Chapitre 3 : L'invitation
Un temps indéterminé s'écoula tandis que Julie tentait de trouver la position la plus confortable pour s'endormir, en vain. Elle ouvrit les yeux mais n'osa pas regarder l'heure. Elle finit par se lever, persuadée qu'au final ce n'était pas sa position le problème, mais la chaleur et l'humidité ambiante. Elle ouvrit sa moustiquaire pour quitter son lit et alla dans la cuisine se servir un verre d'eau. Si le voyage en bateau avait limité les conséquences du décalage horaire, le changement de climat, lui, était bien ressenti. La jeune femme étouffait rien qu'en ne portant qu'un débardeur et une culotte en guise de pyjama, et ne voulait se résoudre à se découvrir davantage. Elle regarda en direction de la terrasse. C'était sa première nuit à Alola et elle n'avait même pas encore vu à quoi ressemblait le ciel de nuit. Elle décida de passer un moment sur la terrasse, et prit au passage son MP3 avec ses écouteurs.
Alors qu'elle était mentalement préparée à profiter d'un moment de solitude à l'extérieur, son cœur bondit lorsqu'elle aperçut une silhouette sur sa terrasse. Elle s'équipa immédiatement de sa Pokéball au cas où. Elle ne pensait pas qu'il s'agissait d'un voleur, à rester immobile à l'extérieur de sa maison. Elle ouvrit sa porte-fenêtre et vit de plus près l'intruse qui lui rendit son regard. Avant même qu'elle n'eut le temps d'ouvrir la bouche, celle-ci lança :
« Mais t'es qui toi ?! Qu'est-ce tu fais là ?! »
Étonnée par ce culot, alors qu'elle se trouvait chez elle, Julie rétorqua :
« C'est à moi de poser cette question ! Qui êtes-vous ?! »
L'intruse se leva à sa hauteur, tout en gardant ses distances, avant de répondre :
« Y'a personne qu'habite ici d'habitude. T'es la nouvelle proprio ?
– Qu'est-ce que vous voulez dire ? Évidemment que vous êtes ici chez moi !
– OK, on se calme, cousine. Ça se voit que t'es pas d'ici. J'sais que c'est pas chez moi, je squatte juste dans le coin pour profiter de la vue. »
Julie tourna brièvement la tête. Cette personne marquait définitivement un point : la terrasse donnait directement sur l'océan vers un coin de l'île très peu urbanisé, ce qui faisait que les étoiles n'étaient quasiment pas masquées par la lumière de la ville et offrait un spectacle particulièrement plaisant. Un croissant de Lune était d'ailleurs visible. Un croissant ? Cela ressemblait davantage à une pirogue : la Lune était éclairée par le bas, formant un sourire blanc lumineux dans le ciel. Néanmoins, cela ne changeait pas le fait qu'il y avait un invité non-désiré chez elle.
« Dégagez d'ici ou j'appelle la police !
– Tout doux, j'suis pas une voleuse. Je zone juste ici certains soirs. D'habitude y'a personne, j'étais pas au courant que tu venais de bouger ici.
– Vous êtes seule ? »
L'intruse mit quelques secondes avant de répondre :
« Oui, y'a personne d'autre avec moi là. Tu veux pas me laisser squatter ici encore un peu ? C'est mon endroit préféré de l'île... »
Ses yeux se baissèrent vers la main de Julie qui tenait sa Pokéball.
« Ah, j'vois que t'as un Pokémon. J'te propose un deal : on se fait un petit match, et si j'gagne j'peux rester. Ça roule ? »
Les règlements de litige personnel par combat de Pokémon étaient plutôt courants. De tels matchs restaient autorisés tant qu'ils respectaient la loi et n'étaient pas manifestement disproportionnés. L'assistante hésita une seconde. Son opposante n'avait pas l'air si méchante que ça, mais elle restait suspecte. Elle pouvait toujours tenter de gagner le combat, auquel cas elle partirait. Et en cas de défaite, elle connaissait le numéro de la police locale.
« Très bien, j'accepte. »
Elle enclencha sa Pokéball et la jeta dans les airs.
« Attaque ! Lazuli ! »
Un flot lumineux éblouit légèrement les deux dresseuses. Pendant un instant, elle put mieux voir à quoi ressemblait son adversaire. C'était une femme qui semblait avoir à peu près le même âge qu'elle. Un peu plus jeune sans doute. Sa peau mate était typique des habitants d'Alola. Elle portait un débardeur noir, un mini-short gris et des baskets qui avaient l'air trop grandes pour elle. Ses cheveux mi-longs étaient teints en rouge, et une de ses mèches lui cachait une partie du visage. Une fois la lumière tue, le Nostenfer de Julie était apparu en lançant un cri strident. L'intruse envoya à son tour son Pokémon au combat.
« À toi de jouer ! Tritox ! »
Dans un nouvel éclat de lumière, une sorte de lézard noirâtre se matérialisa devant elle. Seuls ses yeux et ses marques orangés sur le dos luisaient dans la nuit. L'assistante ignorait totalement de quel genre de Pokémon il s'agissait, même si elle se rappelait l'avoir déjà aperçu une fois. Il semblait être de type feu, mais elle n'avait aucune idée de ses capacités. Les deux Pokémon se toisèrent en attendant les ordres de leur dresseur respectif. Ce fut l'adversaire de Julie qui ouvrit les hostilités la première :
« Tritox ! Attaque Roue de Feu ! »
Immédiatement, le Pokémon lézard prit de l'élan avant de se rouler en boule en formant une sphère incandescente. La chercheuse en Pokémon avait vu juste concernant son type.
« Lazuli ! Lance Cru-Aile ! »
Alors que le Tritox prit littéralement son envol pour atteindre le Pokémon chauve-souris, ce dernier répliqua avec un puissant coup d'aile qui le renvoya directement au sol. Cependant, la manœuvre semblait avoir affecté les deux Pokémon qui avaient pris des dommages simultanément. Tandis que Julie se disait qu'il n'était pas idéal d'utiliser une attaque de type poison vu qu'elle en avait récolté une partie un peu plus tôt à son Pokémon, elle fut surprise par l'attaque suivante de son adversaire :
« Tritox ! Attaque Toxik ! »
Même un débutant en matière de dressage savait très bien que les Pokémon de type poison étaient immunisés à ce genre d'attaque qui infligeait des dégâts continus par empoisonnement. C'était ce qu'on apprenait à l'école primaire au même titre que la table des types et les tables de multiplication. Cependant, elle révisa son jugement lorsqu'elle vit son Nostenfer s'écrouler au sol après avoir reçu une dose de liquide visqueux. Il était toujours en état de combattre, mais perdait peu à peu de sa vitalité.
« Mais... ?! Comment c'est possible ?
– On dirait qu'tu découvres la particularité de Tritox. Son poison est tellement violent qu'il peut même toucher les Pokémon de type poison ! »
L'intruse semblait se délecter de la position avantageuse qu'elle venait de prendre sur son adversaire. Même si cela se voyait à peine à cause de l'obscurité, elle souriait avec un sentiment de victoire, tandis que Julie s'agenouilla près de son Pokémon en balbutiant :
« Mais... c'est... c'est... C'est génial ! »
Cette réaction prit complètement de court la dresseuse du Tritox qui s'attendait plutôt à la voir s'effondrer de désespoir.
« P... pardon ?
– C'est la première fois que je vois ça ! Il faut que j'en récupère un échantillon ! Vite, j'ai besoin d'un tube à essai... »
Elle se précipita à l'intérieur un court instant avant de revenir avec des gants de protection, le dit tube, et un antidote. Après avoir méticuleusement récolté une partie du poison qui recouvrait son Pokémon, elle le soigna immédiatement en l'aspergeant d'antidote. Le Nostenfer retrouva en peu de temps son énergie habituelle. L'atmosphère s'était étrangement adoucie pendant que l'intruse contemplait la scène en silence. Celle-ci s'accroupit au niveau de Julie pour lui demander :
« Hé, t'es sûre que ça va ? J'ai jamais vu un dresseur être content de voir son Pokémon se faire empoisonner.
– Ah, désolée. C'est juste que je travaille sur d'importantes recherches, et que je ne pouvais pas louper l'occasion d'en apprendre davantage... »
Son interlocutrice la coupa en éclatant de rire, puis lui adressa un sourire en disant :
« T'es marrante toi, j't'aime bien. Mais alors, ça veut dire que j'ai gagné ? J'peux rester alors ?! »
Julie soupira avant de répondre :
« Oui, si vous voulez... Je n'ai plus la force de me battre de toute façon.
– Ouais ! C'est cool ça ! »
Elle reprit sa position dans laquelle elle avait été surprise juste avant leur affrontement, assise le dos contre le mur, les avant-bras reposant sur ses genoux pliés, les yeux dirigés vers le ciel. L'assistante l'imita en s'asseyant en tailleur. Chacune fit rentrer son Pokémon respectif dans sa Pokéball. Un silence s'installa pendant quelques minutes de contemplation céleste, avant que l'une des deux ne le brise.
« Tu fais de la recherche, c'est ça ? Sur quoi ? »
Julie repensa aux explications qu'elle avait données à Mathéo plus tôt dans la journée, mais n'avait nullement envie de les reformuler. Elle tourna légèrement la tête vers l'intruse qui n'en était plus vraiment une. De plus près, elle pouvait voir qu'elle avait un maquillage sombre assez marqué au niveau des yeux, ainsi que des piercings aux oreilles.
« Sur... les origines des Pokémon en gros. »
Elle ne s'attendait à aucune réaction particulière de la part de son ancienne adversaire qui pourtant répondit :
« Wah ! C'est super intéressant ça ! Si les études c'étaient pas si chiant, j'crois que j'aurais fait quelque chose dans le genre aussi. »
Elle était surprise de trouver un intérêt commun avec cette personne qui avait pourtant l'air singulièrement différente.
« C'est vrai ? Ça vous intéresse ?
– Carrément ouais ! Qui que ça intéresserait pas ? Perso, j'suis sûre qu'on est lié aux Pokémon beaucoup plus qu'on le pense.
– Je pense aussi. »
Un nouveau silence s'invita un court instant, cette fois-ci brisé par Julie.
« Vous venez par ici depuis longtemps ? »
La réponse mit quelques secondes à arriver.
« Hm, ouais, pas mal de temps. J'avais l'habitude de venir ici avec mes potes. Mais depuis quelques temps, j'viens seule.
– Pour quelle raison ? »
L'autre jeune femme se gratta l'arrière de la tête et changea légèrement de position avant de reprendre :
« Parce que ces bouffons ont voulu se la jouer en entrant dans la Team Skull. C'est, genre, un gang où ils s'amusent à faire des conneries. Moi j'ai pas voulu les rejoindre, alors ils m'ont laissé tomber. »
Le problème semblait être plus important qu'une simple histoire d'amitié rompue. Les Teams, comme elles se désignaient, étaient des organisations mafieuses qui recrutaient les dresseurs influençables pour créer un réseau criminel. La région d'Alola ne faisait donc pas exception à la règle. Les autorités avaient fort à faire avec ce type d'organisation clandestine, dont les leaders se révélaient être parfois des personnes haut placées et donc difficiles à faire tomber. Julie ne préférait pas continuer cette conversation, et profiter de la beauté de cette nuit à la place. Elle sortit son MP3 et commença à l'allumer, ce qui attira l'attention de sa voisine.
« Tiens ? T'écoutes quoi comme musique ?
– Heu, c'est le groupe de Strykna d'Ondes-sur-Mer...
– Sérieux ?! Moi aussi j'l'adore ! Vas-y, j'peux écouter avec toi ?»
Après une seconde d'hésitation, provoquée non pas par un manque de confiance mais par la surprise de rencontrer une autre fan de Strykna à Alola, elle lui tendit l'un des écouteurs. Ainsi, les deux jeunes femmes se retrouvèrent reliées par une musique de style Punk-Rock. Chacune battait discrètement le rythme à sa manière. Une bonne moitié du dernier album de Strykna passa dans leurs oreilles avant que la mystérieuse inconnue ne se lève en s'étirant.
« Ah, c'était cool ! T'as de la chance de crécher ici, c'est vraiment un coin sympa. »
Après avoir jeté un dernier coup d’œil au ciel, Julie répondit :
« Oui, vous avez raison.
– Tu peux arrêter de me dire vous si tu veux, on n'est pas des vieux. Au fait, c'est quoi ton nom ?
– Julie. »
La fan de Strykna s'esclaffa soudainement, sous l'incompréhension de l'assistante qui observait pour la première fois une telle réaction au prononcé de son patronyme.
« Qu... qu'est-ce qu'il y a ?
– Rien, désolée ! C'est juste que c'est trop banal comme nom ! J'm'attendais à quelque chose de plus original.
– Désolée de vous... de te décevoir, ajouta-t-elle avec agacement.
– Nan mais, faut faire quelque chose pour ça. C'est quoi ton nom de famille ?
– Camélia. »
Cette fois-ci, sa réaction fut beaucoup plus positive.
« Ça c'est cool comme nom ! C'est décidé, c'est comme ça que j'vais t'appeler, Camélia !
– … Hé ! Tu ne peux pas me surnommer à ta guise ! Je ne suis pas ton Pokémon ! »
Après cette dernière phrase, Julie se surprit à rire avec sa nouvelle connaissance. Puis elle lui posa une question légitime :
« Au fait, et toi, comment tu t'appelles ? »
La réponse fut accompagnée par un sourire de fierté :
« Forsythia ! Rappelle toi z'en bien ! »
L'atmosphère s'apaisa après cet échange. La jeune rebelle s'apprêtait à partir, lorsqu'elle demanda un dernier service d'un air beaucoup plus sérieux :
« Dis. J'pourrais revenir ici ? Le soir, de temps en temps ? »
Julie se sentit touchée par ce souhait qui contrastait totalement avec le personnage qu'incarnait Forsythia. Elle lui répondit en souriant :
« Bien sûr, quand tu veux.
– C'est cool, merci ! Allez, à plus, Camélia ! »
Elle se saluèrent mutuellement, puis l'étrange jeune femme s'échappa en parcourant la végétation avec autant de facilité qu'un Pokémon sauvage. Julie observa l'horizon un instant avant d'envisager de rentrer se coucher – elle ne savait même plus quelle heure il était. Elle commença à détourner la tête du paysage nocturne, quand une tâche de lumière blanche lui fit soudainement scruter à nouveau les environs. Pendant un moment, elle crut voir au loin la silhouette de la jeune fille du quai. Avec cette obscurité, il lui était normalement impossible de reconnaître une personne d'aussi loin, mais celle-ci semblait s'illuminer d'une aura mystique. Elle plissa les yeux, mais la forme lumineuse s'atténua aussi vite qu'elle était apparue. Julie bailla et mit finalement cela sur le dos de la fatigue, surtout après une journée si chargée en événement. Elle se coucha dans son lit et trouva quasi instantanément le sommeil.