Ch 2 : L'effet Hyperball
Assis sur un transat, pas loin de l’hôtel des Embruns où je crèche depuis quatre jours, je poursuis mon travail de recherche assidu.
Profitant du wi-fi gratuit, j’engrange de l’information avec avidité de longues heures durant, tout en prenant des notes. J’ai déjà rempli deux calepins, bientôt trois.
La perte de mon Hyperball dans le passé a bouleversé le déroulement de l’Histoire. Dans ma réalité, la première Hyperball a été mise au point par les professeurs Hysnie et Pergenstein, il y a soixante-douze ans.
Dans cette nouvelle timeline, la conception de la première Hyperball a eu lieu quatre ans plus tôt et demeure l’œuvre d’un groupe de cinq savants, dont faisait partie Hysnie, mais pas Pergenstein.
Un esprit stupide se dirait alors que cela ne va pas changer la face du monde. Ce serait omettre l’importance du hasard, de l’irrationalité de la pensée humaine et de la complexité des échanges entre les milliards d’individus peuplant notre planète.
Aussi, je n’ai pas eu besoin de me lancer dans de longues recherches sur l’histoire des technologies pour me rendre compte que la réalité a été altérée. Il m’a suffi d’observer le quotidien, de nombreuses marques n’existant plus, d’autres voyant leur police ou leur logo différer par rapport à ceux que je connais.
Un exemple parmi tant d’autres, personne ne boit de Soda Cool dans cette réalité. En revanche, je ne compte plus le nombre de publicités pour le Soda Smooth ! Je la trouve dégueu en plus, cette boisson.
« Hé, numéro 4 ! Plutôt que mater les nageuses, viens me masser les pieds !
- Tout de suite, Maître ! »
Le sbire de la Team Skull vient bien docilement jusqu’à mes orteils où il se donne à loisir dans cette tâche dégradante. Allongé sur le transat à ma droite, Chewi profite lui aussi d’un massage, tandis qu’un sbire l’évente tel un pacha.
Nous avons plus ou moins réduit en esclavage les débiles qui nous ont agressés, ce qui ne choque absolument personne. Si les sbires se battent pour pouvoir masser Chewi – il faut dire que son poil est vraiment agréable à caresser – je ne peux pas dire la même chose concernant les autres tâches ingrates que je leur réserve.
Assez parlé de ces bons à rien !
L’Hyperball a donc été créée quatre ans plus tôt que dans ma réalité. Cela signifie que celle que j’ai perdue a été confiée à un groupe de savants qui, après analyse, l’ont reproduite et lancé la production en série.
Bien entendu, je n’ai vu nulle part mention de cette partie de l’histoire, le secret de la découverte de ma Ball n’ayant jamais été révélé. Quel ramassis de mythos !
En plus, si on compte les soixante-douze ans de perfectionnement qu’ont connu les Hyperballs depuis leur création par Hysnie et Pergenstein, le bond technologique est plus conséquent qu’il n’y parait !
Et il s’est répercuté dans d’autres domaines. Les Pokébanks, ces énormes espaces de stockage pouvant accueillir trois mille Pokémon, sont accessibles à tous, et non uniquement aux grosses entreprises.
De même, les téléporteurs peuvent vous mener d’un point à un autre dans un rayon de cinq kilomètres, rien à voir avec les distances modestes de téléportation que je connais, limitées à l’espace d’un bâtiment.
Evidemment, je ne parlerai pas de la multitude de capsules disponibles en magasin : Chromaballs, Flamballs, Forceballs, Monoballs, Octaballs, Tempoballs…
J’entends les larbins qui s’agitent. Levant les yeux de mon écran, j’aperçois une jeune femme élancée qui se dirige vers moi. Grande, le teint hâlé typique d’Alola, elle me toise longuement, la main droite posée sur sa hanche. Je reluque un instant son nombril exposé.
Sous ses sourcils froncés luisent deux yeux dorés. Elle pourrait être jolie, si elle ne tirait pas la gueule.
Autour de nous, les sbires se sont arrêtés, leurs regards braqués sur la ténébreuse inconnue. Ils la connaissent, j’en suis persuadé.
« Alors c’est toi qui fait des misères à mes gars ?
- Pas du tout. Ils ont accepté de leur propre gré d’être mes esclaves, dis-je un sourire aux lèvres.
- L’écoute pas, sista, il nous fait des misères grave ! se plaint un des sbires.
- Ils ne sont pas très futés, mais ce sont mes gars ! Laisse-les partir immédiatement ou tu auras à faire à oim’ ! s’écrie-t-elle en brandissant une Superball. »
Je vois une détermination sans faille dans son regard. C’est le genre de dresseuse que je respecte. Mais je n’ai pas envie de combattre, là. J’ai d’autres choses sur le feu. D’un geste las, je fais signe aux sbires qu’ils peuvent disposer.
Sans se faire prier davantage, ils déguerpissent à toutes jambes, me laissant seul avec leur « sista ». Elle gagnerait vraiment à se laisser pousser un sourire.
« Tu les laisses partir, comme ça ? s’enquit-elle, suspicieuse.
- Ma bonté me perdra. Par contre, la prochaine fois, évite d’égarer ta bande de lascars. Ils pourraient se faire victimiser par un aveugle ou une vieille dame unijambiste ! »
Elle acquiesce par un regard noir et s’en va à son tour. A ma droite, Chewy grogne de mécontentement, plus personne ne s’occupe de son petit confort. Oh, pauvre chou ! Dégage dans ta Pokéball !
Et moi, je retourne à mes recherches.
Sans surprise, toutes les personnes, organisations et lieux rattachés à la création de la première Hyperball ont vu leurs destins changer.
Les cinq savants ont su profiter de leur notoriété qui a également profité à leurs descendants. Même chose pour le principal investisseur de leur projet, un aristocrate originaire de Kalos.
A contrario, Pergenstein n’a jamais percé dans le domaine scientifique. Pour cette raison ou pour une autre, il ne s’est jamais marié et n’a jamais eu d’enfant, contrairement à ma réalité où il est père de Terry, la spécialiste des Pokémon de type Sol de la Ligue de Sinnoh.
Donc, pas de Terry ! J’ai perdu une Hyperball dans le passé et cela a modifié la composition du Conseil 4 de Sinnoh. Ici au moins, la connexion est relativement simple.
Quand je parlais de lieux rattachés à l’Hyperball, je faisais bien sûr allusion à Unionpolis. Dans cette nouvelle réalité, il s’agit de la plus grande ville de Sinnoh, dépassant largement Féli-Cité en étendue et en population. A vrai dire, maintenant, même Lavandia et Doublonville sont plus petites qu’Unionpolis !
« Hé, on m’a dit que tu t’étais battu contre un Chelours ! Faut que tu me racontes ça, man ! »
Surpris, je me redresse d’un coup pour voir un type qui boite s’asseoir à côté de moi. Originaire d’Alola, il doit mesurer un bon mètre quatre-vingt. Il arbore une casquette blanche et un sourire fier. J’ai déjà entendu parler de lui, il s’agit du professeur Euphorbe.
Je ne peux m’empêcher de remarquer sa canne en bois, ainsi que la cicatrice vaguement dissimulée par son débardeur. Simple accident domestique ou conséquence de mon échec contre Celebi ?
« Alors man, qu’est-ce qui t’a pris de combattre un Chelours à mains nues ? demande-t-il comme si nous nous connaissions depuis des lustres.
- Euh… c’est-à-dire que je ne me suis pas levé un matin en me disant que j’allais mettre une mandale au premier Chelours que je rencontrerais… Je n’ai pas vraiment eu le choix !
- Il a utilisé une capacité Pokémon contre toi ?
- Balayette, j’imagine.
- Ah ! D’un point de vue strictement scientifique, est-ce que tu as ressenti que ta vitesse avait baissé après avoir reçu l’attaque ? m’interroge-t-il avec un enthousiasme déplacé.
- Je n’arrivais plus à marcher et j’ai failli avoir une fracture, donc j’aurais tendance à répondre oui ! dis-je sèchement, parce qu’il commence à me les briser sévère avec ses questions à la con.
- OK ! Tu vois, man, j’étudie les capacités des Pokémon. Et pour mieux les comprendre, je les essaie d’habitude sur moi, avec de petits Pokémon. Mais je ne suis pas assez téméraire pour tenter l’expérience avec un Chelours !
- Cela me semble sensé. Sans vouloir être indiscret, votre boitillement, c’est une séquelle de vos recherches ?
- Non, ça c’est… j’étais à Kanto pendant l’Assaut et… tu vois… »
J’acquiesce de la tête. Je ne vois absolument pas de quoi il parle. En tout cas, il ne s’agit pas pour lui d’un souvenir agréable, je peux lire la terreur et la douleur sur son visage qui affichait un grand sourire deux secondes plus tôt.
D’ailleurs, il ne met pas longtemps à récupérer sa canne, se lever et s’éloigner péniblement. Et je me retrouve à nouveau seul, à croire que je fais fuir tout le monde.
Je peux donc me replonger dans mes recherches, jusqu’à ce qu’un autre guignol vienne à nouveau me déranger.
Si je vous dis que ma mésaventure dans le passé a nui à la popularité du Pokédex, vous voyez le rapport ? Pas trop, non ?
Tout d’abord, il faut se souvenir que dans ma réalité, l’utilisation importante du Pokédex se fait sous l’impulsion du Prof Chen. Dès le début de sa carrière, il perçoit le potentiel de ce bijou de technologie et le diffuse dans le milieu scientifique. Sous le poids de la demande, les constructeurs investissent pour pouvoir le produire dans de plus grandes quantités.
Sauf que dans la nouvelle timeline, Samuel Chen est un ingénieur renommé dans la fabrication de Pokéballs ! Les bras m’en sont tombés quand j’ai lu sa biographie.
Celui que tout le monde nomme le Prof Chen, la sommité internationale dans l’étude des Pokémon, n’est nul autre que son cousin, Raphaël Chen, qui s’avère beaucoup moins porté sur les nouvelles technologies.
Le Pokédex demeure donc un joujou de luxe pour Pokémaniaques friqués. D’après mes lectures, il n’est même pas complet, car basé sur les données recueillies par une centaine de nantis désoeuvrés autour du monde. En revanche, il se met constamment à jour grâce à sa connexion Internet. Dès qu’un nouveau Pokémon est identifié, il l’est pour tous.
Certains effets de l’incident avec Celebi sont plus faciles à saisir que d’autres.
En effet, je n’ai toujours pas compris d’où sortait cet immonde Soda Smooth. Comment mon Hyperball a-t-elle pu mener à la création d’une boisson aussi écœurante ?
De toute façon, il y a trop de protagonistes, trop d’échanges de natures diverses sur une trop longue période pour que je puisse appréhender correctement tous les changements induits par ma bêtise.
Et ce n’est pas en survolant des articles biographiques sur Mimikipédia que je vais améliorer ma situation. Pour déterminer mes options, il me faut des données plus précises. A défaut de mieux, je compte me rendre au Paradis Aether dès que possible. Et j’improviserai une fois sur place !