Prologue de la première partie - Le monde des Démons
Quatre-vingts quatre.
Tous les mille ans, cent enfants-démons sont envoyés dans le monde des humains afin de s’affronter, et ainsi élire leur prochain roi.
Cette fois, il n'y en aura que quatre-vingts quatre.
Stretch fouille parmi les décombres. Il était seulement parti couper du bois, mais avait retrouvé son habitation en ruines. Il cherche sa mère, l'appelle, crie, hurle, mais personne ne lui répond. Alors, un groupe de bestiaux s'avance vers lui : l’un d’eux porte des ailes de dragon ainsi qu’un bec large surmonté d’un casque d’ivoire rayé de traces rouges en éclair ; le deuxième est recouvert d’une fourrure marron épaisse découvrant seulement ses yeux minuscules et son groin humide. Le dernier est le plus impressionnant, il semble être fait d’argile, possède des oreilles difformes, des yeux immenses, un nez épaté, et des crocs acérés. Il se tient accroupi, ses bras maigres posés sur le sol. Comme une bête. Fou de rage, Stretch se précipite vers ce dernier, mais avant de pouvoir agir, les bestiaux le frappent de barres de fer, et une douleur fulgurante se répand dans son dos, sa tête, son ventre. Peu à peu, les ténèbres envahissent sa vision, et sa conscience s'évanouit, ressentant de moins en moins les coups de ses assaillants.
Quatre-vingts trois.
Yrio, agenouillé au chevet de son père, tend l'oreille afin d'entendre les dernières paroles du souffrant.
« Yrio...
-Oui, père ?
-Que se passe-t-il dehors ?
-C'est un peu le bazar, père.
-Soit... Ecoute, fils... Mon frère t'a fait un cadeau précieux. Avec tes pouvoirs, tu peux obtenir la victoire.
-Je l'obtiendrai.
-Ta maîtrise de la canne est encore incomplète.
-J'ai vaincu mon entraîneur aujourd'hui. Deux touches.
-Bien. A ton retour, je ne serai plus là. Mais tu régneras. Je compte sur toi.
-Oui, père. »
Yrio se lève et sort de la pièce sombre. Finalement, un membre de son clan montera sur le trône, et ce sera lui. C'est indéniable. Il ne peut pas perdre.
Les bestiaux contre les humanisés. Lorsque la rumeur avait été répandue, la guerre civile avait éclaté dans tout le royaume. Les bestiaux avaient largement pris l’avantage, battant à mort leurs ennemis lorsque l’un d’eux rencontrait tragiquement leur chemin. Et le tout en cherchant les candidats de « la liste ». En outre, les camarades qui avaient le malheur de démentir la rumeur subissent encore des tortures sanglantes sur la place publique.
Des abris de fortune avaient poussé là où les bestiaux n’iraient pas les chercher. Qaajla, Zarlin et Faudo, candidats au trône, attendent désespérément le prochain discours du roi dans l’un d’entre eux. Cela fait un mois qu’ils vivent sous terre, et les morts ne se comptent plus. Seule une vieille ampoule accrochée au plafond dissipe la noirceur des sous-sols, et les vivres commencent sérieusement à manquer. Le royaume avait toujours pu se targuer de son immense réseau souterrain ; véritable labyrinthe naturel creusé par les anciens courants d’eau dans la roche. Alors, l’écran lumineux apparaît au bout de la salle, et le brouhaha incessant se dissipe peu à peu afin de faire place à des murmures camouflés par les pleurs d’un nouveau-né.
« Bonjour à tous. En ces heures sombres, il m’est nécessaire de revoir les lois qui sèment le chaos dans le royaume.
-Et ça aurait pas pu être fait avant ?! » La voix indignée d’un père de famille provoque des indignations, puis le silence revient.
« Je suis Earth Greht, souverain du royaume des démons, premier du nom, et en tant que tel, j’établis les lois suivantes :
En raison des conflits qui massacrent les enfants du royaume, les concurrents au trône seront envoyés dans le monde des humains ce soir au coucher du soleil. Les démons en question ne se rendront pas au lieu de téléportation, ils seront envoyés peu importe leur emplacement. » Des soupirs de soulagement accompagnent cette nouvelle. Il n’y a pas de raison que les conflits continuent dans le monde des démons après l’expulsion des responsables et des principales victimes.
« Deuxièmement. La loi de sélection abolie par l’empereur Zatch Bell, premier du nom, sera remise en application dès l’élection du prochain roi. Cela signifie que le jour de sa victoire, le prochain roi pourra décider de quels habitants il laisse en vie. Ce sera tout. Bonne chance. »
Le Roi relâche l’interrupteur, puis soupire. Etant lui-même un Humanisé, il risque sacrément d’y passer, lui aussi. Mais, qui sait…. Peut-être que la paix reviendra dans le Royaume, s’il ne reste que des bestiaux… ? Il n’avait pas pu empêcher les massacres, mais il aura tout tenté pour les arrêter. Une monarchie absolue, tu parles…. Rien n’avait pu apaiser les bestiaux.
Dans la grotte souterraine, tous les auditeurs sont scandalisés. Certains se mettent à pleurer, les autres laissent le silence exprimer leur incrédulité. Si un bestiau gagne (et la plupart étaient convaincus que cela arriverait), ils mourront. Ils avaient survécu jusqu’ici pour rien.
A l’écoute de ces nouvelles, le sourire cruel d’Yrio fend l’expression sévère de son visage. Tout se passe comme il l’avait prévu. Il remarque alors qu’un groupe de bestiaux lui amène un humanisé en le traînant par les bras, après lui avoir brisé les jambes ; et leur lance avec un ton féroce :
« Pourquoi vous le laissez en vie ? »
L’un d’eux frappe l’humanisé en lui ordonnant de répondre :
« On sait que c’est toi qui a lancé la rumeur » répond le blessé après un crachat sanglant.
Les bestiaux ont alors l’occasion d’entendre le rire hystérique d’Yrio, qui précipite sa canne sur la tête du démon. Il se réjouit, partage un verre avec ses semblables, et murmure après avoir vidé le récipient :
« Quatre-vingts deux ! ».