« Tu crois que Linda est en sécurité ? J'ai beau ne pas très bien connaître Sander, je suis certaine qu'il est dangereux, et je m'inquiète...
— On va la sortir de là, ok ? T'en fais pas, s'il tente quoi que ce soit contre elle, je lui fais sa fête, à ce connard, grommela Walter, tenant fermement son pistolet glaçant dans sa main.
— A moins que ce soit lui qui te fasse ta fête, hein, ajouta Oniglali, railleur.
— Toi ta gueule. »
Liz jeta un coup d'œil circonspect au Pokémon de type glace, mais n'intervint pas. Les querelles de ces deux-là ne la regardaient nullement, aussi décida-t-elle de rester en dehors de ça. Ils marchaient lentement, prudemment, tout en veillant à ne pas faire craquer les planches de bois sous leurs pieds ; peine perdue, car la vieille bâtisse ne voulait pas rester silencieuse, et continuait à émettre des plaintes sonores à chacun de leur pas. Contre toute attente, le voleur ne proféra aucun juron, conscient du danger.
« Dites-moi, tous les deux... où allez-vous comme ça ? »
A l'entente de cette voix inconnue, Walter serra les dents, muscles tendus et regard acéré. Il se retourna prudemment, arme à la main, pour faire face à un homme d'une trentaine d'années, portant un smoking rehaussé d'un nœud papillon d'une couleur rose excentrique. La mine sympathique du personnage n'avait aucun impact sur le jugement du brun, qui savait déjà à qui il avait affaire. Le curieux type sourit, d'un sourire éclatant de blancheur et d'amabilité ; le voleur n'avait qu'une envie, celle de lui mettre son poing dans la figure. Il n'appuya pas sur la gâchette, suspectant un quelconque tour de passe-passe susceptible de le piéger ; on n'était jamais trop prudent.
Liz dévisageait cette vieille connaissance, avec un mélange de nostalgie et d'appréhension. Par quoi étaient-ils liés, de toute façon ? Juste un concours de circonstance, qui avait conduit à leur rencontre et à leur séparation presque immédiate. Ils ne se connaissaient pas réellement ; ils avaient échangé quelques paroles l'un avec l'autre, et c'était tout. Mais il y avait encore ces foutus billets, ces foutus deux mille pokédollars, cette foutue dette à rembourser. Les mains de la jeune femme tremblaient, et le regard noisette de Sander ne l'aidait pas à rester tranquille.
« Liz, je m'occupe de ça. Va chercher Linda, ok ? Ce sera vite fait. »
La pirate informatique voulut hocher la tête, se détourner de ce visage familier et pourtant étranger, et courir à toutes jambes pour aller sauver la femme qu'elle avait appris à apprécier avec le temps. Mais une étrange force supérieure l'en empêchait ; elle se sentait retenue, attachée par un fil rouge à cet homme au nœud papillon rose. Elle devait s'en charger elle-même. Effacer les souvenirs et la dette.
« Non, toi, vas-y. Je vais affronter ce type.
— Tu n'y penses pas... grommela Walter, fronçant les sourcils. Tu vas te laisser influencer parce que tu le connais, résultat, il va te piéger une seconde fois et...
— J'ai dit ; je vais l'affronter, le coupa-t-elle, déterminée, une pointe de colère perceptible dans sa voix. Laisse-moi faire. Aie confiance en moi, pour une fois. S'il te plaît, Walt'. »
Interloqué, le voleur ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun son ne vint. Il soupira, passa une main sur son visage fatigué et ruisselant de sueur. Puis hocha la tête, une expression résignée peinte sur sa figure pâle.
« D'accord. Je te fais confiance. Mais t'as intérêt à bien le défoncer pour ce qu'il nous a fait, ce trou du cul. »
Reconnaissante, la jeune femme aux cheveux bleus esquissa un léger sourire, toujours à demi-tournée vers l'homme au smoking.
« Promis. Fais attention à toi.
— Ouais. Euh, toi aussi. »
Liz le regarda un moment s'éloigner, de son pas traînant, puis focalisa toute son attention sur Sander, qui l'observait avec un mélange d'amusement et d'autre chose qu'elle ne parvenait pas à saisir dans ses prunelles couleur noisette. Son sourire s'élargit, et ses yeux se firent plus rieurs.
« Très bien. A nous deux, Lizzie. »
x x xWalter se maudissait d'avoir laissé Liz seule avec cet énergumène dangereux. Elle s'était montrée trop insistante sur le moment, et il n'avait pas été capable de lui dire non ; cette flamme qu'il avait vue dans son regard vert, elle brûlait si intensément qu'il n'avait pas su s'opposer à elle. Elle l'avait totalement consumé, lui qui était si vulnérable au feu. Aucune chance qu'il puisse s'en sortir face à cet éclat incandescent.
« Ok... Ok. On se détend. Liz va s'en tirer, elle va vaincre ce cinglé à plate couture et tout va rentrer dans l'ordre.
— T'as pas l'air dans ton assiette, observa Oniglali, exhalant un souffle glacé qui fit du bien au trentenaire.
— Ben tiens, gros malin ! J'ai laissé mon amie aux griffes de ce type complètement barge, tu m'étonnes que je suis pas dans mon assiette. Et le pire, c'est que j'ai pas le cran de retourner là-bas pour m'opposer à elle. Tu te rends compte ? Cette femme est trop forte pour moi, c'est dingue, soupira le voleur.
— Ton « amie » ? T'es sûr qu'elle est seulement ça pour toi ? Parce que tu la regardes d'une façon plutôt éloquente, un peu comme tu regardais cette femme sur la photo, l'autre jour, à l'appartem...
— Merde, tais-toi, crétin. C'est un sujet délicat. »
Le Pokémon de type glace ne put s'empêcher de ricaner, au grand dam de son dresseur qui commençait sérieusement à voir rouge. Il serra les poings, pour contenir sa colère, et darda un regard noir d'encre sur Oniglali, qui ne cessa pas de rire pour autant.
Maudit Pokémon, fait chier !« Toi, tu es capable de faire preuve de sensibilité dans les pires moments, tu sais ? Sincèrement, reprends-toi, mon vieux. Tu l'aimes, ça crève les yeux. Faut que tu lui dises ce que tu ressens.
— Ah, parce que tu la joues conseiller conjugal, maintenant ? ironisa Walter, levant les yeux au ciel.
— J'te dis juste ce que je pense, c'est tout. A mon avis, tu ne gagnes rien à te mentir à toi-même sans arrêt. Tu en pinces pour elle, aussi sûr que je suis de type glace ! »
Le brun soupira bruyamment, et détourna le regard pour observer, sans vraiment le voir, le mur d'en face, couvert de poussière et abimé par le temps. Peut-être bien que ce satané Pokémon avait raison, mais jamais il ne l'admettrait. Liz n'avait certainement pas besoin d'un type comme lui, avec tout un tas de problèmes et une fille adoptive dans le coma. Dont elle ignorait encore tout, d'ailleurs ; seuls les jumeaux étaient au courant de ce petit problème. Il ne lui en parlerait pas. Non. Trop difficile.
« Bon, tu fermes ta gueule, sinon je te rappelle dans ta Pokéball.
— Oh, allez, tu peux bien me laisser parler un peu... tenta Oniglali, suppliant.
— On ne discute pas, camarade. »
Résigné, le Pokémon sphérique accepta de se taire, comprenant que son dresseur était sérieux. Logique qu'il fût dans un état plutôt préoccupant, étant donné la situation. Oniglali songea que, finalement, il ne servait à rien de lui lancer des piques pour détendre l'atmosphère ; les choses étaient bien trop graves pour ça.
Les deux compagnons ne tardèrent pas à déboucher devant une porte fermée à clé, contrairement aux autres. Walter sut immédiatement que son amie se trouvait derrière ; ce ne pouvait être que ça. D'un geste de la main, il fit signe à son partenaire d'enfoncer la porte avec une charge, en faisant attention de ne pas y aller trop fort. Le Pokémon s'exécuta, et le battant de bois céda facilement pour être propulsé hors de ses gonds.
Le voleur se rua dans la pièce, bousculant Oniglali au passage, ayant aperçu une silhouette inerte assise. Linda faisait réellement peine à voir, comme ça ; si son corps n'était pas si chaud, on aurait pu croire qu'elle avait trépassé. Elle était solidement attachée à une chaise, et sa manche relevée permettait de voir une marque de piqûre sur son bras ; le brun put rapidement en déduire que Sander lui avait injecté un tranquilisant, ou quelque produit chimique de cette trempe. Il prit, précautionneusement, son pouls, et fut soulagé de voir que son cœur battait normalement.
Avec efficacité, il s'employa à la détacher, si bien qu'en moins d'une minute, toutes les cordes furent démêlées. La jeune femme ne se réveillait toujours pas ; cela allait être handicapant si d'autres dangers se présentaient. Comprenant qu'il n'avait pas le choix, le voleur lui distribua quelques claques, sans mettre trop de force dans ses coups ; les paupières de la blonde finirent par se soulever légèrement, papillonnèrent, puis s'ouvrirent sur des yeux bleus effrayés. Qui se radoucirent immédiatement en reconnaissant le visage familier et rassurant de son ami.
« Tu es venu me chercher... merci... où est... »
Sa voix était pâteuse, et son esprit encore embrumé par le liquide anesthésiant qui courait encore dans ses veines. Elle s'efforça de se concentrer et parvint difficilement à se lever sur ses jambes engourdies ; elle retint un gémissement de douleur en pliant son bras, qui la faisait souffrir à cause de la piqûre.
« Eh là, doucement. »
Walter l'aida à se mettre sur pied et à faire quelques pas, la tenant fermement pour éviter qu'elle ne tombe. Elle le remercia d'un regard et repoussa sa main, décrétant qu'elle pouvait très bien marcher toute seule. S'il la trouvait trop entêtée, au moins, il devait admettre qu'elle était très débrouillarde ces temps-ci ; elle ne se plaignait plus de rien, et se montrait forte, à l'instar de la femme aux cheveux bleus. Parfois, il avait l'impression qu'elle l'admirait, qu'elle cherchait à être comme Liz. Il comprenait pourquoi, mais espérait ne jamais avoir à aborder le sujet avec l'une ou l'autre.
« Où est ce mégalomane au nœud papillon rose ? parvint à articuler Linda, ayant plus ou moins retrouvé l'usage normal de sa voix.
— Dans le hall, avec Liz. Ils se battent.
— Ils se
battent ? Avec des Pokémon ? Ce manoir ne tiendra jamais le coup, il tombe en ruines !
— Ah ça, je sais bien, mais elle a insisté, et je n'allais pas te laisser là comme ça. Il fallait bien que l'un de nous te vienne en aide, c'est tombé sur moi, sourit-il.
— D'accord... Oh, j'oubliais ! »
L'homme haussa un sourcil, intrigué, et s'adossa à un mur pour écouter ce qu'elle avait à dire. Elle semblait nerveuse, car elle tripotait l'étoffe de sa manche dans un geste machinal, mécanique.
« Will... est-ce qu'il va bien ? Je l'ai entendu crier avant que ce type bizarre ne m'injecte l'anesthésiant.
— Ah oui. Eh bien, il avait l'air d'être sous l'emprise d'une drogue, je suppose que ce gars lui a fait inhaler un truc suspect. Je me suis occupé de l'installer en lieu sûr. Enfin, je crois que c'est un lieu sûr, sauf si d'autres Lippoutou rôdent dans le manoir. J'espère bien que non, admit-il.
— Bien... on devrait peut-être aller le chercher, non ? »
Le voleur acquiesça, déterminé, et quitta promptement la pièce, suivi de son amie et de son Pokémon. Evitant soigneusement de passer par le lieu de l'affrontement, ils finirent, après avoir marché un bon quart d'heure, par déboucher dans le salon où Walter avait laissé le blond. Il écarquilla les yeux et se tourna, l'air désolé, vers Linda.
« Oh. Merde. Il est plus là. »
x x x
Bioshock OST - Cohen's MasterpieceLe combat faisait rage dans le hall du manoir, entre Pamela la Lippoutou et le Porygon-Z de Liz, qui se démenait pour suivre le rythme. Seulement, le Pokémon de la jeune femme commençait sérieusement à fatiguer, et cela se voyait ; l'assassin exultait, voyant le visage dépité de son adversaire, qui ne savait aucunement comment réagir face à sa technique de combat pour le moins atypique.
« Mais c'est quoi ce délire ? grommela-t-elle, agacée. Comment tu fais, pour parvenir à un tel niveau d'entente avec ton Pokémon ?
— Il n'y a que l'entraînement qui paie, ma chère. Tu devrais le savoir, toi qui a vécu livrée à toi-même dans la rue ; en ne faisant pas d'effort, on n'arrive à rien.
— Venant d'un type qui a l'air d'avoir grandi dans une famille aisée, c'est étonnant... Tiens, d'ailleurs, qu'est-il advenu de ton Skitty ? »
Tandis que Pamela s'apprêtait à lancer une attaque, le dresseur haussa les épaules, désinvolte, comme si ça n'avait aucune importance. Le regard de la jeune femme se fit plus acéré.
« Ce Pokémon appartenait à mes parents, je ne sais pas ce qu'il devenu, avoua-t-il. Mais ça n'a pas d'importance, puisqu'aujourd'hui, j'ai Pamela avec moi. Plus qu'une créature de compagnie, elle est mon amie et ma famille, elle est tout ce qu'il me reste, et je la traite avec autant de respect que n'importe quel être humain.
— Je ne suis pas sûr que tu traites réellement les gens avec respect, vu ce que t'as fait à Linda...
— Hé, j'obéis à des ordres, c'est tout.
— Ce n'est pas une excuse ! Triplattaque ! ordonna-t-elle.
— Bien sûr que non. Je n'ai aucune excuse à donner pour mon comportement ; je suis un assassin, j'ôte des vies et j'empoche de l'argent pour ça, je suis légalement protégé par mon chef pour ça. Aucune excuse. »
La jeune femme dut s'avouer franchement décontenancée par l'attitude de Sander ; elle ne le comprenait pas. Elle pensait avoir réussi à le cerner, ce jour-là, treize ans plus tôt, mais il avait largement eu le temps de changer entre temps. Il s'était métamorphosé, passant d'un adolescent poli à un tueur sans scrupules et sans morale. Liz ne pouvait rien faire contre ça ; elle n'avait pas été là pour empêcher ce changement, et elle n'aurait eu aucune raison de l'être. Qui était-elle, pour lui ? Une vague connaissance, auparavant ; une ennemie, à présent.
Alors qu'elle allait donner un nouvel ordre à son Porygon-Z, elle vit son adversaire tomber au sol, inerte ; derrière lui se tenait Will, qui venait de lui asséner un coup de poing, sans retenue. La pirate informatique rappela immédiatement son Pokémon et se précipita vers les deux hommes. L'assassin des Quatre semblait inconscient, affalé sur les planches de bois pourri. Will avait une mine inquiétante, les yeux cernés et injectés de sang, ses cheveux blonds trempés de sueur et en bataille, mais il semblait aller relativement bien.
« Il ne t'a pas fait de mal ? questionna-t-il, inquiet.
— Non, ça va. Tout va bien. »
Ils reculèrent tous les deux lorsque Pamela s'approcha de son dresseur, pour veiller sur lui. Will soupira, et éloigna la Pokémon pour saisir le corps inerte du tueur, afin de l'empêcher de fuir. Il fouilla ses poches par précaution, et en tira une Pokéball ainsi que plusieurs seringues remplies de sédatifs ; il rappela la Lippoutou et rangea les seringues dans sa propre poche.
« Hé, préviens-moi avant de te faire la malle, la prochaine fois ! » cria la voix de Walter, un peu plus loin.
Liz et Will soupirèrent de soulagement en le voyant revenir accompagné de Linda, qui était capable de marcher toute seule, et qui avait même un grand sourire sur son visage fatigué. Bon signe. Le voleur semblait plutôt maussade, mais afficha bien vite un air détaché, refusant obstinément que l'on s'inquiète pour lui.
« Ok, eh bien sortons de là, maintenant, ça sent le vieux et ça commence à m'énerver. On emmène ce con-là avec nous ? questionna-t-il en désignant Sander.
— Ouais, autant lui soutirer des infos comme on a essayé de le faire avec le rouquin, admit Will.
— T'imagines, si celui-là est aussi un espion d'Interpol ? ricana le voleur, amer.
— A mon avis, ça ne risque pas, il m'a l'air bien trop illuminé pour ça, admit Linda. Il m'a même fait un cours sur la lobotomie trans-orbitale, vous imaginez ?
— Erk, glauque ! »
L'exclamation dégoûtée de Walter allégea copieusement l'atmosphère. Seule Liz semblait perdue dans ses pensées, partagée quant à ce qu'elle ressentait pour l'assassin en smoking. Elle aurait aimé le revoir dans d'autres circonstances que celles-ci, mais au fond d'elle, elle savait qu'il aurait pu mal tourner dans tous les cas. Elle se demanda vaguement ce qui fut l'élément déclencheur de son changement, puis chassa cette pensée. Qu'en avait-elle à faire, de toute façon ? Il n'était personne pour elle.
Le groupe quitta le manoir d'un pas tranquille ; chacun d'eux était exténué par cette course-poursuite infernale à l'intérieur de la vieille bâtisse. Will manqua de sursauter lorsque Sander bougea et lança son briquet, qu'il tenait dans son poing fermé avant de s'évanouir ; l'objet alla s'échouer sur une large planche de bois de la bâtisse, et le feu ne tarda pas à se propager à une vitesse hallucinante.
« Putain, courez ! » cria Walter, craignant d'autant plus le feu depuis qu'il avait absorbé la glace de son Pokémon.
Les autres ne se firent pas prier, et accélérèrent la cadence afin de ne pas se faire dévorer par les flammes rougeoyantes qui dansaient, qui léchaient goulument la façade de la grande maison.