Champ de Bataille de Hardcase

On se rue vers l'ascenseur. Les techniciens qui étaient dans la salle de contrôle n'ont pas eu la présence d'esprit de nous le renvoyer. Qu'à cela ne tienne, nous glissons le long du câble et, en un temps record, nous sommes en bas. Lorsque nous sortons, nous sommes au milieu d'une véritable hécatombe. Des corps plus ou moins mutilés gisent sur le sol dans des mares de sang. Rook vient au rapport: Cobaltium est parvenu a forcer le périmètre et a ouvert une brèche dans la clôture-laser de la base.

- Et merde! jure Teimar.

Mais ça n'est pas tout car nous recevons une transmission de la part de Cody: la base d'opération des Umbrellans a été localisée et celui-ci veut que nous nous préparions pour l'assaut final.

- Que faisons-nous, monsieur?

Teimar ne répond pas. La situation est grave. Cobaltium est dans la nature et nous avons ordre de marcher sur les Umbrellans. Si nous décidons de nous occuper du traître, la victoire finale est incertaine, ce qui risque d'éterniser encore plus les combats si l'assaut final échoue. Et si nous allons au front, Cobaltium passera à l'ennemi et révélera tout nos plans à venir, allongeant pour une durée conséquente le conflit et faisant de la bataille d'Umbrella une victoire pyrrhique.

- Dans combien de temps les canonnières seront là?

- Temps d'arrivée estimé à une heure. Un peu plus avec le terrain hostile.

Un peu plus d'une heure. Nous n'aurons jamais le temps de sortir pour traquer Cobaltium et de rentrer pour se préparer à l'attaque. Sauf... Sauf si nous divisons nos forces. Je me mêle à la conversation:

- Capitaine, je peux me charger de Cobaltium pendant que vous vous occupez des Umbrellans.

Teimar et les autres se tournent vers moi. Je lis la perplexité dans leurs regards.

- Vous avez vu de quoi il est capable? Vous n'avez pas la moindre chance.

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La forêt s'étend tout autour de moi. Je suis en alerte, à l'affût du moindre petit bruit suspect. Je fais attention à être bien camouflée et à être face au vent. J'ai finalement réussi à convaincre Teimar de me laisser Cobaltium. Il est très puissant, je le conviens. Lorsque nous l'avons attaqué dans la tour, j'ai compris que nous ne pouvions pas l'avoir de manière frontale. Il faut procéder autrement. Il faut procéder par ruse. L'attirer dans un piège, pour pouvoir ensuite lui régler son compte.

Ça fait plus d'une heure et demie que je suis partie de la base. L'assaut final a donc commencé. J'ignore comment se passent les choses là bas, mais j'espère sincèrement que nous obtiendrons la victoire. J'en ai plus qu'assez de cette région ténébreuse. Étant donné que nos effectifs ont été réduits par les combats ces derniers temps, tout le monde est parti, seule une équipe de maintenance restant sur place. Je dois donc procéder seule pour cette mission. Ce qui n'est pas pour me déplaire.

Je reste immobile à attendre ma proie. D'après Rook, Cobaltium serait parti en direction du nord. Vers les lignes ennemies donc. Cela dit, il peut très bien avoir changé de direction. Par chance, sa piste restait droite et, à en juger par sa fraîcheur, elle était récente. Très récente. Je réajuste la lunette de mon fusil de précision. Je n'aurai droit qu'à un seul tir. Une balle. Un mort. Sans quoi, il faudra passer au "Plan K".

La principale qualité du tireur d'élite est la patience. Il doit pouvoir rester pendant des heures immobile à attendre sa cible. C'est comme la chasse. Sauf qu'ici, les rôles peuvent être inversés à tout moment. Il suffit parfois d'un rien. Un simple coup de vent. Et la mission est terminée.

Cobaltium est un Pokémon de type Combat et Acier. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les armes à rayons sont efficaces contre ce type. Mais à une certaine distance, elles perdent en puissance d'arrêt. Il faut donc concentrer plus d'énergie pour augmenter la portée. Plus votre cible sera loin, plus il vous faudra d'énergie pour que votre tir soit létal. Et plus vos munitions partiront vite. Elles ont cependant un avantage qui est plus que non négligeable comparé aux armes à poudre: le projectile n'est pas soumis à la gravité, au vent, et à d'autres facteurs atmosphérique. Ce dernier est, en effet, immatériel. Mais cet avantage reste bien maigre. C'est pour cela que la majorité des snipers de l'Alliance ou de la Coalition ont opté pour des armes à poudre, pour la plupart de fabrication humaine, les armes à rayons étant reléguées à des engagements à moyenne ou courte distance.

Cobaltium apparaît au loin. Il est pile dans ma ligne de mire. Je ne presse cependant pas la détente. Les conditions optimales pour que le tir réussisse ne sont pas réunies. Je le laisse se rapprocher. Je procède à un dernier ajustement de ma lunette. Tout l'observant, je garde un œil sur les feuillages: ceux-ci m'indiquent en effet la direction du vent. Si jamais celui-ci tourne, il sentira mon odeur. Dans ce cas, ce sera au plus rapide de l'emporter. Car je ne suis pas dupe: il aura eu tout le temps d'augmenter ses stats entre-temps. C'est donc une véritable bête de guerre qui s'avance lentement face à moi. Sa démarche est prudente. Il est sur ses gardes. Il sait que nous n'allons pas en rester là et qu'il va être traqué. Je ne lis cependant pas le doute dans ses yeux. Il a même un léger sourire en coin de la bouche.

Le con.

Il nous a traité comme des machines depuis le début de l'invasion. Il n'a pas hésité à faire étalage de sa toute-puissance de Pokémon Légendaire face à nous. Il croit que sa puissance et ses capacités vont le garder en vie. Il s'avance à découvert au milieu des arbres et des fourrés, la lame hors du fourreau. Mais c'est trop tard.

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La poussière retombe. Le calme revient. La fumée se dissipe lentement.

Je sors de ma cachette. J'avance vers l'endroit où se tenait Cobaltium. Ce que je découvre alors est bien différent du Pokémon qui découpait sans effort les miens une heure plus tôt. Cobaltium gît sur le sol, étendu sur le flanc. Tout son arrière-train est couvert de plaies et brûlures. Sa queue et ses pattes arrières ne sont plus que des moignons noircis. Sa tête et son buste sont revanche mieux conservés. Bien que couverts d'une fine couche de poussière, on peut encore distinguer la couleur blanche de sa bavette et le bleu cobalt de son pelage.

Je n'avais pas les conditions optimales pour réussir mon tir. Et la rancœur que j'éprouvais à son égard m'empêchait de me concentrer pleinement. J'ai donc dû passer au "Plan K". K pour "Kapkan". Kapkan signifie "piège" en russe.

En s'avançant comme ça à découvert, Cobaltium s'attendait se faire sniper. Il savait que le tireur emploierait une arme à feu pour s'assurer de la létalité du tir. Il savait que les projectiles employés par ces armes sont beaucoup moins véloces que ceux d'une arme à rayons. Il aurait donc tout le temps de parer la balle, et d'éliminer le tireur, trahi par le flash produit par le tir. Il pensait être le chasseur. Sauf que non. Il a oublié la première règle de tout traqueur:

- Le vrai chasseur regarde toujours où il marche.

AP2 Kapkan. Plus connue sous le nom de M18A1 Claymore. Mine antipersonnel déclenchable à distance projetant des éclats de shrapnel dans un arc de 60°. La version produite sous licence à Kanto diffère de l'original par une modification de l'engin: la composition de l'explosif est ainsi faite pour que les shrapnels soient en fusion lorsqu'ils sont projetés et surtout, pour coller à la victime. De quoi percer n'importe quelle carapace. De quoi assurer la sécurité d'un sniper lorsque celui-ci voit sa position compromise.

J'aurais pu l'attaquer avec mes propres capacités de Pokémon, mais je me suis abstenue. Autant je remercie la nature de nous avoir dotés, moi les miens, de pouvoir tisser l'ombre et la lumière à notre guise, autant je lui envoie un bon gros doigt pour le reste. Pomper l'énergie vitale d'autrui via ses rêves, y a-t-il quelque chose plus horrible?

J'ai cependant du mal à croire ce que je vois: Cobaltium a survécu à l'explosion. Et puis c'est le déclic. Ténacité. Il se sera servi de cette capacité pour survivre. Il ouvre les yeux et tente de bouger ses pattes avant. Il me remarque. Il invoque sa Lame Sainte. L'attaque qu'il me décoche est si faible que je peux la parer à mains nues. Il murmure faiblement:

- Les snipers ne sont que des lâches.

Je ricane.

- Vous allez mettre ma tête à prix? Comme le Parti?

Le Parti... Ce nom m'évoque des souvenirs qui semblent remonter à une autre époque. Le Parti était une organisation terroriste aux idéaux radicaux qui voulait prendre le pouvoir dans la région de Pélonèse. Il y est parvenu. Mais c'était sans compter l'intervention de Kanto. Au cour de la guerre qui opposa ces deux régions, je me suis constitué un tableau de chasse dépassant allègrement la centaine de victimes. Cela m'a valu une flopée de surnoms de la part de mes coéquipiers et de mes ennemis. L'Ange de Déussopolis, la Légende, le Doigt Rouge ou plus simplement Vent. J'appréciais ce dernier. De par mes compétences, mes supérieurs m'avaient donné une liberté d'action considérable me permettant d'agir pratiquement à ma guise. Vent collait bien à mon statut. Libre comme le vent, mais entravée par les ordre comme le ferait le relief d'une montagne. Au revers de la médaille une prime de plus de 25 000 Pokédollars pour celui qui ramènerait ma tête. Je me souviens avoir arraché l'affiche sous les yeux de l'attroupement qui s'était créé autour et lui avoir lancé "Le double si vous parvenez à me ramener vivante!". Le Parti avait les moyens de m'éliminer. Ses ressources monétaires étaient considérables et de nombreux mercenaires entraînés combattaient dans ses rangs. Plusieurs d'entre eux ont tenté leur chance contre moi. Je pense qu'il n'est pas utile de vous dire comment ça s'est terminé pour eux...

Cobaltium me toise d'un regard de pure haine. Il me hait. Il hait les miens. Et il se hait pour s'être fait avoir de cette façon.

- Toi et les siens n'êtes que des aberrations. Vous n'auriez dû jamais voir le jour.

- Et pourtant...

Je plaque sa tête au sol d'un coup de pied. J'empoigne sa Lame Sainte. Contrairement à ce que je pensais, ça n'est pas une lame faite d'énergie, mais de métal. Je pose mon pied sur sa tête et je tire sur la lame. L'ensemble résiste un moment puis cède. Je me coupe légèrement dans l'opération. Sacré fil.

- Jolie lame. Je vais peut être me nettoyer les ongles avec...

Mon regard descend sur Cobaltium. Son regard s'est voilé, mais la lueur de haine y brille toujours. Je fixe sa lame.

- J'espère que ton successeur sera digne de la porter.

Il expire. Cette fois, il est mort. Et il a emporté avec lui les raisons de sa trahison. Peut-être a-t-il voulu rejoindre l'autre camp de par la présence d'un des siens. Peut-être pensait-il pouvoir donner un avantage certain à l'Alliance, et renverser le cour de la guerre, celui-ci étant en notre faveur. Qui sait... De toute façon, je m'en moque. Parfois, on peut se permettre de ne pas connaître les réponses de certaines questions.