Ch 12 : Un nouvel espoir
Le blocus maritime placé au sud de Kanto se compose d’une flotte armée de taille raisonnable, arpentant les flots sans cesse, afin de dissuader quiconque d’entrer dans la zone Rocket.
En outre, les sbires placés sur les bateaux ont pour mission de surveiller le ciel et la mer à la recherche du moindre intrus et d’alerter le QG en cas de problème.
Juste après l’Assaut sur Kanto, une frappe aérienne a été organisée pour vaincre la Team Rocket. Un vrai carnage. Le monstre de Giovanni s’est téléporté en l’air et a détruit les quinze chasseurs en plein vol.
Cela fera une super scène bourrée d’effets spéciaux, dans dix ou quinze ans, quand quelqu’un se décidera à adapter l’Assaut en film. Toutes les histoires finissent toujours par arriver au cinéma. Ce sera peut-être même une triologie…
Bref, le moyen le plus sûr pour pénétrer dans Kanto reste la mer.
Cela fait à présent deux heures que j’ai quitté Bourg Geon. Je porte une combinaison bleue, ainsi que le matériel de plongée nécessaire. Mes affaires (vêtements, Pokéballs, bombe) sont rangées dans un sac ventral étanche qui gêne un peu mes mouvements.
Autour de moi, je compte sept Tentacruel dressés par la Ligue, qui m’entourent pour dissimuler ma présence. Sur les bateaux du blocus, les sbires préposés à la surveillance radar ne voient qu’un banc de Tentacruel.
En cas de besoin, les Pokémon peuvent me défendre ou m’assurer la fuite. Je me dis que l’expérience serait plus fun avec un banc de Froussardine.
Ce silencieux voyage sous-marin sous les lignes ennemies me permet de me livrer à une séance d’introspection. Un fait m’apparaît clairement : mes Pokémon me manquent.
Chewy, Trollface et Venceslas sont attachants, mais l’absence de mes compagnons d’autrefois, ceux de ma réalité, se fait sentir. Je m’en suis rendu compte la veille en quittant la S-GTS. Je possédais quatorze Pokémon chromatiques, je n’en ai plus un seul.
Mon attrait pour les créatures rares et puissantes n’influe en rien sur les liens que je tisse avec mes Pokémon. Néanmoins, j’ai les boules en songeant à la centaine de Pokémon exceptionnels que je ne détiens plus. Il y avait tout de même deux légendaires parmi eux, ainsi qu’un Pikachu délirant capable d’utiliser Vol !
Que dire d’autre ? Je ne me trouve pas dans une position des plus agréables. Accroché à un Tentacruel, les bras tendu, je ressens des raideurs dans tout mon corps. Ma nécrose ne facilite d’ailleurs pas les choses.
En effet, depuis quelques jours déjà, je parviens difficilement à adopter une posture qui me convienne. Je n’arrive plus à me sentir à l’aise, à moins d’être debout, comme si mon corps était tordu à l’intérieur ou asymétrique.
Le problème se pose surtout du côté gauche, c’est pourquoi je l’envisage comme une conséquence de la tache noire qui se propage sur ma peau. Elle recouvre d’ailleurs un bon quart de mon torse, ainsi que mon épaule gauche, et descend jusqu’à l’aine.
J’atteins Cramois’île aux alentours de dix-sept heures. Luth s’y trouve déjà, car il est parti trente minutes avant moi. James profite encore des bas-fonds kantoïtes, il devrait arriver d’ici une demi-heure.
Nous avons réalisé la traversée en décalé afin de ne pas éveiller les soupçons de la Team Rocket. Ceci dit, compte tenu du Q.I. moyen des sbires, était-ce vraiment nécessaire ?
Je pars me changer derrière des rochers un peu plus loin. Le décor d’une ville détruite par les coulées de lave s’offre à moi, avec en arrière-plan l’océan qui s’assombrit, parcouru par les navires gris du blocus. Jamais Kanto ne m’a semblé aussi sinistre.
En y repensant, j’avoue que la réalité découlant de mon voyage dans le temps est, objectivement, plus nulle que la timeline originelle. A part les attaques chromatiques et l’absence de Gladio, le reste craint.
Une fois changé, je retourne auprès de Luth qui shoote dans des cailloux en marmonnant des phrases inintelligibles. A moins qu’il ne chante en yaourt ? Le jeune homme s’ennuie ferme et ne tarde pas à engager la conversation :
« Tu as une meuf, Lividex ?
- Tu n’as rien trouvé de mieux comme question ?
- Non. Répond, s’il te plait !
- Pas actuellement, soupiré-je.
- Elle était comment la dernière ?
- C’était ta maman. Et oui, Luth, je suis ton père !
- Très drôle, Lividex ! Ma mère n’aime pas les nabots de toute façon. Allez, répond ! »
J’ai vraiment du mal à croire que cet immature adulescent en jogging ait pu vaincre Peter et compagnie deux fois. Comment un être aussi indélicat et vulgaire est-il parvenu à défaire les adversaires les plus habiles ? Mystère !
« Elle s’appelait Malva. Voilà, fous-moi la paix maintenant !
- Tu peux rêver ! Elle était comment ? Belle ? Sexy ?
- C’était une fille en forme de fée, réponds-je malicieusement.
- Du genre calme et gentille ?
- Tout le contraire, une vraie excitée ! Tellement nerveuse que lorsqu’elle griffait mon dos, ma peau se transformait en pyrogravure !
- Ah. Vous avez rompu à cause de quoi ? insiste encore Luth. Et ne me dis pas que c’est à cause d‘une histoire compliquée ! C’est l’excuse de tous les trentenaires nuls en amour, ça !
- D’accord, mais après tu arrêtes avec tes questions à deux balles ! Pour faire court, elle n’a pas apprécié que je vole des informations récoltées par une organisation criminelle qu’elle a aidé à mettre en place, mais qu’elle a fini par renier. Ensuite, nous nous sommes battus et elle a quitté ma vie. En plus, nous n’étions pas vraiment un couple, mais plutôt des amis très intimes. Elle avait d’autres amants que moi et il m’arrivait d’aller voir ailleurs.
- Beurk ! Pourquoi tu me racontes tout ça ? »
Sur ces mots, le jeune Maître de la Ligue s’écarte et retourne taper dans des cailloux. Ce type me laisse sans voix. Vivement que James rapplique !
D’ailleurs le voilà, souriant en plus. Il part se changer, puis nous faisons le tour de l’île jusqu’à trouver un canot à moteur caché entre deux récifs. Ensuite, nous remontons le chenal vers Bourg Palette, tandis que le soir et les températures tombent progressivement. Luth grelotte déjà.
James vante les mérites de la toute nouvelle fibre de synthèse qui compose ses onéreux vêtements avec un sourire insolent aux lèvres. Il a bien chaud et nous le fait savoir. Pour ma part, je dépense bien trop d’énergie à claquer des dents pour pouvoir lui claquer les siennes.
Nous arrivons bientôt à Bourg Palette, un petit village de campagne paumé qui, dans ma réalité, ne jouissait pas de la moindre popularité jusqu’à ce le Prof Chen y installe son laboratoire.
D’après mes deux comparses, un membre de la Résistance vivrait dans ce trou perdu. Il faut prendre contact avec lui si nous voulons rencontrer son groupe. On parie combien que le rebelle en question se nomme Red ?
Bingo ! Celui qui n’est jamais devenu le meilleur dresseur de Kanto se révèle appartenir à la Résistance. Je ne l’ai vraiment pas vu venir !
Pour attirer son attention, Luth utilise une phrase secrète que Peter lui a révélée :
« Toujours par deux ils vont, ni plus, ni moins… Le Maître et son Charpenti. »
Autant dire que si un type m’accostait dans la rue pour me dire un truc pareil, je m’enfuirais en courant.
Red nous dévisage un moment, puis nous indique de le suivre. Nous logerons chez lui pour la nuit, car il ne vaut mieux pas traîner à l’extérieur après le couvre-feu.
En effet, sa mère nous explique, autour d’un bon repas chaud, que les pires cinglés de la Team Rocket sont chargés des patrouilles nocturnes et qu’ils ont carte blanche pour procéder aux arrestations.
Plus tard, Red et sa mère nous installent dans leur cave, où je passe la nuit la plus froide et humide depuis mon réveil à Alola. Ceci dit, il m’en faut plus pour attraper un rhume, j’ai quand même grandi à Frimapic.
Et là, je vais faire une ellipse narrative jusqu’à notre arrivée à la base de la Résistance pour une raison très simple : Red. J’ai entendu plus d’une fois parler de lui et de son dérangeant mutisme. La réalité dépasse de loin tout ce que l’esprit peut concevoir.
Outre le fait que le mot le plus long qu’il sache prononcer est « Hum… », son charisme de Keunotor démultiplie à l’excès le néant de sa personnalité au point d’en affecter tout son environnement.
Concrètement, la moindre blague tombe à l’eau en présence de Red. Il demeure impossible d’éprouver une joie intense, un bonheur fugace ou un moment de complicité dès lors que ce type se trouve dans un rayon de cent mètres. De plus, chercher à le faire parler provoquera le plus atroce frisson d’embarras de toute votre vie.
Son anti-charisme ayant ruiné une matinée entière, je m’abstiendrai donc de décrire ladite matinée.
Dès les premiers jours de domination Rocket, un groupe de rebelles s’est formé pour lutter de l’intérieur contre l’empire de Giovanni. Le cruel mafioso a plus d’une fois tenté d’écraser la Résistance, sans jamais y parvenir totalement.
La Résistance se terre depuis près d’un an dans les environs d’Argenta, profitant du relief montagneux pour mieux échapper à la vigilance de la Team Rocket. Son repaire secret possède de nombreux couloirs secrets menant au Mont Sélénite, en cas d’attaque.
Red nous conduit discrètement dans les ruines de l’arène d’Argenta. Au milieu de celles-ci, nous découvrons une trappe dissimulée derrière une statue. Le passage souterrain sombre et mal ventilé qu’elle renferme nous emmène jusqu’au QG des résistants.
Au bout du tunnel, trois gardes armés nous tiennent en joue. Heureusement, Red ouvre la marche, ils baissent donc leurs fusils en le voyant.
Et nous pouvons enfin contempler la base de la Résistance, cette organisation clandestine rassemblant des hommes et des femmes épris de bravoure, luttant contre l’oppression, incarnant l’espoir et la promesse de lendemains meilleurs…
Je ne vais pas vous mentir, la Résistance vit dans une grotte à peine aménagée et ses membres ne respirent pas la joie de vivre. Même leurs Pokémon ne semblent pas se plaire en ces lieux.
James, Luth et moi patientons sur un vieux banc en bois, tandis que Red se charge de nous introduire auprès du chef de la Résistance. J’espère que leur discussion se fait par écrit, sinon on est mal !
En me penchant légèrement sur ma gauche, j’aperçois le jeune homme taciturne à une quinzaine de mètres, dans une cavité éclairée par un Funécire. Face à lui se dresse le chef de la Résistance du haut de son mètre cinquante-cinq. Ou plutôt la chef.
Sa chevelure noire et soyeuse retenue par un bandeau ne parait pas affectée par la saleté environnante. Ses traits fins et sa peau de porcelaine contrastent avec le décor brut de la caverne. En un mot, elle est magnifique.
Elle porte un gros gilet rembourré qui ne parvient pas à masquer sa minceur, ainsi qu’un short aux couleurs criardes et une grosse paire de bottes qui n’atténuent en rien son élégance naturelle.
D’après la description élogieuse que je fais d’elle, vous vous doutez bien qu’Erika m’a tapé dans l’œil !
Ancienne championne de Céladopole, spécialiste du type Fée, et non Plante, Erika mène la Résistance depuis ses débuts grâce à son courage et son moral à toute épreuve. Je questionne mes compagnons à son sujet :
« Vous avez déjà rencontré Erika ?
- Une fois, il y a cinq ans, me répond James en se penchant de mon côté.
- Que pensez-vous d’elle ?
- Mignonne, souriante, tout à fait mon type de femme ! Si elle me disait oui, je ne lui dirais certainement pas non !
- Moi aussi je voudrais bien lui faire le dernier couplet de Here in my room, ce n’est pas de cela dont je parle, mais de ses autres qualités ! dis-je sèchement. Que vaut-elle en tant que chef ?
- Pour quoi vous ne dites pas tout simplement baiser ? demande Luth avec sa subtilité rhinocornesque.
- Peut-être parce que nous avons quitté le lycée depuis plus de dix ans ! »
Notre conversation immature prend soudainement fin quand Red et Erika se dirigent vers nous d’un pas assuré. Nous reprenons une attitude digne et quittons ce banc moisi.
L’élégante dresseuse entre directement dans le vif du sujet :
« Ecoutez, je sais que vous avez pris des risques pour venir, mais la Résistance ne veut plus rien avoir à faire avec Peter et sa bande ! Vous nous avez envoyé vos agents qui ont profité de nos informations et de notre matériel quasiment gratuitement, sans rien faire pour aider la population soumise par la Team Rocket. Nous préférons dans ce cas nous battre seuls. Au revoir messieurs !
- Attendez, on a des informations pour vous ! intervient Luth. L’ingénieur Chen s’est fait capturé.
- Nous le savons depuis un moment déjà ! Rien d’autre ? s’impatiente Erika.
- J’avais prévenu Peter que les choses allaient tourner ainsi ! souffle James, trop satisfait d’avoir raison pour se sentir concerné.
- Red, raccompagne donc ces messieurs d’où ils viennent !
- Une minute ! tonné-je. Nous avons peut-être un cadeau pour vous, mais je veux être certain de votre totale coopération si je vous le donne.
- De quoi s’agit-il ? me lance Erika, méfiante.
- D’un engin explosif capable de percer le mur qui encercle Kanto ! »
J’adore ce genre de silence qui suit une déclaration explosive ! Les yeux s’écarquillent, les lèvres tremblent. J’essaie de deviner qui aura la réaction la plus abusée.
Mais James me prive de mon plaisir en me saisissant par le col et en me tirant à l’écart. Je sens qu’il veut hurler, mais il se retient tout de même. Il se prend le visage dans les mains, respire bruyamment et se lance :
« Ce n’est pas du bluff ? Vous possédez une bombe, n’est-ce pas ?
- Vous en doutez ?
- D’où vient-elle ? Ne me dites rien. Vous l’avez prise au sbire de la S-GTS. Il ne repérait pas les lieux, il venait déposer l’explosif.
- On ne peut rien vous cacher, James.
- Ce qui signifie que vous vous baladez avec la bombe depuis notre rencontre. Cela fait plus de vingt-quatre heures que je côtoie une foutue bombe, sans que je le sache !
- Ben, vous le savez à présent !
- Une bombe ! Bon sang, Peter ne va pas apprécier ! Mais alors pas du tout ! Je crois que je vous adore, Lividex ! »
C’est très gentil à vous James.
Erika, vous n’avez pas envie de renchérir ?