Chapitre 1 : L'arrivée
Un navire de croisière voguait entre l'azur du ciel et le turquoise de l'océan. Les rayons ardents du soleil n'était atténués que par la fraîcheur du vent et des cocktails servis par le personnel du bateau. A son bord, une jeune femme sirotait son verre, l'avant-bras posé sur la rambarde d'un étage supérieur donnant une vue d'ensemble sur le pont avant. Sa peau plutôt pâle, davantage habituée au climat tempéré de Kalos, était protégée par un gilet gris clair laissant entrevoir un débardeur blanc. Une jupe longue de couleur jaune mimosa couvrait ses jambes en flottant légèrement avec le vent. Une paire de tongs, peu esthétiques mais confortables, ornait ses pieds comme pour la plupart des autres passagers. Une casquette blanche la prévenait des coups de soleil sur le nez et des maux de crâne dus à la chaleur. En relevant la tête, elle révéla un visage clair, parsemé de quelques tâches de rousseur. Ses cheveux châtains descendaient jusqu'aux épaules et ses yeux bleus-gris étaient surplombés par des sourcils légèrement épais - elle préférait les laisser ainsi plutôt que de prendre le risque de se défigurer en les épilant. Son regard se perdait dans la direction de sa destination : l'archipel d'Alola.
Cette région attirait l'intérêt de personnes de plus en plus nombreuses, notamment avec la découverte de nouveaux spécimens de Pokémon. En effet, des espèces introduites dans Alola il y a des années présentaient désormais des caractéristiques différentes de leurs homologues de la région de Kanto, allant même jusqu'à changer leur type d'origine. La communauté scientifique s'accordait majoritairement à attribuer ce phénomène au climat tropical auquel les Pokémon introduits se seraient habitués. Cependant, certaines thèses divergentes évoquaient l'influence des cycles solaires et lunaires dans ces changements.
Quoiqu'il en fût, ceci était précisément la raison pour laquelle cette jeune femme se tenait sur ce bateau. En tant qu'assistante du professeur Keteleeria, elle avait été envoyée à Alola dans le cadre d'une étude scientifique sur le terrain, pour observer ces nouvelles espèces et mieux les comprendre. Son voyage était également l'occasion d'effectuer un échange culturel avec cette région en participant à des rencontres avec les élèves des écoles locales. Il paraissait que le système éducatif d'Alola était quelque peu différent de celui des autres régions, et que le parcours initiatique des jeunes dresseurs se déroulait dans des conditions plus originales. La valeur en combat n'était plus le seul critère de sélection, auquel venait s'ajouter l’interaction avec l'environnement. Dans tous les cas, cela promettait un voyage intéressant, même pour cette assistante qui se plaisait bien dans son monde urbain.
Son attention fut soudainement attirée par la réunion d'une foule sur le côté bâbord du bateau. Elle aperçut d'en haut la zone de combat dans laquelle se tenaient un jeune garçon et un fier marin, chacun avec une Pokéball dans la main. Des spectateurs s'étaient rassemblés spontanément tout autour pour assister à la scène. Ce genre d'endroit était souvent mis à la disposition des dresseurs en tout genre, cela permettait de distraire les passagers tout en participant au système d'initiation régional. Le soir avaient même lieu des batailles prévues entre dresseurs expérimentés à l'heure du dîner. Le gamin envoya au combat un Rattata tandis que son adversaire lui fit face avec un Têtarte. Même un novice en la matière pouvait facilement s'attendre à la victoire du Pokémon de type eau, mais la foule n'en était pas moins en liesse et scandait des mots d'encouragement pour le jeune dresseur.
« Rattata ! Attaque Charge ! »
Un frisson parcourut le dos de la jeune femme en entendant cette phrase. Cela faisait longtemps que les joutes de Pokémon ne faisaient plus partie de son quotidien. Un élan de nostalgie la poussa néanmoins à observer le combat jusqu'au bout. Cela lui rappelait son enfance, pendant laquelle son excitation à l'idée de capturer et dresser des Pokémon était comparable à celle de ce garçon.
Traditionnellement, les enfants avaient le droit d'entreprendre un voyage initiatique à partir de l'âge de 10 ans. Pour cela, ils bénéficiaient d'une bourse couvrant tous leurs frais pendant une durée d'un an, au bout duquel leur aventure prenait généralement fin. Ils avaient également accès à de nombreux services gratuits, notamment de soin des Pokémon et de logement. En plus de la bourse de base, les revenus du jeune dresseur pouvaient augmenter à chacune de ses victoires. Cela engendra une pratique abusive qui consistait à défier le maximum de personnes en un minimum de temps, dès que deux regards se croisaient. Une réforme fut alors rapidement mise en œuvre pour limiter le nombre de matchs autorisés par jour. Le but final de ce voyage initiatique était de vaincre les huit champions d'une région pour remporter leur badge et pouvoir affronter le Conseil 4 de la Ligue Pokémon.
Cependant, la réalité était beaucoup plus dure que ce que les enfants pouvaient voir à la télévision. Très peu de jeunes dresseurs parvenaient à rassembler les huit badges en une année, et encore moins réussissaient à passer l'épreuve du Conseil 4. Ils rentraient alors chez eux et reprenaient l'école. Certains avaient tenté de continuer leur aventure malgré l'arrêt de leur bourse, allant jusqu'à fouiller dans les poubelles pour trouver le moindre objet utile. Mais ils se faisaient rapidement rattraper par les services sociaux qui voulaient éviter à tout prix que de jeunes enfants se retrouvent à la rue. D'autres envisageaient de reprendre leur voyage plus tard, après être entrés dans la vie active pour économiser. Les quelques rares élus arrivant au bout de leur quête se retrouvaient champions d'arène ou membres de la Ligue. D'autres, moins doués pour les combats, gardaient tout de même un lien avec les Pokémon dans leur carrière en devenant éleveurs, infirmiers ou encore chercheurs Pokémon.
L'assistante sortit de ses pensées nostalgiques lorsque l'arbitre officiel sonna la fin du match. Le Rattata du gamin gisait au sol, épuisé et trempé par les attaques du Têtarte, sous les regards de la foule qui applaudit avec politesse. Le dresseur se rua sur son Pokémon pour le prendre dans ses bras, avant de le faire rentrer dans sa Pokéball. Le rongeur violet se dématérialisa en un rayon de lumière rouge qui s'engouffra dans la balle de poche. La Pokéball faisait partie de ces merveilles de technologie qui fascinaient toujours la jeune chercheuse et l'avaient poussé à suivre cette voie. Le garçon salua brièvement son adversaire puis se précipita vers les services de soin pour Pokémon. Juste avant le combat, il semblait si certain des chances de son Pokémon de remporter la victoire. Il pensait sans doute que son Rattata faisait partie du top des Rattata.
La foule finit par se disperser autour de la zone de combat pour reprendre leur bronzette ou la dégustation de leur boisson. En parlant de ça, l'assistante se rendit compte que son verre était vide et chercha un serveur à portée de main. L'un d'eux se présenta rapidement avec un plateau et lui offrit un nouveau cocktail sans alcool avant de repartir en la saluant. Elle remarqua que, comme la plupart des membres du personnel du navire, il portait à sa ceinture une Pokéball pour pouvoir répondre au défi de tout passager désireux d'en découdre. Elle étancha rapidement sa soif, avant de se dire qu'il faisait suffisamment chaud pour envisager une retraite stratégique à l'ombre de sa cabine personnelle. Cependant, de nouveaux bruits d'exclamation d'une foule se firent entendre, à tribord cette fois.
En tournant la tête, la jeune femme vit de nombreuses personnes s'amasser sur ce côté de la rambarde du pont avant. Elle se doutait de l'événement qui venait de se passer et décida de finalement rester pour y assister. Un son du haut-parleur confirma sa pensée.
« Sur la droite du bateau, vous pouvez apercevoir un groupe de Wailord nageant avec leurs petits Wailmer ! »
Ces Pokémon majestueux étaient les plus grands connus à ce jour. Leur espèce étant relativement rare et peu pratique à utiliser en combat, leur capture était soigneusement réglementée. Ce genre de spectacle était apprécié par le public, si bien qu'il était probable que certains passagers fortunés aient entrepris cette croisière dans ce seul but. Pour sa part, l'assistante n'auraient pas pu se permettre un tel luxe. Son voyage était quasi-intégralement financé par le budget de la recherche Pokémon qui était considérable en tant qu'un des enjeux majeurs de ce siècle. Depuis une vingtaine d'années, la technologie avait connu un développement historique, et ce tout particulièrement grâce aux Pokémon. Il n'aurait été même pas exagéré de dire que le monde tournait autour d'eux.
La jeune femme, qui s'était encore une fois perdue dans ses pensées, se concentra à nouveau sur les Pokémon cétacés. Elle avait déjà eu la chance d'en voir de près lors de ses études. Elle avait pu visiter un bassin de Pokémon aquatiques d'élevage, les observer et les nourrir. Elle se remémora son impression lors de sa rencontre avec un Wailord, pendant laquelle elle s'était rendu compte à quel point ils étaient gigantesques. Beaucoup plus que ce qu'une vision de loin sur un bateau de croisière pouvait laisser imaginer. Les passagers poussèrent des cris d'excitation tout en prenant des photos lorsqu'ils purent admirer les Giclédo qui s'échappaient des évents de ces Pokémon comme des geysers. Une fois le groupe de Wailord éloigné, l'assistante prit enfin la direction de sa cabine, tandis que des Pokéfans continuaient d'observer l'événement avec des jumelles.
Le son ambiant des vagues et de la foule s'atténua d'un seul coup lorsque la porte de la cabine se referma. C'était une chambre individuelle avec un lit une place et un petit bureau faisant office d'espace de travail. La jeune femme accrocha sa casquette au bord de la chaise à disposition, puis s'écroula sur les draps frais en fermant les yeux. Tout lui sembla plus léger pendant un court instant. Mais une sonnerie de téléphone vint interrompre son sommeil. En regardant l'heure, ce qui lui avait semblé être quelques minutes de repos se révélait être en réalité une demi-heure. Le téléphone sonnait toujours. Elle regarda qui était son interlocuteur et se vit contrainte de répondre :
« Allô, bonjour professeur Keteleeria.
– Hellooo ! Alors, ça se passe bien ton voyage ?
– Très bien pour le moment.
– Parfait ! Tu as bien les coordonnées de ton contact ?
– Oui bien sûr, je les ai... sous la main. »
Elle étira le bras pour récupérer un bout de papier qui se trouvait sur le bureau. Il indiquait le nom de Mathéo Yucca suivi d'un numéro de téléphone. Le professeur reprit :
« Il devrait être là à ton arrivée. Je compte sur toi pour donner une bonne impression, même si je n'en doute pas !
– Ne vous inquiétez pas, je ferai de mon mieux.
– Et profite bien de la région ! Je sais que tu es là-bas pour travailler, mais n'oublie pas de t'amuser aussi.
– J'y penserai, professeur.
– Tu pourras voir de nouveaux visages et faire de nouvelles rencontres ! Je sais que ce n'est pas forcément ton fort, mais je pense que ça te ferait du bien de t'ouvrir un peu aux autres. »
Cette dernière phrase désorienta la jeune femme qui se releva soudainement sur son lit.
« Co... comment ça ?
– Eh bien, comme tu seras obligée d’interagir avec des gens que tu ne connais pas, tu devrais te faire de nouveaux amis. Tu es toujours un peu... comment dire ? Sauvage, quand on te rencontre pour la première fois. Mais je sais qu'en réalité tu es une fille bien, alors met en valeur tes bons côtés ! »
Le professeur Keteleeria n'avait pas tort, elle connaissait bien son assistante. Celle-ci reconnaissait elle-même ses défaillances au niveau social, mais n'y prêtait pas attention la plupart du temps. Cependant, livré à elle-même dans une région où elle ne connaissait personne, elle savait qu'elle allait être obligée de mettre ce pan de sa personnalité de côté. Elle répondit finalement :
« Entendu, professeur.
– Très bien ! Sur ce, je te souhaite bon voyage et j'attends de tes nouvelles. Bye ! »
La personnalité détonante du professeur Keteleeria contrastait particulièrement avec l'attitude de son assistante qui se considérait comme plus... réaliste. Sa supérieure avait l'habitude de parler avec des enfants et s'occupait notamment de le remise de leur premier Pokémon. Mais cette attitude très amicale n'était qu'une façade qui cachait le véritable domaine de la recherche Pokémon. Les chercheurs sont obligés de fournir des résultats réguliers et d'innover en permanence pour continuer de bénéficier de leur budget. En contrepartie, celui-ci est très conséquent et permet d'investir beaucoup et rapidement dans tel ou tel secteur d'activité. Et, en l'occurrence, la jeune femme avait eu la chance d'y avoir accès dans le domaine qui l'intéresse le plus : les origines des Pokémon.
Les Pokémon étaient d'étranges créatures. Leur apparition semblait récente, et pourtant on retrouvait des fossiles de certaines espèces datant d'il y a des millions d'années. Certains étaient tellement rares que leur existence n'était prouvée que par quelques traces. Les pouvoirs qu'ils détenaient ne trouvaient pas toujours d'explication scientifique, mais n'empêchaient pas leur exploitation par l'Homme. Le terme « exploitation » était ici une exagération, car les Pokémon servaient volontairement les êtres humains quand ils le désiraient. Certains Pokémon semblaient même être destinés à travailler solidairement avec eux. Bref, beaucoup de mystères entouraient ces créatures, et c'était le boulot des chercheurs de les résoudre. Voilà pourquoi l'assistante du professeur Keteleeria s'intéressait tant à leurs origines, pour un jour peut-être découvrir le secret de leur pouvoir.
Elle regarda à nouveau l'heure sur son téléphone. Il n'était pas encore 18h, heure à laquelle le dîner commençait à être servi et le rayonnement du soleil à s'atténuer. Elle reprit alors la lecture d'un essai du professeur Sorbier sur les Pokémon de la région de Sinnoh en attendant. Il lui restait une nuit à passer sur ce navire avant son arrivée à Alola le lendemain matin. La soirée fut courte, même si le combat de Pokémon de la croisière lors du dîner se montra particulièrement intéressant. Les premiers match étaient plutôt classiques, mais les deux derniers Pokémon venaient d'Alola et avaient impressionné le public qui n'était pas habitué à en voir. La bataille opposait une sorte de scarabée de type électrique, Lucanon, à un Pokémon oiseau dansant tel une vahiné, Plumeline. Le match se déroulait sur un fond de musique traditionnelle pour coller au thème. L'ambiance semblait plaire aux passagers qui s'enthousiasmèrent jusqu'à la fin de l'affrontement. La victoire revint au dresseur du Plumeline, dont les danses endiablés avaient fait tourner la tête du Pokémon électrique. L'assistante, comme de nombreux spectateurs, avait pris des photos du combat, sauf que de son point vue cela lui servirait davantage à étudier les dits Pokémon qu'à montrer des souvenirs à sa famille en revenant de voyage.
La nuit passa rapidement et le navire arriva enfin à bon port au petit matin. La jeune femme était prête à débarquer, ses bagages en main. Elle s'empressa de rejoindre le quai sur lequel son contact devait l'attendre. Elle esquiva les familles nombreuses qui déambulaient en touriste pour trouver le chemin le plus rapide. Une fois le pied à terre, l'atmosphère semblait métamorphosée. Alola dégageait une aura foncièrement différente des autres régions, difficile à décrire, mais présente. L'assistante balaya du regard les différentes personnes qui semblaient attendre quelqu'un. Ne parvenant pas à trouver son contact, elle hésita une seconde à appeler son numéro, avant de lever les yeux une nouvelle fois pour finalement apercevoir une pancarte avec son nom marqué dessus. Elle se dirigea vers celui qui tenait le dit panneau. C'était un jeune homme au bronzage local, pas bien grand mais qui la dépassait tout de même d'une demi-tête. Il portait une chemise blanche à manches courtes ainsi qu'un bermuda bleu marine et des chaussures de marche. Ses cheveux noirs de jais étaient attachés en une queue de cheval. Lorsqu'il la vit s'approcher, il prit tout d'abord un air légèrement surpris, avant de se mettre à sourire et lui tendre la main.
« Miss Camélia, c'est cela ? »
Elle accepta cette poignée de main avant de répondre d'un ton neutre :
« C'est bien moi.
– Enchanté de faire votre connaissance, reprit-il. »
Elle repensa soudainement à la conversation qu'elle avait eu hier avec le professeur Keteleeria, et lui rendit finalement un léger sourire.
« Enchantée. Vous pouvez m'appeler Julie si vous voulez.
– D'accord, dans ce cas appelez-moi aussi Mathéo. »
Après un bref échange de regards, Julie eut soudainement le sien attiré par un étrange personnage qui se situait quelques mètres derrière le jeune homme. Une jeune fille à la peau très pâle et aux longs cheveux blonds fixait l'horizon en direction de l'océan. Elle ne semblait attendre personne, et personne ne semblait l'attendre. Elle tourna la tête vers l'assistante qui aperçut ses yeux d'un vert qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Son observation fut interrompue par Mathéo qui lui fit un signe de la main devant le visage.
« Est-ce que ça va ? »
Il se retourna mais ne vit personne de particulier. Après l'avoir quitté des yeux une seconde, Julie regarda à nouveau du côté de la jeune fille qui avait disparue. Elle répondit enfin :
« Ce n'est rien. Alors, quel est le programme de la journée ?
– Eh bien, ce matin nous allons commencer par rendre visite aux élèves de l'école de cette île. Ah, et c'est moi leur instituteur, précisa-t-il.
– Très bien, je vous suis.
– J'espère que vous savez bien répondre aux questions, c'est une classe de vrais petits curieux ! »
Une interrogation revint à l'esprit de l'assistante qui s'empressa la poser avant de l'oublier de nouveau :
« Au fait, à l'instant, j'ai eu l'impression que vous étiez surpris en me voyant, non ? »
L' instituteur fut quelque peu pris au dépourvu, mais finit par répondre avec un sourire gêné :
« Ah, c'est vrai. Désolé, c'est juste qu'en recevant la visite d'un chercheur en Pokémon je ne m'attendais pas à accueillir quelqu'un de si... jeune. »
Julie ne comprenait pas en quoi cela était un problème, sans parvenir à saisir le véritable sens de cette dernière phrase.
«Je vois. Ce n'est pas grave, répondit-elle tout simplement. »