Heathens [Concours SL 2016] de Edenwin

A cause des Pokémon qui parcourraient les eaux d’Alola à longueur de journée et de nuits, Logwen empruntait souvent des itinéraires longs, qui nécessitaient de faire de sacrés écarts pour éviter les zones à risques. Cependant, avec deux Pokémon considérés comme Légitimes sur le dos – et comme lui-même en était un – il put écourter l’habituel trajet qu’il effectuait pour les locaux de Hardyng, qu’il avait choisi de soutenir dès le début de la guerre. Heureusement pour lui, il n’avait jamais vraiment eu de problème avec les rondes effectuées dans le domaine marin. Quand il s’approcha de l’île de la montagne, il se fit plus prudent. S’il était vu, nageant dans les eaux de Hardyng, il aurait de véritables ennuis. Après quelques minutes à basculer sa tête de droite à gauche, et de vérifier, par le biais de ses passagers, qu’ils n’étaient pas suivis, il accosta sur la petite plage au sud de l’îlot, prenant rapidement congé des deux Pokémon Feu pour aller se cacher dans les environs.
Autant dire que Midgard n’était pas serein à l’idée de se retrouver entouré par les Déviants. Il n’avait rien contre eux, mais ceux-ci avaient essuyé les remarques, les batailles et les blessures infligées par les Légitimes, des Pokémon comme lui. Il ne pouvait pas leur en vouloir s’ils s’étaient mis en tête de le castagner. Il rattrapa vivement Kaione qui avançait plus vite que lui, convaincu que s’il ne lui lâchait pas les basques, il était mort. Le renard espérait seulement qu’il ne lui ait pas menti, concernant sa présence ici. Qui pouvait lui confirmer que l’Arcanin faisait bien parti du clan des Déviants ? Logwen ? Il était peut-être dans le coup lui aussi. Midgard secoua sa tête pour chasser ses idées noires : décidément, sa méfiance avait redoublé depuis l’incident à Farwynd. Cette méfiance, c’était une forme de prudence : il était en territoire ennemi, officiellement.
Le Pokémon canin s’arrêta en chemin, levant la tête vers le firmament.
« La Lune se lève… » Il se retourna vers son compagnon, tout sourire. « On verra ça demain ! En attendant, les dortoirs sont dans cette direction. »
Suivant le regard de Kaione, Midgard remarqua plus loin sur le flanc de la montagne des cavernes, elles étaient au nombre de trois. Ils étaient si nombreux que ça, ici ? D’un côté, personne n’avait jamais songé à répertorier les Déviants. Ils avaient préféré la guerre à la paix, plongeant l’archipel paradisiaque dans une mer trop profonde. Tout le monde ici devait aspirer à la paix, mais était contraint de se battre pour leur survie dans un monde qui ne voulait pas d’eux. Midgard soupira en avançant vers la première des cavernes, comme lui avait indiqué son comparse.
Quand il entra, de nombreux regards se portaient sur lui. Il ravala sa salive, quelque peu apeuré par ces inconnus qui le fixaient et examinaient ses moindres mouvements. Il posa une patte au sol dans une attitude presque mécanique, cherchant une place des yeux. Il faisait tout pour échapper à la multitude d’yeux qui commençaient à peser sur lui. Kaione entra dans le renfoncement à son tour, accueilli par des voix chaleureuses. Leur amabilité réconforta le renard : ce n’était pas un plan foireux, il faisait vraiment parti de la famille. Après tout, pourquoi pas ? Il n’avait jamais réalisé que certains Légitimes pouvaient être du côté des Déviants, même s’il pouvait facilement se compter dedans. Souriant, il salua la foule, déclarant qu’il été arrivé avec Kaione, et les regards à son égard se firent plus légers. Quand il osa enfin relever la tête, il fut ébahi : tous ces Pokémon, devant lui, étaient des Légitimes. D’où l’insistance de l’Arcanin pour lui d’aller ici pour passer sa première nuit. Enfin, « première » … Tout était relatif. Quoi qu’il en soit, il était rassuré maintenant, et allait pouvoir profiter d’une bonne nuit de sommeil réparateur.

Il fut réveillé par Kaione, qui lui annonça rapidement qu’il leur fallait monter au sommet de Givrecime. L’Arcanin, tout inconscient de ce que cela représentait pour son nouvel ami, était relativement joyeux et attendait qu’il émerge de son repos pour pouvoir l’amener en haut du monde. Le Feunard ferma les yeux. Avait-il vraiment envie de remonter là où tout avait basculé pour lui ? Autrefois, c’était au sommet de Givrecime qu’il vivait, accompagné par d’autres Goupix, d’autres Feunard et d’autres espèces qui supportait le froid des hauteurs. Le calme avait été balayé par les premières émeutes, et tout son monde avait basculé. Il se reprit. Voilà qu’il faisait le pessimiste. Il osa le regard sur l’aiguille de la montagne. Peut-être qu’en retournant là-bas, ses craintes, ses souvenirs se feraient moins puissants. Peut-être avait-il juste besoin de revenir à ses racines pour que son mal-être disparaisse. Il n’y croyait pas non plus, mais c’était le seul espoir qu’il avait.
En se frayant un chemin jusqu’au seuil du mont, ils avaient déjà croisé nombre de créatures, Légitimes comme Déviants. Parmi ces derniers, il n’y avait pas que certaines races de Pokémon comme les Feunard, les Miaouss ou les Noadkoko qui en faisaient partis, non. Tous pouvaient être considérés comme Déviants au final. Il suffisait de ne pas être de la même couleur que ses prédécesseurs, et à partir de ce moment, ces Pokémon-là étaient des personnes divergentes, responsables de tous les malheurs du monde. Il y en avait beaucoup, à Hardyng, et d’après Kaione, la plus grande des cavernes leur appartenait.
Ils escaladaient la montagne, et chaque vision de son environnement rappelait de durs souvenir au renard de feu. Evidemment, c’était ceux d’il y a cinq années qui revenaient, et non pas ceux de sa douce enfance. Il ne savait pas non plus ce qui était advenu de sa mère. Dans ses souvenirs, elle avait toujours été l’allégorie de la Sécurité. Quand il avait peur, c’était vers elle qu’il allait, et quand la guerre a frappé à leur porte, même elle ne savait quoi faire. Il l’avait perdue, comme son frère. Comme Wolfgrim et Aflene. Il se devait d’aller les rechercher, malgré la haine qu’il avait pour l’île du Monolithe. D’après Kaione, le chef des Déviants était un dur à cuire, mais il allait devoir lui soumettre cette idée. Il commandait ici, il avait donc besoin de son accord pour retourner sur Farwynd. Cette idée le mettait hors de lui : il détestait recevoir des ordres de ceux qu’il ne connaissait pas, de ceux qui ne le connaissent pas. Et pourtant, il allait devoir se soumettre, au risque de se le mettre à dos. Hardyng était un des seuls endroits où il pouvait aspirer à sa paix, tant que les autres Légitimes ne lançaient pas une offensive sur l’île de glace.
« Prend ce chemin, il mène directement au sommet. » avait-il dit à l’Arcanin qui hésitait entre deux accès. L’intéressé tourna la tête vers lui, abasourdi par les propos de son ami. Il connaissait le coin ? Comment cela se faisait-il ? En vérité, il avait bien une idée mais… Sa béatitude n’échappait pas à Midgard, qui venait de lui donner un indice sur son passé. Il n’en avait pourtant jamais parlé auparavant. Surement que de retourner sur son île natale avait ses effets.
Sans attendre de réaction de la part du chien, le Feunard emprunta le raccourci. Kaione finit par le suivre, convaincu que l’amener là-haut était une mauvaise idée, en fin de compte. Le problème était qu’il n’avait pas le choix. Soudainement, une ombre leur coupa la route, se planta devant Midgard. L’animal en face lui fit face, un sourire narquois aux lèvres.
« Midgard, c’est bien ça ? » Le concerné hocha prudemment la tête. Cet individu sentait le mauvais augure à des lieux à la ronde. « Parfait. » Il sourit de plus belle, disparaissant dans la neige aussi rapidement qu’il était arrivé. Le renard était déconcerté : qu’est-ce qui venait de se passer au juste ? Kaione s’arrêta à sa hauteur.
« Fais pas attention. C’est Vayne, il fait ça à tous les nouveaux. » La vérité était tout autre. L’Arcanin se devait de garder le silence pour le moment : lui et Vayne savaient. Midgard, quelque peu courroucé par les habitudes des locaux, accéléra, bien décidé à terminer cette montée. Il n’avait pas de temps à perdre : celui-ci jouait contre lui. Il déboucha dans l’allée, si on pouvait l’appeler comme ça, dont les glaciers faisaient office de murailles. Au fond, il remarqua la fourrure grise et violette de Vayne, ce Zoroark qui venait de l’interpeler pour une broutille. Et à côté de lui, un élégant Pokémon blanc dont les nuances bleues lui rappelaient son dur passé. Un pincement au cœur le prit, semblable à un mélange de bonheur et de souffrance. Il ne l’expliquait pas. Il avait revu son frère, l’espace d’un instant, à la place de celui qui semblait être le chef de l’île. Il restait là, immobile, bloqué par un mur invisible composé de souvenirs, alors qu’il était attendu. L’Arcanin le dépassa quelque peu, lui donnant un bref coup de patte dans l’épaule pour qu’il se remette. Il soupira : alors il avait vu juste. Depuis son arrivée à Farwynd dans le groupe d’Aflene, il avait des soupçons concernant Midgard. Ils étaient fondés, dorénavant. Voyant que la situation n’avançait pas, le Feunard blanc s’avança à leur rencontre.
« Midgard. Cela faisait longtemps. » Vayne et Kaione en furent les premiers étonnés : jamais Asgard n’avait parlé sur un ton aussi doux et jovial à la fois. Le renard avala les larmes qui lui montaient aux yeux, ayant tant attendu ce moment autant qu’il le croyait impossible.
« Alors tu.. n’es pas mort ce soir-là ? Mais pourtant tu… » l’émotion lui coupait la parole. Il rêvait, n’est-ce-pas ? Asgard secoua négativement la tête, un sourire aux lèvres.
« Non. Si Vayne et Kaione n’étaient pas intervenus pour semer la panique dans les rangs ennemis, je n’aurais pas pu m’en sortir. » Midgard se retourna vers l’Arcanin. Alors il savait, et c’était pour ça qu’il l’avait ramené ? A l’instar de Lynx, il voulait le remercier de les avoir réunis, mais voulait le détester pour avoir abandonné les autres à Farwynd. Il avait fait ce qu’il avait à faire, il ne pouvait pas lui en vouloir mais… ce sentiment était plus fort que tout. Reprenant ses esprits, il enchaina.
« Asgard, je dois retourner à Farwynd de toute urgence. » Kaione grimaça. « Certains de mes amis sont en danger là-bas ! »
Son frère le toisa, retrouvant son air dur de d’habitude que le Zoroark et l’Arcanin connaissaient bien, et ferma les paupières. Il prit une grande inspiration avant de les rouvrir.
« C’est hors de question. » Il se retourna, reprenant sa discussion avec Vayne là où il l’avait laissée. Midgard n’écoutait même pas leurs paroles, frappé par la violence des mots de son frère. Aucune émotion ne s’était lue sur son visage quand il avait refusé.
« Comment tu peux dire ça ? Ils sont en train de mourir ! Ecoute moi ! Je ne vais pas les laisser partir sans ri… ! » Asgard explosa, plaquant son frère au sol.
« C’est toi qui va m’écouter ! Ils sont en train de mourir ? Alors laisse les crever. Quand tu arriveras, il sera déjà trop tard. Ne gâche pas ta vie à sauver celles de ceux qui l’ont déjà perdue. Il y a plus important que ça. »
Quelle était cette colère qu’il y avait dans ses mots ? Interdit, Midgard ne répondit point aux menaces d’Asgard. Celui-ci se retourna pour la deuxième fois, lui tournant une nouvelle fois le dos. Il avait tant espéré retrouvé son frère. Tant de fois il s’était haït pour l’avoir laissé dans les grottes alors qu’il n’y pouvait rien. Tant revu son visage en rêve qu’il se réveillait en pleurs, mais souriant malgré tout. Il ne le reconnaissait pas. Cet énergumène n’avait comme point commun avec Asgard que leur lien fraternel. Plus rien ne lui ressemblait. La guerre l’avait changé, du tout au tout, faisant de lui une redoutable machine à tuer, dont le cœur s’était gelé au fil des années passées à combattre pour une cause perdue d’avance.