Epilogue
Aurel somnolait paisiblement dans son siège, les yeux clos, la respiration légère. Il ne se sentait ni inquiet, ni triste, c'était tout juste si son humeur souffrait d'un soupçon d'excitation. Lorsque Archie avait éclos, il avait immédiatement parlé de son projet à ses parents qui, à son grand étonnement, furent ravis de sa décision et l'encouragèrent avec joie. Ils l'aidèrent autant qu'ils purent à préparer son départ et le jour venu, ce fut le sourire aux lèvres qu'ils saluèrent leur enfant. Son propre manque d'affliction le surpris aussi, il se serait cru plus nostalgique, mais l'attrait de la nouveauté palliait à tout débordement émotif et une fois dans l'avion de ligne qui l'amenait à Alola, seul une calme forme d'exaltation étreignait son esprit.
Avec lui, il avait naturellement pris Archie, son Brindibou nouveau-né à qui il avait promis qu'ils iraient ensemble visiter sa région d'origine. Ce jeune compagnon était d'un naturel enjoué, joueur et énergique. Sa toute petite taille pour son espèce le rendait particulièrement agile et vif, mais il manquait du calme et de la précision qu'on associait généralement à ses semblables. Le jeune homme avait également pris avec lui Fifi, la Couafarel n'aurait de toute manière pas supporté d'être laissée derrière à la ferme. L'idée de voyager ne la ravissait pas vraiment, de leur trio, c'était clairement elle qui s'était montrée la plus angoissée et la plus attristée quand le départ fut sonné.
Mais pour le moment, ses deux Pokémons réfugiés dans leurs Pokéballs respectives, Aurel prenait le temps de se reposer dans l'avion et de réfléchir un peu. Il n'avait pas eu le temps de recevoir une réponse de Sélène, mais il n'en voulait pas vraiment. Il l'avait prévenue de la date et de l'heure de son arrivée et n'attendait que de la voir pour lui parler de visu. Il avait pensé longuement et de nombreuse fois à leur retrouvaille, il avait la sensation que cela faisait des années qu'ils s'étaient séparés, alors que quelques mois seulement avait passés. Sans doute que le temps s'était accéléré pour elle, alors qu'elle vivait toute ses aventures à Alola, mais ils avaient toujours été très proches et avaient toujours fait en sorte de se voir le plus possible, même lorsqu'elle travaillait à l'aquarium, il ne doutait pas qu'elle devait regretter son absence.
Il regarda autour de lui ; dans l'avion tout était calme, aucun bébé ne pleurait, à peine les chuchotements de quelques enfants parvenaient jusqu'à ses oreilles. Dans leurs Pokéballs, Archie et Fifi semblaient dormir ou, en tout cas, se tenaient tranquilles, malgré l'agitation initiale au début du voyage. Entre l'impatience et l'excitation du tout jeune Brindibou et la crainte de la Couafarel qui n'avait eu de cesse de poursuivre son jeune partenaire partout, afin de tenter de le faire rester en place, la décontraction apparente de leur dresseur avait de quoi surprendre. Mais depuis la naissance de son nouveau Pokémon, Aurel avait usé tant d'énergie et d'effort pour préparer son voyage qu'il se sentait vidé ; entre la fatigue extrême et une forme de détente lénifiante.
Il avait eu si peur que l'œuf confié par Sélène n'éclose jamais et d'être bloqué ici avec le poids de cet échec sur les épaules. Personne, ni ses parents ni lui, n'avaient compris les raisons de ce retard d'éclosion. Son père avait même pensé, un jour, à tenter d'ouvrir la coquille manu militari, mais rien dans l'état de l'œuf ou de son contenu ne justifier l'usage d'une manœuvre aussi risquée ; lors des examens, les deux semblaient se porter comme un charme. De même, lorsque les premières fissures apparurent, personne ne put expliquer réellement ce qui avait changé. Peut-être que le changement d'environnement n'avait aidé que plus tard ? Peut-être que, pour une raison ou une autre, il avait fallu plus de temps à ce Pokémon là pour vouloir ou pouvoir sortir. Quoiqu'il en soit, Aurel avait été immensément fier et soulagé. D'autant plus qu'il s'entendait à merveille avec celui qu'il avait baptisé Archie et que ce dernier semblait apprécier l'ambiance de la ferme et celle qu'il avait désigné comme son nid attitré : Fifi, qui ne se plaignait guère de se nouvel usage de sa fourrure. Au contraire, la chienne se montrait très affectueuse avec le petit oiseau et le couvrait d'attentions diverses.
Les derniers jours chez lui avec ses parents avaient été parmi les plus beaux et les plus excitants de sa vie, la bonne humeur avait régné en maître et chacun à sa manière s'était montré impatient du départ, même si la palme de l'impétuosité revenait sans conteste à Archie. Le dernier né de la famille n'avait eu de cesse de voleter d'une personne à l'autre, cherchant à se rendre utile ou simplement à participer d'une façon ou d'une autre, même si pour cela il devait agacer chaque membre de la famille, le père d'Aurel en tête, le chauffeur qui les avait amené à l'aéroport en second. Qu'il dorme si paisiblement dans sa Pokéball pendant le voyage surprenait quelque peu le jeune homme et d'un autre côté, l'oiseau avait du s'épuiser à force de voler partout frénétiquement. Il caressa doucement les deux sphères bicolores sur ses genoux, quand une annonce retentit dans l'avion :
« Bonjour, nous arrivons bientôt sur l'île de Mele Mele. Cher passagers, veillez à replier vos tablettes et à attacher vos ceintures durant l'atterrissage. »
Un frisson parcourut l'échine d'Aurel. Leur destination était proche ; bientôt il retrouverait Sélène et commencerait une nouvelle vie, une aventure telle qu'il n'en avait encore jamais vécu.
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Dans le hall de l'aéroport, une jeune femme attendait, nerveuse. Ses yeux gris clairs envoyaient de fréquent regard inquiet vers la montre à son poignet et le tableau d'affichage des arrivées. Elle arpentait un maigre espace devant le portail qui séparait l'espace principal de la zone internationale, ses sandales de cuir claquant régulièrement le carrelage clair, ses cheveux noirs battant librement ses flancs minces, au rythme de ses pas. Elle portait un jean sobre et un chemisier blanc couvrait les épaules étroites servant de nichoir à un oiseau blanc : un Goélise. Irrité par les cent pas de sa maîtresse, le volatile s'envola bientôt pour se poser sur la tête touffue du Lougaroc qui fixait tranquillement la jeune femme, comme on regarde un chat en folie fonçait dans un couloir.
Les portes s'ouvrirent enfin et les pas cessèrent, alors que Sélène portait son regard et toute son attention vers les multiples visages passant le portique. Elle trépignait d'impatience et tripotait nerveusement ses doigts, jusqu'à ce qu'enfin elle aperçoive une chevelure rousse dépasser un peu de la foule. Elle agita la main, alors que son Goélise poussait un piaillement joyeux en se posant au sommet de son crâne. Le jeune homme répondit d'un geste discret en s'approchant, un gros sac à dos sur ses massives épaules. Ils se sourirent un bref instant en silence, avant qu'Aurel ne saisissent Sélène dans ses bras et la soulève du sol en riant, effrayant Elise qui rejoignit de nouveau Sól en pestant comme elle pouvait.