est pas comme si j’allais rester assis là sans rien faire, à attendre que l’Homme Masqué capture Sacha. Qu’importe si c’est avec les moyens du bord, il fallait que je tente un truc, sans quoi j’allais devenir dingue.
- … Tu as raison. Merci, Lem.
L’inventeur ne répondit pas, n’osant croiser le regard de la jeune fille. Il n’estimait n’être digne de remerciements que lorsque son plan fonctionnerait. Ce qui était encore loin d’être le cas : court-circuiter un pareil système n’était tâche aussi aisée que l’on pouvait se l’imaginer.
- Je ne veux plus agir comme un lâche, dit-il comme pour lui-même. depuis le début, je n’ai pas servi à grand-chose, si ce n’est à créer des ennuis à tout le monde à cause de ma lâcheté… (Ses compagnons de cellule, Team Rocket comprise, gardèrent le silence.) Sacha se bat toujours de toutes ses forces, même quand il est en difficulté. Si je n’en fais pas autant… Comment est-ce que je pourrais encore le regarder en face ?
Peinée, Serena le regarda s’échiner à sa tâche, les bras tendus à l’extrême, et l’air parfaitement concentré. Lem avait toujours éprouvé beaucoup d’admiration pour Sacha, depuis qu’ils s’étaient rencontrés… En un sens, c’était normal qu’il cherche à lui ressembler. Le dresseur du Bourg-Palette avait toutes les qualités que Lem convoitait tant : le courage et la persévérance. Mais parfois, cette admiration pouvait ronger son moral de manière presque maladive… N’était-ce pas déjà à cause de cela, le doute d’être un ami digne de Sacha, que Lem avait quitté le groupe pour préparer dans les moindres détails son combat d’arène contre Sacha ? S’il ne l’avait jamais avoué à voix haute, Lem n’avait pu en revanche duper ses amis. Même Sacha devait s’en être rendu compte.
- Lem, écoute… Sacha te considère toujours comme son ami, qu’importe ce que tu dises ou fasses. Tu sais comment il est…
Mais l’inventeur fit mine de ne rien entendre. De leur côté, les trois compères de la Team Rocket échangèrent des regards circonspects ; il régnait une tension inhabituelle entre les morveux, ces derniers temps…
- Au fait…, dit Serena pour briser le silence gênant qui commençait à s’installer. J’ai entendu dire que vous aviez fait des recherches sur l’Homme Masqué ?
- Hé, c’est moi qui t’en ai parlé, fillette, grinça Miaouss. Ne fais pas comme si je n’étais plus là !
Les occupants de la cage géante se crispèrent d’un seul mouvement. Clem s’avança au plus près, ne tenant soudainement plus en place.
- Oui, confirma-t-elle, on a appris des tas de choses ! Comme par exemple, qu’il travaillait pour la Team Rocket, avant, ou qu’il a volé des plans concernant les Pokéballs Obscur, et… Oh, et on a vu son visage ! On sait à quoi il ressemble ! Serena, tu vas pas le croire, c’est… c’est incroyable !
Alors qu’elle peinait à suivre ce que la petite fille lui racontait, Serena sentit son cœur s’accélérer. L’identité de l’Homme Masqué. Allait-elle enfin la connaître ?
- Dites-moi, à quoi il ressemble ? Est-ce que c’est quelqu’un qu’on connaît ? Vous paraissez tous bien pâles, quand vous l’évoquez…
- Eh bien, c’est…
Lem n’eut pas le temps de finir sa phrase. Soudainement, un petit « pfuiit ! » s’échappa du boîtier de commande qu’il triturait, et un arc électrique se créa, le faisant basculer en arrière.
Déséquilibré, James tomba à la renverse, entraînant dans sa chute le champion d’arène. Tous deux tombèrent lourdement sur le sol. Serena, inquiète, voulut leur demander si ça allait, quand les barreaux furent traversés par un bref courant électrique. Puis plus rien.
- Ça a marché… ? fit Lem, toujours étendu au sol. Ça a marché ! Le système a été court-circuité !
- T’as réussi, grand-frère !
Se voyant déjà libres à l’annonce de cette merveilleuse nouvelle, Jessie et James tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Plus pragmatique, Miaouss s’interrogea :
- Et maintenant, comment on fait pour ouvrir cette boîte ?
- Laisse-moi m’en occuper, lui répondit Serena. Pandespiègle, à toi !
Le petit panda sortit de sa balle avec un air satisfait, comme s’il était ravi d’être celui qui libérerait leurs amis. Sur ordre de sa dresseuse, il lança plusieurs fois Cogne sur les barreaux désormais inoffensifs. La cage céda rapidement, et les prisonniers purent enfin recouvrer leur liberté. Miaouss se jeta dans les bras de ses deux compères, les larmes aux yeux. Qu’importe si c’était grâce au morveux, il était heureux de retrouver ses deux idiots préférés en un seul morceau.
- SERENA !!
Sitôt libre, Clem se précipita sur son aînée, et l’enlaça de toutes ses forces. Surprise, Serena se laissa néanmoins faire.
- Je suis si contente que tu sois revenue…, murmura la fillette, la voix secouée par des larmes retenues à grand-peine. Tu m’as manqué, tu sais ? Mais je savais que tu ne nous abandonnerais pas, et que tu reviendrais. Et maintenant que Sacha est là, lui aussi, notre équipe sera bientôt à nouveau réunie…
Bouleversée, Serena caressa tendrement la tête de sa cadette. Elle échangea un regard avec Lem. Clem avait raison. Leur équipe serait bientôt au complet. Et s’ils parvenaient à se réunir, tout irait mieux. A quatre, n’était-on pas plus forts qu’à deux, ou que seul ?
Lem ne pipa mot, mais sourit légèrement – d’un sourire brisé, toutefois.
- Bon, maintenant, sortons d’ici, clama Serena. Cette chaleur devient vraiment insupportable…
- Pas si vite, morveuse, l’interrompit Jessie. Je crois que tu oublies un léger détail.
Surprise, la jeune fille se tourna vers la Team Rocket. Par habitude, elle s’attendit à un mauvais coup de leur part ; mais les trois bandits conservaient un air tout à fait sérieux.
- De quoi est-ce que vous parlez ?
- Ce n’est pas encore terminé, lui dit James. Il se passe des choses absolument préoccupantes dans cette usine…
- Assez préoccupantes pour que vous continuiez de prendre ce ton énigmatique ? s’impatienta la jeune fille. Venez-en au faits : qu’est-ce qu’il se passe ici, exactement ?
- J’avais presque oublié ! s’écria Lem. Il faut vite agir, sans quoi on court à la catastrophe… L’usine de Pokéballs a cessé de produire des Pokéballs normales. Tu as remarqué leur couleur inhabituelle ?
Serena acquiesça, posant de nouveaux ses yeux sur les blocs de métal noir charbon – Pokéballs en devenir – qui naviguaient sur les tapis roulants.
- Oui, et alors… ?
- L’Homme Masqué s’est installé dans cette usine pour piéger Sacha. Mais en parallèle, les Sépiatroces en ont pris le contrôle ! Ils ont stoppé la production habituelle et produisent leurs propres Pokéballs ! Et pas n’importe lesquelles…
Serena craignit de comprendre. Non, cela ne pouvait pas être vrai…
Hélas, Lem confirma ses craintes :
- Tu as deviné… Ils créent des Pokéballs Obscur !
Au même instant, Sonistrelle poussa un cri d’avertissement. Serena se retourna d’un bloc.
Un Sépiatroce surplombait la cage, son unique œil – l’autre étant traversé d’une horrible balafre – braqué sur les prisonniers évadés.