Chapitre 02 - Gros lot
Koume
La nuit avait été courte. Bénéfique, certes, mais trop courte pour rattraper cinq nuits de semi-sommeil. Et le décalage horaire n'aidait en rien. J'avais l'impression de n'avoir fermé les yeux qu'un court instant quand les agents de sécurité étaient passés dans les rangs pour nous réveiller. Sakura et Satsuki n'avaient pas caché leur mécontentement, tandis que Sumomo tentait de les apaiser, ne désirant probablement pas qu'on nous remarque d'avantage. Tamao, quant à elle, était déjà levée et prête à sortir.
- Laissez-moiiiii…, supplia Sakura en serrant son oreiller contre sa tête. Je veux dormir encore… Allez-y sans moi.
- Tu veux encore dormir ??, s'exclama Satsuki, qui avait clairement repris du poil de la bête par rapport à hier soir. Non mais vous l'entendez ? La fille elle a dormi pendant presque tout le voyage et elle a sommeil ! Et nous, on doit dire quoi, hein ?
Pour toute réponse, notre plus jeune sœur envoya son oreiller dans la face de Satsuki. Elle allait répondre mais Tamao posa une main sur son épaule, lui signifiant d'arrêter. Dépitée, elle lâcha son arme moelleuse et pesta intérieurement. C'est drôle de dire que Satsuki faisait quelque chose « intérieurement », parce que son visage était comme un livre ouvert sur ses émotions ; elle ne savait rien cacher (ce qui était un peu ironique, étant donné que c'est elle qui avait le plus tendance à mentir). Pour ça, on était très différentes elle et moi.
Un mouvement de foule vers l'extérieur commença à se faire ; Satsuki attacha rapidement ses cheveux avec sa pince, comme elle avait l'habitude de le faire, et nous nous joignîmes à la foule.
Une fois dehors, la première chose que je remarquai c'était la température un peu fraîche et la fine brume qui enveloppait la ville. C'était comme chez nous en cette période ; le mois de Septembre était celui des premières brumes matinales à Naljo, et Johto n'échappait pas à la règle. Dans le ciel d'un mauve ensorcelant, le soleil commençait à peine à se montrer.
Les barrières avaient été redisposées pendant la nuit et nous menaient maintenant à une grande et belle plage, sur laquelle on pouvait observer quelques pokémon ; certains avaient des pinces, plus ou moins grosses, tandis que d'autres avaient la forme d'une étoile, avec une gemme au milieu, qui s'illuminait à intervalles réguliers. Outre ces quelques êtres vivants, il n'y avait pas la trace d'un être humain (si on ne comptait pas les 350 Naljiens, bien évidemment).
Le mégaphone nous transmit un nouveau message :
« La plage vous est mise à entière disposition pour une heure. Profitez-en pour vous rafraîchir et vous rendre présentables. Vous retournerez ensuite au hangar où l'on vous distribuera des numéros ; ils seront votre ordre de passage à l'exposition, qui commencera à 8 heures précise. Bonne journée, en espérant que la chance soit de votre côté. »
Il ne fallut pas nous en dire plus pour que nous courrions nous jeter dans la mer ; nous en avions bien besoin, après six jours enfermées avec 345 autres personnes dans une cale, où aucun sanitaire n'était à disposition. Entrer dans l'eau glacée me fit le plus grand bien, sentir le sable mouillé sous mes pieds me rappela la rivière de notre village natal, où nous allions prendre nos bains et nettoyer nos vêtements.
Je m'inquiétai toutefois de l'état dans lequel nous laisserions l'eau ; 350 personnes sales, allant ensemble dans la mer au même moment, n'y aurait-il pas des conséquences sur l'écosystème ?
J'eus vite une réponse à mon inquiétude :
- Regardez, s'exclama Sakura. Regardez comme c'est joli !
L'eau s'illuminait par endroit d'une douce lumière rosée, et elle en sortait comme purifiée de toute la crasse que nous avions amenée avec nous. En observant de plus près, je compris que ce spectacle n'était autre que l’œuvre de pokémon ressemblant à des coraux. Les pokémon étaient vraiment des créatures magnifiques, en parfaite harmonie avec leur environnement. Cette vision me remplit d'une douce sérénité qui me permit de profiter encore plus de ce bain improvisé. Le fait que l'eau était froide ne nous dérangeait pas le moins du monde. Nous y étions habituées après tout ; à Naljo, le seul moyen d'avoir de l'eau chaude était de la chauffer sur un feu, les bains froids étaient donc monnaie courante. Nous n'avions droit qu'à un bain chaud quand nous étions souffrants, pour que la maladie s'en aille plus vite.
Une fois le temps du bain passé, nous dûmes rejoindre le hangar où chacun reçut une serviette ainsi qu'un vêtement un peu plus présentable que les haillons que nous portions tous ; je reçus, ainsi que toute les filles et femmes présentes, une simple robe en toile, un peu courte pour ma taille (je devais avoir été classée dans la même tranche d'âge que Sakura, vu que mes aînées avaient toutes une robe plus grande que la mienne, qui leur seyait parfaitement). Les hommes, quant à eux, reçurent uniquement un pantalon, ce qui offrait un spectacle pas toujours agréable à voir (entre les vieux velus, les grands grassouillets et les fins freluquets, rares étaient les hommes au corps bien dessiné, comme ceux dont j'appréciais faire le portrait à Naljo… Mais je m'égare).
- Je savais que j'aurais dû emporter ma brosse, soupira Sumomo. Je vais avoir des nœuds…
- On aurait dû toutes se faire la coupe de Koume avant de partir, plaisanta Tamao. Aucun problème de nœuds, et séchage rapide en prime.
Je souris à la blague qui fit rire mes trois autres sœurs. Tamao m'avait coupé les cheveux à la garçonne il y a de cela deux ans, parce que je jouais trop avec, me cachant derrière (vive ma timidité…), et, à force, ils commençaient à tomber.
« J'ai la solution parfaite à ce problème ! », s'était-elle enjouée. « On va te les couper comme ceux des fils du voisin, comme ça tu ne pourras plus ni jouer avec, ni te cacher derrière. On fera d'une pierre, deux coups ! »
D'abord réticente à l'idée, j'avais tenté d'échapper aux ciseaux de Tamao et Satsuki ; deux jours durant, ma vie s'était transformée en un cache-cache pour sauver mes longs cheveux (j'ai même passé une nuit dans la forêt !). Évidemment, au bout du troisième jour, fatiguée de fuir, j'avais finalement cédé et accepté qu'on me les coupe. Depuis lors, je les ai toujours gardés à cette longueur ; ils me plaisaient bien comme ça, et puis ça me distinguait un peu de mes sœurs (un peu d'originalité ne fait de mal à personne).
- Pour que je ressemble encore plus à Sumomo ? Non merci, ricana Satsuki qui n'en ratait pas une pour taquiner sa jumelle.
Pour toute réponse, cette dernière tira affectueusement la langue à sa semblable.
- Bon, les filles, dit Tamao, soudain plus sérieuse, vous avez toutes votre ordre de passage ?
Nous acquiesçâmes toutes les cinq en montrant le carton qu'on avait trouvé avec nos vêtements. Sur chacun d'entre eux avait été inscrit un numéro. J'avais le numéro 54. J'observai ceux de mes sœurs ; Tamao avait le numéro 51, les jumelles les numéros 52 et 53. Sakura, en toute logique, avait reçu le numéro 55. C'était un bon tirage ; nous passions dans les premières, ce qui nous donnait plus de chance d'être choisies à ce port-ci (et nous évitait donc un autre voyage dans des conditions pas très enviables). Restait plus qu'à savoir si nous allions être choisies ensembles, ou séparées.
L'heure qui sépara le début de la vente et notre passage me parut la plus longue de ma vie.
« 46 et 47, un joli couple mesdames et messieurs ! »
Plus on avançait dans les numéros, plus mon cœur battait fort.
« 48, un homme massif, parfait pour porter de grosses charges ! »
Mon corps tremblait de partout et je n'arrivais pas à le contrôler ; je stressais. Mais pas le petit stress que j'avais quand j'allais déposer une commande à un voisin, ou que je demandais mon chemin à un inconnu, non. Le bon gros stress tétanisant, qui me donnait l'impression que je pouvais m'évanouir à tout instant.
« Alors celle-là, c'est la perle rare ! Messieurs, voici le numéro 49 : elle est belle, grande et bien élevée. Vous ne voulez pas rater une occasion comme celle-ci ! »
Je soupirai. Étions-nous des animaux, pour qu'ils se permettent de parler de nous ainsi ? Se rendent-ils compte que nous ressentons des choses ? Que nous sommes humains, comme eux ? Des humains qui se sont vendus, certes, mais des humains quand même.
Entre mon indignation et mon stress, mon cœur ne savait plus où donner de la tête, et la mienne commençait à me tourner. Tamao, qui avait probablement ressenti mon trouble, posa ses deux mains sur mes épaules et m'embrassa sur le front.
- Ça va aller, ne t'inquiètes pas.
Elle nous appela toutes et nous nous enlaçâmes comme si c'était la dernière fois.
- Les filles, nous dit-elle, sachez que quoi qu'il arrive, je vous aime très fort. Quoi qu'il arrive, je veux que vous soyez fortes. Pour nous, pour les parents et surtout pour vous-même. D'accord ?
Nous hochâmes la tête à l'unisson, les yeux humides et le cœur serré. J'avais envie de vomir.
« 50, un jeune homme bien portant et en parfaite santé ! »
Je sentais que mes jambes pouvaient me lâcher à tout moment, que je pouvais fondre en larmes n'importe quand, mais je me forçais à tenir : il fallait que je sois choisie avec mes sœurs, il le fallait absolument. Pour rien au monde je ne retournerais dans ce bateau, dans cette cale puante, dans ces...
« Attention mesdames et messieurs, c'est maintenant ce que nous pourrions appeler le point culminant de cette vente ! Pourquoi, me demandez-vous ? Et bien simplement parce que ce ne sont pas une… pas deux… pas trois… pas quatre… MAIS CINQ JOLIES JEUNES FEMMES que vous pourrez emmener avec vous ! Mais pas besoin de vous disputer avec votre conjointe, rien ne vous empêche de n'en choisir qu'une seule. Voici pour vous, en exclusivité ici à Oliville en cette belle matinée de septembre… Les numéros 51, 52, 53, 54 et 55 !! »
Le crieur, une homme insupportable à la coupe hirsute, nous fit signe de monter sur la scène qui avait été installée à côté du hangar. Voyant bien que mes jambes ne se décidaient pas à bouger, Sumomo mit ma main dans la sienne et m'emmena avec elle.
À cet instant précis, j'aurais tout donné pour pouvoir me cacher derrière mes cheveux.
***.***
Sakura
Nous entrâmes sur la scène et quand je vis l'immense groupe de spectateurs qui nous faisait face, mon cœur se mit à battre de plus belle. Heureusement que le monsieur qui présentait était là ; il me faisait rire avec son costume rose flash et toutes ses gesticulations. Sans lui, je pense que mon cœur aurait explosé (et je ne parle même pas de Koume qui serait probablement morte à l'heure qu'il est).
Cette situation me rappela un spectacle que j'avais fait à l'école du village quand j'étais petite ; j'y jouais le rôle de la fleur magique qui soignait les malades. Ça m'avait beaucoup plu : les chants, les danses, et surtout les applaudissements à la fin. Maman avait été très fière de moi. J'aurais aimé continuer à aller à l'école, je m'y amusais bien, mais j'ai été forcée d'arrêter l'année passée parce que j'entrais dans l'école des grands (« supérieure » comme mes parents disaient) et qu'elle était payante. Toutes mes sœurs avaient eu droit à la même chose, juste l'école des petits pour apprendre les bases : la lecture, l'écriture, les calculs et un peu d'histoire. Bref, là n'est pas le sujet. Tout ça pour dire que la situation, bien que stressante, me plaisait assez.
- Alors, chers amis, reprit le présentateur, ne sont-elles pas jolies ? Elles savent toutes lire, écrire, chanter et danser ! Et je ne vous ai pas tout dit ! Nous vous offrons une réduction très intéressante pour ces cinq demoiselles : pour le prix de trois, vous pourrez emmener les cinq ! N'est-ce pas merveilleux ?
Dans le public, des applaudissements retentirent. Je savais pas si je devais saluer ou rester plantée là à ne rien faire. Je me contentai donc de faire coucou aux gens en souriant. Mes sœurs, quant à elles, ne bougeaient pas et avaient l'air assez gênées. Surtout Koume, qui était encore plus pâle que d'habitude (en même temps, c'était pas son truc, les présentations publiques).
Très vite, plusieurs bras se levèrent, indiquant les intéressés. Parmi eux, je pus apercevoir une grosse dame avec plein de couleurs sur le visage, un petit monsieur habillé en noir et blanc avec un drôle de chapeau et une canne, un autre monsieur, un peu plus jeune que l'autre, en t-shirt jaune et salopette, et une femme pas très souriante qui était aussi fine qu'un squelette (je peux le dire, parce que j'ai déjà vu un squelette en vrai, mais il ne faut pas le dire).
- 2000 pokédollars, dit simplement cette dernière.
- 2500, cria la plus grosse.
- 3000, surenchérit l'homme à la salopette.
- 7500, pour chacune d'elles.
Tout le monde se tourna vers l'homme au chapeau et à la canne ; il jouait avec sa moustache, un sourire vainqueur sur le visage. Il s'avança vers la scène, accompagné d'un Naljien qu'il avait déjà acheté : c'était un grand homme qui avait vraiment beaucoup de poils sur le corps (probablement qu'ils avaient décidé de pousser là plutôt que sur sa tête). Il avait, lui, un sourire méchant sur son visage, le genre de sourire que quelqu'un fait quand il a une mauvaise idée derrière la tête. Quand Satsuki l'aperçut, elle eut un petit mouvement de recul. Bizarre, ça ne lui ressemblait pas.
- C… comment ?, demanda le présentateur à la houppette blonde. Autant ?
- Vous m'avez entendu.
Mes sœurs et moi échangeâmes un regard étonné. D'un côté, c'était chouette, puisqu'une partie de la somme récoltée allait directement dans les mains de nos parents à Naljo, ce qui allait être d'une grande aide pour les soins de papa, et puis nous n'allions pas être séparées, mais de l'autre, je me demandais pourquoi cet homme était prêt à donner autant d'argent pour nous. Le vilain velu avait sûrement quelque chose à voir là-dedans, vu le regard qu'il lançait à Satsuki. Qu'est-ce qu'il lui voulait ?
- Mais M-monsieur, balbutia l'homme au costume rose, vous pouvez bénéficier de l'offre…
- Je suis parfaitement au courant de l'offre, Monsieur Conti. Je désire tout de même acheter chacune de ces demoiselles pour 7500 pokédollars l'unité.
Je lançai un rapide coup d’œil aux trois autres personnes qui avaient proposé des prix ; ils s'étaient réunis et avaient l'air de se concerter. Que préparaient-ils ? Trop de questions trottaient dans ma tête, et cette dernière commençait à me faire mal.
- Bon… Eh bien puisque vous offrez si généreusement une si jolie somme… Soit. Pour un total de 37 500 pokédollars une fois… 37 500 pokédollars deux fois… 37 500 pokédollars…
- Je demande un achat par combat !
Étonnement général dans le public qui se retourna vivement vers le monsieur à la salopette qui avait crié ça. Derrière lui, les deux femmes acquiescèrent.
- Je suis, dit l'une.
- Pareillement, poursuivit l'autre.
La tête que faisait le présentateur à ce moment me fit pouffer de rire. Mes autres sœurs, elles, avaient plutôt l'air perdues. Il y avait de quoi en soit… Qu'est-ce que c'était donc qu'un « achat par combat » ?
Le monsieur au chapeau, d'un coup, faisait moins le malin.
- Excusez-moi, monsieur, interrogea-t-il, mais en quel honneur demandez-vous ce combat ?
C'est la grosse femme fort maquillée qui répondit ; elle évoqua le fait qu'ils s'étaient concertés et qu'ils trouvaient injuste le fait que l'homme le plus riche de Johto puisse se permettre d'acheter autant de Naljien qu'il le désirait, d'autant plus qu'il en avait déjà un. Le présentateur hocha la tête.
- Un achat par combat a été demandé par trois personnes, je me vois dans l'obligation de vous forcer à y participer si vous désirez repartir avec ces demoiselles.
Le petit moustachu soupira et accepta à contre cœur le combat. Qu'est-ce qu'ils entendaient par « combat » d'ailleurs ? (Et voilà, une question de plus… On en finit plus).
Le présentateur reparti dans ses drôles de gesticulations et désigna la plage toute proche :
- Achat par combat ce sera donc ! Rappelons les règles, voulez-vous ? Les différents partis ayant réclamé le combat feront s'affronter un pokémon chacun dans une bataille royale. Le prix de la participation s'élève à la dernière somme proposée par chacun. Tout l'argent sera envoyé directement à la société qui vous fournit ces jolies demoiselles. La dernière personne ayant un pokémon apte à se battre sur le terrain remporte le combat et repart avec le gros lot. Les conditions sont-elles claires ?
Les quatre personnes hochèrent la tête et sortirent l'argent nécessaire à leur participation : si je comptais bien, il y en avait au total pour 45 000 pokédollars. Ça faisait un gros paquet d'argent, et ça aiderait très certainement nos parents. J'échangeai un regard avec Tamao qui me prit dans ses bras. Sumomo, Satsuki et Koume se joignirent à nous : nous n'allions pas être séparées. Cette dernière avait reprit des couleurs et Sumomo pleurait de joie, sûrement le stress qui redescendait.
Le présentateur nous invita à nous rendre sur la plage où aurait lieu le combat. J'étais excitée comme une puce ; j'allais enfin voir un match pokémon en vrai. Les quatre dresseurs se mirent en position et sortirent chacun une sphère rouge et blanche de leur poche : une pokéball. Ces petits objets magiques qui pouvaient contenir des pokémon bien plus grands qu'eux existaient donc vraiment ? J'avais hâte de les voir à l'action, ainsi que ce qu'elles renfermaient.
La madame qui faisait peur envoya sa pokéball la première, en appelant un certain « Cornèbre » : c'était un pokémon avec des plumes noires et un bec crochu. Pas un très bel oiseau…
La grosse dame, elle, invoqua un « Cochignon », une grosse bête aux poils bruns. Il avait l'air doux et chaud, mais ses petites cornes n'inspiraient rien de bon.
Le monsieur à la salopette s'en remit lui à « Tauros » : un pokémon massif et cornu, à la triple queue qui fouettait sauvagement l'air. Pas des plus sympathiques, lui non plus.
Enfin, le petit moustachu libéra de sa sphère une grosse bête orange à la fourrure beige, avec des rainures noires sur le corps. Il ressemblait au pokémon que l'un des agents de sécurité qu'on avait vu hier possédait, mais en plus gros. Il l'avait appelé « Arcanin ».
Aucun des quatre pokémon n'avait l'air rassurant, et je m'inquiétai ; que faisaient-ils des pokémon mignons comme ceux qu'on avait vu ce matin dans l'eau ou hier dans le ciel ?
Un coup de feu me sortit de mes pensées et le match débuta.
***.***
Tamao
Au coup de feu, qui me surprit, trop absorbée par la vision de ces créatures spectaculaires, les quatre pokémon se mirent à bouger, en écoutant les ordres de leur dresseur respectifs. C'est l'oiseau noir, le Cornèbre si j'avais bien compris, qui attaqua le premier en fondant rapidement sur le gros pokémon velu qui préparait une attaque devant son groin. Grand mal lui prit, car la sphère lumineuse que le Cochignon avait créée lui explosa en pleine face. Cornèbre n'en ressortit pas indemne et ne put éviter le jet de flammes que cracha l'Arcanin.
- Cornèbre, Atterrissage !
L'oiseau se posa au sol et eut l'air de récupérer ses forces. C'est cet instant que l'homme à la salopette attendit pour ordonner à son pokémon de lancer Séisme. Le Tauros frappa sauvagement le sol des ses sabots ; il se mit à trembler et secoua tout les pokémon présents (et les spectateurs aussi, au passage). Le pokémon de la femme squelettique ne se releva pas ; elle était donc la première éliminée. Elle rappela son Cornèbre en soupirant.
Cet événement n'influença en rien les autres dresseurs qui se battaient toujours violemment : Cochignon s'était mis à mitrailler l'évolution du pokémon de l'agent de petites boules de boues que ce dernier évitait en courant. La pluie de boue ne cessa que quand Tauros chargea le Cochignon de toutes ses forces, ce qui, aussi incroyable que ça puisse paraître, l'envoya valdinguer dans les airs. Le malheureux, incapable de faire quoi que ce soit, fut intercepté en plein vol par Arcanin, entouré de flammes. Il s'écrasa dans le sable et, lui non plus, ne se releva pas.
- Ça se joue donc entre vous et moi, commenta l'homme en costume. Ne croyez pas vous en sortir facilement, je ne supporte pas les gens qui tentent de se mettre en travers de mon chemin. Les misérables comme vous, je les écrase.
Cette phrase n'eut d'autre effet que de faire rire l'homme à la salopette.
- Essayez donc pour voir, mon bon m'sieur. C'est pas parce que vous êtes le maire de Doublonville que vous d'vez me sous-estimer. J'ai grandi à la dure, moi. Ce Tauros, j'l'élève depuis qu'il n'est qu'un œuf. J'étais qu'un tcho gamin quand il est né, c'est moi qui lui ait tout appris. C'est la bête la plus costaude de ma ferme, et c'est pas un titre qu'on donne à la légère chez nous. Maintenant, si vous voulez bien, j'ai promis à ma femme que j'rentrerai pas trop tard, j'ai les Ecrémeuh à nourrir. Tauros, Lame de Roc !
Le maire de Doublonville pesta et ordonna à son pokémon de contrer les projectiles rocheux en usant de Queue de Fer. Le pokémon du fermier profita de cet instant pour frapper le sol à nouveau, déclenchant un nouveau Séisme, cette fois uniquement sur Arcanin qui ne put l'éviter. Le majestueux pokémon n'en ressorti pas indemne.
J'étais complètement absorbée par ce qui se passait. Outre le fait que notre futur à mes sœurs et moi se jouait, ce spectacle était totalement envoûtant et me faisait vibrer. À côté de moi, je pouvais sentir Satsuki et Koume frémir, passionnées elles aussi, tandis que Sumomo et Sakura avaient les yeux qui brillaient d'admiration. Tout ceci me donnait du baume au cœur ; le stress de la journée redescendait un peu. Bientôt, nous saurions qui du petit homme riche ou du fermier allait être notre propriétaire. C'était bizarre de dire ça, « propriétaire ». Mais appelons un chat, un chat, c'était ce que l'un d'eux allait devenir. À choisir, je ne sais pas trop lequel me tentait le plus… L'homme riche était une option intéressante, certes, mais qu'est-ce qu'il ferait de nous ? Des servantes ? Des esclaves ? Peut-être pire… Et puis, le Naljien qu'il avait déjà acheté ne m'inspirait rien de bon, vu les regards qu'il lançait à Satsuki.
Une explosion me sortit de mes pensées ; la sphère d'eau qu'avait envoyée le Tauros du fermier avait explosé au contact du jet de flammes de son adversaire. En résultat un gros nuage de vapeur qui recouvrit le terrain.
- Aurore, Arcanin !
Il se stabilisa et se mit à briller dans la brume, recouvrant ses forces. Ça aurait été chose faite si Tauros n'avait pas envoyé pas une nouvelle salve de pierres aiguisées qui vinrent frapper de plein fouet le pokémon du moustachu, incapable de les éviter. Il s'écroula sous l'impact de l'attaque. Un nouveau coup de feu retentit, signant la fin de l'affrontement.
- Et nous avons un vainqueur !!!, s'extasia l'irritant crieur. Quel combat magnifique ! Vous nous avez offert un spectacle splendide ! Monsieur, venez donc me rejoindre sur la scène et saluer ces cinq jolies demoiselles que vous emmenez avec vous aujourd'hui ! Pour les malheureux perdants, ne vous inquiétez pas, vous avez droit à un lot de consolation : vous pourrez acheter un Naljien à moitié prix ! Vous m'entendez, à MOITIE PRIX ! N'est-ce pas fantastique ?
La foule applaudissait sauvagement les dires répugnants de cet homme : comment osait-il parler d'êtres humains de cette manière ? J'avais envie de lui dire ses quatre vérités, mais ça serait malvenu. À côté de moi, je sentais Satsuki qui bouillonnait, mais Sumomo était à côté d'elle, l'apaisant comme elle savait si bien le faire.
L'homme qui avait gagné le combat nous rejoignit sur scène, il tenta une approche dans notre direction mais le crieur l'intercepta au passage.
- Alors, dites-moi mon bon monsieur, qu'est-ce que cela fait de se savoir propriétaire de ces cinq merveilleuses créatures ? Qu'allez-vous donc en faire ?
- J'suis très content, j'étais venu pour trouver des bras supplémentaires pour m'aider à la ferme. Cinq personnes, c'est vraiment bien mieux que c'que j'imaginais. Maintenant, c'est pas tout ça, mais j'ai ma femme qui m'attend. J'embarque ces demoiselles et j'rentre chez moi, bonne journée.
Il nous fit signe de le suivre et quitta la scène sans tarder, laissant le crieur bouche bée. Nous fîmes de même, et je dû me retenir de frapper l'homme au costume rose pour la façon dont il parlait de nous. Satsuki, elle, se contenta de lever un majeur vindicatif au Naljien qu'avait déjà acheté le maire de Doublonville. Action que Sumomo dissimula le plus rapidement possible. J'espère qu'il n'a rien vu, je ne voudrais pas qu'elle se fasse des ennemis en plus des agents de sécurité de la ville.
Nous suivîmes l'homme en salopette jusqu'à l'entrée d'Oliville, ce qui nous permit d'apprécier la beauté des constructions locales ; les rues étaient cependant désertes et d'un calme plat, toute la vie s'étant agglutinée autour du hangar. Au loin, on pouvait toujours entendre les cris exaspérants du crieur.
« Numéro 58, il est vieux, mais d'une intelligence rare ! »
Une fois hors de la ville il nous indiqua une charrette.
- Asseyez-vous dedans, vous d'vez être exténuées par vot' voyage et avec tout ce bazar de vente aux enchères. J'suis pas fan de toutes ces mises en scène, mais c'est le seul moyen qu'on ait pour trouver de la main d’œuvre efficace, comprenez ? Au fait, j'm'appelle Doug. Doug Harrys. J'suis l'propriétaire de la ferme Meumeu, grande productrice de Lait Meumeu, j'sais pas si vous en avez déjà entendu parler ?
Je secouai la tête, ainsi que mes sœurs, signe que nous n'avions jamais entendu parlé de ce « lait meumeu ». Il sourit.
- Bwoh, c'pas grave. J'vous f'rez découvrir tout ça en temps et en heure. Pour l'instant, j'veux juste savoir vos noms, histoire de pas vous appeler par vos numéros, comprenez ? Oh et puis y a rien qui presse ! Vous savez quoi ? On a une bonne heure de route jusqu'à la ferme, reposez-vous dans ma cariole, ça vous f'ra du bien. Vous nous raconterez un peu vot voyage et votre histoire à ma femme et moi autour d'un bon repas. Et vous inquiétez pas, elle est gentille, elle f'rait pas d'mal à une mouche ! Puis c't'un fin cordon bleu, ma femme ; son gratin, bon dieu Arceus, c'est un régal ! Bref, j'vous embête pas plus, montez et on est parti.
Doug appela Tauros hors de sa pokéball et l'attela à la charrette. Il prit les rênes et fit démarrer son pokémon une fois que nous fûmes toutes installées. Mes sœurs ne mirent pas longtemps à s'endormir, bercées par le crissement des roues sur le chemin. Moi, j'étais rassurée : notre nouveau propriétaire avait l'air d'être un homme sympathique et compatissant, plein de bonnes intentions.
Nous allions donc vivre et travailler dans une ferme, aux côtés de pokémon. L'idée me plaisait assez. Je ne tardai pas à rejoindre mes sœurs au pays de Morphée, un sourire serein sur le visage.
Notre nouvelle vie commençait maintenant.