Le temps et l’espace sont des notions assez capricieuses. La distance semble toujours plus courte quand on a pleinement le temps de la savourer ; mais elle peut devenir interminable lorsque le temps vient à manquer.
~*~Les poils de Miaouss en étaient encore tout hérissés. Il devait se faire violence afin de ne pas tirer telle manette trop fort, ou d’appuyer par erreur sur tel ou tel bouton, tant ses pattes tremblaient.
Nom d’un chat ! Quelle frayeur ! Sans qu’on ne lui donne aucune seconde de répit, ni aucune explication, le félin était passé de marionnette pour Pokémon Psy machiavélique à pilote improvisé d’un vaisseau géant.
Un vaisseau censé les conduire jusqu’à… qu’avait dit le morveux, déjà ? L’esprit de Miaouss était encore brumeux après une longue période d’inconscience… Ses souvenirs étaient flous. Il se souvint d’avoir été emprisonné…puis embarqué par le Sépiatroce… avant de se réveiller dans les bras de Sacha.
Puis, cela lui revint. L’Usine de Pokéballs. Ils devaient aller à l’Usine de Pokéballs !
Pianotant sur le tableau de bord avec la dextérité d’un professionnel de l’aviation, Miaouss régla les coordonnées de leur destination. Après une ultime vérification sur l’écran radar, il décéléra légèrement, vira de bord, et stabilisa la vitesse de l’appareil. Plus qu’à actionner le pilote automatique, et le félin put enfin se laisser glisser dans son siège, non sans pousser un long soupir de soulagement.
Enfin un peu de répit… mais pour combien de temps, encore ? Miaouss se doutait bien que les Sépiatroces n’abandonneraient pas la partie aussi facilement. Mais d’après l’écran radar, il n’y avait aucun mouvement à l’horizon, pas même un Pokémon Vol. Le chat décida donc de profiter de ces quelques instants de calme afin de remettre de l’ordre dans ses idées. Que s’était-il passé avant qu’il ne se fasse hypnotiser par ce sale Sépiatroce ? Il fallait qu’il se souvienne…
Hélas, plus il tentait de fouiller dans sa mémoire, plus celle-ci s’effaçait. A chaque fois qu’il paraissait sur le point de récupérer un fragment de souvenir, celui-ci s’évaporait, insaisissable.
Ce fut donc migraineux et avec l’impression d’avoir de la gelée à la place des jambes que Miaouss quitta le poste de commande pour se diriger vers l’arrière de l’appareil, où les morveux et leurs Pokémon s’étaient rassemblés. Lorsqu’il arriva, tous les regards convergèrent vers lui. Visiblement, ils attendaient un rapport de la situation, songea-t-il avec lassitude.
- C’est bon, annonça-t-il, je crois qu’on les a semés. Le vaisseau est en route pour l’Usine de Pokéballs, comme demandé, morveux.
- Merci Miaouss, dit Serena. on ne s’en serait jamais tirés sans ton aide.
L’orgueil gonfla le cœur du jeune chat. Soudainement ragaillardi, il bomba le torse avec une fierté à peine dissimulée.
- Inutile de me remercier, fillette. Manœuvrer cette boîte de conserve n’est qu’une formalité pour le bon vieux Miaouss.
De fait, après des années passées à piloter divers robots et autres engins destinés à capturer Pikachu, Miaouss avait acquis une certaine expérience en la matière...
Repenser à cette époque fit soudain remonter quelques souvenirs à la surface.
- … et de toute manière, ajouta-t-il, l’air plus sombre, nous avons désormais un ennemi et un but commun.
- Que veux-tu dire ? l’interrogea Serena, intriguée.
- Les Sépiatroces nous ont capturés, mes coéquipiers et moi. Je m’en souviens, maintenant… Jessie et James doivent encore être captifs. Et ils sont retenus à l’Usine de Pokéballs... (Il balaya le groupe de Pokémon du regard.) Écoutez, les morveux, je sais qu’on vous a fait pas mal de crasses dans le passé, mais… Mais nous pourrions conclure une trêve, pour cette fois, qu’en pensez-vous ? Nous voulons tous sauver nos amis, alors autant coopérer, n’ai-je pas raison ? miaula-t-il d’une voix mielleuse.
Bien que méfiants, les Pokémon acquiescèrent tour à tour, parfois à contrecœur. Tous savaient qu’il valait mieux laisser leurs différends de côté. Néanmoins, Miaouss sentait le regard acéré de Croâporal lui picoter la peau. Si le batracien ne fit aucun commentaire, tout dans sa manière de fixer Miaouss semblait vouloir dire : « Je t’ai à l’œil ».
« Imbécile ! » pesta intérieurement le félidé. « Je ne suis pas assez stupide pour vous jouer un mauvais tour dans une pareille situation… » Car même si Miaouss retrouvait ses complices avant que le groupe de morveux ne soit réuni, il resterait toujours les Sépiatroces. Les deux camps devaient absolument s’unir face à ses Pokémon machiavéliques, sinon ils courraient à leur perte…
L’attention de Miaouss se reporta sur Sacha. Le jeune dresseur n’avait plus prononcé un mot depuis qu’ils avaient décollé. Assis sur l’un des sièges, il gardait obstinément les yeux rivés au sol, mains croisées devant lui.
- Ça va, Sacha ? demanda Serena en s’asseyant près de lui.
Les autres Pokémon, Galopa compris, s’approchèrent à leur tour, formant un demi-cercle autour des deux adolescents. Levant les yeux sur cette petite assemblée, Sacha finit par lâcher un vague :
- Oui…oui, ça va.
- … Tu penses à Pikachu, n’est-ce pas ?
Sacha resta silencieux, mais hocha la tête. D’abord surpris, Miaouss se sentit ensuite honteux de ne pas avoir remarqué l’absence du rongeur électrique.
- Hé, morveux, où est passé ton Pikachu ?
- Parce que tu n’avais même pas remarqué qu’il n’était plus là, toi ? s’étonna Serena. Pour quelqu’un qui passe son temps à essayer de le capturer…
- Écoute, fillette, y’a pas deux secondes, mon cerveau était réduit à l’état de jouet pour pieuvre sadique, répliqua Miaouss, piqué au vif. Laisse-moi le temps de redescendre sur terre, tu veux ?
Ne souhaitant pas engager de dispute inutile, Serena soupira, et préféra lui résumer brièvement la situation. A l’évocation des Pokéballs Obscur, le poil de Miaouss se hérissa. Ce nom ne lui était pas inconnu…
- Donc, si je comprends bien, miaula-t-il une fois que Serena eut terminé, Pikachu est possédé par l’énergie maléfique de cette balle, et s’est enfui ?
Cette fois, ce fut Sacha qui répondit :
- C’est ça. D’après Genzo, Pikachu tenterait de retourner auprès de l’Homme Masqué, celui qui l’a enfermé dans cet objet de malheur.
- Attends, souffla Serena. Ça veut dire qu’il va dans la même direction que nous, alors ?
- Possible. Mais c’est pas sûr. Comme je l’ai déjà dit, Pikachu se bat de toutes ses forces pour empêcher cette force obscure de s’emparer de lui. Peut-être est-il en route pour l’usine, mais il peut tout aussi bien errer dans la nature. En tout cas, où qu’il soit, il doit énormément souffrir.
Un silence gêné s’installa. Désemparé, Miaouss ne savait que penser de cette situation. Ainsi donc, Pikachu était sous l’emprise d’un quelconque pouvoir obscur, et vagabondait en ce moment quelque part dans Kalos, à des lieues de son dresseur ? Dans d’autres circonstances, le félin y aurait vu l’occasion unique de capturer le rongeur que lui et ses complices convoitaient depuis tant d’années. Mais pour une raison qui lui échappait – son instinct de Pokémon, peut-être ? – Miaouss sentait que ce n’était pas le moment idéal pour penser à cela.
- Alors, qu’est-ce qu’on fait, du coup ? demanda-t-il. Tu veux qu’on parte à la recherche de Pikachu ?
- Non, répondit Sacha après une brève hésitation. On perdrait beaucoup trop de temps. Et puis… au final, la solution à tous nos problèmes se trouve là-bas, à l’Usine de Pokéballs.
Comme personne ne voyait où il voulait en venir, Sacha se hâta de préciser :
- Si on veut sauver Lem et Clem, et libérer Pikachu, il n’y a qu’une seule solution : terrasser l’Homme Masqué.
De nouveau, tous restèrent muets. Les Pokémon de Sacha, en particulier, considérèrent leur dresseur, l’air calme, mais grave.
« L’Homme Masqué… ? » Miaouss ne sut pourquoi, mais ce nom évoquait en lui un sentiment désagréable. Comme l’impression de passer à côté de quelque chose… « Qu’est-ce que j’oublie, nom d’un chat ? » Agacé de ne pas se rappeler, il se concentra.
Peu à peu, la brume qui entourait ses souvenirs se dissipa. Des détails lui revinrent par flashs : Jessie et James emprisonnés, l’usine, le Sépiatroce qui l’embarquait… « De quoi dois-je me rappeler ? »
- C’est donc ça que monsieur Genzo voulait dire, tout à l’heure, dit Serena. Quand il te demandait si tu étais prêt à affronter l’Homme Masqué.
- Oui, il devait l’avoir compris dès le début, acquiesça Sacha. Il savait que j’allais forcément l’affronter tôt ou tard. Et la crise de Pikachu, l’arrivée des Sépiatroces… tout ça n’a fait qu’accélérer les choses.
- Genzo a affirmé que tu n’étais pas prêt. Mais toi, qu’en penses-tu ?
Sacha ne répondit pas tout de suite. Lentement, méthodiquement, il prit le temps de croiser le regard de chacun de ses Pokémon.
- Honnêtement, je ne sais pas, finit-il par répondre. Je ne pense pas qu’on ait suffisamment progressé par rapport à la dernière fois. Trois semaines, un mois… Ça parait long, dit comme ça, mais en termes d’entraînement, c’est excessivement court. Cela dit, ça ne veut pas dire qu’on ne va pas essayer.
Les Pokémon approuvèrent d’un seul mouvement de tête. Serena sourit discrètement, mais conservait une lueur inquiète au fond des yeux. De son côté, Miaouss continuait de se triturer les méninges. Il sentait qu’il touchait au but… Mais il n’arrivait pas à mettre la patte sur ce détail dont il devait se souvenir.
« Il veut vaincre l’Homme Masqué… Ce gars, avec un masque de fer… » L’image du personnage se matérialisa progressivement dans son esprit. Grand, imposant, ténébreux. Sa longue cape, et bien sûr son masque, ce masque qui déformait sa voix…
- Seulement, y’a pas que ça qui me tracasse, poursuivit Sacha. Ce qui m’inquiète, c’est ce que je ferai quand je serai de nouveau face à l’Homme Masqué.
- Comment ça ?
- Genzo m’a demandé si j’étais prêt. Mais est-ce qu’il ne parlait que de l’entraînement ?
Devant les mines confuses de son auditoire, Sacha agrippa vivement son bras gauche, comme s’il lui faisait mal. Le bandage qui recouvrait la zone juste au-dessus du coude était terne et sale, à croire qu’il n’avait pas été changé depuis longtemps.
- Parce qu’en réalité, reprit le jeune dresseur d’une voix blanche, je ne sais pas si je supporterai de revoir l’Homme Masqué maintenant. Je ne crois pas être prêt mentalement. (Sa prise se raffermit, au point de lui arracher une grimace de douleur.) Qui sait si, quand je serai face à lui, la peur ne me paralysera pas sur place ? Ou si je ne me laisserai pas envahir par la colère ? Ou même les deux à la fois ? J’ai peur de redevenir le monstre que j’étais devenu ces derniers jours, aveuglé par le seul désir de victoire…
« Un désir de victoire ? » Miaouss fut bouleversé par les mots du jeune dresseur. « Non, c’est un désir, mais pas de victoire… » Comme tous ceux qui connaissaient Sacha, le félin n’avait pas l’habitude de l’entendre tenir un tel discours.
Tremblant comme une feuille, Sacha réussit néanmoins à garder un ton ferme :
- Parce que si je me battais comme ça, que je gagne ou pas contre l’Homme Masqué ne changera rien. Et au contraire, j’aurai perdu dans tous les cas. J’aurai perdu parce qu’il m’aura changé. Parce que je serai devenu ce contre quoi je me suis battu, et que je rejette. Un être sans cœur, qui ne se soucie que de gagner, par tous les moyens. Et je ne veux pas que ça arrive. Je veux vaincre l’Homme Masqué, mais avec
mon propre style de combat.
Les yeux des Pokémon se mirent à briller ; Galopa émit même un léger hennissement impressionné. Au fond, il restait un espoir. Malgré ses doutes, Sacha restait le même au fond de lui. Tout comme Pikachu luttait contre l’énergie obscure, Sacha livrait son propre combat intérieur, contre un démon nommé Peur.
Croâporal s’avança alors, et posa une patte sur les genoux de son dresseur. Ce dernier le considéra avec un air étonné. Puis, un à un, ses autres Pokémon suivirent l’exemple de leur confrère, apposant patte ou aile sur la jambe de Sacha, comme s’ils voulaient lui transmettre un peu de leur force par ce simple contact.
Les Pokémon se mirent à parler, doucement, chacun leur tour. Tous y allèrent de leur babillement particulier. Et si les deux humains paraissaient ne pas comprendre ce qui se passait, Miaouss saisissait chacune des paroles de ses homologues. Et il sentait son cœur se gonfler d’émotion à chaque nouvelle tirade.
Sacha gardait le silence, fixant ses Pokémon qui continuaient de lui transmettre – d’essayer de lui transmettre – leur message. Arrivait-il à les comprendre, malgré la barrière de la langue ? Miaouss n’attendit pas d’en être certain pour intervenir :
- Oh, morveux… Tes Pokémon comprennent tes sentiments. Ils éprouvent la même chose, tu sais… Est-ce que tu peux comprendre ce qu’ils essayent de te dire ?
Voyant que Miaouss s’était fait porte-parole en leur faveur, les Pokémon du garçon s’exprimèrent de nouveau, hochant la tête à l’intention du félin. Celui-ci dut serrer les dents pour empêcher les larmes de lui monter aux yeux.
- Eux aussi craignent de se retrouver face à celui qui vous a infligés autant de douleur, autant de peine, ces derniers temps. Ils disent qu’ils craignent d’affronter de nouveau les terribles Pokémon de l’Homme Masqué. Qu’ils ont peur d’échouer à nouveau. Car ils veulent gagner à tout prix, non seulement pour toi, mais pour tous leurs amis dont le sort dépend d’eux, désormais. Ils parlent de toi, de Lem et Clem, de Serena… mais aussi de Pikachu. Ils disent même vouloir se protéger les uns les autres. Le souvenir de votre première défaite face à l’Homme Masqué est encore gravé dans leurs esprits. Mais plus que de perdre face à un Pokémon, c’est avant tout de te perdre
toi qui les effraie le plus.
Sacha écarquilla les yeux, avant de les poser sur son équipe. Sonistrelle marmonna timidement quelques mots, que Miaouss s’empressa de traduire :
- Depuis que cet homme vous a terrassés, tu as commencé à perdre confiance en toi, et à te renfermer sur toi-même. Tu passais de l’abattement à l’agressivité en un clin d’œil, surtout lors des combats.
Flambusard prit la relève ; Miaouss traduisit encore :
- Ça leur a fait un choc. Ils étaient tous persuadés que c’était leur faute si tu n’arrivais plus à combattre correctement. Que leur faiblesse avait causé cette perte de confiance. Et par-dessus tout, ils se sentaient impuissants de ne pouvoir te réconforter dans ta peine.
Sacha parut vouloir dire quelque chose, mais se ravisa. Brutalibré enchaîna, de même que Miaouss :
- Et finalement arriva ce moment où tu as craqué. Où tu leur as déballé tout ton sac et t’es enfui dans la forêt. Ils entendaient tes cris jusqu’au lac, tu sais ? Tu semblais être devenu complètement fou, avoir perdu toute raison… C’est sans doute là qu’ils ont eu le plus peur. Même affronter les Pokémon maléfiques de l’homme en noir les avaient moins effrayés que ça.
Serena afficha une expression horrifiée, mais ne dit rien, attendant la suite. Croâporal fut le dernier à s’exprimer :
- Mais depuis, tu sembles t’être repris en main. Sauf que maintenant, il faut que tu maintiennes ton état d’esprit combattif jusqu’au bout. Tes Pokémon ont peur, morveux, mais ils disent tous la même chose : tant que tu resteras avec eux, ils feront tout leur possible pour surmonter cette peur et aller de l’avant, car ils savent que tu les soutiendras jusqu’au bout. C’est cette pensée qui leur a donné, et leur donne encore en cet instant la force de continuer à se battre.
Le batracien échangea un coup d’œil à ses compères, avant de poursuivre. Miaouss renifla, maîtrisant au mieux les trémolos dans sa voix :
- Et ils sont persuadés que, s’il était là, Pikachu penserait pareil. D’après eux, il est celui qui a le plus cru en toi durant votre périple en solitaires. C’était lui qui maintenait le moral du groupe, alors que toi, tu sombrais lentement dans la dépression. Le voir se faire avaler par les ténèbres les a autant chamboulés que toi. Mais là encore, ils gardent espoir. Ils savent que si quelqu’un peut venir en aide à Pikachu, c’est bien toi. Car ils ont foi en toi.
- …Les amis…
Tous les visages se tournèrent vers Sacha. Le jeune dresseur déglutit péniblement, la gorge serrée. Puis contre toute attente, il sourit.
- Je suis qu’un égoïste. Pardon. (Aucun ne réagit.) Depuis le début, je ne fais que parler de moi, alors que vous êtes les premiers concernés par toute cette histoire… C’est vous et Pikachu que l’Homme Masqué convoite. Moi, je ne suis que l’une des nombreuses victimes collatérales, en fait...
Crispés, les Pokémon attendirent. Leur dresseur desserra légèrement les doigts de son bras bandé, et leva les yeux au plafond, comme s’il espérait voir le ciel au travers.
- En tant que dresseur, j’ai pensé que notre défaite était uniquement de ma faute. Je me suis dit que pour que vous progressiez, il fallait que moi aussi, je m’améliore. Et je me suis mis une pression d’enfer, jusqu’à ne plus penser qu’à ça. Mais c’est pas comme ça qu’on fonctionne. Je l’ai compris, maintenant : ce qui fait notre force, c’est notre travail d’équipe. Et le travail d’équipe, c’est pas se fixer un objectif dans l’espoir d’être utile aux autres. Une équipe, c’est des camarades qui se soutiennent les uns les autres, et qui progressent
ensemble, dans la victoire comme dans la défaite.
Ses yeux délaissèrent le plafond pour embrasser une fois de plus le groupe de quatre Pokémon qui lui faisait face.
- Et ça, c’est avec mes Pokémon que je l’ai compris. Et c’est encore vous qui me l’avez rappelé, aujourd’hui. (Son sourire s’élargit un peu, exprimant désormais une franche joie.) Merci. Merci de m’avoir soutenir, les gars. Vous êtes… les meilleurs des coéquipiers.
Les quatre concernés lui sourient chaleureusement, marmonnant quelque réponse.
Puis, à sa plus grande surprise, Serena posa sa main sur les doigts crispés de Sacha. Celui-ci tressauta violemment, comme frappé par un électrochoc. Puis très vite, il desserra les doigts, et, bien que tendu comme un arc, laissa la jeune fille effleurer son bras blessé.
- Et il n’y a pas qu’eux, Sacha. Lem, Clem et moi, nous te soutenons également. Galopa aussi, je n’ai pas raison ? (Le cheval hennit d’approbation.) Tu vois, tu n’es pas seul… Promets-moi de ne pas l'oublier, lorsque tu affronteras l'Homme Masqué.
Sacha cligna des yeux, un peu perdu, avant de lui adresser un regard reconnaissant. Gentiment - mais fermement - il écarta la main de Serena de son bras, et se leva pour faire face à son équipe.
- Bon, les amis, il va falloir se serrer les coudes, aujourd’hui plus que jamais. On se dirige en ce moment vers l’Usine de Pokéballs, où Lem et Clem sont retenus prisonniers…ce qui veut dire que l’Homme Masqué nous attend certainement là-bas, lui aussi. Je sais qu’on sait beaucoup entraînés, ces derniers jours… Mais qui sait si cela sera suffisant ? Quoiqu’il en soit, il faudra mettre en pratique tout ce que vous aurez appris, c’est bien compris ? Il va falloir mettre les bouchées doubles, d’autant que Pikachu ne sera pas là pour nous prêter main-forte. Vous êtes avec moi ?
Des cris enhardis lui répondirent.
- Tant que vous resterez à mes côtés, je vous promets de pas lâcher prise. On restera ensemble, jusqu’au bout. Ensemble, on libérera nos amis, et on trouvera le moyen de sauver Pikachu. L’heure de la revanche a sonné !
Les Pokémon approuvèrent cette déclaration dans un concert de cris enhardis.
Au même instant, dans l’esprit de Miaouss, un mot fit déclic. « La revanche ? »
D’un seul coup, tout lui revint. Il se souvenait du détail qui lui échappait depuis tout à l’heure.
- NON ! Vous ne devez pas y aller !!
Les cris enjoués cessèrent subitement, et tous regardèrent Miaouss avec ahurissement.
- Qu’est-ce qui te prend, tout à coup ? fit Sacha, interloqué.
- Vous ne devez pas l’affronter ! s’égosilla le chat, paniqué. Surtout toi, morveux, tu ne dois pas approcher l’Homme Masqué !
- Calme-toi, enfin ! Pourquoi tu dis ça ? s’alarma Serena.
Miaouss peinait à récupérer son souffle. Son cœur battait follement dans sa poitrine à mesure que les paroles de l’être qui les avait enfermés, lui et ses complices, refaisaient surface dans son esprit.
- L’Homme Masqué n’a aucune intention de te combattre, morveux, miaula-t-il avec gravité. S’il a ordonné aux Sépiatroces de capturer tes copains, c’était pour t’attirer jusqu’à lui. Mais pas pour t’affronter.
Les yeux du jeune homme s’agrandirent. Il ouvrit la bouche, mais Miaouss le devança :
- S’il te revoit, il va te faire la peau ! L’Homme Masqué veut te
tuer !
~*~Hébété, je ne pouvais faire autrement que fixer Miaouss d’un air ahuri.
- T-tu…tu plaisantes, là…
- Je suis très sérieux ! s’égosillait le félin. Il l’a dit lui-même ! Mes poils se hérissent encore quand j’y repense…
- Mais pourquoi ? marmonnai-je comme pour moi-même. Pourquoi l’Homme Masqué voudrait… me tuer… ?
L’incompréhension se lisait sur tous les visages. Tous attendaient une réponse de Miaouss.
- Ah, ça, j’en sais rien, miaula l’intéressé, penaud. Mais t’as dû faire quelque chose qui l’a sacrément mis en rogne, parce qu’il t’en voulait vraiment. Ça s’entendait dans sa voix !
- Mais je lui ai rien fait ! m’emportai-je. Je le connaissais même pas, ce type, avant tout ça !
- Qu’est-ce que tu en sais, morveux ? dit soudain Miaouss, son sérieux retrouvé. Comment peux-tu être sûr de ne pas connaître cet homme, puisque qu’il se balade à longueur de journée avec un masque vissé sur le crâne ?
Le temps sembla soudain se suspendre. Je craignis de comprendre où le chat voulait en venir.
- Attends un peu, intervint Serena. Je me demandais... Tu dis avoir entendu l’Homme Masqué parler de tuer Sacha… Ça veut dire que tu l’as vu ?
- Évidemment, fillette ! Comment crois-tu que je me sois retrouvé dans cette galère ? Et pourquoi crois-tu que je m’échine à vous emmener jusqu’à cette fichue usine ? Les Sépiatroces nous ont capturés mes coéquipiers et moi. Et ils travaillent pour l’Homme Masqué !...
- Justement, pourquoi est-ce qu’ils vous ont capturés ?
Effectivement, la question était pertinente. Que l’Homme Masqué ait demandé à capturer mes amis, cela avait du sens ; mais pourquoi la Team Rocket ?
- On a pas eu de bol sur ce coup-là…, répondit Miaouss. Nous avons été pris en même temps que le morveux à lunettes et sa petite sœur…
- Lem et Clem ? Vous étiez avec eux ?
- Oui. Mais cette fois, nous ne leur avions pas joué de mauvais tour. Ou du moins, nous n’avons pas eu le temps…, ajouta-t-il tout bas. Bref, ils avaient besoin des données de la Team Rocket pour faire des recherches. On était en pleine découverte quand cette pieuvre de malheur s’est pointée. On n’a rien pu faire…
- Attends, le coupai-je, des recherches sur quoi ?
- …Sur l’Homme Masqué.
La nouvelle laissa place à un silence choqué. Lem et Clem avaient fait des recherches sur l’Homme Masqué durant mon absence… ? Mais alors…
- T-tu veux dire… (Je peinais à m’exprimer. Ça me paraissait tellement irréaliste…) Tu veux dire que vous savez… qui est l’Homme Masqué ?
Miaouss hocha gravement la tête.
- Alors c’est qui ?! m’écriai-je, n’en pouvant plus. Qui est derrière tout ça ? Qui est-ce qui nous a pourchassés, et qui est-ce qui veut ma mort ? Dis-le-moi, si tu sais !
Miaouss ouvrit la bouche ; mais avant qu’il ne puisse répondre, une violente secousse ébranla le vaisseau, nous faisant tous tomber à la renverse. Je me retrouvai étalé sur Miaouss, qui s’empressa de se dégager pour filer vers le poste de commande. Je l’y rejoignis, les oreilles agressées par une alarme qui hurlait tout ce qu’elle savait dans un sifflement suraigu.
Le félin pianota sur le tableau de bord, et l’alarme s’arrêta enfin, tandis qu’un écran radar affichait plusieurs points lumineux, qui semblaient se multiplier à une vitesse folle.- Ennemis à six heures ! s’exclama Miaouss.
Deux ou trois boutons actionnés plus tard, des écrans hologrammes apparurent devant nous. On pouvait y apercevoir les silhouettes de nombreux Pokémon Vol en formation serrée.
- Des Airmures, fis-je en les identifiant. Et des Rapasdepics ! Ce sont eux qui nous attaquent ?
J’avais à peine fini de parler qu’un nouveau choc fit trembler l’appareil.
- Ça répond à ta question ?!
Les chocs se succédèrent, accompagnés de bruits de tôle froissée. Ces Pokémon percutaient le vaisseau de tout leur corps, ou quoi ?
- Accrochez-vous, les morveux, ça va secouer !
Miaouss se saisit de deux manettes, et se mit à les manœuvrer comme un volant. Le vaisseau prit brusquement de l’altitude. L’accélération subite cloua tous les passagers au sol. Dehors, les assauts continuaient, inlassablement. Pestant dans sa barbe, Miaouss mouvait ses deux manettes dans tous les sens possibles et imaginables, les yeux rivés à la fois sur l’écran radar et droit devant lui. Vu d’ici, il paraissait jouer à un jeu vidéo. Un jeu bien trop réel à mon goût.
J’avais envie d’aller l’aider, mais je ne savais pas piloter aussi bien que lui… Et de toute manière, les brusques changements de pression mettaient mes oreilles au supplice, sans parler des va-et-vient du vaisseau, qui me donnaient des hauts-le cœur.
- Ils nous encerclent ! s’écria soudain le chat. On va jamais tenir !
Un nouveau choc, accompagné d’un bruit plus puissant – une explosion ? – illustra ses paroles.
- Ce ne sont pas des Pokémon sauvages, fis-je remarquer. Ils attaquent de manière trop organisée pour ça…
- Peut-être que si, contra Serena, en s’accrochant du mieux qu’elle pouvait aux sièges. Cette attaque ressemble à celle du train : les Sépiatroces avaient aussi hypnotisé des Pokémon sauvages pour les lancer à ma poursuite…
Alors ce seraient les Sépiatroces qui nous auraient retrouvés ? A moins qu’ils n’aient envoyé leurs troupes nous appréhender avant de venir ramasser les restes… Dans tous les cas, il fallait faire quelque chose, sans quoi nous risquions le crash. Je fis fonctionner mon cerveau à toute allure.
- Miaouss, dans combien de temps serons-nous à l’Usine de Pokéballs ?
Le pilote improvisé jeta un œil au tableau de bord.
- Si ces volailles ne nous bloquaient pas la route, nous y serions dans moins de dix minutes, mais…
- OK, l’interrompis-je, fais ce que tu peux pour maintenir le cap, je m’occupe du reste.
- Sacha, qu’est-ce que tu comptes faire ?
- Je vais les tenir à distance, répondis-je simplement.
Malgré les vibrations incessantes de l’appareil, je réussis à atteindre l’une des portes latérales. M’équipant d’un harnais conçu pour empêcher les passagers de tomber, aspirés par l’appel d’air, j’ouvris cette fameuse porte. Le vent siffla aussitôt à mes oreilles, m’assommant presque par sa puissance.
- Tu es fou, morveux ! entendis-je hurler Miaouss. Ferme cette porte tout de suite !
- Les amis, à l’attaque !
Brutalibré et Sonistrelle s’élancèrent hors du vaisseau, suivis par Croâporal monté sur le dos de Flambusard. La bataille aérienne pouvait commencer.
Mes quatre Pokémon se divisèrent en groupes de deux, chacun prenant un groupe d’ennemis à part. Sonistrelle usa de ses ultrasons pour étourdir deux Rapasdepics, que Brutalibré envoya promener ensuite avec un pied Voltige bien placé. De leur côté, Croâporal et Flambusard avaient affaire à trois Airmures. Après les avoir aveuglés grâce aux Grebulles du batracien, l’oiseau put balayer ses adversaires d’une Nitrocharge.
Et moi, pendant ce temps-là, je déployais mes sens du mieux que je pouvais – le vent me cinglant le visage n’aidant pas – pour localiser les Sépiatroces. Si ces Pokémon étaient sous leur emprise, ils devaient bien se trouver quelque part, non ? Pourtant, je ne trouvai aucune trace d’eux.
En revanche, quelque chose me frappa dans les auras des Pokémon sauvages.
Je ne pus retenir un cri de stupeur. Impossible…
- Sacha, qu’est-ce qui se passe ? s’écria Serena pour couvrir les hurlements du vent.
- Ces Pokémon… Ils ne sont pas simplement hypnotisés. Ce sont des Pokémon Obscurs !
Sans laisser à Serena le temps de répondre, je détachai le harnais de sécurité, et attrapai les barreaux d’échelle fixés aux flancs de l’appareil. Ceux destinés à monter sur le toit.
- Qu’est-ce que tu fais ?! entendis-je crier Serena. Arrête reviens ! C’est dang-
Je n’en entendis pas plus. L’hydravion – ou peu importe ce que c’était – vira brusquement de bord, et un puissant courant me plaqua tout contre la peau métallique de l’appareil. Et ce n’était pas fini. L’engin monta, descendit, tangua à droite, à gauche, sans s’arrêter. Le vent hurlait à mes oreilles. Les alternances pression/dépression mettaient mes tympans au supplice, sans parler de mes poumons. Je n’arrivais même plus à respirer, alors même que l’air tourbillonnait autour de moi tel un dragon furieux.
Finalement, il y eut un temps mort, durant lequel ma perception des auras – le seul de mes six sens à fonctionner correctement à l’heure actuelle – m’apprit que Croâporal et Flambusard se trouvaient non loin.
Ils affrontaient un Airmure assez coriace. Le regard injecté de sang de l’oiseau de métal confirma mes craintes : ce Pokémon était bien sous l’emprise d’une Pokéball Obscur ! Tout comme Pikachu…
L’Airmure lança soudain Météores sur le duo. Croâporal sauta à temps, laissant à Flambusard la possibilité de piquer en vrille vers le bas. Un Vibraqua plus tard, et l’Airmure disparut, avalé par les nuages.
Mais alors que Flambusard s’apprêtait à récupérer Croâporal en plein vol, un Rapasdepic lui barra le passage, et l’assomma d’un coup de Bec Vrille. N’ayant plus aucun destrier pour le rattraper, Croâporal ne put que continuer à tomber. Mon cœur faillit s’arrêter de battre.
- CROÂPORAL ! REVIENS !
Vite, vite ! Le rayon rouge fusa de la Pokéball, en direction de Croâporal. « Il ne va jamais l’atteindre… ! »
Puis finalement, à mon plus grand soulagement, le laser réussit à capturer le batracien, qui fut aspiré dans la balle de fer. Je ne m’autorisai à respirer de nouveau que lorsque le poids de Croâporal se fit ressentir au creux de ma paume.
Mais ce n’était pas le moment de se laisser aller. A présent, je n’étais plus agrippé que par un bras à l’échelle, aussi mes chances de chuter à la prochaine bourrasque étaient élevées. Rattachant soigneusement la Pokéball de Croâporal à ma ceinture, je repris mon ascension, et arrivai enfin – et en un seul morceau – sur le toit du vaisseau.
Le vent y soufflait avec une force terrible. Je dus m’accrocher de toutes mes forces pour ne pas m’envoler. Au-dessus de moi, un Airmure et un Rapasdepic bataillaient férocement. Lorsque j’essayai de déterminer lequel de mes Pokémon les affrontait, je constatai que les deux volatiles étaient seuls à se battre. Il ne pouvait pas y avoir trente-six explications : soit ils étaient confus, soient ils avaient perdu la tête à cause de cette énergie noire qui émanait d’eux.
Mes yeux devinrent vite larmoyants à cause du vent glacial et cinglant ; seule l’aura me permettait de « voir » encore quelque chose.
De toute évidence, les Sépiatroces n’étaient pas dans les parages. Mais alors d’où sortaient ces Pokémon ? Et comment s’étaient-ils retrouvés possédés par l’énergie obscure des Pokéballs du même nom ?
Tout à coup, quelque chose s’écrasa lourdement juste à côté de moi. Effaré, je reconnus l’aura de Brutalibré. Heureusement, il semblait juste sonné ; une fois remis de ses émotions, il me toisa avec surprise. Il ne devait pas s’attendre à me trouver là.
- IL FAUT QUE VOUS SOYEZ PRUDENTS ! CES POKÉMON SONT INFECTÉS PAR L’ÉNERGIE OBSCURE !
Le vent couvrait hélas ma voix ; je n’étais pas sûr que Brutalibré m’ait entendu. Un flash rouge traversa soudain mes paupières closes. Rouvrant péniblement les yeux, j’aperçus entre les nuages Flambusard qui coursait deux Airmures. Si l’un d’entre eux succomba à sa Nitrocharge, le deuxième réussit à l’éviter, et ouvrit la gueule, préparant une attaque Luminocanon.
Et cette attaque visait le vaisseau.
~*~- Miaouss, essaye de faire attention ! Sacha est là-haut, tu risques de le faire tomber !
- Je fais ce que je peux !! s’énerva le félin. C’est déjà pas facile de manœuvrer ce tas de ferraille avec des piafs décérébrés collés aux basques, alors s’il tombe, tant pis pour lui ! Il n’avait qu’à pas jouer les acrobat-
Ils furent interrompus par une nouvelle secousse, due à un brusque courant ascendant, qui fit pointer le nez de l’appareil vers le haut.- Redresse ! ordonna Miaouss à la machine. Redresse, redresse, REDREEEESSE !
Le vaisseau revint enfin à la verticale, après plusieurs longues secondes rythmées par secousses incessantes. Mais alors que tous soupiraient de soulagement, Galopa poussa un hennissement d’avertissement.
- Quoi encore… ?
La question de Miaouss se mua en glapissement de terreur lorsqu’il vit ce qui les attendait. Un nuage noir. Un énorme nuage d’orage.
- Comme si on en n’avait pas déjà assez avec les Pokémon Obscurs…, voilà que la météo s’y met, maintenant.
Serena se pinça les lèvres. Les « Pokémon Obscurs ». Sacha avait utilisé ce terme tout à l’heure. Nul doute qu’il désignait les Pokémon affectés par l’énergie maléfique des Pokéballs Obscur.
« Mais si ces Pokémon sont vraiment des Pokémon Obscurs, alors est-ce qu’ils appartiennent finalement à quelqu’un ? A l’Homme Masqué, peut-être ? »
Tandis qu’elle se posait toutes ces questions, un mouvement à la périphérie du champ de vision offert par le cockpit attira l’attention de Serena. Un Rapasdepic venait de les dépasser par la droite. L’ayant également repéré, Miaouss crispa les pattes sur les manettes, sur le qui-vive.
Plus personne n’ouvrit la bouche. Tous les regards étaient rivés sur l’oiseau aux grandes ailes. Ce dernier tournoya quelques instants devant eux, apparaissant furtivement entre les filaments de nuages sombres.
Avant de subitement fondre sur eux.
Le fracas de la vitre se brisant en mille morceaux se coupla aux cris des passagers effrayés. Mais tous ces sons furent aussitôt avalés par l’appel d’air qui se créa, et qui les plaqua tous au sol.
Seul Galopa réussit à rester debout, furieux, et tenta de chasser l’oiseau d’un Lance-Flammes. Mais c’était peine perdue ; l’air aspiré empêchait toute combustion.
Soudain le Rapasdepic poussa un cri de douleur, et se cabra furieusement. Pour cause : le petit Sonistrelle s’était agrippé à son dos let lui mordait le cou de toutes ses forces ! Ecartant Serena et Miaouss d’un coup d’épaule, Galopa lui vint en aide et envoya le volatile dans le décor d’un coup de sabot bien placé. Le petit dragon lâcha sa prise, et rejoignit les bras de Serena, qui s’entendit à peine le remercier.
Les appels d’air cessèrent avec les mouvements de l’appareil, mais le vent continuait de s’engouffrer dans le cockpit, et les passagers durent hurler pour se faire entendre.
- EST-CE QUE ÇA VA ?! VOUS N’AVEZ RIEN ?
Miaouss était pâle comme la mort, et gardait les griffes profondément enfoncées dans le cuir de son siège. Siège qui comportait désormais un trou béant, juste au-dessus du pilote félin. S’il avait été un poil plus grand, ç’aurait été son crâne qui aurait été transpercé de la sorte par le bec effilé du Rapasdepic.
- J’ai pas signé pour ça…, psalmodia-t-il.
Voyant qu’il menaçait de s’évanouir, Serena secoua le pilote félin afin de le garder éveillé.
Puis tout à coup, une terrible déflagration déchira l’air. L’appareil vibra comme un gong, tandis qu’une alarme s’ajoutait au vacarme insoutenable.
- OH NON ! hurla Miaouss. LES RÉACTEURS ONT ÉTÉ TOUCHÉS !!
Le sang de Serena se figea dans ses veines. Par la vitre explosée du cockpit, elle put voir l’épaisse fumée noire crachant des braises de métal fondu s’échapper de l’aile droite de l’appareil. Non ! Si ça continuait comme ça, ils…
- LES COMMANDES NE RÉPONDENT PLUS ! hurla Miaouss comme en écho à ses pensées. ON VA S’ÉCRASER !!
Sonistrelle couina. Tout en le serrant contre elle, Serena sentit la peur lui nouer les entrailles. Que devaient-ils faire ? N’y avait-il plus aucun moyen de s’en sortir ? La jeune fille avait beau torturer ses cellules grises, la panique eut bien vite raison de son jugement.
Galopa, quant à lui, ne pouvait que regarder la peur déformer les traits de ses compagnons d’infortune, sans rien pouvoir y faire. Sentant le danger créer des fourmillements dans ses pattes, il darda ses yeux de braise partout, cherchant un moyen de survivre, lui aussi. Mais il n’y avait rien qu’il puisse faire. Leur sort était scellé.
A moins que…
- Ga-hiiiii !
Le hennissement de Galopa sortit brusquement Serena de sa torpeur. elle se dit que le cheval aussi devait comencer à paniquer… Quand ce dernier se précipita vers Miaouss, et l’attrapa par la peau du cou.
- HÉ ! QU’EST-CE QUE TU FAIS ?!
Sans lui laisser l’occasion de protester plus, l’équidé monta la chat sur son dos, avant de donner de petits coups de museau pressants à Serena.
« Qu’est-ce que tu veux faire… ? » Les mots furent incapables de franchir les lèvres de la jeune fille. Galopa s’était abaissé suffisamment pour qu’elle puisse monter sur son dos. Il continua de l’exhorter à coups de hennissements. Sonistrelle finit par babiller à son tour à l’intention de Serena, lui indiquant le cheval de feu. Bien qu’hésitante, Serena finit par se laisser convaincre. Quoique le Pokémon Feu ait en tête, il devait savoir ce qu’il faisait…
Sitôt qu’elle eut chevauché l’équidé, celui-ci se dirigea vers la porte latérale. Pour avoir vu Sacha l’ouvrir quelques minutes plus tôt, il sur parfaitement où apposer son museau.
La porte s’ouvrit, et une bourrasque s’engouffra dans l’appareil, le déséquilibrant plus encore.
- T’ES FOU ?!! s’écria Miaouss. SI TU SAUTES, TU VAS NOUS TUER !!
~*~Je voulus hurler, mais mon cri fut emporté par le vent. L’aile de l’appareil avait été réduite en charpie à cause de cet Airmure !
L’engin bascula soudain sur le côté, et je glissai sans pouvoir m’arrêter sur la surface lisse du toit. Alors que j’étais sur le point de basculer dans le vide, je réussis au dernier moment à m’agripper sur le bord légèrement relevé de la carcasse métallique. Mais je n’étais tenu que par le bout des doigts, et il était évident que j’allais lâcher dans pas longtemps. Les muscles tendus à craquer, j’osais à peine respirer, ne pensant qu’à une chose : remonter au plus vite.
Tout à coup, un cri perçant résonna au loin. Je sentis, à la limite de ma conscience, que quelque chose approchait. Et approchait à grande vitesse.
Brutalibré et Flambusard vinrent alors à mon secours. L’oiseau de combat me prit par un bras, tandis que celui de feu me saisit les épaules dans ses serres. Une bourrasque ascendante s’engouffra soudain sous mes vêtements, et me souleva presque, si bien que la partie haute de mon corps se retrouva à cheval sur le toit. Ignorant la sensation de glisse que me renvoyaient mes bras, je scrutai le ciel. Cette fois j’en étais certain : un autre Pokémon Vol avait rejoint notre espace aérien. Il était tout proche, désormais…
Mais où ? Tout autour, il n’y avait désormais plus que des nuages noirs d’encre, qui défilaient à toute allure à mesure que le vaisseau s’engageait dans cette énorme masse nébuleuse, dont l’air crépitait furieusement.
Flambusard poussa un cri d’alerte. Je perçus le problème avant le voir venir : deux Rapasdepics revenaient à la charge. Seulement, mes Pokémon ne pouvaient pas à la fois m’aider et combattre !
Tout à coup, le cri retentit de nouveau, plus proche, cette fois. Simultanément, un éclair illumina le ciel, rasant de très près le vaisseau. Eblouis, mes Pokémon et moi durent fermer les yeux, attendant un choc qui ne venait pas.
Lorsque je rouvris les paupières, les Rapasdepics avaient disparu. Tout comme les Airmures.
A la place, un immense Roucarnage nous surplombait.
Flambusard glapit. Lui aussi l’avait reconnu.
J’avais très froid. Le vent qui nous cinglait le visage était glacial. Mais les yeux rouges sombre de l’oiseau géant étaient encore plus glacés. Il hurla, d’un hurlement à déchirer les cieux, et piqua droit sur le vaisseau.
La suite ne fut qu’explosion. Brutalibré, Flambusard et moi furent balayés comme des fétus de paille.
~*~- ARRÊTE ! FAIS PAS ÇA ! J’VEUX PAS MOURIR !!
Galopa fit mine de ne pas entendre les beuglements du félidé cramponné à son échine. De toute manière, le vent étouffait la plupart de ses cris.
Tout comme il le déséquilibrait.
Fermement campé sur ses quatre pattes, Galopa usa de toute sa force pour ne pas être emporté par le tangage de l’appareil. Son regard était focalisé sur un point bien précis, situé à maintenant quelques mètres de leur position.
Un plateau rocheux, dont le sommet peinait à émerger des nuages bas.
L’opération était risquée, mais elle valait la peine d’être tentée. Le vaisseau perdait de plus en plus d’altitude ; s’ils ne faisaient rien, les passagers s’écraseraient avec lui. C’était leur dernière chance.
N’ayant pas aussi bonne vue que le Pokémon, Serena ne pouvait voir que la terre se rapprochait de plus en plus. Néanmoins, elle choisit d’accorder sa confiance au cheval. Ce qu’elle lui fit savoir en flattant doucement son encolure.
Fort de ce soutien silencieux, Galopa inspira à fond. Et, toujours sans quitter le plateau rocheux des yeux, sauta de l’appareil.
Le vent les fouetta avec violence. Pendant un long, long moment, la pesanteur semblait ne plus avoir d’emprise sur eux. Derrière eux, le souffle d'une explosion les propulsa encore plus avant. Ils volaient, littéralement.
Puis la gravité reprit ses droits. La chute fut brève. L’impact fut terrible.
Au loin, une déflagration déchira l’air. Mais Serena sombra dans l’inconscience avant de l’entendre.
~*~Lorsque je repris mes esprits, la seule chose que je vis fut le ciel, d’un gris sombre et menaçant, s’étalant sans fin au-dessus de moi. Mon cerveau ayant conservé le souvenir de la sensation d’apesanteur, je mis un temps à me rendre compte que j’étais de nouveau sur la terre ferme.
Enfin, pas exactement la terre ferme. Le sol n'avait rien de naturel ; on aurait dit le toit d'un bâtiment...
Puis tout me revint d’un seul coup. Le Roucarnage. L'explosion.
- Brutalibré ! Flambus-
Je me redressai vivement, un peu trop vivement, d’ailleurs. Mon corps était courbaturé de toutes parts, et protestait au moindre de mes mouvements. J’eus soudain le tournis.
Des voix de Pokémon se firent entendre tout près de moi. Soulagé, je reconnus mes deux Pokémon oiseaux. Ils avaient les plumes ébouriffées, mais en dehors de ça, ils ne paraissaient pas blessés.
- Vous savez ce qui s’est passé ? les interrogeai-je. Où sommes-nous ?
Dans le même temps, j'aperçus en contrebas les contours d’un jardin, décoré de statues représentant des Pokéballs. Les lieux réveillèrent des souvenirs familiers. J'étais déjà venu ici, il y a quelques temps.
« C’est… l’Usine de Pokéballs ? »
Incroyable. Alors on y était arrivés ? Nous étions arrivés à l’usine… ?
Utiliser le terme « nous » me fit penser à Serena et aux autres. Où étaient-ils passés ?
C’est alors que je le vis. Écrasé sur les hauteurs d'un plateau situé non loin de l’usine, sa carcasse métallique dégageant une épaisse fumée noire et feu. Le vaisseau. Quoiqu’il n’avait plus grand-chose d’un vaisseau. Il avait littéralement explosé en miettes.
Cette vue me paralysa. Je me souvins de Roucarnage fonçant sur l’appareil… Je ne devais sûrement mon salut qu’à l’aide de Brutalibré et Flambusard… Mais et Serena ? Et Miaouss, Galopa ? Et Sonistrelle ? Que leur était-il arrivé ?
- Ne me dites pas… Qu’ils étaient toujours à l’intérieur ? m’exclamai-je à voix haute.
Les deux oiseaux ne répondirent pas, les yeux rivés sur la carcasse fumante. La panique me broya le cœur. Non, pas possible… Je refusais de croire qu’ils aient pu y passer ! Ils devaient forcément avoir trouvé un moyen de s'éjecter à temps, ou...
Je secouai la tête. Ça ne servait à rien de se torturer l'esprit avec des spéculations. Le mieux était d'aller vérifier par moi-même.
- On doit les retrouver ! lançai-je à mes Pokémon. Ils ne doivent pas être bien loin !
- Encore en train de t’inquiéter pour tes amis ?
Je sursautai.
Cette voix… Métallique. Désincarnée. J’aurais volontiers tout donné pour ne plus jamais avoir à l’entendre de nouveau.
- Salutations, dit l’Homme Masqué. Cela faisait longtemps. Tu m’auras fait attendre… Sacha Ketchum.