Partie 13 – Fin du chapitre IV : Dans la gueule du loup.
Belcol-Exion
Où étais-je ? Tout me semblait si irréel. J’étais entré dans la tour, c’était indéniable. Pourtant, lorsque je levai la tête, je voyais le soleil illuminer l’endroit ; aucun mur n’était présent, donnant l’impression d’être dans un espace gigantesque. En me retournant, je ne voyais même pas la porte par laquelle je venais d’entrer, juste un étrange vortex violacé tournant paisiblement.
Des vortex du même genre se trouvaient par ailleurs un peu partout et il en sortant continuellement des Pokémon de toute sorte ; des Machopeur portant des montagnes de documents, des Léopardus incroyablement pressés, des Cupcanaille transportant des plateaux de snacks… la liste serait bien trop longue pour poursuivre.
Seul point de repère reconnaissable, le sol, lui, était bien présent. Peut-être que son ton alliant rouge-royal et or précieux mettait un peu mal à l’aise, mais au moins, c’était rassurant. Un peu plus loin, je vis ce qui ressemblait presque à un accueil, habité par une Florges à l’air stricte. Je m’en approchais.
— Bienvenue à l’Éternôme, quartier général de la Guilde, récita la réceptionniste. Que puis-je pour vous ?
Allez Belcol-Exion, ce n’était pas le moment de flancher !
— J-Je souhaiterais m’inscrire à la Guilde…, réussis-je à formuler.
— Je vois, le programme de recrutement. Prenez le Portex 05, à votre gauche, il vous mènera à la section que vous désirez.
— … un… Portex ? plissai-je des yeux.
— Oui, c’est ainsi que l’on se déplace à l’Éternôme. Il s’agit en quelque sorte de portails de téléportation, vous ne pouvez pas les manquer.
Je vois, c’était ainsi que l’on appelait ces vortex violets. Je n’étais pas franchement sûr de moi, mais je n’avais pas le luxe de faire la fine bouche. Même si j’aurais préféré un classique escalier !
Les yeux vitreux de la Florges me dévisageaient. Je me demandais si elle aussi, elle n’était qu’un Métamorph comme les employés de la gare ; je n’osais pas demander. Quoi qu’il en soit, je devais avancer.
Maintenant que j’y portais plus d’attention, au-dessus de chaque Portex se trouvait une indication holographique et effectivement, un peu sur la droite, un gros « Portex – 05 – Section Recrutement » m’ouvrait ses bras. Comme les autres, il y avait une file monstre de Pokémon qui attendaient leur tour pour le traverser.
La file avançait à rythme brusque mais régulier, comme une machine, dont j’avais la curieuse impression de n’être qu’un engrenage.
Finalement, mon tour arriva. J’hésitai un instant, mais je ne voulais pas me faire remarquer, surtout que d’autres Pokémon attendaient derrière moi. Peu confiant, je m’engouffrais dans la curiosité. Je sentis mon corps se faire comme aspirer par une force incroyable, avant de brusquement me faire rejeter dans une autre salle. L’expérience était à la fois brutale et fulgurante ; et pas très agréable, ma tête tournait encore.
Cependant, je pouvais me consoler sur une chose. J’avais atterri dans une véritable pièce, avec des murs et un plafond ! Enfin un peu de conventions ! Bon, il restait toujours ces Portex qui gâchaient la vue, mais c’était déjà un peu moins dépaysant que le hall d’entrée.
Encore une fois, je repérai un truc s’apparentant à une réception, dirigée par un Tygnon.
— Salut…, m’avançai-je.
— Ah, c’est vous le Carmache qui veut me voir. Je vous attendais.
— La communication passe vite ici ! m’étonnai-je.
— Vous êtes à l’Éternôme, sourit le Pokémon Combat, il n’existe aucune administration plus huilée que la nôtre dans tout Iræ !
Ça, je voulais bien le croire.
— Mais entrons dans le vif du sujet, se raffermit le Tygnon. Vous voulez intégrer la Guilde, c’est cela ? Très bien, nous sommes toujours ravis d’accueillir de nouvelles recrues. Cependant, nous devons vous faire passer quelques tests ; suivez-moi.
Plutôt expéditif ce réceptionniste. D’ailleurs, il quittait son poste comme ça ? Inutile de chercher à comprendre j’imagine ; je suivis ses pas, il passa à travers un autre Portex ; je grimaçai mais continuai d’avancer.
Nous arrivâmes dans une autre pièce, cubique, plus petite ; une étrange lumière turquoise émanait des murs blancs, lui donnant une ambiance assez futuriste. Enfin, tout aussi futuriste que le reste de Sotarc.
— Voyons déjà votre historique, signifia le Tygnon en empoignant une tablette. Vous êtes né à Dracaen, une montagne à la surface de Chtonïa. Vous avez un frère Roberto-Michel, et une sœur, Géraldeline. Conformément à la tradition de votre lignée évolutive, vos parents vous ont abandonnés après votre évolution en Carmache, vous ne les avez plus revus depuis. Est-ce exact ?
— … euh… oui ?
Malaise, le retour. C’était un sentiment nouveau de voir sa vie se faire dévoiler par un inconnu ! Comment il savait tout cela au fait ? Est-ce que la Guilde avait l’historique détaillé de chaque Pokémon existant ?!
— Très bien. Vous avez ensuite rejoint le mouvement de conquête d’un Carchacrok qui a été mis en déroute par une Mysdibule se faisant appeler Stalhblume, que vous avez ensuite rejoint.
— … c’est cela…
— Question. Pourquoi vouloir nous rejoindre à présent ? Comprenez que c’est suspect. Stalhblume s’est déclarée ennemie de la Guilde. Êtes-vous un espion ?
Mes muscles se tétanisèrent. Le moment où tout allait se jouer.
— Non ! m’exclamai-je. J-Je ne me sentais juste plus à ma place !
— Développez, lança froidement l’examinateur.
Je m’étais répété la réponse à cette question pendant une semaine, je ne risquais rien ! Pour parfaire à mon jeu de rôle, je baissai légèrement les yeux, sombre.
— Hé bien, ce n’est pas si compliqué, en réalité. Stalhblume est folle ; vaincre les Présidents ? Défier la Guilde ? Conquérir le continent ? Devenir Kaiser ? Ai-je besoin d’en dire plus ? Le pouvoir lui est monté à la tête, il lui masque son incompétence. Elle va se casser les dents, à coup sûr, et tous nous entraîner dans sa chute. Je ne veux pas être la victime d’une folle trop ambitieuse. C’est pour cela que je veux rejoindre la Guilde, la plus puissante institution d’Iræ. Je vous sais juste et raisonnable. Avec vous, je sais que je pourrais évoluer efficacement dans un environnement galvanisant.
Ouais, j’en faisais peut-être un peu trop. Mais bon, fallait mieux ça que pas assez. L’essentiel c’était d’être convainquant, quitte à être ridicule.
— … c’est entendu, répliqua le Tygnon après une longue pause. Cela concorde en effet avec notre observation de ces derniers jours ; et votre argumentaire est empli de raison. Chez nous aussi, le comportement de Stalhblume est considéré comme absurde et je suis ravi de constater que certains de ses soldats sont encore capables de discernement.
… il avait l’air de gober mon histoire. Pfiou, si je le pouvais, je sourirais jusqu’aux oreilles en faisait la danse de la joie !
— Très bien, poursuivit le Pokémon Puncheur. Votre demande a été accepté, félicitation ! Vous faites désormais officiellement partie de la Guilde !
— D-Déjà ? m’étonnai-je. Et les tests ?
— Déjà terminés. Pendant que nous discutions, des centaines de machines étaient en train de vous analyser. Aucun mécanisme caché n’a été détecté sur vous, vous n’êtes donc pas un espion. Qui irait infiltrer la Guilde seul, sans carte secrète ?
— … n’est-ce pas…
Aucun mécanisme ? Même pas mon Transcom ? Oh. Persyval avait donc fait du bon boulot ! … heureusement d’ailleurs, je n’osais imaginer ce qui aurait pu se passer dans le cas contraire.
— Quant à votre potentiel de combat, il a été évalué à 8, continua le Tygnon.
— … et c’est beaucoup ?
— 8 sur 1000.
— … hem.
Je n’étais pas un expert en math, mais quelque chose me disait que ce n’était guère reluisant.
— Mais ne vous inquiétez pas, compléta le Tygnon. C’est dans la moyenne de nos recrues.
— 8 est une moyenne ? plissai-je des yeux. Et 1000 c’est quoi alors ?!
— Cela correspond au quart de la puissance totale du Primonarque.
Un quart ?! Ok, donc, selon ce boxeur, j’avais genre quelques millièmes de la force du Primonarque. Cela me confortait dans l’idée que je devrais à tout prix éviter une confrontation directe avec lui !
— Maintenant, je vais vous montrer la zone réservée aux nouvelles recrues ; suivez-moi.
***
Ok. Je commençais à en avoir ras les écailles de ces bizarreries. D’après ce que m’avait raconté le Tygnon, l’Éternôme n’était pas entièrement situé dans la réalité. Certains Portex menaient à des dimensions parallèles, rien que ça. C’est pour cela que l’intérieur du QG de la Guilde pouvait être si différent de ce que l’on pouvait s’attendre d’une construction normale.
Enfin, c’était l’explication que m’avait donné le Tygnon ; personnellement, je n’y pigeais pas grand-chose.
Tout ce que j’avais à retenir, c’était que la zone d’entraînement des recrues se situait justement dans l’une de ses dimensions parallèles. Donc c’était tout à fait normal que je pouvais voir au loin une sorte de village très ordonné, un volcan crachant encore du magma, une montagne enneigée et une forêt luxuriante. Comme si un dieu avait décidé de créer un monde pour le fun, après un soir de cuite.
— J’ai mal à la tête…, geignis-je.
— Haha, c’est naturel, ria le Tygnon. l’Éternôme peut être assez dérangeant pour les étrangers, mais vous vous y ferez très vite.
— J’en doute…
Évidement, bien que techniquement j’étais dans la tour, j’avais l’impression d’être dans une vaste plaine sauvage. C’était juste dingue.
— Plus vite bande de fainéant ! se fit entendre une voix lointaine.
Peut à peu des cris autoritaires parvinrent à mes oreilles, rompant avec le silence ambiant.
— C’est le Commandant Cyarès, m’expliqua le boxeur. Un Lucario pas très sympathique, si vous voulez mon avis. J’espère que ce n’est pas lui qui vous entraînera ; il est connu pour ne pas être un tendre !
— Alors ça sera lui, soupirai-je. Avec ma chance légendaire, ça ne pourra être que lui…
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Cyarès
— Ne vous arrêtez pas ! hurlai-je. Vous comptez réellement intégrer la Guilde avec des muscles pareils ?! Allez ! Une, deux, une, deux !
Tss, qu’avais-je fais au Primonarque pour finir comme simple entraîneur ? Moi qui faisais auparavant partie de l’élite, cette disgrâce ! En plus, j’avais l’impression qu’on m’avait refourgué les pires néophytes possibles ! Aaarh ! Parfois je n’avais qu’une envie, c’était d’empoisonner cette bande d’incapables !
— Commandant !
Mon second arriva en trombe, il s’arrêta devant moi et me fit un magnifique salut militaire. Le Coatox resta figé, attendant que je lui donne l’ordre de poursuivre. Ah ! Lui, c’était un bon soldat, pas comme ces autres chiffes-molles !
— Qu’y a-t-il, Sarin ?
— Le Haut-Gardien Talos veut vous voir sur le champ.
— Un Haut-Gardien ? haussai-je un sourcil. Qu’est-ce qu’une entité aussi importante me veut ?
— Je n’ai été informé de rien.
— Je vois, acquiesçai-je. Hé bien, je ne peux faire attendre un Haut-Gardien. Entraîne les recrus pendant mon absence, n’hésite pas à être sévère.
— … oh, vous savez comme je peux l’être…
Sarin fit vrombir sa poche de poison, un éclat carnassier dans les yeux. Haha, j’aimais vraiment ce type, encore plus sadique que moi !
***
J’avais beau avoir un égo conséquent, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une pointe d’appréhension à l’approche du Portex. Dans la hiérarchie de la Guilde, les Haut-Gardiens étaient sous les ordres du Primonarque en personne. Directement sous ses ordres. Sans aucun intermédiaire.
Moi, simple Commandant, n’était que poussière face à eux, et ça me coûtait de l’admettre.
Ceci dit, j’étais bien curieux de savoir ce qu’un tel personnage pouvait bien me vouloir. Je n’avais jamais rencontré le Haut-Gardien Talos de face. Il y avait des rumeurs qui couraient sur lui, chuchotant qu’il était non seulement le confident du Primonarque, mais aussi l’un des seuls Pokémon ici à dépasser les 1000 sur l’échelle de puissance. Même pour un Haut-Gardien, c’était un exploit. Enfin, ce n’était que des rumeurs, le potentiel de combat des élites était bien évidement gardé secret défense.
Après avoir passé une multitude d’analyses par d’innombrable machines, j’eus enfin l’autorisation de me rendre au Portex des Haut-Gardiens. Ils ne lésinaient pas sur la sécurité là-haut, et pour cause. Le quartier de ses monstres hiérarchiques se situait dans la partie divine de l’Éternôme, en résumé, son sommet. Un sommet qui dépassait la voûte céleste, atteignant l’espace.
Le sol y était transparent, donnant le sentiment de fouler un vide étoilé et de pouvoir tomber à chaque pas. Non, je n’aimais pas cet endroit, surtout que j’avais du mal à y sentir le pouvoir de l’Aura.
Devant moi se trouvait quatre gigantesques arcs de pierre marbré, correspondant au quatre Haut-Gardiens. J’y étais presque. Je n’avais qu’à passer sous l’un de ses arcs pour automatiquement transporter dans les appartements privés d’un des proches du Primonarque.
Ils étaient bien arrogants de laisser leur porte ouverte à n’importe qui, mais d’un autre côté, seul un inconscient irait perturber un Haut-Gardien sans raison.
Je fis une petite pause, inspirant et expirant, avant de passer sous l’arc de Talos.
Mon corps disparu petit à petit – ce qui était très dérangeant à vivre. Soudain, tout devint noir, et lorsque la lumière fut enfin, je me retrouvais dans une salle faramineuse. Tout était blanc. Tout dégageait une écrasante Aura divine. Talos, le Judokrak tout-puissant, était là, au sommet d’un escalier démesuré, impérialement installé sur son trône.
De son point de vue, je ne devais être qu’un insecte. Cette simple pensée me fit grincer des dents. Ces types qui se croyaient tout permis. Ces types qui me prenaient de haut. Je ne pouvais le supporter. Ce trône. Cela devait être ma place. C’était moi qui devais être au sommet !
— Commandant Cyarès.
La Haut-Gardien prononça mon nom. Sa voix irréelle fit trembler l’atmosphère ; malgré toute ma volonté, je ne pus empêcher mon corps de se mettre à genou.
— Haut-Gardien Talos, répondis-je en respectant le protocole.
Au sommet de son piédestal, le Judokrak hocha la tête.
— J’ai une mission pour vous.
Je peinai à masquer ma surprise. Les Haut-Gardiens avaient des serviteurs surpuissants répondant à chacun de leur caprice. Pourquoi faire expressément appel à moi ? Je n’étais pas l’un de ses toutous !
— Un Pokémon va rejoindre les nouvelles recrues. Un Carmache se nommant Belcol-Exion. Je vais vous le confier.
— Encore une ? soupirai-je. Sauf votre respect, j’ai déjà suffisamment de…
— Silence.
— …..
Gnn ! Pourquoi je n’arrivais pas à lui répondre ? Pourquoi devait-il être si puissant ?!
— Nous ne savions pas ce qu’il pense exactement, mais il faisait partie de l’armée de Stalhblume. Et le Primonarque en personne a décrété Stalhblume comme étant dangereuse. Il est possible que ce Carmache soit un espion, surtout que nous possédons quelque chose qui l’intéresse.
Donc, je devais surveiller un Carmache ? Sérieusement ? De Commandant, je devenais misérable surveillant ?
— C’est une mission de la plus haute importante. Nous avions conscience de votre ambition, nous savions que nous n’appréciez pas vous occuper des recrues. Vous désirez réintégrer l’unité des Exécuteurs, n’est-ce pas ? Je peux exaucer votre souhait.
— Vraiment ?! ne pus-je m’empêcher de m’écrier.
— Mettez-vous ma parole en doute, Commandant Cyarès ?
— … non, bien sûr que non.
Continue de me faire enrager, ordure. Un jour, tu le paieras !
— Je préfère cela, poursuivit Talos. Toutefois, toute récompense doit s’acquérir par le biais d’efforts équivalents. Je vais maintenant vous expliquer votre mission.
Le Judokrak se leva, imposant.
— Ce Carmache est un potentiel danger. Nous n’aimons pas les risques. C’est pourquoi il doit être détruit. Je ne veux pas que vous le tuiez, entendons-nous bien. Je veux que vous anéantissiez son esprit, jusqu’à ce qu’il mette lui-même fin à ses jours. S’il est un espion à la solde de Stalhblume, ce n’est que juste châtiment pour avoir tenter de nous tromper. En revanche, s’il est véritablement sincère, ce sera une rétribution pour avoir oser intégrer une armée opposée à la nôtre par le passé. Dans les deux cas, nous délivrons un message fort à nos opposants. Un message dur, mais juste. La Guilde est la Justice.
… oh ? Je m’étais trompé. Détruire un Pokémon en toute légitimité, mmh ? Tout d’un coup, tout ceci devenait très intéressant, voire amusant. Et si je pouvais retrouver mon post d’Exécuteur à la fin, c’était parfait.
— Je vois que vous avez compris. J’ai de grands espoirs en vous. Votre rage et mépris, je peux le sentir d’ici. Libérez là sur ce Carmache, servez-vous-en comme exutoire. Vous avez carte-blanche.
Ces mots sonnaient comme miel à mes oreilles. Petit à petit, ma gueule dévoila joyeusement ses crocs.