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A travers le vent de Titichat13



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» Auteur : Titichat13 - Voir le profil
» Créé le 31/10/2016 à 12:24
» Dernière mise à jour le 31/10/2016 à 12:24

» Mots-clés :   Aventure   Drame   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 4 : Les murmures de la nuit
Encore une soirée... Encore une soirée passée à fêter sa jeunesse, dans les rues d'Ekaéka, écumant les bars pour trouver le Tokito parfait. Ce cocktail à base de Baies avait la réputation d'être magique et de vous apporter fortune, gloire ou amour, selon les préparations. Chaque île avait sa recette et chaque bar, sa touche spéciale. Inspiré des Toko, les protecteurs des îles d'Alola, leurs ingrédients étaient jalousement gardés secret car plusieurs rites de passage à l'âge adulte en dépendaient et cela ajoutait au mystère. Déjà cinq ans qu'Aéla sortait, tous les vendredis soirs, en boire. Elle était rarement accompagnée, en arrivant, mais repartait souvent avec quelqu'un au bras. Il faut dire que cette plantureuse jeune femme savait attirer les regards. Elle avait une réputation sulfureuse, sur toutes les îles, mais en vérité, ce n'était que peu justifié. Certes, elle rentrait accompagnée, mais elle laissait toujours le galantin sur le pas de sa porte. Jamais elle n'avait voulu s'engager avec qui que ce soit. Si elle séduisait les hommes, c'était en grande partie parce qu'elle avait peur de faire une mauvaise rencontre, sur le chemin du retour.

Une rencontre comme un de ces maudits Pokémons. Ah ! Ça, pour sûr, il n'y avait rien de plus répugnant pour elle que les Pokémons. Si elle avait pu naître dans un monde où ils n''existaient pas, elle l'aurait expressément demandé. En ville, ils pullulaient... Entre ces satanés Miaouss, trop « nobles » pour chasser ces vermines de Rattatacs qui infestaient les rues, ces Békipans qui piaillaient à longueur de journée, ces Rocabots qui se roulaient dans la boue et venaient tâcher ses jolis vêtements en lui sautant dessus... Elle en avait soupé, des Pokémons et de leurs habitudes dégoûtantes ! Ces fichues créatures ne respectaient rien ! L'ordre, la décence, la propreté, les emplois du temps... Surtout les emplois du temps ! C'était un véritable calvaire, pour elle, chaque jour. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours tenté d'être parfaite : obéissante, propre, bien élevée, bien habillée, respectueuse... Tout ce qui pouvait faire d'elle un modèle, elle avait tenté de l'atteindre. Mais les Pokémons, eux, se complaisaient dans leur imperfection et cela l'agaçait au plus haut point. Elle ne voyait, en eux, que des gêneurs dans son accession à la supériorité.

Ce qui était d'autant plus embêtant qu'elle travaillait avec eux. En effet, son père, Firn Gerand, malheureux en affaires, avait longtemps erré, de région en région, embarquant sa femme, Evène et sa fille partout où il allait, avant de tomber, treize ans auparavant, sur la région de Hoenn. Là, en voyant les humains lutter pour franchir certains endroits, comme le sentier Sinuroc, lui était venu l'idée qui allait révolutionner sa vie : utiliser les Pokémons comme montures. Une idée vieille comme le monde mais que jamais personne n'avait monté en commerce. Aussi, en s'installant, définitivement, à Alola, trois ans plus tard, il avait créé la première entreprise de Pokémontures du monde. Sept ans plus tard, d'autres régions avaient copié ce principe, notamment Kalos, avec sa navette Chevroum. Et, de fait, Aéla, seule héritière de l'empire commercial établi par son père, devait, chaque jour, se former à la direction de G.A.I.A., ou l'entreprise de Gestion Avancée des Infrastructures d'Alola. Le nom semblait vague, mais tout le monde, sur l'archipel, savait qu'il s'agissait de tout ce qui touchait aux Pokémontures. Les appareils, les Pokémons, le trafic... Tout cela passait par eux. Ils avaient même des équipes de Pokémons à louer pour divers travaux : des Mackogneurs, pour briser les rochers et déplacer de lourdes charges, des Lucanons pour gérer les réseaux électriques, etc... Leur activité s'était étendue à tant de domaines que la G.A.I.A. était devenue un incontournable d'Alola.

Et, pour inculquer à sa fille les bases du métier, M. Gerand l'avait mise à l'accueil. Elle recevait physiquement et vocalement toutes les plaintes et les demandes d'équipement de l'archipel d'Alola. Et, le pire, c'était sa solitude... Son bureau se trouvait dans une petite dépendance, au pied de la Tour G.A.I.A., qui ressemblait à une toute petite maison en planches de bois, à côté de l'immense immeuble de verre et d'acier de la compagnie familiale. Son père n'avait cessé de lui rabâcher que c'était dans cette même petite bâtisse qu'il avait commencé et qu'il voulait qu'elle sache comment travaillait le plus petit de ses employés avant de les diriger. Malgré tout, elle trouvait ce traitement injuste. En CINQ ANS, il aurait pu considérer qu'elle méritait un autre poste, non ? « Patience, Patience, prends exemple sur les Onyx ! », disait-il. Il SAVAIT qu'elle n'aimait pas les Pokémons mais cela ne l'empêchait guère de toujours l'exhorter à les observer et les côtoyer... Et les Onyx, en plus ! Ils en avaient tout une équipe qui servait d'assistants de chantiers, où ils creusaient des Tunnels dans les sols trop durs pour les machines. De gros tas de cailloux, des brutes insensibles, sans aucune classe, aucune élégance. Rares étaient les Pokémons qui trouvaient grâce à ses yeux, si bien qu'elle n'en possédait aucun et préférait, ainsi, se faire raccompagner par un Dresseur, la nuit.

Les rues d'Ekaéka étaient souvent animées, le vendredi soir. Des spectacles en tout genre les parsemaient. Des Rockeurs venus exposés leurs talents aux Jongleurs, avec leurs étoffes chamarrées, il y en avait pour tous les goûts. Tous étaient accompagnés de leurs Pokémons préférés. Parfois, quand Aéla passait parmi eux, elle se prenait à les envier. Elle-même ne comprenait pas vraiment pourquoi elle avait une telle aversion envers les Pokémons... et elle jalousait ceux qui pouvaient, si facilement, nouer des liens. A dire vrai, les Pokémons n'étaient pas les seuls qu'elle repoussait de son cœur. Avec les humains aussi, elle ne s'attachait pas. Elle n'avait pas d'amis, pas d'amants et elle évitait autant que possible sa famille. Quelque chose clochait, avec elle, elle en était persuadée quand elle voyait avec quelle aisance les gens se parlaient, échangeaient, riaient ensemble... Ce ne pouvait pas être si difficile que cela, de communiquer avec ses semblables ! Et pourtant, cela faisait maintenant vingt-quatre ans qu'elle était seule. Certains avaient essayé d'entrer dans sa vie, et même dans son cœur, mais rien n'y faisait. Au fond d'elle-même, elle avait peur des autres, sans trop savoir pourquoi. Et personne n'avait encore réussi à changer cela.

Elle ne voulait pas rentrer, ce soir-là. Ces petits frères, des jumeaux nés quelques mois après leur installation à Alola, lui sauteraient sûrement dessus pour qu'elle regarde le dernier Zhuman avec eux, pour la énième fois. Depuis qu'elle le leur avait acheté, en cadeau, pour leur dixième anniversaire, ils le regardaient presque tous les soirs. Même si leurs relations n'étaient pas toujours au beau fixe, il arrivait à Aéla de s'attendrir devant les deux petites têtes blondes si parfaitement identiques de ses frères. Enfin, identiques... Un tout petit détail les différenciait, depuis peu : un grain de beauté était apparu sur le front de Linéo, alors que celui d'Argo était aussi lisse que la peau d'un Lokhlass. Linéo pour Linéon, Argo pour Argouste. Evidemment, l'idée venait de leur père... Les deux petits en étaient très fiers, cela dit, et s'amusaient souvent à imiter les Pokémons dont ils tiraient leurs noms. Dans l'immense salon de leur immense demeure, ils se couraient après, roulaient sous la grande table, se sautaient dessus sur le canapé... De vraies terreurs !

Si, d'autres soirs, cela l'aurait sûrement fait rire, cette nuit-là, Aéla ne se sentait pas de rentrer. Le manoir de sa famille, niché sur l'île d'Akala, lui semblait parfois être une très jolie prison. Les grandes pièces richement décorées, les meubles anciens en bois précieux, les lustres, les balcons... On aurait dit un véritable petit palais. Pour tout dire, la demeure était inspirée d'un certain Palais Chaydeuvre, à Kalos. Mais dans cette gigantesque maison de poupées, elle était, par moments, à l'étroit. Sa chambre, en particulier, l'étouffait. Quand elle y entrait, c'était comme si sa vie devenait vide et sans aucun sens. Allongée sur le grand lit à baldaquins que ses parents lui avaient offert pour son seizième anniversaire, elle fixait le ciel de lit en velours rouge sombre et, soudain, toutes les émotions qu'elle avait repoussé dans la journée lui revenaient, la submergeant plus sûrement qu'une Plongée. Elle se mettait alors à arpenter la vaste pièce, regardant la lune à chacune des sept fenêtres, effleurant de ses doigts l'énorme bureau en bois massif qu'elle avait depuis cinq ou six ans, puis se dirigeait vers sa salle de bains privée où elle remplissait la baignoire d'eau brûlante avant de s'y glisser, rejetant ainsi, une fois de plus, ses propres sentiments.

Non, décidément, ce soir-là, en particulier, Aéla ne voulait pas rentrer. C'était comme si la lune l'invitait à sortir. Une sensation bien étrange, d'ailleurs... Elle, qui ne se liait à personne, se sentait souvent attirée , influencée par la lune. C'était devenu plus fort, depuis qu'ils s'étaient installés à Alola. Comme si elle comprenait sa solitude, ses frustrations, ses émotions, en général... Mais c'était ridicule, de penser ça. La lune n'était qu'une immense caillou flottant autour de leur planète. Comment une pierre pouvait-elle avoir le moindre sentiment, la moindre pensée ? Cela n'empêchait pas Aéla de se rendre, parfois, sur la plage et de confier ses secrets à l'astre du soir. Cette vieille habitude ne l'avait pas quittée et elle se prenait, de temps à autre, à marcher en direction de son coin favori, près des falaises rocheuses, là où l'eau devenait plus sauvage et où personne ne s'aventurait. Pour atteindre sa cachette, elle parcourait les pierres volcaniques d'Akala, de la plage jusqu'à la forêt où elle n'entrait jamais, faute de Pokémon. Elle en suivait l'orée et s'asseyait sur la fine bande de sable pour contempler l'océan. Quand elle lui avait parlé de cet endroit, son père avait déclaré qu'elle regardait vers le nord et que c'était dans cette direction que se trouvait Kalos, sa région natale. Comme une boussole, elle avait perçu où se trouvait ses racines, ce qui lui valut le surnom de Tarinor pendant de longs mois. Cela l'avait agacé, mais pas au point de se priver de l'endroit. Alors, régulièrement, elle faisait, depuis, le tour de l'île d'Akala pour atteindre ce lieu privilégié où son passé, son présent et son futur se mêlaient au flux de ses pensées.

Et c'était là qu'elle avait décidé d'aller, ce soir-là. A cette heure-ci, il n'y avait plus de bacs pour Akala. Il n'y avait que deux moyens de rejoindre son île : les Pokémontures ou le Békibat. Le Békibat était une petite embarcation, en forme de bec de Békipan, qui, d'après l'histoire de l'archipel, servait autrefois à pêcher. Il n'en restait, aujourd'hui, plus qu'une utilisation : la compétition ! Généralement, les Békicoureurs, comme on les appelait, concouraient avec leurs Pokémons, et tous les coups étaient permis. Un seul Pokémon était admis, mais il n'était pas nécessaire d'en avoir un... Aussi, en découvrant ce sport, Aéla avait demandé à ses parents de l'y inscrire et elle fut très vite remarquée pour son agilité. Elle esquivait les Pistolets à O et autres Vibraquas avec une facilité déconcertante et elle devint ainsi, après une ascension fulgurante, la championne incontestée de l'archipel d'Alola. Elle ne s'y adonnait plus que le week-end ou la nuit, mais elle avait gardé un excellent niveau, ce qui en faisait l'une des très rares personnes à avoir l'autorisation de voguer de nuit. Elle disposait d'un Pass ouvrant toutes les réserves de Békibats de toutes les îles, pour les cas où elle devrait en emprunter en dehors des heures d'ouverture des bureaux. La journée, les embarcations étaient disponibles en libre-service, car il y avait des patrouilles régulières pour limiter les accidents. La nuit, toutefois, elles étaient rentrées et gardées par un Pass, pour éviter qu'un Békicoureur novice ou trop peu expérimenté ne se retrouve coincé sous l'eau, sans personne pour lui venir en aide.

Aéla vérifia que son Pass était bien dans son Sac et se dirigea vers la réserve d'Ekaéka. Loin de l'agitation des deux rues principales, dans la zone commerciale, l'île était aussi calme que le vent. Les Crikzik, seuls, troublaient l'atmosphère paisible de leurs chants mélodieux. Des Efflèches et des Archéducs passaient en silence, à la recherche de Larvibules, leur plat préféré. Leurs Brindibous s'entraînaient à voler sans un bruit, ce qui était rarement une réussite, la plupart tombant en s'agitant dans tous les sens, rattrapés par leurs parents vigilants. Même si elle se sentait oppressée d'être entourée de tant de Pokémons, Aéla appréciait ces moments. Elle en retirait une sorte de paix... qui s'envolait bien vite quand elle croisait une procession de Chrysapiles ou des Mucioles courant après des Lumivoles. La réserve d'Ekaéka se situait près du port. C'était une zone plutôt austère mais bien éclairée. Pas de quoi s'inquiéter. Les Pokémons nocturnes fuyaient la lumière crue des lampadaires. Tant que l'on ne la quittait pas, aucun risque de rencontre. Ailleurs, cependant... Aéla récupéra son Békibat et se mit à l'eau, voguant en direction d'Akala. Il fallait, en prenant le chemin le plus court, faire le tour de la moitié des deux îles, Ekaéka ET Akala, pour parvenir à son sanctuaire. Mais ce n'était rien, pour elle : le chemin lui était si familier qu'elle aurait pu le parcourir en dormant.

Arrivée près de la bande de sable, elle sauta à l'eau, impatiente, et mouilla sa jolie robe de soirée. C'était une robe en soie de Papilusion, matière rare à Alola. Le bas de la robe s'arrêtait juste sous le genou et s'évasait, avec légèreté, comme une corolle de fleur fluide. Le haut disposait de manches courtes, en formes de feuilles, le tout d'un superbe bleu marine qui rehaussait la pâleur et la beauté de sa porteuse. De petites pierres brillantes comme des Strassies descendaient en Cascade sur son dos et son décolleté, lui donnant des allures de princesse. Ses chaussures et son Sac assortis achevaient de l'embellir. Malgré cela, personne ne l'avait approché, ce soir-là, et elle s'en félicitait. Tenter d'être un modèle, c'était souvent difficile, moralement parlant. Ne pas s'autoriser d'erreurs était pesant. Mais quand elle était seule, ici, sur cette côte sauvage, elle s'amusait de voir à quel point l'image qu'elle construisait d'elle-même ne lui correspondait pas. Elle venait probablement de fiche en l'air toute sa belle tenue mais cela lui importait peu : elle devait rejoindre son petit coin secret.

Toute excitée, elle tira son Békibat à terre, y laissant son petit Sac et ces souliers, puis courut s'asseoir dans le sable. Sans véritable raison, elle éclata de rire. Peut-être était-ce d'être libre, ne serait-ce qu'un instant, du monde de rigueur qu'elle s'imposait sans cesse ? Quoiqu'il en soit, elle se rejeta en arrière, ses longs cheveux lisses, coulant comme de l'argent liquide, se mêlant au sable fin de la plage. Dans cette position, elle observa un temps les nuages qui se pourchassaient dans le ciel étoilé, puis quelque chose attira son regard. Examinant les rochers, à sa droite, elle aperçut une ombre dressée sur la petite falaise formée par les coulées de lave du volcan. La lune était alors voilée, mais elle put distinguer une forme humaine dans la pénombre, immobile. Elle se redressa vivement mais visiblement, qui que fut cette personne, elle ne l'avait pas remarqué. Le banc de nuages passa et la lumière de la nuit révéla qu'il s'agissait d'un jeune homme. Roux, les cheveux en bataille, il portait un médaillon bicolore et des vêtements sombres. Quelque chose bougea dans le ciel, qui lui fit tourner la tête et il la vit. Aéla, assise en biais, sur le sable, une main serrée sur son cœur, l'observait avec inquiétude. Qu'allait-il penser d'elle, dans cet état ? Mais il lui sourit, écarta les bras et, sans la quitter du regard, se laissa tomber de la falaise.

Elle en resta bouche bée et tétanisée. Au bas de cette falaise, tous les habitants d'Alola le savaient, des rochers sous-marins se dissimulaient sous la surface. De plus, même sans les rochers, il n'y avait pas assez de fond, à cet endroit, pour plonger. Il allait se tuer et elle en serait le seul et dernier témoin. Jamais elle ne se serait attendu à cela. Tandis qu'il tombait en Chute Libre, elle ne pouvait détacher son regard du sien. Complètement désespérée, alors qu'il allait toucher les rochers, elle tenta d'articuler quelque chose, n'importe quoi, mais rien ne lui vint. Alors que tout semblait perdu, l'autre ombre qu'elle avait vue auparavant fondit en Piqué sur le jeune homme et le rattrapa, frôlant la mer, de justesse. Elle reconnut alors un Pokémon qu'elle avait vu à Kanto, du temps où elle y vivait : Roucarnage. Le jeune homme indiqua à son Pokémon la bande de sable où se tenait Aéla et ils vinrent se poser près d'elle. En les voyant approcher, elle s'était levée d'un bond, soudain confuse, époussetant autant de sable que possible sur sa jolie robe. En souriant, le jeune homme avait atterri aussi naturellement qu'il respirait et il avançait à sa rencontre, tandis que son Pokémon reprenait l'air. Il devait être habitué à cet exercice et cela énerva Aéla, d'avoir été assez sotte pour croire qu'il... Percevant sa gêne, le jeune homme se lança :

« Bonsoir ! J'espère que je ne vous ai pas fait peur...
- Bien sûr que si ! le coupa-t-elle, la Pression se relâchant soudain. Qu'est-ce qui vous a pris ? Cette falaise est dangereuse ! Vous auriez pu... Vous auriez pu... »

Ses larmes affluèrent sans qu'elle ne puisse les contenir, cette fois. Quelle belle première impression ! Alors qu'il lui parlait gentiment, elle commençait par lui crier dessus pour se mettre à pleurer comme un Togepi ! Quel Dardargnan l'avait piquée ? C'était une catastrophe... Son interlocuteur ne semblait pas gêné outre mesure. En vérité, il lui souriait, d'un air désolé et tendre à la fois. Maintenant qu'ils étaient assez proches, elle remarqua qu'il était physiquement plus grand qu'elle et devait avoir sensiblement le même âge. Plutôt charmant, il avait en permanence, sur le visage, un air un peu canaille et sûr de lui, comme un Félinferno. Cette observation succincte avait coupé net le flot de ses sanglots et elle se rendit compte qu'elle le dévisageait. Aussi rouge qu'une Baie Grena, elle détourna le regard, en souhaitant très fort devenir un Sovkipou pour prendre la poudre d'Escampette, et il reprit :

« Je recommence : je suis sincèrement désolé de vous avoir fait peur. J'entraînais mon Roucarnage à utiliser une association de Chute Libre et de Piqué, pour le combat comme pour le sauvetage. Je pensais être seul, jusqu'à ce que je vous voie.
- C'est moi... qui suis... désolée, bredouilla Aéla, se sentant aussi bête qu'un Psykokwak.
- Oh ! Vous n'avez pas à l'être, répliqua-t-il, galamment. Je reconnais que l'action pouvait prêter à confusion. »

Il lui tendit la main en souriant et se présenta :

« Je m'appelle Régis. Je viens du Bourg Palette, dans la région de Kanto. Ravi de vous rencontrer ! »

Aéla sentit son cœur descendre d'un coup dans son estomac avant de remonter jusqu'à sa gorge. Régis. Du Bourg Palette. Ce ne pouvait être que...

« Régis... Chen ? Le neveu du Professeur Raphaël ? dit-elle en lui serrant la main, lentement, hésitante.
- Et le petit-fils du Professeur Chen de Kanto, oui ! s'exclama-t-il joyeusement. Je n'aurais pas crû que ma famille soit si célèbre ! »

Il rit aux éclats, visiblement gêné mais heureux en même temps. Aéla, elle, ne savait plus où se mettre. Elle aurait aimé être un Crabicoque pour se cacher dans son caillou... Comment avait-elle pu ne pas le reconnaître ? Ses cheveux roux en bataille, son médaillon, et son fidèle Roucarnage... Il avait détrôné le Professeur Orme, quelques années auparavant, en devenant le plus jeune Professeur diplômé, à l'âge record de dix-huit ans. Sa photo avait circulé dans tous les journaux. Sa biographie avait révélé qu'il avait même participé à plusieurs Ligues Pokémon, durant son adolescence. Battu par un certain Sacha, lui aussi originaire du Bourg Palette, il s'était tourné vers sa véritable vocation : la recherche Pokémon. La Fondation Æther l'avait récemment invité à étudier un nouveau type de Pokémon, appelé « Ultra-Chimères », et c'était la raison de sa présence à Alola. L'entreprise G.A.I.A. finançait une partie de la Fondation et son père l'avait prévenue de la venue du jeune prodige. Aujourd'hui âgé de trente ans, il n'était pas revenu à Alola depuis son agrégation au LAPP, le Laboratoire d'Agrégation des Professeurs Pokémon, douze ans auparavant. L’événement avait de quoi marquer les esprits... mais Aéla l'avait tout simplement oublié. De plus, même en s'attendant à le voir, elle n'aurait pas forcément tout de suite compris à qui elle avait affaire, car il semblait avoir, au minimum, cinq ans de moins, même de près. Son sourire en coin renforçait cette impression et il en étais méconnaissable.

« Je m'appelle Aéla. Enchantée. Mon père, M. Gerand, dirige la G.A.I.A.. Il m'a parlé de vôtre venue mais je ne vous avais pas reconnu, j'en suis désolée.
- Ce n'est pas grave, vraiment, rétorqua-t-il. Avant, quand j'étais encore un Dresseur Pokémon, j'étais sans cesse suivi et acclamé, partout où j'allais. Maintenant que je ne suis plus que le plus jeune Professeur Pokémon de l'histoire, je suis devenu quasiment anonyme et je ne m'en porte pas plus mal ! On est bien plus serein, de cette façon. Et puis, il fallait bien que je laisse une chance à Sacha de briller ! »

Son petit sourire en coin s'était accentué à cette pensée. Il était de notoriété publique que les deux Dresseurs avaient été rivaux, et Régis avait longtemps surclassé Sacha. Leur dernier combat avait signé la fin de leur rivalité et le début d'une sincère amitié. Depuis qu'il était Professeur, Régis soutenait Sacha en l'informant de ces dernières découvertes et en retour, il recevait des informations sur les Pokémons rares que Sacha rencontrait. Il faut dire qu'il était un véritable aimant à Pokémons rares ! Partout où il allait, il tombait sur des légendes vivantes ! C'était en grande partie la raison pour laquelle il ne s'était jamais arrêté de voyager : chaque nouvelle région promettait des aventures plus palpitantes que la précédente. Cela ennuyait fortement les Dresseurs venus l'affronter, car entre temps, Sacha était devenu Maître de la Ligue Indigo, lors d'un second passage, dix ans auparavant. Mais Régis obtenait ainsi de précieux renseignements sur des Pokémons si rares qu'on les pensait éteints, alors il lui passait volontiers ses escapades !

«  Vous m'avez dit que Firn était vôtre père ?
- Firn ? répondit-elle, interloquée.
- Il m'a demandé de l'appeler par son prénom pour toute la durée de mon séjour, dit-il nonchalamment, en haussant des épaules. Il y a eu un incident au Paradis Æther et il leur est impossible de me loger. Vôtre père s'est proposé de m'offrir un toit, jusqu'à mon départ. En fait, ce serait plutôt le gîte et le couvert. Je prendrai également mes repas chez vous. J'espère que cela ne vous ennuie pas. On ne peut pas dire que j'ai fait une bonne première impression... »

Il souriait encore de cet air mi-coquin, mi-contrit et elle se sentit craquer, littéralement. Comme fendue de la tête aux pieds par le Casse-Briques d'un Crabagarre. Jamais elle n'avait ressenti quelque chose de similaire. Un mélange subtil de frustration, face à sa propre bêtise, de honte, de s'être montrée sous un si mauvais jour, de joie, car elle allait pouvoir se rattraper face à son invité et d'espoir, bien qu'elle ne sache pas réellement ce qu'elle espérait, avait brisé le Bouclier-Carcan de son cœur. Quelque chose allait changer, elle le sentait. La lune sembla, un instant briller plus fort, comme pour la rassurer, lui dire de foncer, de ne pas avoir peur de révéler sa vraie nature. Elle se lança, donc :

« C'est moi qui n'ai pas été très prévenante, à vôtre égard. Je comprends bien que vous n'avez pas tenté de me terroriser ni d'attenter à vos jours, j'ai juste... Un peu surréagi. C'est passé et je vous prie de m'excuser. Comment êtes-vous arrivé ici ?
- Par la voie des airs, dit-il en souriant, pointant du doigt son Roucarnage, qui n'avait cessé de voler depuis qu'il avait déposé son Dresseur. Et vous, si je puis me permettre ?
- Par la voie de Kyogre, comme on dit, ici, répondit-elle en désignant l'océan. Si vous êtes en forme et si vous le permettez, j'aimerais vous montrer un autre chemin, pour rentrer.
- Ce serait avec joie », répliqua-t-il, tant amusé qu'intrigué.

Il rappela son Roucarnage et elle l'entraîna vers les rochers. Ils firent le tour de l'île par le chemin d'Aéla, SON chemin secret. Elle n'avait jamais montré ce chemin à personne mais à lui... Elle le sentait, elle pouvait... Non, c'était plus que ça ! Elle DEVAIT le lui montrer. La lumière de la lune l'enhardissait. Elle lui raconta ce qu'elle savait de l'île et du volcan, tandis qu'ils cheminaient, à la lumière des étoiles. A mi-parcours, elle se rendit compte qu'elle avait oublié son Sac et le Békibat, qu'elle devrait rendre, le lendemain. Elle informa Régis qu'elle devait faire Demi-tour, mais en apprenant le pourquoi de la chose, il lui sourit et l'exhorta à continuer. Ne pouvant se permettre de le décevoir, elle le ramena à la plage d'Akala, la seule vraie plage de l'île, où les baigneurs et les vacanciers venaient se ressourcer, protégés des Sharpedos par une barrière de rochers et de Corayons. Là, elle lui indiqua le chemin vers le manoir mais, à sa grande surprise, il sortit sa Pokéball et libéra Roucarnage, une fois de plus.

« Oh ! Ce n'est pas si loin, protesta-t-elle. Vous devriez pouvoir le rejoindre à pied.
- Je n'en doute pas. Après tout, j'en viens. Mais je m'en voudrais de vous laisser, seule, de nuit, traverser à nouveau ce champ de roche. Mon Roucarnage va nous y emmener. Comme ça, vous connaîtrez aussi MA façon de voyager. N'ayez crainte, il est très affectueux. Il n'a jamais été agressif envers quiconque.
- Comment... Comment savez-vous que je ne suis pas très à l'aise, avec les Pokémons ? demanda-t-elle, suspicieuse.
- Vôtre père m'a parlé de vous. Brièvement, mais juste assez longtemps pour qu'il évoque ce sujet. Il ne souhaitait pas en dire trop avant que vous ne rentriez et il n'arrivait pas à vous joindre. Visiblement, vôtre Holokit était éteint. »

C'était vrai ! Au fond de son Sac, il s'était vidé de sa batterie et elle n'avait pas encore eu l'occasion de le recharger. Malgré le scandale du Holokit, qui avait touché Kalos, après que la Région eut découvert les activités de la Team Flare, trois ans auparavant, elle adorait cet engin et ne pouvait s'en passer. Mais ce soir-là... tout était différent et elle n'avait pas pris la peine de le recharger, que ce soit à son travail ou dans les bars qu'elle avait traversé. Pour une fois qu'elle en avait réellement besoin, il était inutilisable...

« Et puis... il m'a aussi dit que vous n'aviez pas de Pokémons, donc j'ai supposé que Voler à dos de Roucarnage pouvait être... impressionnant, comme premier contact.
- Ça l'est ! »

La réponse lui avait échappée si vite qu'elle ne s'en était pas rendue compte ! D'abord étonnée, elle porta la main à ses lèvres avant d'éclater de rire. Régis l'imita et, quand ils se furent calmés, lui tendit la main, cette fois comme pour l'inviter. Elle la lui prit et il l'attira à lui. En enserrant ses épaules d'un bras, il guida sa main et la fit caresser Roucarnage. Elle sentait le Pokémon respirer lentement, calmement. Il était chaud et son plumage était lisse et doux au toucher. Elle osa même, d'elle-même, porter sa main libre à son bec et, ce faisant, Régis s'effaça, la laissant seule avec Roucarnage. Il devait être Gouroutan dans une autre vie, car, sans savoir comment, toute sa peur, ses vingt-quatre ans de peur envers les Pokémons, elle les avait vaincus. Alors qu'elle se réjouissait tout juste de cette avancée miraculeuse, Régis l'empoigna par la taille et la déposa sur le dos de Roucarnage. Il y sauta, lui-même et son médaillon se mit à briller. Roucarnage prit son envol et, alors qu'il décrivait une courbe, pour repartir dans la bonne direction, il changea de forme.

C'est donc sur un Méga-Roucarnage qu'ils se rendirent au banc de sable et ce fut un moment aussi effrayant qu'excitant, pour Aéla. Elle n'avait jamais quitté le sol de sa vie. Chaque déménagement avait été fait soit en camion, soit en bateau. Jamais elle n'avait volé. Jamais elle n'avait été si proche d'un Pokémon sans crainte. A mi-chemin, elle avait même ouvert ses bras en croix, se laissant porter par le vent, oubliant tous ses soucis, tous ses protocoles, tout. L'espace d'un instant, elle ne fit plus qu'un avec le vent. Mais la soirée promettait d'être encore pleine de surprises ! Quand ils se posèrent, le Békibat avait disparu. La marée descendait, il n'avait donc pas pu être emporté... Régis se proposa de le chercher dans la forêt et Aéla courut le long de la lisière, observant l'océan. Au bout d'un moment, elle trouva une trace, sur le sable. En la suivant des yeux, elle vit un Gouroutan, debout dans son Békibat, qui faisait face à l'océan. Le courant, pourtant fort à cet endroit, n'emportait pas l'embarcation. En y regardant de plus près, elle perçut des myriades de petits reflets argentés, sous la surface. Comme si tout un banc de Froussardines entourait le canot. Ou plutôt, comme si elles « portaient » le canot. Face à l'anormalité de la chose, une brusque montée d'angoisse l'envahit. Elle appela Régis, qui la percuta exactement au même moment, la retenant par les épaules pour ne pas qu'elle tombe. Suivant la trace du Békibat sur le sol, il avait rejoint Aéla en courant et tous deux furent témoins d'un spectacle sans précédent.

Le Gouroutan, d'abord immobile, fixait l'eau comme s'il en attendait quelque chose. A part les dizaines de Froussardines qui entouraient son bateau, rien ne bougeait, sous la surface. La lune se voilait encore, de temps à autre, mais cela ne durerait plus : le banc de nuages arrivait à son terme, le reste du ciel étant aussi dégagé et étoilé qu'un Cosmog. Le Gouroutan leva les yeux vers la lune juste au moment où ses rayons frappèrent l'embarcation. Là, il ramassa la poignée de feuilles qui ne le quittait pas, depuis sa naissance, leva les bras au ciel en renversant sa tête en arrière et, après une profonde inspiration, cria. Ce n'était pas une attaque ni un cri habituel de Pokémon. C'était une note, basse, sombre, profonde, qui fit vibrer la surface de l'eau. Les Gouroutans étaient connus pour leur calme, leur sagesse et leur silence. Ils communiquaient avec le moins de sons possibles. Tout, dans ce rituel, selon toute vraisemblance, dérogeait à ce que l'on connaissait de ce Pokémon. Méfiant, Régis avait entraîné Aéla dans la forêt, pour qu'ils puissent observer l'événement sans être vus, depuis une petite élévation qu'il avait repéré en venant. A la suite de quoi, le Gouroutan s'était mis à lancer des Sommations en direction de l'eau, devant lui.

De leur nouveau poste d'observation, il leur était impossible de voir les Pokémons impliqués. Au début, tout du moins. Une lueur rouge se mit à éclairer les profondeurs, empêchant le reflet lunaire de les aveugler. Ils découvrirent des dizaines et des dizaines de Pokémons Eau rassemblés sous la surface. Des hordes entières de Staris, Corayons, Denticrisses, Froussardines, Oratorias, Crustabris, Luminéons et leurs involutions s'agitaient. La lueur rouge émanait des Staris et de leurs évolutions, les Staross. Elle devint violette lorsque Luminéons et Ecayons rayonnèrent à leur tour. Aussi étrange et effrayant fut-il, c'était un spectacle grandiose. Quand la lumière fut parfaitement uniforme, les Oratorias vinrent à la surface et chantèrent en ondulant, entourés d'Otaquins et d'Otarlettes, nageant en cercles bien dessinés. Les Oratorias se placèrent, eux-mêmes, en un immense cercle, entourant l'Assemblée sous-marine, et tournèrent ainsi, sans s'arrêter. On aurait dit qu'un opéra se jouait, ou plutôt se répétait, car il n'était, visiblement, pas sensé y avoir de spectateurs. Le Gouroutan dirigeait le tout avec une extrême Attention, vigilant quand à la coordination des Pokémons. Depuis le fond de l'eau, Crustabris et Kokiyas rejoignirent également un cercle, strictement identiques à celui des Oratorias, et la féerie l'emporta lorsqu'ils lancèrent, tous ensemble, des salves d'Ondes Boréales qui formèrent une immense plaque de glace sous l'eau. Le spectacle ne s'arrêta pas là puisque les Corayons montèrent sur la plaque avant qu'elle ne rejoigne la surface et quand ils émergèrent, ils se mirent à danser sur la glace, agrémentant la mélodie des Oratorias de leurs petits cris. Parachevant la beauté du moment, les Denticrisses sautèrent en tourbillonnant, dans une synchronisation parfaite, entre la plaque et les Oratorias, eux aussi, en continu.

On aurait dit une immense célébration. Si le début avait été inquiétant, le reste était d'une telle beauté qu'il n'y avait plus lieu de s'inquiéter. Même Aéla voulait les rejoindre ! Il faut dire que quelque chose l'appelait. Elle avait envie de danser avec les Corayons sur la plaque de glace. Cela ne lui ressemblait pas. D'abord, elle Volait sur un Roucarnage et maintenant, elle voulait rejoindre un rituel Pokémon ? La tentation était de plus en plus forte, à chaque seconde qui passait... Si bien que, n'y tenant plus, elle se leva et courut en direction de l'eau.