Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Entre infini et au-delà de Cyrlight



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 19/11/2016 à 00:08
» Dernière mise à jour le 19/11/2016 à 13:16

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Film 18 (5/5) : My everything

My everything - Owl City


Ce bonus fait suite à I will always love you.


Athéna caressa les cheveux ternes de Pandore pendant qu'elle avalait lentement le contenu d'un bol de soupe. Son appétit avait mis du temps à lui revenir et elle ne prenait toujours pas de repas consistant, mais au moins, elle mangeait suffisamment pour recouvrer totalement la santé.

Elle s'était assez vite remise de l'intervention de Mew, essentiellement grâce aux capacités régénérantes de ce dernier. Elle était toujours un peu pâle et manquait encore de force, mais d'ici une ou deux semaines, elle pourrait quitter le lit et reprendre progressivement un mode de vie normal.

Moralement, c'était une autre histoire. Malgré le danger que le bébé représentait pour elle, Pandore se sentait coupable de son sort. Elle se jugeait responsable de sa mort, car elle n'avait pas été assez forte pour le porter. Toutes les paroles d'Athéna n'avait pas suffi à la réconforter.

- Est-ce que tu voudras quelque chose d'autre ? demanda-t-elle alors que l'humaine terminait sa soupe, le regard perdu dans le vide. Un morceau de pain ? De la confiture ? Une tisane ?

Pandore secoua la tête en signe de dénégation. Elle ne prononçait pratiquement plus le moindre mot, hormis lorsque cela s'avérait nécessaire ou quand Antonin et Joséphine venaient lui rendre visite dans sa chambre. Il n'y avait que face à eux qu'elle parvenait à ravaler sa peine.

Quand elle eut fini son bol, Athéna le lui prit des mains et remonta sa couverture jusqu'à son cou, avant de se diriger vers la porte de la chambre. Elle en avait presque franchi le seuil lorsque, contre toute attente, son amie l'interpela. Elle revint aussitôt sur ses pas.

- Je m'interroge depuis... depuis que je me suis réveillée, en fait, avoua la jeune femme. Il faut que je sache, s'il te plaît. Qu'est-ce que vous en avez fait ?
- Arceus s'est occupé de lui. Il a brûlé son corps. C'était plus prudent que de l'enterrer, afin que personne ne puisse jamais découvrir l'existence de cet enfant hybride.
- Quelle existence ? Il n'en a eu aucune. Il est mort avant de commencer véritablement à vivre.
- Ce n'est pas vrai. Cela aurait été de courte durée, mais durant un moment, il a vécu en toi, dans ton ventre et dans ton esprit. S'il n'est rien aujourd'hui, c'est parce que tu refuses de lui donner une identité. Ne veux-tu toujours pas le nommer ?
- À quoi est-ce que ça servirait ? Je n'aurais jamais l'occasion de prononcer son prénom.
- Si, tu peux le faire. Tu peux lui adresser tes prières.
- Mes prières ? répéta Pandore dans un hoquet. Les gens de mon monde prient Arceus depuis que Giratina nous a parlé de lui, le Créateur, le Tout-Puissant. Ils croient qu'il ouvre un passage vers le paradis pour les âmes des défunts. Moi... Moi, je sais qu'il est incapable de ça. Je sais qu'il est un pokémon très puissant, un dieu qui a effectivement donné naissance à ce monde, mais à l'instar de tout un chacun, même lui ne peut rivaliser avec la mort. Dans le fond, c'est elle la Toute-Puissance.

Athéna resta silencieuse un court instant, peinée par les propos empreints de désespoir de Pandore. Elle fit tournoyer machinalement la cuillère dans le bol qu'elle tenait toujours, avant de dire :

- Justement, nous ignorons tout de ce qu'il y a après. Ce n'est pas parce qu'Arceus ou Némésis ou moi-même, qui sommes pourtant les entités les plus puissantes qu'ait connues cette planète, nous effaçons devant elle que cela signifie forcément qu'il n'y a rien. Peut-être ton fils t'écoute-t-il, là où il est désormais. Peut-être te voit-il.
- S'il y avait vraiment quelque chose après la mort, ne crois-tu pas que tu le saurais, toi qui connais toujours tout grâce à tes Zarbi ?
- Tu sais très bien que je ne les utilise qu'à bon escient, et pas dans le but d'obtenir un savoir absolu. Qui plus est, il y a des secrets que même moi, je ne tenterais pas de percer. Je crois que celui-ci est le plus important de tous. Il ne faut pas jouer avec la mort, car elle nous dépasse tous. Je crois que c'est bien le seul point sur lequel Némésis aurait été d'accord avec moi.

Pandore baissa les yeux. Aucune parole, aucun geste ne parvenait à la réconforter. Elle n'arrivait pas à se détacher de son chagrin et rien ne parvenait à l'estomper. La douleur qu'elle éprouvait était telle qu'elle avait l'impression de la sentir la consumer de l'intérieur. Elle prit une profonde inspiration, puis dit :

- Gabriel.
- Comment ? demanda Athéna, qui n'était pas certaine d'avoir compris.
- Je l'aurais appelé Gabriel, je pense. C'était ainsi que ma mère voulait nommer Antonin, avant que mon père la convainque de changer d'avis.

La déesse acquiesça solennellement. Ses connaissances en matière de prénoms humains étaient limitées, mais elle trouvait celui que Pandore avait choisi pour son fils défunt plutôt joli. Il possédait une sonorité agréable à l'oreille. Elle en fit la remarque à son amie, qui haussa les épaules. Comprenant qu'elle n'en tirerait rien de plus, Athéna quitta la pièce.

Les escaliers qui reliaient l'étage au rez-de-chaussée conduisait directement au salon salle-à-manger. Joséphine était assise sur le canapé, en train de boire un chocolat chaud, pendant qu'Antonin lisait, en tailleur sur le tapis afin d'être plus près de la cheminée. Un feu doux crépitait dans l'âtre. Mew était d'ailleurs en train de remettre une bûche à l'intérieur.

Bien que Pandore soit désormais tirée d'affaire et qu'Athéna soit présente à ses côtés pour veiller à son confort, il n'avait toujours pas quitté la maison. Apparemment, il se sentait bien auprès de ces humains. La fille de Zeus le soupçonnait d'avoir puisé un soupçon de réconfort dans leur compagnie, lui qui s'était coupé de tout contact suite à la mort d'Isis.

- Comment va-t-elle ? l'interrogea-t-il en venant se placer à sa hauteur lorsqu'elle eut descendu la dernière marche.
- Physiquement, cela ne saurait aller mieux. Moralement, j'ai peur qu'elle ne parvienne pas à remonter la pente.
- Est-ce qu'elle a l'intention de revoir Arceus ?
- Si c'est ce qu'elle désire, je ne l'en empêcherai pas.
- Crois-tu vraiment que ce soit une bonne idée ? souligna Mew. Cela ne rendrait-il pas les choses plus difficiles encore pour elle ?
- Tu t'inquiètes pour Pandore, à ce que je vois, constata Athéna avec un sourire.

La queue du pokémon rose s'agita dans son dos, tandis qu'il détournait le regard. À cause de ses réticences à la sauver dans un premier temps, il ne voulait pas admettre qu'il s'était attaché à la jeune humaine, pourtant la déesse savait que c'était le cas. Il faisait preuve d'une telle gentillesse et d'une telle prévenance à son égard qu'il ne pouvait en être autrement.

- Mew ! Mew ! appela soudain Joséphine. Est-ce que tu peux me refaire tes métamorphoses, s'il te plaît ?

Les deux enfants avaient adopté le pokémon, qui était à leurs yeux que l'une de ces créatures qui peuplaient le monde parmi tant d'autres. Ils ignoraient qu'il s'agissait d'un légendaire et le traitaient donc sans la moindre cérémonie, à l'instar de celle qu'ils surnommait "tante Athéna". Comme Mew aimait la simplicité, il ne le déplorait pas.

- Mew... commença la fille de Zeus alors qu'il allait retourner auprès de Joséphine. Pourquoi est-ce que tu ne resterais pas vivre ici, avec nous ?
- Tu veux dire... pour toujours ?
- Toujours est relatif lorsqu'il est question d'êtres humains. Disons pour longtemps.
- Et Arceus ? S'il le découvre...
- Arceus ne découvrira rien, assura Athéna. C'est moi qui veille sur cette maison et sur tous les gens qui y vivent. Si tu te sens bien ici, alors reste. Je suis convaincue que cela fera plaisir à tout le monde.

Mew conserva une expression neutre durant quelques secondes, puis sourit. La déesse l'imita. Pandore avait décidément le don de s'attacher l'affection de tous ceux qui l'approchaient. Avec un petit pincement au coeur, Athéna songea aux paroles qu'elle venait de prononcer à l'instant.

Toujours... Pour les légendaires, cela correspondait à une éternité. Pour les humains, ce n'était qu'une vie, courte, éphémère. Ils seraient désormais trois à devoir dire adieu à Pandore, dans un futur plus ou moins lointain. Le vide qu'elle laisserait serait immense. Qui aurait pu croire qu'une mortelle arriverait un jour à provoquer un tel sentiment chez des divinités ? Et surtout, comment eux-mêmes le supporteraient-ils ?

***
- Athéna ? Que...
- Je suis venue parler à Arceus. Laisse-nous seuls, s'il te plaît.

Zeus fut non seulement déstabilisé par l'arrivée inattendue de sa fille à la Cave d'Hadès, mais surtout par le ton autoritaire avec lequel elle s'adressa à lui, elle qui était d'ordinaire toujours si respectueuse. S'était-il passé quelque chose avec Pandore ? La dernière fois que les Zarbi étaient venus transmettre de ses nouvelles au Créateur, elle se remettait lentement de la perte de son enfant.

- Que me veux-tu, Athéna ? s'enquit Arceus, à l'autre extrémité de la salle, pendant que son humain consentait à quitter la pièce.
- La question, c'est plutôt ce que toi, tu veux, répondit-elle aussitôt.
- Comment cela ?
- Pandore a été sauvée... pour cette fois. Je ne t'ai toutefois jamais caché qu'elle mourrait tôt ou tard.
- Crois-tu qu'il soit utile de me le rappeler alors même qu'elle vient de frôler la mort ? Est-ce une façon de t'assurer que je ne sombrerai pas dans la folie lorsqu'elle quittera ce monde ? Je suis fort, Athéna. J'ai surmonté la trahison de Lilith et je...
- Hum, hum... fit la déesse en lui jetant un regard noir.

Elle était précisément convaincue du contraire. Sa jalousie à l'encontre de Giratina l'avait plongé dans une folie vengeresse et avait fait naître en lui une pulsion de destruction démesurée envers ce couple si particulier qu'elle-même n'avait jamais désapprouvé. Ce n'était toutefois pas le sujet de la conversation.

- La douleur que tu éprouveras à son trépas sera immense. Je le sais, car je ressentirai la même. J'aime Pandore au moins autant que toi, peut-être davantage. La perdre sera pour moi plus difficile encore que d'assumer l'abomination que j'ai commise lors de ma lutte contre Némésis.
- À quel jeu joues-tu, Athéna ? Pourquoi me rappeler que cet avenir si funeste est inéluctable ? Est-ce ta façon de te venger parce que j'ai osé la toucher ?
- Non. Parce que cette fin que nous redoutons n'est peut-être pas si irrémédiable que cela, d'où l'accord que je te propose. Que serais-tu prêt à m'accorder si j'offrais l'immortalité à Pandore ?
- Tu ne le peux pas. Tes pouvoirs sont immenses, mais tu ne les maîtrises pas assez pour te risquer à une telle expérience sur elle. Je te l'interdis.
- Admettons que j'ai un moyen d'y parvenir.
- Mais tu n'en as pas, coupa l'Alpha.
- Arceus, réponds à ma question ! insista Athéna d'une voix forte. Que m'offrirais-tu en échange d'une éternité pour ta bien aimée ?
- Je l'ignore... Ce que tu désires, sans doute. Que souhaites-tu, cependant ? L'élimination de Volupté, alors que tu ne cesses de me seriner sur l'importance de la survie de tous les légendaires pour le maintien de l'équilibre ?
- Qu'importe ce que je désire. Ce qui compte, c'est que je sois certaine que tu me l'accordes si je réussis. Me le promets-tu ?
- Tu n'as aucune chance de réussir.
- Me le promets-tu ? répéta la déesse.

Arceus la jaugea du regard. Que lui prenait-il, et surtout où voulait-elle en venir ? Ce comportement, de même que le discours qu'elle tenait, ne ressemblaient en rien à son attitude habituelle. Il y avait quelque chose d'étrange, dans cette histoire. Il savait cependant qu'il ne parviendrait pas à lui soutirer la moindre information, aussi capitula-t-il :

- D'accord, je te le promets. Puis-je maintenant te demander quelle folie te pousse à croire que tu pourrais figer l'existence de Pandore, alors que seuls les humains liés à des légendaires disposent de l'immortalité ?

Athéna esquissa un sourire, tout en glissant une main dans la poche de sa robe. Elle en sortit une petite fiole en verre, qu'elle agita devant elle. Arceus, malgré la distance, disposait d'une assez bonne vision pour lire l'inscription qui ornait son étiquette jaunie par les années.

Essai potion d'éternité
- Circé a travaillé pendant de nombreuses années sur un élixir d'immortalité pour Lilith, commenta la fille de Zeus.
- Elle a toujours échoué à le créer, cependant.
- Peut-être, mais si quelqu'un est capable d'y parvenir, c'est bien elle.
- Est-ce donc cela, ton plan ? Demander à Circé de fabriquer une potion pour accorder la vie éternelle à une humaine ? Autant lui dévoiler directement mon secret, dans ce cas, car elle aura tôt fait de s'interroger. Comment pourrais-tu justifier une telle requête ?
- En lui avouant la vérité. Je n'ai pas sauvé Pandore de sa grossesse mortelle. J'ai demandé à Mew de le faire à ma place.
- Quoi ? rugit Arceus. Tu as osé trahir ta parole ?
- Je t'ai juré de la protéger. Quel intérêt de préserver le secret de son existence dans le but de la maintenir à l'écart de tout danger si c'était pour la regarder mourir ? Ne t'inquiète pas, tu n'as rien à craindre de Mew.
- Rien à craindre de lui ? Il me considère comme responsable de la mort d'Isis.
- Ce qui est le cas, soit dit en passant. Toujours est-il qu'il a accepté de m'aider. Il ne l'a pas fait pour toi, mais pour Pandore, et il est resté avec moi à son chevet depuis tout ce temps. Il s'est énormément attaché à elle et je n'exagère pas en affirmant qu'il puise dans l'attention qu'il lui porte un peu de réconfort. Il n'a pas pu sauver son humaine, alors il a entrepris de veiller avec moi sur celle-ci.
- Quel est lien de tout ceci avec Circé ?
- C'est pour Mew que je vais lui demander cette potion d'immortalité. Pandore sera en quelque sorte sa nouvelle humaine, à ceci près qu'il n'aura aucun lien avec elle. Et toi, coupable que tu es de la mort d'Isis, tu lui devras bien cela.
- Elle n'acceptera jamais. Pas même pour Mew.
- Elle n'acceptera pas pour Mew. Elle acceptera parce que tu vas la gracier, et que tu vas renoncer à l'assassinat de tous les Renégats, que tu t'es mis en tête d'orchestrer à la seconde même où ils ont attaqué la Salle Originelle.
- Il n'en est pas question !
- Tu m'as affirmé que cette mise à mort n'avait que pour objectif de protéger Pandore de leur fureur s'ils venaient à découvrir son lien avec toi. Techniquement, elle n'en aura aucun, hormis avec Mew.
- Ils sont beaucoup trop sournois. S'ils le veulent vraiment, je suis convaincu qu'ils peuvent découvrir la vérité, en particulier ce fourbe de Satan. Et tu sais comme moi qu'une telle révélation anéantirait à coup sûr ce qu'il reste de la Confrérie originelle.
- Tu procéderas comme tu l'as fait pour Némésis. Si tu parviens à les capturer, tu les placeras sous scellés. Ainsi, coupés du monde, ils ne menaceront en rien l'existence de Pandore ou la tienne. Simplement, ils seront vivants et nous aurons tous les deux ce que nous souhaiterons.
- Encore faut-il parvenir à les attraper, grommela Arceus. M'y aideras-tu ? Ou, à défaut, cesseras-tu de te mettre entre eux et moi ?
- Comme si j'étais d'une nature à faire cela... répondit Athéna avec l'ébauche d'un sourire. Si j'ai la certitude que tu les épargneras, j'imagine que je n'aurai plus de raison de m'opposer à leur traque. En revanche, pour Circé, tu la libéreras de toute charge pesant contre elle en échange de sa promesse de ne plus jamais rien tenter contre toi. C'est une juste récompense si elle réussit, non ?

Arceus ne répondit pas immédiatement. Comme toujours, l'idée de la déesse était excellente, mais cela suffisait-il ? Jusqu'à présent, rien ne s'était passé comme prévu. Y avait-il une chance pour que, cette fois-ci, tout fonctionne selon leurs plans ? Où leurs projets allaient-ils encore se solder par un brutal revers de fortune ?

- Circé a déjà tenté de créer un élixir d'éternité pour Lilith, mais elle a échoué. Qu'est-ce qui te fait dire qu'elle va y parvenir, cette fois-ci ?
- Si ce n'est pas le cas, il me restera toujours les Zarbi pour la mettre sur la voie. Elle est brillante, cependant, et encouragée par la promesse d'une grâce, elle sera d'autant plus déterminée à atteindre son objectif, sans avoir besoin de mon aide pour cela.
- Tu as tout calculé, n'est-ce pas ?
- En effet, affirma Athéna avec un petit air satisfait. Même si cela n'effacera pas ce qui s'est passé au cours de ces derniers mois, j'ai bon espoir de ramener enfin les choses à normale, or je crois que c'est précisément ce dont j'ai besoin pour parvenir à me remettre de ce que j'ai fait.

La déesse ferma les paupières. Sauver la vie des Renégats et prolonger indéfiniment celle de Pandore ne suffiraient pas à effacer celles volées des milliers d'habitants de l'Atlantide, mais c'était toujours mieux que rien. Au moins, elle aurait le sentiment d'en avoir retirer quelque chose de bien.

***
Athéna pénétra prudemment dans la Caverne Azurée, non loin de la ville d'Azuria. Elle ne s'était pas attendue à trouver Circé dans une grotte, car Shaymin bénéficiait toujours de plus d'énergie au soleil et que les plantes ne poussaient pas dans un environnement aussi rocheux et sombre que celui-ci, mais les Zarbi lui avaient pourtant indiqué qu'il s'agissait de sa cachette.

Comme tous les légendaires, elle ne souffrait guère de l'obscurité et parvenait à distinguer son chemin. Elle progressait à un rythme mesuré à cause du sol inégal, et surtout de l'écho provoqué par chacun de ses pas. Elle ne tenait pas à ce que Circé anticipe son arrivée, or même sans utiliser ses pouvoirs, elle parvenait à camoufler son approche. Il aurait été sot de se faire démasquer par un son.

Si jamais la maîtresse des poisons devinait sa présence, elle serait tentée de prendre la fuite avant même qu'Athéna ait eu l'occasion de lui parler. Elle savait qu'elle se montrerait particulièrement difficile à convaincre, aussi avait-elle déjà préparé mentalement une longue argumentation.

La fille de Zeus longea de nombreux boyaux, traversa tout autant de grottes, jusqu'à en atteindre enfin une qui était éclairée. Lorsqu'elle émergea à l'extrémité du tunnel, le plus long qu'elle ait parcouru jusqu'à présent, elle constata qu'une trentaine de torches étaient accrochées aux parois de pierre et que Circé se tenait au centre, à côté d'une table taillée à même la roche.

Son réflexe fut immédiat. Sitôt qu'elle aperçut Athéna, elle dégaina une dague qu'elle pointa à ses pieds, tandis que Shaymin bondissait devant elle, une gracidée dans la gueule, prêt à prendre sa forme ciel pour combattre au moindre signe de menace.

- Qu'est-ce que vous faites là ? gronda son humaine, menaçante.
- Abaissez votre arme, Circé. Vous n'avez rien à craindre. Je n'ai nullement l'intention de vous faire du mal.
- Encore heureux ! Il s'agirait bien de la première fois de votre existence où vous feriez quelque chose.

Athéna accepta la remarque sans ciller. Elle savait que sa passivité était le plus grand défaut que tous lui reprochaient et le nier n'aurait servi à rien. Elle n'avait pas peur de s'opposer à Arceus, certes, mais elle avait trop souvent cédé du terrain face à lui pour que les autres songent à la prendre au sérieux.

- Circé, je ne viens pas en ennemie. Je veux seulement discuter avec vous. J'ai une proposition à vous soumettre.
- Une proposition ? Tiens donc... Quelle est-elle ? Si je me rends, ma mort sera rapide et je ne souffrirai pas ? Si c'est cela, vous auriez eu autant de quitte à faire déplacer Arceus en personne. Il ne m'a pas attrapée jusqu'à présent et il...
- Il est prêt à vous gracier.

Un silence soudain s'abattit sur la salle. La maîtresse des poisons observa Athéna durant une longue minute, sans même cligner des paupières, avant que ses sourcils ne se froncent. Elle afficha un rictus, puis lâcha :

- Me gracier ? Arceus ne me laissera tranquille que le jour où ma tête aura roulé loin de mon corps.
- Arceus a commis une erreur lors de la bataille de la Salle Originelle. Isis a perdu la vie et il doit maintenant se racheter auprès de Mew, de crainte de représailles.
- Comme si la simple colère d'un pokémon le dérangeait. C'est plutôt ce pauvre Mew qui est à plaindre. D'ici peu, il sera traqué et persécuté, à notre instar, s'il s'avise de s'opposer à son Alpha.
- Détrompez-vous, Circé. Il n'y avait pas que pour lui qu'Isis comptait. Elle avait toute sa famille, autrement dit beaucoup de monde. Osiris ne dormira pour l'éternité, Seth est aveuglé par la rage et Horus, bien qu'il ne soit qu'un jeune légendaire, démontre déjà des facultés impressionnantes. Si Mew parvient à les convaincre et qu'ils se confrontent tous ensemble, Arceus aura beaucoup à perdre. Rayquaza à lui seul peut représenter une menace.
- Je l'admets, mais croyez-vous vraiment que cela m'attriste qu'Arceus puisse se sentir menacé ? Bien au contraire. Plus ses rangs s'affaibliront, plus nos chances de survie s'accroîtront de manière exponentielle.
- Écoutez-moi, Circé...

Athéna réussit à obtenir l'attention de la légendaire et à ne pas se faire interrompre par elle suffisamment longtemps pour lui exposer ce qu'ils attendaient tous d'elle. Au fur et à mesure que la fille de Zeus poursuivit ses explications, son visage au teint cireux se rembrunissait.

- De trois choses l'une. Tout d'abord, je ne vois pas pourquoi j'accepterai de faire ce que vous attendez de moi. Je me moque totalement de Mew, d'Arceus et encore plus de vous. Ensuite, même si je le désirais, je ne le pourrais pas. Je n'ai toujours pas trouvé la clé de l'élixir de longue vie. Enfin, qu'est-ce qui me garantie que cette grâce que vous me faites miroiter, je l'obtiendrai réellement ? Je n'ai aucune confiance en Arceus, pas plus qu'en vous.
- Vous devriez, pourtant. Si j'étais vraiment décidée à causer votre perte, je l'aurais déjà fait à maintes reprises. Grâce aux Zarbi, je sais tout, je vois tout. Je pourrais vous livrer en pâture à Arceus, lui dévoiler le rôle de Darkrai et d'Inari lors de la bataille de la Salle Originelle, pourtant je ne le fais pas. C'est la preuve que je tiens à votre survie.
- Et celle d'Isis, vous y teniez également ? répliqua Circé, acerbe. Quand on voit son sort, permettez-moi de nourrir des doutes quant à votre capacité à assurer la sécurité de quiconque. Vous avez beau vous prétendre bienveillante, dès qu'il s'agit de s'écraser devant Arceus, vous êtes la première à ramper.

Là encore, la déesse conserva une expression neutre. Elle était capable de supporter bon nombre de reproches sans s'en offusquer. Elle laissa quelques secondes s'écouler, afin de laisser la tension s'apaisait un peu, avant de reprendre avec la même douceur :

- Vous n'avez rien à perdre, Circé, en acceptant cette proposition. Dans le meilleur des cas, si Arceus tient parole, vous gagnez une grâce. Dans le pire, vous reprenez le mode de vie qui est le vôtre depuis la chute de la Salle Originelle : la fuite. Cela ne changera rien et peut même vous apporter beaucoup.
- Détrompez-vous. J'y laisserai ma fierté en permettant à Arceus de me manipuler et en accomplissant ce qu'il attend de moi, pour rien.
- Peut-être, mais au bout, il y a la liberté qui vous attend.
- La probabilité pour qu'il tienne parole est... nulle. Jamais je ne l'ai vu respecter le moindre de ses serments. De ce fait, ma réponse est non. Partez, maintenant.

Athéna, en dépit de son instance, ne bougea pas. Elle hésitait, tiraillée entre l'idée d'obéir pour ne pas agacer davantage Circé ou celle d'insister, à ses risques et périls. Elle était sur le point de se résoudre à tourner les talons lorsqu'elle se ravisa. Elle inclina légèrement la tête vers l'avant, un sourire aux lèvres, puis dit :

- Très bien. Puisque cette offre ne vous convient pas, j'en ai une autre à vous soumettre. En plus, bien entendu.
- N'avez-vous pas écouté ce que je viens de vous dire ? gronda la maîtresse des poisons. Partez !
- Non, Circé, c'est vous qui allez m'écouter. Je ne veux pas cet élixir d'immortalité pour servir les desseins d'Arceus, mais pour Mew. Je sais ce qu'il ressent. Je vis sans mon légendaire depuis ma création et, croyez-moi, il n'existe rien de plus terrible.
- Est-ce avec de bons sentiments que vous espérez me convaincre ? Vous faites erreur.
- Non. Je sais que vous êtes une femme froide et rationnelle, et que faire appel à votre coeur serait vain. C'est à votre esprit que je m'adresse. Vous avez échoué jusqu'à présent à fabriquer l'élixir d'éternité pour Lilith et...
- Quelle importance ? Darkrai m'a appris, pour son glyphe. Même si nous ignorons tous par quel miracle cela a pu se produire, je sais qu'elle est désormais immortelle. Que je parvienne à mes fins ou non avec cette potion ne changera rien.
- Dans ce cas, il me faut en conclure que vous ne vous défiez pas autant de moi que vois le prétendez, souligna Athéna, puisque c'est moi qui ai communiqué ces informations à votre ami. Je les tiens des Zarbi et Darkrai a dû vous avertir qu'elles étaient relativement floues. Pour la première fois, je ne tiens pas comme sûrs ce qu'il m'ont indiqué. S'ils sont dans l'erreur, bien que cela reste peu probable, et que Lilith n'a aucun don d'immortalité, ne croyez-vous pas que cette potion serait une bénédiction pour elle ? Qui plus est, si vous la pensez devenue inutile, alors pourquoi continuer à tenter de la fabriquer ?

Circé ne répondit pas immédiatement. Les paroles de la fille de Zeus venaient de semer le doute dans son esprit. Darkrai lui avait rapporté, suite à son dernier contact avec Lilith, qu'elle-même se sentait différente et qu'elle était convaincue qu'elle bénéficiait bien de la vie éternelle, désormais. Même si elle n'était pas une légendaire à proprement parler, son instinct était suffisamment développé pour lui permettre de savoir de quoi il en retournait.

C'était surtout la seconde remarque d'Athéna qui la perturbait. Pourquoi s'échinait-elle à mettre au point un procédé d'immortalisation devenu obsolète ? La réponse était simple. Elle voulait trouver la solution. Elle avait passé des années à tenter de mettre au point cette potion et, à présent, elle ne renoncerait pas tant qu'elle n'aurait pas obtenu la recette finale, si tant est qu'elle existe. Sa soif de savoir le réclamait.

- C'est mon plus grand défi, avoua Circé. Je suis la maîtresse des poisons. Jusqu'à présent, j'ai inventé mille et une façons d'ôter la vie, de la préserver, de la rallonger... mais pas de la rendre éternelle. Si je réussis, j'aurai atteint mon objectif suprême.
- Que diriez-vous si je décidais de vous y aider ?
- Comment le pourriez-vous ? Vous n'entendez rien aux plantes, ni à l'art des potions.
- Non, en effet, admit Athéna. En revanche, je possède une arme visiblement bien plus utile que votre talent, en de telles circonstances.
- Vous... Les Zarbi, c'est cela ? Vous escomptez marchander un élixir d'immortalité contre... sa recette ?
- Cela me semble un accord équitable, non ? Et puisqu'il me faut cette potion, cela devrait vous convaincre que je ne m'aviserais en aucune façon de vous duper.
- Vous seriez vraiment prête à faire cela ? demanda Circé, les sourcils arqués. À me confier l'un des plus grands savoir, uniquement pour rendre service à Mew ?
- Seth m'a demandé de sauver Isis, mais je n'ai pas réussi.
- Vous, dont l'on m'a pourtant rapporté que vous aviez vaincu Némésis ? Comment cela est-il possible ?

Athéna ne répondit pas. Seuls les membres de la Confrérie qui n'avaient pas encore été défaits par la Justice ce jour-là avaient pu voir son véritable visage, et Zeus avait obtenu de chacun d'eux qu'ils gardent le secret. Darkrai lui-même, par respect pour elle, avait tu cet épisode auprès des Renégats. Elle se doutait que cette sombre histoire serait tôt ou tard connue de tous, mais elle n'était pas pressée que cela soit le cas.

- Mes pouvoirs sont d'une nature particulière. Ils sont capables de prouesses, mais peuvent tout aussi bien me décevoir. Toujours est-il que, depuis ce jour, je me sens en partie responsable du sort d'Isis.
- Le seul responsable, c'est Arceus. Si vous vouliez rendre justice à Isis, vous auriez dû laisser Lilith et les autres le tuer, au lieu qu'ils soient tous contraints de fuir.
- La mort n'est pas la solution, quel que soit le problème. Croyez-moi, j'ai à maintes reprises tenter de plaider en faveur de Lilith, mais...
- Cela n'a rien changé. Une fois encore, Athéna, vous n'avez servi à rien.
- Je peux racheter mes torts aujourd'hui, que ce soit auprès de Mew ou auprès de vous. J'offre l'éternité à cette humaine qu'il apprécie tant et vous, je vous apporte votre liberté, ainsi que la réponse au plus grand mystère que vous aurez jamais à élucider.

Circé s'accorda quelques secondes de réflexion. Si elle n'avait que faire du légendaire d'Isis et qu'elle ne croyait pas une seule seconde qu'Arceus la laisserait reprendre une existence normale, même après qu'elle lui eut rendu tous les services du monde, elle était tenté d'obtenir la recette de l'élixir d'éternité.

Si elle refusait cette offre, Arceus la trouverait et la tuerait peut-être avant qu'elle ait eu le temps de caresser son but ultime, or elle ne pouvait le tolérer. Elle sentait qu'elle touchait au but, il ne lui manquait pas grand-chose pour parvenir à mettre au point cette potion qui serait son chef-d'oeuvre.

- Je suis prête à accepter, déclara-t-elle soudain, mais à une condition.
- Si je peux y accéder, elle vous sera accordée. Quelle est-elle ?
- Je veux être la seule à détenir ce secret. Je veux qu'en dehors de moi, tous ignorent cette information, y compris vous. Spécialement vous, puisque les Zarbi sont habilités à la fournir. Je tiens à être l'unique détentrice de l'élixir d'immortalité, et ce jusqu'à la fin des temps.
- D'accord. Vous avez ma parole, Circé, et même si vous n'y croyez pas, elle vaut de l'or, pour reprendre une expression humaine.

Athéna frappa dans ses mains et les Zarbi se matérialisèrent au coeur de la caverne, tandis que Shaymin reculait, les fixant d'un oeil méfiant. Ils exécutèrent leur traditionnel balai aérien avant de se regrouper autour de la maîtresse des poisons, sur ordre de leur déesse.

Circé ferma les paupières, laissant les images que lui montraient les créatures alphabétiques s'insinuer dans son esprit. L'expérience était troublante, presque violente, et elle la mettait mal à l'aise. Malgré cela, elle résista courageusement, jusqu'à ce que les flashs s'interrompent. Cet épisode pénible laissa place à la satisfaction.

- Avez-vous ce dont vous avez besoin ? s'enquit Athéna.
- Accordez-moi un mois, le temps pour moi de rassembler tous les ingrédients et de préparer la potion, car certains nécessitent macération. Bien entendu, je veux pouvoir circuler en toute tranquillité entre les diverses régions, sans être traquée par quiconque.
- Arceus donnera des ordres. Puisque tout semble réglé, fixons-nous rendez-vous. Dans un mois, donc... au temple Sinjoh.

Circé fronça les sourcils. Même si la bataille de la Salle Originelle avait eu lieu immédiatement après la défaite de Némésis, elle n'ignorait pas que c'était là-bas qu'elle avait été placée sous scellés. Elle trouvait cela étrange qu'Athéna ait proposé ce lieu, mais elle ne posa pas de question. Toute cette histoire était suffisamment saugrenue ainsi.

***
- Si je deviens immortelle, qui s'occupera d'Antonin ? Et de Joséphine ?
- Toi, bien sûr. Nous n'allons pas t'arracher à ta vie, seulement l'allonger à l'infini.

Tout en prononçant ces mots, Athéna éclata d'un petit rire. L'anxiété de Pandore la faisait rire, alors qu'elle-même était parfaitement sereine. Elle faisait confiance à Circé, car elle savait qu'à l'instar de tous les Renégats, elle était digne de foi. Elle respecterait ce à quoi elle s'était engagée.

- Je vais te conduire au temple Sinjoh, où Circé nous remettra la potion. Arceus tient à être là, et à ce que tu la boives devant lui, au cas où...
- Au cas où la Renégate essaye de me tuer ?
- Elle ne le fera pas. Les amis de Lilith ont des défauts, mais ils sont intègres. Qui plus est, à ses yeux, tu es simplement l'humaine que Mew a prise en sympathie. Elle n'a donc aucun grief contre toi. Arceus est méfiant de nature. Il ne consentira à gracier Circé qu'une fois que tu seras rentrée chez toi avec Mew sur tes deux jambes.
- Comment saurons-nous si cet élixir d'éternité fonctionne ? interrogea Pandore.
- Mes Zarbi pourront nous le confirmer.
- Alors... Mis à part le fait que je ne vieillirai plus et que je ne risquerai plus de mourir, il n'y aura aucune différence entre avant et maintenant ?
- Les préparations de Circé n'ont jamais d'effets secondaires. Elle est la meilleure. N'oublie pas que c'est grâce à l'une de ses recettes que j'ai pu sauver la vie de Joséphine.
- Je... Tu as raison. Ce remède était un vrai miracle.

Pandore baissa la tête, en proie à une tristesse soudaine, alors qu'elle n'exprimait qu'une franche curiosité jusqu'à présent. Athéna l'observa, alertée par ce brutal changement. Elle s'empressa de la questionner.

- C'est juste que... Je suis en train de penser que... Il me faudra les voir mourir, n'est-ce pas ? Joséphine, Antonin...
- C'est hélas le plus grand défaut de l'immortalité. Voir disparaître l'éphémère. Si cela ne tenait qu'à moi, ils bénéficieraient du même traitement que toi, mais il s'agit d'une entorse que nous faisons à la nature. Ses lois ne sont pas faites pour être transgressées, normalement.
- Pourquoi le faire pour moi, dans ce cas ?
- Il n'y en a pas une que nous n'ayons enfreinte pour toi, admit Athéna. Une de plus ou une de moins, je ne crois pas que cela changerait grand-chose, désormais. Et puis, j'ose espérer qu'en agissant de la sorte, cela contribuera à réparer quelques-uns des nombreux torts qui ont été causés.

Elle fixa Pandore durant quelques secondes, si douce, si fragile. Il y a quelques années encore, songer qu'une simple humaine puisse en arriver là lui aurait paru inconcevable, pourtant c'était le cas.

- Mets ton capuchon, murmura Athéna en lui tendant le vêtement, afin qu'elle s'en recouvre. Il fait très froid, sur l'île où nous allons.

***
Circé frémit. Elle n'aimait pas être là. Bien que les scellés coupent totalement Némésis du reste du monde, elle avait presque l'impression de sentir sa terrifiante puissance, juste sous ses pieds. Cela la mettait mal à l'aise. Qui savait si, en dépit de la magie d'Athéna, elle n'allait pas réussir à s'échapper là, sur le champ, et appliquer sa terrible justice ?

Était-ce pour cette raison que la fille de Zeus avait choisi cet endroit précis comme lieu de rendez-vous ? S'agissait-il d'une inquiétante métaphore pour indiquer qu'elle était prête à faire régner l'ordre à son tour ? Comment pourrait-elle s'en targuer, cependant ? Elle était bien trop fidèle à Arceus pour parvenir à avoir une opinion propre.

Un gémissement arracha la maîtresse des poisons à ses obscures pensées. Elle se retourna en direction d'un homme, maintenu enchaîné contre un mur, dans une salle du temple où se trouvait une table de pierre. Il s'agissait d'un mortel, qui passait son temps à trembler et à écarquiller les yeux, apeuré. Livide, de la sueur perlait sur son front.

- P-Pitié... bredouilla-t-il. D-Détachez-moi.
- Non. Il faut que quelqu'un meurt, aujourd'hui. C'est le prix de la vie.
- P-Prenez quelqu'un d'autre, j-je vous en s-supplie.
- Pourquoi ? Tous les humains se valent à mes yeux. En quoi un autre que toi serait-il meilleur ou pire pour mériter un tel sort ?

L'autre s'apprêtait à répondre, mais Circé le fit taire d'un geste. Elle venait d'entendre un bruit, non loin de là, et elle sentait désormais une présence. Apparemment, ceux qu'elle attendait venaient d'arriver. Elle choisit volontairement de ne pas aller à leur rencontre, préférant les laisser venir à elle.

Elle n'éprouvait aucune curiosité à l'égard de cette humaine pour laquelle Mew s'était prise d'affection. Elle avait seulement envie d'en finir le plus vite possible avec toute cette histoire, afin de ne plus jamais être confrontée à Arceus pour le restant de son existence. Même s'il ne tenait pas parole, elle recommencerait à fuir comme elle l'avait fait jusqu'à présent.

Athéna pénétra la première dans la salle, avec sa grâce naturelle. Mew lévitait dans son sillage et entre eux se tenait une silhouette encapuchonnée, dont elle ne pouvait distinguer les traits. Arceus et Zeus complétaient le cortège, si bien qu'ils se retrouvèrent rapidement à l'étroit.

Circé se raidit à leur vue. Elle pouvait compter sur le soutien de Shaymin, certes, mais en cas de trahison, même lui ne serait pas de taille à la protéger face à eux tous. Elle redoutait de ne pas sortir indemne de ce temple si l'Alpha en décidait autrement, et elle n'imaginait pas Athéna, en dépit de son serment, se dresser en travers de sa route.

Elle inspira profondément. Si les choses tournaient mal, elle improviserait, comme les Renégats n'avaient de cesse de le faire depuis qu'ils étaient traqués. Les quatre légendaires qui lui faisaient face avaient beau être puissants, elle n'en demeurait pas moins maligne.

- Qui est-ce ? interrogea Athéna en désignant l'homme recroquevillé d'un mouvement du menton.
- Le dernier ingrédient de l'élixir d'éternité, bien sûr. Il nécessite un sacrifice. C'est la loi de l'équilibre. Le noir et le blanc, le bien et le mal... La vie et la mort.
- Nous n'avions pas convenu cela, coupa la fille de Zeus. Libérez cet humain.
- Nous avions convenu que je devais vous confectionner une potion d'immortalité. Elle est prête, il ne manque plus que l'ultime étape, celle qui consiste à y ajouter un coeur gorgé de vie. Pour cela, il faut qu'il soit encore palpitant au moment d'être ajouté à la préparation.

Pandore repoussa son capuchon vers l'arrière pour dévoiler ses yeux bruns et tourner un regard horrifié en direction d'Athéna, qui avait froncé les sourcils. Mew paraissait tout aussi contrarié qu'elle. Pour la première fois, la déesse regrettait l'une de ses promesses. Si elle avait su avant que la recette communiquée par les Zarbi à Circé nécessitait la mort d'un humain, elle n'aurait jamais permis qu'ils en arrivent là.

- Il y a sûrement un autre moyen, affirma-t-elle. Vous êtes la maîtresse des poisons, ne pouvez-vous... Ne pouvez-vous trouver un autre ingrédient ?
- Le sang appelle le sang. La vie la mort. Croyez-vous que s'il existait une méthode différente, vos Zarbi ne me l'aurez pas donnée ? Il s'agit probablement du seul moyen, d'autant que je suspectais déjà cette piste par le passé.
- Athéna... bredouilla Pandore. Je veux partir d'ici. Je veux qu'on rentre à la maison.

Elle tremblait, désormais, et Mew vint la prendre par le bras pour la soutenir, tandis que le regard d'Athéna continuait à papillonner de l'humain transi de peur à Circé. Lorsqu'il s'immobilisa, ce fut sur Arceus. Il conservait une expression stoïque qui ne lui plaisait guère. Elle en eut la confirmation lorsqu'il déclara :

- Faites ce pour quoi nous sommes venus ici. Procédez à l'immortalisation.
- Quoi ? Non ! protesta la fille de Zeus. Il n'est pas question que l'on sacrifie cet homme.
- Il mourra, de toute façon, que ce soit maintenant ou dans un demi-siècle. Autant que sa vie serve un dessein plus noble.
- Quel noble dessein nécessite la mort de quiconque ? intervint Mew. Pandore ne veut pas, Athéna ne veut pas, et je ne veux pas non plus. Vous ne pouvez...
- J'ai dit : procédez.
- Non... Non, pitié, ne le tuez pas, sanglota la jeune femme. Il m'est impossible d'accepter ça à ce prix. Je vous en supplie.
- J'en tirerai au moins le réconfort que tout le monde est logé à la même enseigne face à la cruauté d'Arceus, constata Circé. Viens là, toi.

Elle traversa la salle pour empoigner Pandore par son bras libre et l'arracha à l'étreinte de Mew afin de la traîner jusqu'à la table de pierre. L'humaine se débattit, mais ses maigres forces suffirent à peine à ébranler la maîtresse des poisons, tandis qu'elle s'efforçait de l'allonger dessus.

- Circé, ne faites pas cela ! intima Athéna.
- Et pourquoi non ? répliqua l'intéressée avec un sourire mauvais. Un promesse est une promesse, n'est-ce pas vous qui me l'avez dit ? Si j'offre l'éternité à cette humaine, j'obtiens ma liberté, c'est bien ce qui est convenu ?
- Vous...
- C'est exact, confirma Arceus.
- Je suis une femme d'honneur, Athéna, mais je suis surtout incroyablement égoïste, comme Scathach se plaisait à me le rappeler souvent. Qu'est-ce que représente pour moi la vie d'un insignifiant mortel, par comparaison à la mienne ?

Pandore se débattait en poussant des cris stridents, mais sur un geste de l'Alpha, Zeus vint remplacer Circé pour la maintenir en position allongée sur la table, pendant que la maîtresse des poisons se dirigeait vers son prisonnier. Celui-ci tenta de lui résister, en vain. Elle le tira à son tour jusqu'au centre de la salle.

- Arceus, je t'en conjure... souffla Athéna, assez bas pour que personne ne l'entende. Si tu l'aimes vraiment, ne lui impose pas cela. Comment pourra-t-elle vivre, une éternité de surcroît, en sachant qu'elle le doit à l'assassinat de l'un de ses semblables ?
- Elle apprendra. Elle m'en voudra sûrement au début, mais elle me pardonnera. L'avantage de l'éternité, c'est qu'elle ne connait aucune fin. Cela lui laissera donc tout le temps pour y parvenir.
- Circé ! appela la fille de Zeus. Endormez-la.
- Elle doit être consciente pour que l'élixir fonctionne convenablement, indiqua la légendaire. Le sommeil n'est qu'une ébauche de vie. Il n'aura pas le même effet sur un corps assoupi.

Pandore continuait toujours à crier et à se débattre, obligeant Zeus à abuser de sa force pour la maintenir à sa place, tandis que Shaymin ligotait à l'aide de lianes le futur sacrifice de sa maîtresse. Celui-ci sanglotait pitoyablement, s'attirant les regards noirs de Circé. Elle se dirigea vers sa trousse, de laquelle elle tira une grande fiole, rempli d'un liquide brunâtre.

- Le voici, commenta-t-elle avec fierté. L'élixir d'éternité. Et maintenant, la touche finale...

La légendaire empoigna le long couteau qu'elle portait à sa ceinture, sur lequel se posa le regard horrifié de Pandore. Sa terreur venait d'atteindre un point tel que sa voix se brisa dans un sanglot et qu'elle cessa de se débattre, paralysée. Circé saisit à deux mains la garde de son arme, puis vint se poster contre l'autel sacrificiel.

Athéna, n'y tenant plus, détourna les yeux. Elle n'avait pas oublié Isis, les lèvres maculées de sang, lorsqu'elle avait rendu son dernier souffle sous ses yeux, dans les bras de Seth. Le souvenir de Mew était visiblement identique, puisqu'il vint se blottir contre son épaule, pendant que la maîtresse des poisons déchiquetait la poitrine de sa victime.

Les hurlements de l'homme, qui avaient fait jusqu'à présent écho à ceux de l'amante d'Arceus, s'interrompirent brutalement. Circé enfonça sa main à l'intérieur de son buste, pour saisir entre ses doigts le coeur qui palpitait encore. Elle le tira, tranchant les veines qui le reliaient encore au reste du corps, et le plaça au-dessus du goulot de la fiole, à l'intérieur de laquelle elle le laissa tomber.

Elle agita sèchement la préparation, qui revêtit une teinte écarlate et une texture pareille à du velours liquide. Instinctivement, lorsque Pandore la vit approcher la potion d'immortalité désormais achevée de son visage, sa bouche se pinça. Zeus lui saisit le menton avec rudesse pour la contraindre à l'ouvrir.

- Vas-y ! intima-t-il à Circé.

Une seule gorgée suffirait, et elle n'en fit pas couler davantage dans le gosier offert de l'humaine. Le légendaire la força à avaler. Pandore déglutit péniblement, manquant de s'étouffer, mais elle y parvint. Des larmes ruisselaient le long de ses joues halées quand Zeus l'autorisa à se redresser. Elle toussota durant quelques secondes, puis tourna vers Arceus un regard empli de colère.

- Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
- Panny ! s'exclama aussitôt Athéna. Panny, non !

Elle prit une profonde inspiration et allait se précipiter vers la jeune femme pour la faire taire, mais elle n'en eut pas le temps. Déjà, Circé la fixait avec circonspection. Ses soupçons se lisaient dans ses yeux. Pour couronner le tout, Pandore, plutôt que de s'interrompre, poursuivit, furieuse :

- Je croyais que je devais avoir le choix ? Un homme vient de mourir pour moi, à cause de toi ! Arceus, comment as-tu pu ?
- Arceus... souffla la maîtresse des poisons. Alors, c'est cela... Je n'arrive pas à le croire. Espèce de traître ! Tu as banni Giratina, exilé Lilith, et tu envoies Athéna me raconter d'odieux mensonges pour que j'offre la vie éternelle à ta putain humaine ? Cela ne se passera pas ainsi !
- Circé, non ! s'écria Athéna en la voyant soulever son poignard pour l'abattre sur Pandore.

Par chance, Zeus réagit à temps. Un éclair vint foudroyer le poignet de la déesse avant qu'elle n'ait eu le temps de la blesser mortellement. Shaymin répliqua immédiatement en assénant une Éco-Sphère au légendaire, tout en saisissant dans sa gueule une Gracidée prise dans le nécessaire de sa maîtresse.

C'était désormais le chaos qui régnait dans la salle. Arceus n'avait plus qu'un seul objectif, celui de tuer Circé, pendant que Mew s'efforçait d'atteindre Pandore pour la conduire à l'abri. Les attaques fusaient dans tous les sens, provoquant de vives explosions dans cet espace confiné. Il ne pouvait s'effondrer, cependant, car les scellés le maintiendraient debout, quoi qu'il arrive.

- Arrêtez ! tenta d'intervenir Athéna. Arrêtez !

Alors qu'elle se dressait entre eux, elle fut percutée de plein fouet par l'attaque Jugement d'Arceus. Elle fut projetée face contre terre et s'écroula le nez dans la poussière, inconsciente, pendant que Zeus et l'Alpha continuaient d'attenter à la vie de Circé. Même si cette dernière ne possédait pas le dixième de leurs facultés, elle était nettement plus intelligente.

Shaymin plongea derechef dans son nécessaire à poison pour lui jeter une fiole, qu'elle saisit au vol, tandis qu'il la rejoignait en portant son sac deux fois plus lourd que lui. Le récipient contenait une poudre particulière, qu'elle prélevait sur les pokémon insectes et qui leur permettait de paralyser leurs adversaires. Couplée à quelques ingrédients de son cru, elle devenait capable d'immobiliser un légendaire pour une minute ou deux.

Son partenaire assura sa sécurité, tandis qu'elle projetait sa composition dans l'air. En agitant ses oreilles qui lui servaient également d'ailes, Shaymin la repoussa jusqu'à Arceus et Zeus, qui se figèrent presque aussitôt, en pleine offensive. Lui-même se protégea des effets paralysants à l'aide d'Aromathérapie, dont il fit également bénéficier Circé.

- Il faut partir tout de suite !

Sans perdre un instant, elle le délesta de son nécessaire à poisons, puis fondit hors de la salle. Elle n'aurait qu'une très courte avance sur l'Alpha et son humain, elle ne devait pas la gâcher. S'ils la rattrapaient, elle n'était pas certaine de parvenir à s'en sortir.

Tandis qu'elle quittait le temple Sinjoh, elle avala le contenu d'une nouvelle fiole. Grâce à la potion qui se trouvait à l'intérieur, elle pourrait respirer sous l'eau durant un moment. S'ils ne lançaient pas immédiatement Kyogre et Manaphy à sa poursuite, elle aurait peut-être une chance de s'en sortir, mais rien n'était encore fait.

***
Lorsqu'Athéna reprit conscience, elle était seule, à l'exception du cadavre de ce malheureux humain dont le sang avait créé une flaque écarlate sur le sol en pierre. Elle se redressa prudemment, tentant de modérer sa respiration agitée. D'un regard, elle balaya les alentours, scène de la dernière catastrophe dont elle était encore à l'origine.

Était-ce sa malédiction ? Ne pouvait-elle donc rien faire sans provoquer le chaos et la désolation autour d'elle ? Il n'y avait que le mal qu'elle semait dans son sillage, elle qui, depuis le début, ne désirait pourtant que le bien. Elle avait cru que, si elle réussissait cette fois-ci, si l'une de ses tentatives ne se soldait pas par une défaite, alors elle aurait su rendre son cours normal au destin, mais elle s'était trompée. Comme toujours.

Elle n'aurait jamais dû agir comme elle l'avait fait, continuer à interférer longtemps après avoir franchi la limite. Elle avait pensé que les choses ne sauraient être pires, mais elle avait appris à ses dépends que cela pouvait être le cas.

Que devait-elle faire, désormais ? Fallait-il qu'elle essaie encore de limiter les dégâts, quand elle n'avait fait que tout empirer à chaque fois ? C'était sans doute la décision la plus sage à la vue de tous les malheurs dont elle était la cause. Ne plus agir, rester en retrait et se contenter de regarder les évènements se dérouler, comme elle l'avait longtemps fait.

Qu'allait-il advenir de Circé, cependant ? Et de Pandore ? La maîtresse des poisons connaissait le secret d'Arceus, désormais, et il n'y avait aucune raison pour qu'elle ne le rapporte pas aux autres Renégats. Dès lors qu'ils sauraient la vérité, ils se mettraient à la traquer, ainsi que l'Alpha le redoutait depuis le début.

Circé méritait-elle la mort pour autant ? Non. S'il y avait une responsable, une coupable dans toute cette histoire, c'était elle. Athéna. Le sang avait déjà trop coulé par sa faute et elle ne pouvait accepter que la mort vienne frapper une nouvelle fois. Elle ne pourrait le supporter.

- Zarbi ! s'écria-t-elle.

Ses pokémon alphabétiques se matérialisèrent presque aussitôt autour d'elle. Elle pivota sur elle-même, tandis qu'ils tournoyaient avec grâce, comme à leur habitude. Prenant une profonde inspiration, elle ordonna :

- Trouvez le Renégat le plus proche d'ici et indiquez-lui comment rejoindre Circé. Sa vie est en danger, il faut absolument la protéger, mais avant de partir, dites-moi où Mew a conduit Pandore.

***
Circé prit une longue goulée d'air frais lorsqu'elle émergea de l'eau. Elle avait atteint la surface juste à temps, alors que les effets de sa potion commençait à se dissiper. Elle avait nagé longtemps en direction du sud, où elle avait fini par repérer une île. Elle laissa les vagues la porter jusqu'à la plage, en compagnie de Shaymin.

Le légendaire, qui avait repris sa forme terrestre, secoua sa fourrure végétale afin de se débarrasser des gouttelettes salines qui la recouvraient. Comme de nombreux pokémon plante, il n'appréciait guère la teneur en sel de la mer.

- Combien de temps crois-tu que nous ayons avant que Zeus et Arceus ne nous retrouvent ?
- Très peu. Tu les as pris de court en t'échappant par la voie sous-marine, ce à quoi ils ne s'attendaient sûrement pas, mais ils te localiseront très vite. Sans parler des Zarbi d'Athéna.
- Si Athéna avait déjà utilisé le pouvoir des Zarbi pour nous retrouver, nous serions tous déjà morts depuis longtemps. Je dois bien lui reconnaître cela, à défaut d'autre chose.
- Certes, mais jusqu'à présent, tu ignorais tout de ce que tu sais maintenant. Je n'en reviens pas... Arceus, une maîtresse humaine. As-tu conscience de ce qu'une telle information signifie ?
- Que notre tête est mise à prix, admit Circé. Il va mettre tous les moyens en oeuvre afin de me faire taire, et toi avec, par la même occasion.
- Non, ce n'est pas ce que je voulais dire, déclara Shaymin. C'est un moyen de rétablir l'honneur de Lilith et Giratina, ou au moins d'écarter Arceus. S'il commet le crime pour lequel il les a condamnés, qui continuera à prendre son parti ?
- Qui nous croira, surtout ?

Circé se mit debout et frotta énergiquement sa robe, alourdie par l'eau qui imbibait le tissu et les grains de sable qui étaient venus se coller dessus, tout en affichant une expression blasée. Comme venait de le souligner son pokémon, elle détenait désormais un secret capable de renverser Arceus, mais hélas, elle ne pouvait en disposer.

Sa parole, celle d'une Renégate, n'aurait strictement aucun poids. L'Alpha bénéficierait de l'appui de Zeus et d'Athéna, qui démentiraient le moindre de ses propos, la faisant passer pour une menteuse et attisant encore davantage la haine des autres légendaires à son égard.

- Darkrai, suggéra Shaymin. Ou Inari. Grâce à leurs stratagèmes, ils sont toujours dans les bonnes grâces d'Arceus.
- Et ils cesseront de l'être dès l'instant où ils s'opposeront à lui, comme n'importe qui. Nous ne pouvons parler de cela à personne. Ni à nos ennemis, car ils refuseraient de se fier à nous, ni à nos amis, car leur vie serait plus en danger que jamais, ainsi que la nôtre l'est en cet instant.
- Arrangeons-nous pour capturer cette humaine, alors. Si nous la dévoilons aux yeux du monde, ils seront bien forcés d'admettre qu'il s'agit de la vérité.
- Est-ce que tu as vu ce qui vient de se passer ? répliqua Circé. Arceus nous tuera avant même que nous ayons l'occasion de l'approcher à moins de dix kilomètres. C'est bien trop risqué.
- Qu'est-ce que tu as l'intention de faire, dans ce cas ?
- Ce que nous avons fait jusqu'à présent. Fuir. Certes, ils seront plus déterminés que jamais à nous tuer, mais nous nous en sommes toujours sortis. Je ne vois pas pourquoi cela changerait maintenant.
- Athéna, rappela Shaymin. Tout dépendra d'elle.
- Si elle nous livre à Arceus, elle nous condamne à mort, or elle est bien trop lâche pour accepter d'avoir du sang sur les mains, sans quoi elle aurait sans doute tué Némésis au lieu de se contenter de la vaincre. Elle n'irait pas souiller sa pureté pour un secret qui, dans notre bouche, ne vaut strictement rien.
- J'espère que tu as raison... Et aussi que tu as un moyen de nous conduire en sécurité, parce que nous ne réchapperons pas deux fois à un face à face avec l'Alpha.

Circé observa les alentours. L'île sur laquelle ils avaient échouée n'était pas grande, s'étendant tout au plus sur une vingtaine de kilomètres carrés. Elle n'offrait aucune cachette, seulement un peu d'ombrage grâce aux multiples palmiers qui poussaient dans le sable fin.

La mer les cernait de toutes parts, mais à force de scruter sa surface, rendue miroitante par les rayons du soleil, elle finit par distinguer un liseré noir qui se découpait à l'horizon. Un autre rivage, beaucoup plus grand.

- Je connais cet endroit, affirma-t-elle. C'est cette baie entourée par des rochers, que les humains ont choisi de baptiser Irisia. Nous ne sommes pas loin de Johto.
- Johto ? N'est-ce pas ici que Scathach se trouvait d'après les dernières informations que tu as eues ? Elle peut peut-être t'aider à t'échapper.
- Peut-être, mais encore faut-il la trouver. Elle est presque aussi douée que moi pour l'art de la fuite.

Circé contempla Irisia, qui ne paraissait être située qu'à une ou deux dizaines de kilomètres d'elle. Elle ne mettrait pas longtemps à parcourir cette distance à la nage, ce qui était préférable. Elle devrait nager hors de l'eau, à découvert, car elle n'avait plus une seule goutte de potion d'oxygène en réserve. Elle avait tout utilisé pour s'enfuir du temple Sinjoh avec Shaymin.

D'un geste, elle l'invita à le suivre. Ils avaient déjà perdu trop de temps, or ils ne pouvaient pas courir le risque de s'attarder si longuement en un même lieu. Ce serait offrir une chance à Arceus de les localiser encore plus facilement.

***
Percevant une présence inconnue et potentiellement hostile à proximité, Scathach passa un bras dans son dos, où ses doigts vinrent se refermer sur la garde d'un katana acéré. Elle le dégaina avec dextérité et le brandit devant elle, tout en exécutant un quart de tour sur elle-même.

- Qu'est-ce que... souffla-t-elle, stupéfaite, en apercevant son adversaire.

Il n'y avait pas qu'un seul individu, mais des centaines, et ils ne représentaient pas une aussi grande menace qu'elle l'aurait cru au premier abord. Du moins, elle ne pensait pas qu'ils puissent s'avérer dangereux. Les Zarbi d'Athéna, même s'ils disposaient de pouvoirs prodigieux, n'avaient pas la capacité de faire du mal à autrui. En revanche, elle n'accordait aucune confiance à leur maîtresse.

- Que faites-vous ici ? aboya-t-elle aussitôt en pointant sa lame dans leur direction. Que me voulez-vous ?

Tu dois te rendre à Isiria
Sans quoi Circé mourra
Sa vie est entre tes mains
Tu es maître de son destin


- Circé ? C'est bien la seule d'entre nous qui ne craint quasiment rien. Arceus lui-même serait incapable de la trouver tant qu'elle n'a pas décidé du contraire.

Elle le fuit en cet instant
Zeus est sur sa piste
Bientôt il l'aura rattrapée
Et si tu n'interviens pas
Il l'aura tuée


- Vraiment ? Puis-je savoir pourquoi vous venez me dire cela à moi ? Je croyais que vous n'obéissiez qu'à Athéna ?

Elle est notre maître
C'est elle qui nous envoie
Ses ordres nous ont conduits à toi


- Ses ordres ? Qu'est-ce qui me prouve qu'il ne s'agit pas d'un piège qu'elle désire me tendre, exactement comme elle l'a fait pour Némésis ?

Nous ne saurions mentir
Seule la vérité est de notre ressors
Tu dois intervenir, Guerrière,
Ou laisser ton amie mourir
Irisia sera le lieu de ton combat
Ou de sa perte


Scathach observa les Zarbi avec méfiance. Ses jointures, serrées sur son katana, blanchirent. Pouvait-elle vraiment se fier à leurs prédictions ? Cela signifiait-il que Circé était réellement en danger de mort ? Lorsqu'elle se résolut à ouvrir la bouche pour les questionner davantage, ils disparurent dans un tourbillon. Elle demeura seule, l'arme à la main, avec ses interrogations.

***
Athéna prit une profonde inspiration, debout sur le seuil du temple Sinjoh. Ses Zarbi étaient revenus, après avoir transmis son message à Scathach. Ils lui avaient fait part de son hésitation, mais elle connaissait la Guerrière et son sens de l'honneur. Elle savait qu'elle ne laisserait pas Circé risquer potentiellement sa vie dans l'unique but de ne pas mettre la sienne en danger.

- Circé a-t-elle l'intention de révéler ce qu'elle a découvert aujourd'hui ? interrogea-t-elle.

Ses pokémon se trouvaient dans son dos, à l'intérieur du temple. Ils tournoyaient mollement, et étaient moins nombreux qu'à l'accoutumée. Ils avaient abusé de la puissance de leurs dons, sur ordre d'Athéna, et ne lui seraient bientôt plus d'aucune utilité, du moins pas temps qu'ils n'aurait pas observé un long repos.

La maîtresse des poisons gardera le silence
Les Renégats n'apprendront rien
Elle connait la menace
Elle ne leur la fera pas subir


- Je m'en doutais, mais je doute que cela suffise à Arceus. Il va falloir que je...

Athéna n'acheva pas sa phrase. Les Zarbi, jusqu'à présent presque léthargiques, se mirent à s'agiter avec violence. Comme elle les regardait par-dessus son épaule, elle décida de se retourner totalement. Ils étaient en transe et s'apprêtaient à lui faire une prédiction capitale.

La chute d'Arceus surviendra
Provoquée par des mains humaines
Des mains féminines
Qui en seront l'instrument


La déesse cligna des paupières, surprise par une telle prophétie. Une femme, à l'origine de la déchéance de l'Alpha ? Le premier nom qui lui vint à l'esprit fut celui de Lilith, car il était le plus évident. L'épouse de Giratina, immortalisée par ses étranges pouvoirs, aurait l'éternité pour guetter l'heure de sa revanche dans le Monde Inversé.

Athéna s'aperçut cependant qu'un autre pouvait coller. Celui de Pandore. Les Zarbi avaient affirmé que Circé garderait le secret, mais ils n'avaient rien dit concernant le fait que nul autre ne le découvrirait jamais, d'une quelconque façon. Si l'amour qu'Arceus lui portait venait à s'ébruiter, cela sèmerait le chaos au sein de la Confrérie, plus encore que cela n'était déjà le cas. Ainsi, la jeune femme pourrait également être celle que les pokémon alphabétiques prédestinent à la déchéance du Créateur.

La fille de Zeus secoua la tête. Si cela devait se produire, que devrait-elle faire ? Depuis qu'elle avait tenté d'interférer, tout allait de mal en pis. Elle avait retenu la leçon, désormais, celle que Némésis avait tenté de lui inculquer. Hélas, cela survenait trop tard. La situation lui avait totalement et irrémédiablement échappé.

Elle avait voulu faire le bien, elle n'avait provoqué que le mal, au lieu de chérir cet équilibre que la Justice prônait constamment. Elle lui avait pourtant dit que tout ne pouvait être blanc, qu'il y avait besoin de noir, mais Athéna n'en avait fait qu'à sa tête. Dans le but de protéger les humains, puis Pandore, puis les Renégats, elle les avait tous mis plus en danger que jamais.

- Tout le monde a toujours loué ma sagesse et mon intelligence, murmura-t-elle. Arceus, Zeus, Prométhée... Pas un compliment ne leur a échappé, et pourtant... Pourtant, je ne possède pas le quart de votre esprit.

Elle s'adressait à Némésis, enfermée dans une salle juste au-dessous d'elle, par ses propres soins, de longs mois plutôt. La déesse ne pouvait sans doute pas l'entendre, à cause des scellés, mais cela n'avait aucune importance. Athéna pouvait imaginer quelle serait sa réaction si tel était le cas.

La Justice la mépriserait pour ses actes, et elle l'écraserait de sa suprématie. Elle avait toujours été hautaine, mais elle avait toutes les raisons pour cela. Elle était supérieure aux autres, indéniablement. En dépit de cela, elle avait été vaincue, par un odieux coup du sort. Athéna aurait dû essuyer une défait, comme la coalition d'Arceus avant elle, mais le hasard en avait décidé autrement.

Certes, Pandore serait morte, et la fille de Zeus n'aurait pu le supporter, mais l'équilibre aurait certainement été sauvé. Qu'allait-il advenir de lui, désormais ? Athéna ne contrôlait plus rien, qu'il s'agisse d'Arceus ou de tout ce qui s'écroulait autour d'elle. Quelle que soit l'humaine qui causerait la perte de l'Alpha, quel que soit le moment où cela se produirait, elle était convaincue d'une chose : ils ne pourraient échapper au chaos.

- Ils craignaient tous votre colère, mais finalement, je suis la seule à la mériter vraiment. Vous aviez raison pour tout. J'ai voulu me prendre pour vous et j'ai échoué. Lorsque cela sera nécessaire, j'assumerai l'entière responsabilité de mes actes. Je m'inclinerai devant vous, en vous suppliant de réparer mes erreurs, parce que j'ai échoué à le faire.

Athéna baissa la tête, puis fit quelques pas, jusqu'à se placer au coeur de ses Zarbi. Ceux-ci voletèrent autour d'elle, en silence. Elle cligna des yeux à deux reprises, la respiration lente, à l'instar des battements de son coeur.

- Je dispose de votre pouvoir, mais je peux également le prêter à quiconque, de la façon dont je le désire, n'est-ce pas ?

Nous sommes à toi
Parle, nous obéissons
Un seul mot, un seul ordre
Et ta volonté sera faite


- Très bien. Je veux partager votre don avec Némésis. Je veux qu'en dépit des scellés, elle puisse vous utiliser à sa guise. Il faut qu'elle sache ce que j'ai fait, où je mène le monde malgré moi. Il faut qu'elle est toutes les cartes en main, car je ne doute pas que, tôt ou tard, elle aura besoin. Elle ne restera pas éternellement ici, je le sais. Du moins, j'en suis convaincue.

Les Zarbi s'agitèrent encore quelques secondes, avant de disparaître. Athéna se retrouva seule au milieu du temple Sinjoh, à fixer le mur qui lui faisait face. Elle jouait à un jeu dangereux en se comportant ainsi, pourtant elle n'avait pas le choix. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même depuis la bataille de l'Atlantide. Si l'équilibre venait à être menacé, seule Némésis serait apte à le ramener.

La fille de Zeus savait que sa libération serait synonyme de jugements, de châtiments et de regrets, mais ce serait le prix à payer pour mettre un terme au chaos s'il devait éclater. Athéna espérait de tout son coeur que cela ne se produirait jamais, mais puisque la situation ne cessait de se dégrader, elle ne pouvait s'empêcher de redouter que le pire se produise un jour, même si cela ne devait être que dans un millier d'années.

***
Circé courait aussi vite qu'elle le pouvait. Elle avait quitté Irisia et se dirigeait désormais vers l'intérieur des terres de la région Johto. Elle ignorait encore où elle pourrait se cacher, mais elle réfléchissait déjà à un moyen d'y parvenir. Avec l'aide de ses nombreuses potions, disparaître ne devrait pas être si compliqué, mais encore fallait-il qu'elle en ait le temps.

- Circé... murmura Shaymin, pelotonné sur son nécessaire, qu'elle tenait à la main.
- Non...

Elle leva les yeux en direction du ciel pour constater que celui-ci était devenu particulièrement sombre, à cause des nuages épais qui l'avaient envahi. Un violent coup de tonnerre retentit, suivi de près par un éclair aveuglant. La foudre vint frapper un arbre, non loin de là, qui s'embrasa.

- Il nous a rattrapés, souffla-t-elle. Zeus...
- Nous allons devoir combattre.
- Nous ne sommes pas de taille face à lui, il va plutôt falloir ruser. Hélas, j'ai utilisé mes meilleures potions pour parvenir à m'échapper au temple Sinjoh.

Circé lâcha son sac en cuir et se mit à fouiller à l'intérieur. Elle avala deux fioles successivement, l'une servant à accroître temporairement ses aptitudes naturelles, l'autre sa résistance, pendant que Shaymin aspergeait sa fourrure végétale de pollen de Gracidée.

- Si Arceus n'est pas avec lui, nous avons peut-être une chance de... commença le pokémon, avant d'être interrompu par sa maîtresse.
- Ton optimisme est louable, mais je crains que nous n'en ayons aucune. Zeus est bien trop fort pour nous. Même Satan le redoute, or il est aussi puissant que lui.

Tandis qu'elle prononçait ces mots, la main de Circé se resserra sur la garde d'un poignard, soigneusement rangé au milieu de ses potions. La lame était tranchante, et recouverte de son poison le plus puissant, celui qui pouvait tuer un humain ou un pokémon en quelques minutes.

Il ne pouvait causer la mort d'un légendaire, car ils étaient bien trop résistants pour que cela suffise, mais il était assez redoutable pour les affaiblir grièvement, et ce durant plusieurs jours. Si elle parvenait à blesser Zeus avec son arme, elle s'accorderait un répit supplémentaire. Elle était réaliste, cependant. L'atteindre relèverait du miracle.

Elle prit une gorgée d'antidote, afin de s'immuniser contre la toxine, puis se redressa, prête pour un combat qui risquait d'être le dernier. Mentalement, elle maudissait Lilith, elle maudissait Athéna. Elle maudissait toutes les divinités, sans exception. Elle qui aimait tant la solitude, elle aurait dû se contenter de rester à l'écart de tout, comme elle l'avait toujours fait, mais elle avait pourtant accepté de prendre le parti des Renégats. Elle ne cesserait jamais de le regretter.

- Le voilà... souffla Shaymin.

Zeus venait d'émerger d'un petit bosquet d'arbres, le visage fermé, l'oeil menaçant. Sa main droite était serrée sur son sceptre, qu'il pointait dans sa direction. Circé réagit de justesse et se jeta sur le côté, imitée par son pokémon, pour échapper à l'éclair qu'il tira dans leur direction.

L'herbe fut brûlée à l'endroit où ils se tenaient encore une fraction de seconde plus tôt. Une fumée noirâtre s'en éleva, de même qu'une odeur pestilentielle. Déjà, Shaymin répliquait à l'aide d'une Éco-Sphère, qui fut foudroyée en plein vol.

- Rends-toi, maîtresse des poisons ! tonna l'humain d'Arceus, pour couvrir la centaine de mètres qui les séparait. Si tu acceptes de te rendre, ton agonie sera courte.
- Une agonie reste une agonie, Zeus. Je ne te laisserai pas prendre ma vie après avoir offert l'immortalité à la catin de ton Alpha.
- Puisqu'il doit en être ainsi...

Un nouvel éclair, plus puissant que le précédent, jaillit de l'instrument du dieu. Cette fois, en heurtant le sol, il provoqua une explosion qui repoussa Circé. Elle retomba brutalement sur le flanc, le nez dans la boue. D'un signe de tête, elle invita Shaymin à repasser à l'action sans perdre un instant.

Zeus se désintéressa néanmoins du pokémon, afin de viser la légendaire derechef, profitant de sa mauvaise posture. Elle ferma les yeux, osant espérer que la première décharge ne serait pas celle qui lui serait fatale. Comme elle avait refusé de se rendre, il s'efforcerait certainement de la torturer au maximum avant de la tuer. Cela lui laisserait peut-être une occasion de s'échapper.

- Aya !

Elle sursauta, identifiant ce cri, et s'empressa de rouvrir les paupières. Le sceptre de Zeus n'était plus orienté dans sa direction. Lui-même n'était plus debout. Il venait d'être projeté à terre, à l'instar de Circé, par une silhouette à la chevelure flamboyante. Scathach, emportée par son élan, rebondit en exécutant un salto, pour s'immobiliser un peu plus loin.

- Eh bien, eh bien... Il semblerait que j'arrive effectivement au bon moment, commenta-t-elle.
- Au bon moment ? répéta l'humaine de Shaymin, aussi surprise par sa remarque que par son irruption soudaine.
- Trop long à expliquer.

La Guerrière dégaina ses katanas tandis que Zeus se relevait, après avoir ramassé son sceptre. Décidant de s'en servir comme d'une arme, il tenta de frapper Scathach, mais celle-ci para aisément son assaut. Au moment où l'acier de ses lames heurta le bois de l'accessoire magique, un courant électrique se diffusa à travers pour venir frapper le corps de la déesse.

- Attention ! s'écria Circé, mais trop tard.

Temporairement paralysée, Scathach put compter sur l'aide de Shaymin, qui vola jusqu'à eux pour attaquer Zeus avec ses Feuillemagik. Son intervention le repoussa et accorda un répit suffisant à l'humaine de Créfadet, qui en profita pour s'éloigner.

La Guerrière grimaça. Elle était une experte en combat rapproché, or il ne s'agissait pas de la meilleure technique à utiliser face à un adversaire comme le sien. Circé se précipita vers la Renégate, tandis que son pokémon multipliait les capacités. Au moment où la maîtresse des poisons rejoignait Scathach, il fut frappé à son tour par un éclair.

- Non !

Celle a qui il était lié ne put retenir son cri lorsqu'elle le vit perdre sa forme céleste pour s'écraser sur le sol. Par chance, il respirait encore, comme en témoignait sa fourrure végétale qui remuait faiblement. L'assaut l'avait grièvement blessé, mais pas tué, heureusement.

- Avale cela, ordonna Circé en plaçant l'antidote à son poison entre les mains de Scathach. Et prends ce poignard. Si quelqu'un peut l'atteindre, c'est bien toi.

La femme à la chevelure rousse acquiesça, puis repassa à l'action. Zeus grommela. Arceus lui avait donné pour mission de traquer et d'éliminer l'humaine de Shaymin, cependant celle de Créfadet représentait une menace imminente. Elle était autrement plus dangereuse que sa complice Renégate.

Pendant que Scathach fondait sur lui en slalomant habilement entre les éclats foudroyants qu'il tirait dans sa direction, Circé alla s'accroupir aux côtés de son pokémon. Elle le prit délicatement dans ses bras et lui fit mâcher une herbe spéciale, qui lui permettrait de recouvrer un peu d'énergie.

- Comment te sens-tu ? demanda-t-elle lorsqu'il battit des paupières.
- Electrisé.

Les hurlements enragés de Scathach leur parvenait, tandis qu'elle essayait̀ par tous les moyens de planter la lame empoisonnée dans le corps de Zeus. Celui-ci était moins rapide et moins agile, mais ses pouvoirs étaient amplement assez puissants pour la maintenir à distance.

- Est-ce que tu te sens capable de l'attaquer ? interrogea Circé.
- Je suis trop faible pour lancer une capacité à même de l'ébranler. En revanche, j'ai peut-être une idée.

La maîtresse des poisons le souleva légèrement, à sa demande, pour lui offrir un meilleur angle de tir. Il ouvrit la gueule, dans laquelle s'était matérialisée une petite Éco-Sphère à la couleur terne. Elle eut juste la puissance nécessaire pour heurter le sceptre de Zeus, qui lui échappa des mains alors qu'il le levait pour essayer de foudroyer Scathach une nouvelle fois.

Celle-ci saisit l'occasion. L'humain d'Arceus, désemparé par cette attaque surprise, car il croyait Shaymin vaincu, se détourna d'elle pour observer Circé une seconde de trop. Lorsqu'il ramena son regard sur la Guerrière, elle bondissait déjà sur lui. Elle visa son coeur avec le poignard, mais il réussit à esquiver l'assaut mortel.

Il n'échappa toutefois pas à la morsure de la lame, qui s'enfonça dans son flan. Un spasme violent lui parcourut le corps, tandis qu'il tombait à genoux. Scathach se saisit de son katana, prête à le décapiter, mais Zeus était résistant. Même victime du poison, il demeurait redoutable.

Profitant d'être à ras du sol, il ramassa son sceptre et la foudre commença à s'abattre sur toutes la zones. La Guerrière n'eut pas le choix. Elle dut renoncer à l'opportunité qui s'offrait à elle pour s'assurer de sauver sa vie. Elle rengaina son arme et s'éloigna en courant, emboîtant le pas à Circé qui battait déjà en retraite.

Elles coururent longtemps, traversant villes et villages, et pratiquement toute la région de Johto, sans prononcer le moindre mot. La maîtresse des poisons ignorait combien de temps son oeuvre amoindrirait Zeus. Elles préféraient, l'une comme l'autre, mettre le plus de distance que possible entre elles et lui tant qu'elles le pouvaient.

Enfin, après une journée et une nuit entière passées à fuir, elles finirent par s'arrêter. Elles n'étaient plus très loin de Kanto, désormais, où Scathach escomptait se rendre pour y retrouver Satan, car c'était là-bas qu'elle l'avait vue pour la dernière fois. À ses côtés, sa sécurité serait assurée pour un moment.

- Tu devrais venir avec moi, indiqua-t-elle. J'ignore ce qui se passe, mais tu sembles courir un grave danger. Qu'est-ce que tu as fait pour qu'Arceus envoie Zeus te traquer en personne ? D'ordinaire, il se contente de sous-fifres de moindre envergure.
- Je... Il vaut mieux que tu n'en saches rien, c'est préférable. D'ailleurs, puisque nous parlons de savoir... Comment as-tu fait pour arriver au moment opportun ?
- Athéna a envoyé ses Zarbi m'avertir de la menace qui planait sur toi. J'ai été la première surprise et j'ai d'abord songé à ne pas me fier à eux, mais finalement, j'ai eu raison de venir jeter mon petit coup d'oeil. Il faut croire que Darkrai n'exagère pas lorsqu'il affirme que nous sommes encore tous en vie essentiellement grâce à elle.

Circé voulut réprimer l'insulte cinglante qu'elle brûlait de cracher à l'encontre de la déesse, mais celle-ci lui échappa. Sa haine à son égard était telle qu'elle ne parvenait même plus à la contenir.

- Oh, certes, je la déteste toujours autant, déclara précipitamment Scathach. J'admets simplement que, si elle ne tenait pas à nous voir survivre, Arceus aurait moins de difficultés à nous traquer. Et puis, c'est quand même grâce à elle que j'ai pu te sauver, aujourd'hui.

"Non, c'est à cause d'elle que je me suis retrouvée dans cette situation", songea amèrement Circé. À présent, elle portait sur ses épaules un lourd fardeau, ou plutôt un lourd secret qui n'avait fait qu'accroître le désir d'Arceus de la voir morte. Elle était devenue son ennemie principale, désormais.

- Je ne dois pas rester avec vous, ni avec aucun Renégat. Il faut que je m'éloigne, que je me cache. J'ai toujours été particulièrement douée pour cela.
- Es-tu effrayée à ce point pour en arriver à une telle extrémité ?
- Arceus a décidé de concentrer ses efforts sur moi. C'est ce que Zeus a dit, juste avant que tu n'arrives. Avec un peu de chance, cela vous accordera un répit. Quant à moi, si je disparais, vous ne vous en porterez que mieux.

Après avoir prononcé ces mots, Circé se mordit la lèvre. Comme l'avait souligné Shaymin, Pandore représentait la meilleure monnaie d'échange dont ils puissent rêver pour assurer leur sécurité, mais ils seraient tous assassinés avant d'avoir pu s'emparer d'elle, si elle révélait ce secret. Se taire était un moyen comme un autre de les protéger.

- Circé... Qu'est-ce que tu as fait ? insista Scathach.
- Ceci.

La maîtresse des poisons sortit de la poche de sa cape l'élixir d'éternité, qu'elle avait conservé avec elle au moment de fuir le temple Sinjoh. La Guerrière ouvrit des yeux ronds en distinguant le nom inscrit sur l'étiquette, de l'écriture minuscule de Circé.

- Tu... Tu y es parvenue ?
- Oui. Je dispose enfin du secret de la vie éternelle. C'est pour cette raison qu'Arceus désire ma mort. Il l'a découvert.
- Je croyais que Lilith avait elle-même développé un don d'immortalité, selon Darkrai ? À quoi bon vouloir te tuer avec un tel acharnement pour avoir mis au point une capacité qu'elle a acquis sans ton aide ?
- Elle n'est pas destinée à Lilith. Remets-la à Darkrai, afin qu'il puisse la lui transmettre.
- Mais... bredouilla Scathach. Tu viens de dire que...
- Pour le moment, nous résistons à la Confrérie, mais qui sait si, dans quelques siècles, nous y parviendrons encore ? La fuite assure notre survie seulement pour l'instant. Si nous voulons vraiment écarter tout danger, il n'y a qu'une unique solution. Gagner la guerre.
- La guerre, nous l'avons perdue à la Salle Originelle, souligna l'humaine de Créfadet avec amertume.
- C'était seulement la première bataille. Lilith immortelle, elle ne restera pas éternellement enfermée dans le Monde Inversé. Tôt ou tard, elle voudra revenir pour prendre sa revanche sur Arceus, ainsi que sur tout ceux qui se sont opposés à elle. Ce jour-là, je sais que Darkrai, Satan et Inari entreprendront l'impossible pour la libérer de sa dimension, et que tous les Renégats, toi comprise, se joindront à nouveau à elle pour se battre.
- Cela ne se produira sans doute pas avant un temps considérable, ce qui laisse à Arceus et à ses partisans une infinité d'occasion de nous anéantir.
- Il faudra résister aussi longtemps que nécessaire. Je ne suis pas une combattante, je n'ai pas l'intention d'affronter la Confrérie une nouvelle fois, mais je peux contribuer en fournissant à Lilith une armée. Ou, plus exactement, en lui permettant de conserver celle qu'il lui reste.

Les doigts fins et blancs de Scathach se refermèrent sur la fiole que Circé lui tendait. Elle venait de comprendre. Les Gijinkas. Cet élixir d'éternité n'était effectivement non pas pour la Première, mais pour ses soldats hybrides, qui avaient fui avec elle dans le Monde Inversé, d'où ils étaient désormais tous captifs.

- Où as-tu l'intention d'aller ? s'enquit-elle à l'attention de l'humaine de Shaymin, qui avait déjà commencé à tourner les talons.
- Là où je serais en sécurité.

Sur ces paroles énigmatiques, elle s'éloigna avec son pokémon, abandonnant la Guerrière seule, avec entre les mains une arme nouvelle en vue de la reprise future de la guerre qui les opposait à Arceus et aux siens.

***
- Zeus a échoué. Circé s'est échappé en emportant avec elle la vérité à mon sujet, ainsi qu'à celui de Pandore.

La voix d'Arceus vibrait à la fois de colère, mais aussi, pour la première fois, de crainte. Il était inquiet. La situation lui avait échappé et, désormais, une Renégate était dans la nature avec son plus grand secret en sa possession, en plus de l'élixir d'éternité.

- J'exige de toi que tu coopères, reprit-il après un long silence. Où est-elle ?

Athéna l'observa sans ciller, les lèvres closes. Elle soutint son regard pendant plusieurs minutes, au cours desquelles la fureur de l'Alpha gagna en intensité. Quand elle parut atteindre son paroxysme, la déesse se résolut à prendre la parole :

- Tu ne la retrouveras pas. Elle a disparu et elle est désormais à l'abri de quiconque.
- Toi, tu peux la localiser. Les Zarbi en ont le pouvoir.
- Les Zarbi sont extrêmement fatigués et ont besoin d'observer une période de repos intense, car je ne les ai jamais autant sollicités pour des questions cruciales qu'actuellement. Qui plus est, même lorsqu'ils seront de nouveau en état de se soumettre à ma volonté, je ne t'aiderai pas.
- Alors que la vie de Pandore est en jeu ? Cette vie que tu as juré de protéger ?
- Circé n'a rien dit, et elle n'en a pas l'intention. Elle sait qu'en révélant la vérité aux autres, elle les mettrait en danger. Elle a donc choisi de garder ton secret pour elle, ainsi que de couper volontairement les ponts avec l'ensemble des Renégats.
- Tu n'oserais pas me mentir uniquement pour protéger ces traîtres, surtout au détriment de Pandore ?
- Si les alliés de Lilith doivent découvrir son existence, ce ne sera pas de la bouche de Circé, les Zarbi me l'ont assuré. J'ai toutefois élaboré un système de prévention, que nous allons mettre en place afin d'assurer au mieux la protection de Pandore.
- De quoi s'agit-il ?
- Nous allons la cacher. Tu vas créer une île, que tu entoureras de toutes les protections magiques possibles et imaginables, en perpétuelle mouvement de façon à ce qu'elle soit indétectable. Nous y conduirons Pandore et Mew, sur place, se chargera de veiller sur elle. Elle sera à l'écart du monde, des humains comme des légendaires. Elle n'aura rien à craindre là-bas.
- En es-tu sûre ? Tes Zarbi te l'ont-ils dit ?
- Ils n'en ont pas eu besoin. Mew et moi n'hésiterions pas à donner notre vie pour la sienne. Cette preuve devrait te suffire, non ?

Arceus grommela, mais ne releva pas. Athéna patienta quelques secondes, afin de lui laisser assimiler ces informations, avant de reprendre la conversation :

- Elle est bouleversée par ce qui s'est passée et elle est furieuse à cause de ce que tu l'as contrainte à faire. Elle t'en veut énormément.
- Dans ce cas, comment espères-tu la convaincre de s'exiler loin de son univers ?
- J'y suis déjà parvenue. J'ai eu une longue discussion avec elle, et elle accepte de se soumettre à ce plan. Malgré la colère qu'elle éprouve envers toi, elle t'aime, c'est indéniable. Elle a conscience, plus encore que du danger qu'elle court, de ce que cela impliquerait pour toi si elle venait à être découverte. Enfin, elle a tout de même soumis sa condition...
- Laquelle ? interrogea Arceus sans détour.
- Son frère et sa soeur. Elle ne veut pas qu'ils soient impliqués dans cette histoire et elle refuse qu'ils la suivent, où qu'elles doivent aller. Elle m'a demandé de me charger d'eux jusqu'à ce qu'ils soient adultes, ce que j'ai accepté.
- Tu escomptes donc déserter à nouveau la Confrérie ?
- Oserais-tu refuser à ta douce sa seule et unique volonté ?

L'Alpha se renfrogna et ne répondit pas. C'était inutile, car Athéna savait qu'il ne s'opposerait pas au désir de Pandore. Il ne se détendit qu'au bout d'une poignée de secondes, pour marmonner :

- En revanche, tu resteras à la Cave d'Hadès le temps que je me charge de la création de cette île, et tu donneras mes instructions.
- Moi ? s'étonna la déesse. Mon père n'est-il pas le mieux placé pour s'en occuper ?
- Je tiens à ce que tu prennes conscience de la place qui est la tienne. Autrement dit, elle est dans mon camp, et non à mi-chemin des Renégats.
- Je ne suis pas une Renégate et je n'en serai jamais une.
- Peut-être pas, mais tu m'empêches de leur nuire, ce qui me cause de nombreux désagréments, rétorqua Arceus. Tu exigeras donc d'Héra que...
- Non, l'interrompit-elle aussitôt. Pas Héra. Elle est... Bien qu'il s'agisse de ma tante, elle ne m'a jamais porté dans son coeur et ne tente pas de dissimuler sa jalousie à mon égard. Cela risque de créer encore plus de tentions entre nous si je me permets de lui donner des ordres. Père est son époux, il est plus à même d'obtenir d'elle l'obéissance que tu attends.
- Je suppose qu'il n'est pas utile, dans ce cas, que je te demande également de la superviser.
- Je ne pense pas, non. Si je peux me permettre, tout de même... La superviser à quel sujet ?
- Je veux qu'elle renforce la sécurité autour des trois lacs de Sinnoh, décréta Arceus. Circé est en possession de l'élixir d'éternité, désormais, et le principal objectif des Renégats va être de le transmettre à Lilith. Si je ne l'ai pas tué à la Salle Originelle, préférant la rendre stérile...
- Et occasionner la mort d'Isis, rappela amèrement Athéna.
- ... C'est parce que je connaissais la durée éphémère de sa vie. Il est exclu que cette traîtresse vive éternellement.
- Pourtant, c'est ce qui va se produire.
- En aucune façon. Si les Renégats tentent d'approcher les Cré's, mes partisans les attendront. Quant à Satan, malgré la puissance dont il dispose, elle ne suffira pas à lui permettre d'envoyer un objet dans le Monde Inversé.
- Je ne faisais pas allusion à l'élixir d'éternité, coupa la fille de Zeus. Arceus, il y a quelque chose que je dois t'avouer. Une chose qui s'est produite lors de la bataille de la Salle Originelle.
- De quoi s'agit-il ?
- Une marque étrange est apparue sur le corps de Lilith, un glyphe à l'image du type spectre gravé sur tes plaques. Il s'agit d'une puissante magie, qui lui confère un pouvoir d'immortalité.
- Lilith ? De la magie ? Immortelle ? C'est une humaine, elle ne peut...
- Je t'assure que c'est le cas.
- Si c'est vraiment la vérité, pourquoi n'as-tu pas jugé bon de m'en avertir avant ? gronda le Créateur.
- Je... Je tentais d'en savoir plus. Hélas, les Zarbi sont incapables de me renseigner. Ils voient péniblement tout ce qui tourne autour de ce mystérieux symbole.
- Je croyais qu'ils possédaient toutes les réponses à toutes les questions, à l'exception de... Non... Penses-tu qu'il pourrait s'agir de l'oeuvre de Cronos ou de Némésis ?
- J'y ai songé, bien sûr, mais tant que le coffret de Cronos est clos, il est réduit à l'impuissance. Quant à Némésis, elle venait juste d'être placée sous scellés lorsque cela s'est̀ produit, or mon sortilège l'empêche d'étendre ses pouvoirs à l'extérieur de sa cellule. Il est donc peu probable que lui comme elle soit à l'origine de cet évènement. Crois-moi, tout cela ne m'enchante guère, car cela signifie que je peux ajouter une troisième faille au don de mes Zarbi.
- N'as-tu donc vraiment rien appris ?
- Tout ce que je sais, c'est que dix-sept glyphes sont destinés à apparaître. Un pour chaque type. Les Zarbi les ont annoncés comme le pendant de notre Confrérie, sauf qu'elle ne comportera que des humains. Elle sera...
- Des humains ? répéta Arceus, secoué par un petit rire nerveux. Dans ce cas, je n'ai aucune raison de m'inquiéter.
- Tu devrais, pourtant. Mes pokémon m'ont fait une prophétie, à ton sujet. Ils ont affirmé que ta perte serait provoqué par un être humain. Par une femme, de surcroît.
- Eh bien... Ils sont décidément encore moins fiables que j'osais le croire. Moi, vaincu par une mortelle ? C'est absurde. Même Lilith a échoué à me tuer et elle a beau posséder le don d'éternité, désormais, cela ne change rien. Elle ne peut rien contre moi, pas plus que ses alliés. Même si elle parvient à s'échapper un jour du Monde Inversé avec Giratina, je l'attendrai, et je la tuerai.
- Tu ne devrais pas sous-estimer les prédictions des Zarbi.
- Le futur n'est pas inscrit dans le marbre. C'est toi qui l'a dit, à maintes reprises, et c'est la raison pour laquelle tu répugnes à l'étudier. Aurais-tu tourné le dos à tes préceptes ?
- Je te mets en garde, c'est tout, répondit Athéna à mi-voix. Libre à toi de faire ce que tu veux. Cela ne changera guère, de toute façon.

Arceus plissa les yeux, offensé, mais ne releva pas. La fille de Zeus lui tenait souvent tête, mais elle avait prouvé ces derniers temps que, quoi qu'il advienne, elle finissait toujours par se ranger à son avis. Sans cela, il n'aurait jamais pu obtenir une éternité avec Pandore, même si le prix à payer était la fuite de Circé avec son secret, qui planerait toujours au-dessus de sa tête, comme une épée de Damoclès.

***
Un brouillard dense entourait Darkrai. Il se trouvait dans un endroit secret, mystérieux, situé dans les confins de la frontière séparant le réel de l'irréel, à mi-chemin entre le rêve et la réalité. Tout était sombre, que ce soit à l'horizon, sous lui ou au-dessus de sa tête. Lorsqu'il fit un geste du bras, la brume se dissipa.

- Toujours aussi belle, à ce que je vois.

Une jeune femme aux longs cheveux roux, entièrement nue, se tenait devant lui. Ses yeux noisette pétillaient et un large sourire illumina son visage à la teinte laiteuse, l'enjolivant davantage, lorsqu'il s'adressa à elle. Lilith, qu'il avait vu terne et abattue peu de temps auparavant, regagnait en détermination et en vivacité depuis qu'il l'avait informée de son immortalité.

- Les nouvelles que tu m'apportes sont-elles bonnes ? questionna-t-elle aussitôt.
- Elles sont excellentes et, surtout, elles ne sont pas la seule chose que je t'emmène.
- Oh ? Vraiment ?
- J'ai un présent pour toi. De la part de Circé.

Darkrai étendit une patte griffue dans sa direction, au coeur de laquelle était posé l'élixir d'éternité. Lilith s'en saisit avec précautions, craignant de le briser. Elle n'osait croire qu'il était là, juste devant elle, alors que la maîtresse des poisons avait craint de ne jamais parvenir à en établir la composition.

- Donne-la à tes Gijinkas. Tu auras besoin de ton armée le moment venu.
- Crois-tu sincèrement que vous parviendrez un jour à nous sortir de là ? s'enquit Lilith, un sourcil arqué. Les Cré's sont enchaînés aux lacs de Sinnoh, et si l'un de vous commet le moindre faux pas, les partisans d'Arceus s'abattront immédiatement sur lui.
- Certes, mais nous avons désormais quelque chose que nous ne possédions pas jusqu'à présent. Il s'agit de l'éternité. Peu importe le temps que cela prendra, nous vous libèrerons. Toi, Giratina, ainsi que les Gijinkas. Ce jour-là, tu accompliras ton dessein. Tu prendras ta revanche sur l'Alpha.

Lilith eut un sourire mauvais, que Darkrai lui rendit. Il lui effleura tendrement la joue du bout des doigts, avant que la vision qu'il avait de la Première ne commence à s'estomper. Elle était déjà en train de se réveiller, et était par conséquent aspirée hors du monde des songes.

- Garde toujours foi en l'avenir, lui murmura le pokémon noirtotal, juste avant qu'elle ne s'évanouisse totalement.

Après l'épouse de Giratina, les limbes se dissipèrent à leur tour et Darkrai cligna des paupières sur le décor qui l'entourait. Quatre parois rocheuses et un plafond vouté. Il était dans son antre, à la Cave d'Hadès. Tout était parfaitement normal, à l'exception de la silhouette qui se découpait contre l'un des murs de pierre.

- Il faut croire que j'arrive avec une minute de retard.

Athéna l'observait de son regard pénétrant, les bras croisés sur la poitrine, le dos nonchalamment calé. Darkrai la salua en inclinant la tête dans sa direction et elle esquissa un bref sourire, avant de recouvrer son sang-froid.

- Vous auriez tout aussi bien pu intercepter Scathach avant même qu'elle me remette l'élixir d'éternité. Qu'est-ce qui vous en a empêché ?
- Une affaire pressante. Tout va changer, désormais. Arceus sait que Lilith est immortelle et je pressens de grands bouleversements.
- Elle n'est pas encore libre, souligna Darkrai.
- Non, mais j'imagine que vos amis et vous allez tout mettre en oeuvre pour qu'elle le soit tôt ou tard. Si elle revient dans ce monde, il la tuera. J'espère que vous en avez conscience.
- À moins que ce ne soit l'inverse. Arceus avait l'occasion de l'éliminer, à la Salle Originelle, mais il a choisi l'option qui la ferait souffrir davantage. Il a commis une erreur. À présent, elle est furieuse, et plus déterminée que jamais à se venger de la souffrance qu'il lui a infligé. Qui plus est...

Darkrai s'interrompit. Il craignait d'offusquer Athéna en achevant sa phrase, mais celle-ci l'encouragea à poursuivre d'un signe de la tête.

- Contrairement à lui, Lilith peut avoir une confiance pleine et aveugle en ses alliés.
- Croyez-vous que ce ne soit pas le cas d'Arceus ?
- Il y a beaucoup de rivalités au sein de ses partisans. Ce n'est pas à vous que je vais apprendre cela.
- Non, en effet, admit la fille de Zeus. Pas plus que je ne vais vous apprendre que, si la guerre doit reprendre entre les Renégats et la Confrérie, vous me trouverez tous en travers de votre chemin, qu'il s'agisse d'un camp aussi bien que l'autre.
- Pardonnez-moi, ma dame, mais vous faites erreur. La guerre ne reprendra pas, car elle n'a jamais cessé. Peu importe quand il surviendra, le retour de Lilith marquera un tournant décisif. Soit nous gagnerons, soit nous perdrons pour de bon. En tout cas, seul la défaite irrémédiable de l'un des deux camps marquera la fin définitive de ce conflit.
- Dans ce cas, il me faudra profiter du délai qui nous sépare de la libération de Lilith pour trouver un moyen de vous empêcher de vous entretuer.
- Si cela était possible, ma dame, ne pensez-vous pas que vous auriez déjà réussi ? interrogea Darkrai avec un sourire énigmatique.
- Je ne supporterai pas que du sang coule à nouveau, comme cela a été le cas pour Isis. Je fais l'impossible pour vous protéger, vous autres Renégats, mais j'en ferai également de même pour la Confrérie. Il n'y a rien de bon à retirer de la mort d'autrui.
- Si vous étiez traquée constamment pour avoir aidé une innocente à vivre un amour que l'Alpha, par jalousie, a interdit, vous verriez que si. La liberté.

Athéna ne releva pas. Quand avaient-ils jamais été libres, eux, les légendaires ? Ils étaient tous gouvernés par quelque chose, qu'il s'agisse d'Arceus, du devoir, de l'honneur ou, en ce qui la concernait, de la culpabilité.

- Ma dame... souffla Darkrai, alors que le silence s'était abattu sur la pièce depuis quelques secondes. Quelles que soient les heures sombres qui surviendront un jour ou l'autre, j'espère que l'amitié que j'éprouve à votre égard pourra y survivre.
- Nul le désire plus que moi, mais cela ne change rien au fait que, si je ne suis pas votre ennemie, je ne deviendrai jamais votre alliée.
- Je n'attendais pas moins de vous que cette réponse.

Athéna esquissa un sourire, puis se décolla du mur. Elle serait volontiers restée bavarder davantage avec le pokémon noirtotal, mais elle avait encore beaucoup à faire. Il lui fallait superviser la Cave d'Hadès en l'absence d'Arceus, après quoi elle conduirait Pandore en lieu sûr, puis elle retournerait à Frimapic, où elle reprendrait sa vie auprès des humains, en compagnie d'Antonin et de Joséphine.