Aura de Prélude
Un soupir, une corbeille de baies Oran, une bonne situation financière, une famille aimante, tel était le quotidien d’Émile Hélio. Lorsque son frère était mort six ans auparavant, après avoir essayé d'invoquer Giratina, il était devenu le nouveau chef de la Team Galaxie. Au début cela l'avait enchanté, il avait ce dont il avait toujours rêvé: L'argent et le pouvoir. Mais il se rendit rapidement compte que, contrairement à lui, tous les membres étaient des fanatiques, des moutons chercheurs de chimères comme il aimait les nommer.
Il regarda son horloge murale. Les aiguilles du classique instrument affichaient quatre heures de l'après-midi. Ainsi, comme à son habitude, il tendit la main et attrapa un fruit bleu. Observant un instant la forme ovale de la baie, il se résolu à laisser parler son sens du goût. Ses dents pénétrèrent l'écorce du fruit libérant un jus sucré avec une pointe d'amertume. L'explosion de saveurs, typique des baies Oran de qualité supérieure, lui fournissait l'énergie nécessaire pour continuer de travailler jusqu'à neuf heures. Sa femme lui disait de faire attention à ne pas en prendre trop souvent car son effet diminuait à chaque fois et elle savait qu'une fois qu'il n'y serait plus réceptif, il serait tenté par la poudre de rafflesia.
Émile soupira une nouvelle fois en regardant un cadre plaqué or, seule décoration de son bureau en ébène. On pouvait y voir deux hommes dans la cinquantaine. Leur ressemblance était impressionnante si bien que l'on ne les différenciait que grâce à leur expression. Gilles avait le visage dur et rigide alors que Émile arborait un sourire éclatant. Un nouveau soupir se fit entendre. Le chef de la Team Galaxie n'avait jamais été proche de son frère mais pourtant il lui manquait parfois. Il se leva et balaya la pièce du regard. Celle ci était vide, aucune fenêtre, son seul meuble était son fidèle écritoire d'ébène. Ce vide oppressant était une des causes de son mal-être lorsqu'il travaillait mais il ne pouvait en changer car celui ci avait été occupé par son frère avant lui.
L'interphone sonna. Réarrangeant son costume, il se hâta d'allumer le vidéophone. Un homme en costume de cosmonaute possédant une coupe au bol verte, symbole de son appartenance à la Team Galaxie, apparu à l'écran. Son air inquiet déconcerta le nouveau dirigeant.
-Monsieur Hélio, nous avons perdu le contact avec l'équipe qui ramenait Manaphy au QG.
-Rétablissez le immédiatement, il en va l'avenir de la Team Galaxie.
-Rétablir le contact avec qui ?
-Mais avec l'équipe qui ramenait Manaphy.
-Quelle équipe ? Pourquoi vous ai-je appelé déjà?
-Mais pour l'équipe qui ramenait Manaphy.
-Il n'y a pas de telle équipe. Pardonnez moi pour le dérangement, bonne soirée.
Avant que le dirigeant ne puisse répondre, la liaison s'interrompit. Ce n'était pas normal, il en était convaincu. Il n'arrivait cependant plus à se rappeler qui était membre de cette équipe alors qu'il se vantait toujours de sa mémoire extraordinaire. Il alluma son ordinateur portable et ouvrit la liste du personnel. La liste indiquait que la Team Galaxie comportait 458 membres alors qu'il devait y en avoir plus de 500. Pensant à une erreur, il ferma le fichier et le rouvrit. Le nombre d'employé était maintenant 402. Il se massa les yeux, ne comprenant plus ce qu'il se passait. Il n'arrivait même plus à se souvenir de ceux qui n'y était plus. Le fichier indiquait à présent 120 membres,119,118. Les noms s'effaçaient les uns après les autres et dans la seconde qui suivait Émile avait oublié qui ils étaient. En quelques minutes, le seul nom restant fut le sien. Alors lentement, comme un poison, l'effroi s'empara de l'ancien chef de la Team Galaxie.
Son instinct de survie lui hurlait de s'enfuir, que l'endroit n'était plus sûr, qu'il serait le prochain. Il sortit rapidement de son bureau et s'engouffra dans l'étroit corridor qui le menait à son ascenseur personnel. Sachant très bien que lors d'une attaque il était plus dangereux de prendre cet ascenseur, il sortit une clef dorée et l'enfonça dans une minuscule serrure dissimulée dans le mur droit du couloir. Il tourna lentement la clef et la forme d'une porte se dessina dans un bruit sourd. Sans perdre une seconde il l'enfonça .
La porte donnait sur un immense escalier métallique qui permettait d'aller et de venir entre tous les étages du bâtiment Galaxie, à présent situé à quelques kilomètres de Verchamps. Écoutant encore une fois son instinct, il descendit toutes les marches. La peur lui fournissait l'énergie dont il avait besoin pour surpasser ses limites physiques. En deux minutes, il avait descendu les dix-huit étages de son quartier général.
Avec beaucoup de prudence, il entrouvrit la porte secrète. Ne voyant aucun danger, il se décida à avancer totalement dans l'immense entrée. Les murs étaient en verre teinté ce qui l'empêchait d'avoir une vision de l'extérieur. Les lumières étaient toutes éteintes mais la lumière du soleil filtrait suffisamment pour pouvoir voir à travers la pénombre. Il marchait lentement. Le silence était si absolu qu'il se serait cru sourd si il n'entendait pas à intervalle régulier le léger son de ses chaussures sur le parquais.
Il était seul. Non, il ne l'était pas. Il fuyait quelque chose et cette chose était toujours là. Cette chose avait fait disparaître tous ses employés. Il devait fuir cet endroit, il le savait. Pourtant quelque chose le retenait en ces lieux comme si son corps lui disait que sa mort serait plus rapide si il fuyait. Une phrase d'Horace lui revint en tête : « La mort rattrape ceux qui la fuient ». Il en était maintenant convaincu, sa mort allait venir dans les prochaines minutes.
Le bruit que fit l'ascenseur en s'ouvrant le réveilla de sa torpeur. Un homme d'une vingtaine d'année s'avança lentement vers lui. Sachant que cet homme serait son bourreau, il essaya, dans un sursaut de désespoirs, d'observer attentivement celui qui le tuerait.
Ses cheveux jais était brossés vers l'avant, une chose plutôt commune chez les personnes de son âge. Son visage était tellement banal qu’Émile en aurait presque ri. «Tué par quelqu'un de banal», tel était son destin. La suite de son observation fut sommaire, un jeans bleu, des bottes rouges, une veste noir ouverte qui donnait sur un T-shirt blanc, aucun bijoux ou ornement particulier. Quelqu'un d'ordinaire en somme. Tout en lui respirait la normalité, tout à l'exception de ses yeux. Il avait des yeux ambrés. Des yeux ambrés chaleureux et brillant mais aussi sombre, froid et sans pitié. Cet entremêlement d'émotion face à ses iris lui donnait l'impression de faire face à une autorité divine.
-Mais tu es le maître de la ligue de Kanto, Ash Ketchum !
-Pour avoir participé à la capture d'un Pokémon fabuleux, tu es condamné à l'effacement total, déclara solennellement l'homme.
-Pardon !
Une lance bleu se matérialisa dans la main de l'être surnaturel.Un instant plus tard, une douleur lancinante arracha un cri au pauvre cinquantenaire. La lance s'était planté dans son cœur et tout,autour d'elle, commença lentement à se désagréger. Il ne resta bientôt plus que de la poussière bleu. Le corps d’Émile Hélio n'était plus. La mémoire d’Émile Hélio n'était plus. Tout ce qui avait fait parti d’Émile Hélio n'était plus. Émile Hélio n'avait jamais été.
“La mort n'est pas si cruelle à nous ravir ce qu'on aime ; non pas si cruelle que l'oubli.”Paul-Jean Toulet