Goupix
“Shlac”
Les bruits de coups de fouet résonnaient comme un torrent. Un éclair déchira le ciel.
“Shlac”
Les cris des Pokémon s’entendaient à plusieurs centaines de mètres. Des cris de pleurs, de sanglots, de terreur qui se formaient ensemble sous une musique atroce.
“Shlac”
Un centième coup claqua ; Goupix hurla de douleur. Feunard essaya à tout prix de cacher son enfant de ceux qui lui voulaient du mal.
Nous sommes au 16eme siècle. Les Pokémon n’étaient à l’époque pas considérés comme des amis, ni comme des partenaires au combat. Non, ils étaient considérés comme une marchandise, des machines de guerre ; en somme des créatures existant pour le profit.
Goupix était autrefois un joyeux bambin, heureux dans sa prairie verte avec sa mère. Seulement ils étaient traqués depuis longtemps, les Feunard étant très valorisés. Ce n’était qu’une question de temps avant que l’esclavage ne les rattrape ; les hommes avaient saccagé son habitat naturel, tué ses proches, volé son espèce, son clan, sa propre famille. Un destin pitoyable…
Il avait alors neuf mois seulement. Blotti contre la fourrure de sa mère, il tremblait devant les fouets qui ondulaient comme des serpents volants et venaient s’écraser non sans douleur sur le pelage de sa mère. Celle – ci était couverte de cicatrices et peinait à marcher ; elle utilisait malgré tous ses dernières forces pour protéger son enfant des coups violents.
“Reste – là, toi !”
“Coucher, sale bête !”
“Tu veux tâter de mon fouet ?”
Les menaces ne faisaient qu’aggraver les choses. Les Hommes cherchaient réellement à créer une atmosphère de terreur et de sang. C’était une époque sans pitié, où les plus forts punissaient les plus faibles.
“C’est bon, ils ont leur compte.”, énonça un des Hommes.
-On remonte !”, hurla un autre. “Le pont à besoin de nous, il fait un sacré temps aujourd’hui ! S’agirait de pas couler !”
Un à un, les marchands de Pokémon remontèrent l’échelle étroite, qui en s’ouvrant laissait passer la pluie torride dans la cale.
“Pouah, quelle douche ! Et y en a qui disent qu’on se fait de l’argent facile !”
La dernière personne sortie, l’échelle remonta, la porte se ferma et la salle fut plongée dans le noir total.
Usant de leur vue nocturne, les Feunard et les Goupix se regardèrent. Certains se remettaient de leurs coups, d’autres tremblaient encore.
“Maman, pourquoi nous font t ils ça ?”, demanda enfin Goupix, la tête reposée sur sa fourrure.
-Je… je ne sais pas mon ange.”, répondit la mère, en pleurs. “Il faudra que tu sois très forte, d’accord ?”
-D’accord.”
Entassés comme des moutons, les Goupix et Feunard avaient du mal à respirer. L’atmosphère était étouffante et les bactéries s’y développaient très vite. Tous savaient quel horrible destin les attendait. Un peu moins de la moitié avait déjà péri au cours de ce long trajet, et beaucoup d’autres encore allaient quitter ce monde. Chaque jour, l’équipage leur servait une bouillie tout juste bonne à les faire tenir quelques heures, et seuls les Pokémon en bonne santé pouvaient en profiter. Usés de leurs forces, aucun d’eux ne pouvait lancer d’attaque feu ; et Feunard savait très bien qu’ils seraient condamnés si le bateau brûlait. Le bateau coulerait et son petit Goupix, essayant à tout prix de remonter a l’air, perdrait ses forces peu à peu pendant que des vagues monstrueuses l’avaleraient ; cela lui était impensable. Affrontant ainsi leur destin ; plongés dans l’ombre, envahis par le froid, les Pokémon ne pouvaient qu’attendre.
Señor Martin observait la carte avec attention. Il était dans sa cabine, au chaud, éclairée par une lampe à huile dont il ne se séparait jamais. Avec sa tunique rouge, son chapeau corsaire, on eut cru voir un vrai pirate -avec très peu de barbe- qui défiait les océans. Malgré son allure imposante, l’inquiétude qui se lisait sur son visage lui donnait un air moins sérieux. Son doigt effleurant le papier, il cherchait l’endroit où lui et son équipage se trouvait. Il avait beau calculer leur position dans les eaux du Pacifik, Señor Martin ne trouvait pas d’issue. Il se leva alors et marcha en direction du hublot qui donnait vue sur l’affreuse tempête. Le ciel était noir et les vagues s’affrontaient avec des intentions meurtrières. Lui et ses hommes étaient livrés à eux – mêmes, coincés dans ce chaos aquatique, ou ils ne pouvaient se repérer, et où ils risquaient de ne jamais revenir. Martin se retourna en silence et fixa de nouveau la mappemonde.
Ils étaient perdus.
Un “toc” l’interrompu de ses pensées.
“Entrez !”
La porte de la cabine s’ouvrit ; un jeune homme entra, complètement mouillé par la pluie.
“Capitaine, mousse au rapport !”, s’exclama-t-il.
-Je vous écoute Rafael. Comment ça se passe sur le pont ?”
-Très mal Señor. La tempête ne semble pas se calmer, et aucun moyen de se repérer ! Les voiles commencent à fatiguer, le mât craque, la coque est...”
-Ça va, ça va j’en ai entendu assez. Dis aux autres de me retrouver à la barre.”
-Entendu.”, répondit-il, avec un signe de tête. Il se retourna et quitta la salle prestement.
Señor Martin n’aimait pas cette nouvelle recrute. Déjà parce qu’il était jeune et semblait inexpérimenté, mais aussi parce qu’il n’avait pas ce tact, cette nature cruelle qu’un Pokétrakor requiert. Il l’avait plusieurs fois surpris en train de regarder les Pokémon avec pitié.
“Il est temps de lui apprendre des manières. Nos manières.”, pensa-t-il, en tournant la poignet.
Ce n’est qu’une fois sorti que le Capitaine reçu une énorme bourrasque de vent. Il attrapa de justesse son chapeau qui venait de s’envoler et le remit sur son crâne.
“C’est encore pire qu’avant…”, se dit – il. “Moussaillons !!”
Tout le monde se tut. Même les hommes qui étaient en train de courir ou de manœuvrer le bateau se tournaient en direction de leur capitaine.
“Nous ne survivront pas longtemps si nous continuons à mariner ici ! Nous devons trouver une terre inconnue coûte que coûte !!”
À ces mots, un cri se fit entendre dans le ciel. Un Picassaut tomba comme une pierre sur les planches en bois, raide mort. Il n’avait malheureusement pas pu rejoindre la terre à temps, car la pluie lourde et le cyclone l’avait déséquilibré. Señor Martin observa le pauvre Pokémon avant de montrer son sourire malsain.
“À tribord ! Le Picassaut allait dans cette direction ! Il n’y a pas de temps à perdre !”
-A tribord !”, répétèrent en chœur les pirates.
Le bateau tourna avec une force incroyable, pendant une minute il n’était plus face aux vagues. Et c’était à ce moment-là qu’un raz de marée s’approchait du navire. Du coin de l’œil, sans broncher, le Señor Martin la vit former un arc.
“Hijo de…”
Il n’eut pas le temps de finir son injure avant que la vague frappa la coque et l’équipage de plein fouet. Le bateau se renversa presque et quelques hommes tombèrent du pont pour disparaître dans l’eau noir.
Tout le monde criait des ordres, tout le monde les exécutaient, mais l’océan violent était plus fort, c’est toujours la nature qui reprend le dessus et les Hommes sont impuissants face à sa colère.
Une autre vague énorme se cassa directement sur le bateau ; maintenant seule la moitié de l’équipage subsistait et le Capitaine savait qu’ils étaient perdus. Le petit mousse était, quant à lui, terrifié. S’accrochant désespérément au mur, il n’avait pas le temps de respirer ou de crier sans qu’une vase ne le percute. Le navire avança à l’aveuglette avant de percuter un rocher géant, qui le transperça comme un boulet. Il se déchira en deux, des planches de bois voltigeant de tous les côtés, les canons qui coulaient lourdement dans la nuit – verso et l’équipage qui était éjecté comme si même leur propre navire ne voulait pas d’eux. Quant aux Pokémon dans la cale, ils furent ébranlés seulement, mais tous vivants, car seul l’intérieur du vaisseau demeurait intacte.
Le mousse essayait à tout prix de rester à la surface, mais les vagues l’engloutissaient comme un croûton de pain. Il sentait le souffle qui lui manquait, ses forces qui s’atténuaient ; battant des mains et des biens autant qu’il le pouvait, il savait que la fin était proche, que ce lieu allait être son tombeau. Une énorme vase l’emporta et le fit tourner infiniment dans les eaux profondes. C’est à ce moment-là qu’il rejoignit les fonds de l’océan et se heurta sur le sable.
La mer avait enfin repris son cours normal, les vagues étaient calmes et le sable était chaud. Un Crabagarre marchait sur le côté avec ses petites pattes, le regard tourné vers la mer. Comme tous les matins, il se promenait autour de l’île pour alimenter ses pinces -la grande spécialité des Crabagarre étant de casser des cailloux pour ne pas perdre la pince- A peine avait – il fait trois pas qu’il se cogna sur quelque chose.
“Encore un caillou sur ma trajectoire !” se dit – il. Je m’en vais l’expulser moi.
Crabagarre leva son poing et l’envoya en direction de l’obstacle se toutes ses forces. Un cri phénoménal fit vibrer toute la vallée. D’un seul bond, Rafael décolla du sol et se mit à tourner en rond, tout en hurlant de douleur, sous les yeux du Crabagarre, visiblement amusé.
“Rafael !”, cria une voix. Le mousse arrêta enfin son jogging matinal, avant de se tourner en direction de la voix. La plage était immense, et il lui fallut plusieurs tours pour remarquer une silhouette qui s’approchait de lui en courant. En plissant les yeux, il se rendit compte que c’était le Capitaine qui l’appelait.
“Señor ! Vous êtes vivant”, cria-t-il à son tour, en se mettant à courir.
-Bien sûr que je suis vivant idiot ! Ce n’est pas une vulgaire tempête qui se débarrassera de moi. Où sont les autres ?”
-Comment ? Ils ne sont pas avec vous ?” demanda-t-il, la peur sur son visage.
-Je pensais qu’ils étaient avec toi !
-Vous voulez dire que... Que nous sommes les seuls survivants ?”
-Ne fais pas l’imbécile ! Mes hommes ne se laisseraient pas abattre par ça. Si un maigrichon comme toi a survécu, il n’y a pas de raison qu’ils ne soient pas en vie non plus. Allez, viens, on part à leur recherche. Bouge-toi le cul !”
Rafael fronça les sourcils et se mit à marcher. Il grognait. En baissant les yeux, son regard croisa un détail particulier : La main du Capitaine, plongée dans sa poche gauche, semblant agripper un quelconque objet.
Goupix trébucha. Avec ses pattes affaiblies, il avait du mal à tenir debout et à marcher correctement.
“J’ai mal, maman...”
-Installe-toi sur mon dos, Goupix.” Répondit Feunard. “La marche risque d’être longue, Il faut que tu te reposes.”
Les Goupix et les Feunard étaient tous en marche, en direction de la jungle. Lorsque le bateau s’est échoué, toute la partie extérieure s’est écroulée et le pont était coupé en deux ; seule la cale est restée intacte face à ce choc. Grâce à ce miracle, il n’y eu aucun Pokémon mort, ils n’avaient alors plus qu’à attendre que la tempête se calme. Après de longues heures d’attente, la mer s’était retirée et la plage avait rejoint le bateau en morceaux. Tous ont pu ainsi accéder l’île par le passage de sable mouillé, entourés par l’eau bleu ciel roulante. On aurait cru que la mer s’était ouverte pour laisser passer les Pokémon, comme elle l’a fait pour Moise.
“Qu’est-ce qu’on va faire maman ? Où on est là ? C’est pas chez nous ici.” demanda Goupix, sur le dos de sa mère.
-Les humains nous ont chassés de chez nous. Je ne sais pas où nous sommes, mais nous ne retrouverons jamais notre maison, ma fille. Je suis désolé.”
-Mais… Mais…” dit-elle, en sanglotant.
-Sois forte ! Il nous faut être forts, ou nous périrons.”
Goupix avait du mal à reconnaître sa mère. Elle qui était si douce normalement, était à présent froide et ferme. Cependant, malgré son jeune âge, Goupix savait l’ampleur de la situation. En se séchant les larmes, elle acquiesça.
“Ici Capitaine !”, s’exclama le mousse.
-Vraiment ? De l’eau ?! Pas trop tôt. Ma langue pendue a besoin de fraîcheur. Ecarte-toi !”
Señor Martin se jeta sur le ruisseau étincelant. Sa bouche disparu dans l’eau cristalline quelques instants avant de remonter pour prendre une énorme bouchée d’air. Rafael, vexé, s’assit sur un rocher en altitude pour observer les environs. En à peine trente minutes, ils avaient déjà grimpé la moitié de la montagne. A l’Est s’étendait une plage gigantesque, là où le Crabagarre l’avait frappé. A l’ouest, le sable y était moins abondant ; l’île se découpait en une immense falaise qui tombait dans l’eau recouverte de pics rocheux. Rafael eut alors un choc.
“Señor, là-bas ! C’est l’Amistad, je vois des débris.”
Martin se leva à son tour. Grands dieux, tu as raison ! Vite, allons voir l’étendue des dégâts.
Le Capitaine et son mousse descendirent à toute vitesse, le souffle quasi-coupé. En courant comme des dingues sur les roches, le Capitaine se tordit la cheville.
« Aïe ! Ça fait un mal de chien ! Pourquoi le ciel nous punit-il ainsi ? Mérite-t-on tout cela ?! » se plaignit-il.
-Peut-être bien après tout... », pensa Rafael.
-Au lieu de rêvasser, va donc voir ce qu’il en reste de ce bateau ! »
Rafael fronça de nouveau les sourcils.Il commençait à en avoir assez d'être traité comme un moins que rien, surtout par quelqu'un comme le Capitaine. En prenant son temps cette fois, il grimpa entre les rochers et atteignit le navire, ou plutôt les restes du navire, éparpillés. La tempête ne leur avait laissé aucune pitié. Sautant d’une grosse pierre, il atterri sur le sable mouillé, où de l’eau circulait en fine couche, claire comme le cristal. On pouvait voir à travers des écorces de bois et ces quelques milliers de fragments ; heureusement qu’il n’était pas pieds – nu. En faisant le tour, il put discerner le pic rocheux qui avait transpercé le navire en deux. Il s’approcha davantage.
Mais ce qu’il vit le figea d’effroi. En plaçant ses deux mains devant sa bouche, il évita que quelconque cri s’émane de lui. Ses jambes, elles, se mirent à trembler et sa sueur perlait à grosses gouttes.
Des corps. Des dizaines de corps, ceux de ses compagnons sans doute, étaient tous posés soit sur le sable, soit échoués sur les rochers, soir encore en train de flotter à plus d’une vingtaine de mètres de lui. Il observa avec horreur le cadavre le plus proche de lui. C’était celui de Gonzo, lui qui était si téméraire, peur de rien, tout le monde savait que rien ne pouvait lui arriver. Mais il était maintenant là, le visage à moitié défiguré, un morceau de bois planté profondément dans son cœur de pierre.
« Pitié, non », se dit-il.
En tournant sa tête lentement -de peur de voir de nouveaux cadavres- Rafael remarqua le trou laissé dans la coque, qui menait à la cale du bateau.
« Les Pokémon ! » pensa-t-il. « Ont-ils survécu, eux ? »
Avec un pas prudent, le mousse inquiet pénétra dans la grotte de bois. La cale était vide. Un frisson lui parcouru le corps. Seul un corps humain y était présent, c’était le dernier de l’équipage. Sauf qu’il n’était pas mort de noyade, non. Il était incinéré, noir comme le charbon. Ses dents blanches ressortaient de la chair grillée et celle – ci émanait une odeur brûlée. Un pistolet se trouvait à proximité.
« Sans doute s’est-il fait attaquer par les Feunard. Quel destin mon dieu, quel destin ! » pensa le mousse en ramassant l’arme à feu.
Mais il n’y avait plus rien à faire. Les preuves étaient faites, lui et le Capitaine étaient les seuls survivants de cet événement tragique.
En revenant, Rafael surpris le Capitaine une deuxième fois. Celui-ci était en train de tourner un objet dans la paume de sa main, un sourire à pleines dents. Il pouvait également l’entendre marmonner des bouts de phrases.
« Hé hé hé... Cette île est une véritable perle. A moi la fortune ! »
-Señor ? »
Le pirate virevolta de sa chaise en pierre et cacha prestement son jouet dans sa poche.
« Mais qu’est ce qui te prend de venir comme ça ? Préviens-moi, bon sang de merde ! »
-Heu… je... heu... », Répondit le mousse, complètement abasourdi.
-Alors !! Cette patrouille. Reste-t-il des vivres ? Des munitions ? »
-Heu… oui ! Quelques pains, que voici. Le reste a dû être balayé par le courant. Quant à l’armement, il ne reste que ce pistolet qui se trouvait près de… »
-Près de quoi ? », demanda Señor Martin, la bouche rempli de mie de pain.
-Près d’Alfonse, semble-t-il. Mort. »
Martin laissa tomber son morceau de pain. Il se leva d’un bond et prit le mousse par les épaules.
« Et les autres ?! Les autres ne sont pas morts eux aussi, hein ?! »
-Je suis désolé Capitaine. Aucun n’a survécu. », répondit-il, en baissant les yeux.
-Je… Ce n’est pas possible… Pas un seul n’a... ? »
-Pas un seul. »
Sa voix changea rapidement d’état. Ses yeux se remplirent de froideur.
« Et la marchandise… ? », demanda t-il calmement. Si mes hommes n’ont pas été épargnés, je ne vois pas pourquoi le bon Dieu laisserait ces moins que rien encore en vie. »
Rafael avala sa salive. Il avait peur à l’idée de lui annoncer la nouvelle.
-Ils ne... Ils sont morts. Aucun… Aucun doute là… là – dessus. »
-Tu mens. »
Rafael émit un petit son de terreur. Son propre Capitaine le dévisageait avec des yeux rouges, des yeux qui le poignardaient comme des couteaux. On pouvait sentir la colère incontrôlable de cet homme, prêt à péter comme un bouchon, prêt à tuer ce qui l’entourait ; on ne pouvait rien lui cacher à cet homme barbu, ce pirate de sang froid qui connaissait les menteurs et qui punissait ceux qui se moquaient de lui. Mais cette fois-là était différente. Car cette fois, Señor Martin n’allait pas punir celui qui lui avait menti. Il allait l’utiliser pour déverser sa colère sur ce qu’il y avait de plus innocent. Il allait tuer les Feunard.
Ses mains se décrochèrent enfin du malheureux mousse.
« C’est bien ce qu’il me semblait. J’ai vu des empreintes de Pokémon dans le sable qui provenaient de l’endroit où le bateau s’est échoué. Ne joue pas avec ma patience, réponds honnêtement. Pourquoi y avait-il un pistolet à côté d’Alfonse ?! », Dit -il en le fixant dans les yeux.
-Il… il est mort brûlé par les Feunard ! Il a dû utiliser son arme comme défense ! », Répondit Rafael, terrorisé.
Il y eut un silence de plomb. Señor Martin se retourna calmement et regarda au nord, vers la jungle. Il observa les petites traces de pattes familières qui s’étendaient vers la même direction. Il décocha un petit sourire.
« Ramasse les vivres dans un sac, la chasse n’est pas finie. », sa main rentrant de nouveau dans sa poche.
« J’ai un mauvais pressentiment. »
Cette simple phrase arrêta net le gang entier. Tout le monde s’était arrêté de marcher et tous les regards étaient en direction de celui qui venait de parler à haute voix. Goupix, toujours couchée sur le dos de sa mère, leva la tête avec surprise.
« Pourquoi tu dis ça maman ? », lui demanda-t-elle.
-Mon sixième sens me dis que nous ne devons pas tarder. Quelque chose de mal approche. »
Si un humain avait prononcé ces mots, on l’aurait tôt pris pour un fou. Mais dans ce cas-là, il s’agissait d’un pressentiment réel, car les Feunard sont une des seules espèces de Pokémon à avoir développé un sixième sens de survie.
« Passez tous devant ! », commanda-t-elle. Je dois vérifier quelque chose. Goupix tu restes avec les autres. »
-Mais... Maman je ne peux pas te laisser toute seule… »
-J’ai dit : Reste avec les autres », répondit sa mère, avec froideur.
Goupix ne disait plus rien. Les yeux mouillés, elle vit sa mère courir dans l’autre direction et disparaître dans un buisson.
« Capitaine ? »
-Quoi encore ? Déjà fatigué ? », Répondit Señor Martin, avec un air soucieux.
-Non. C’est au sujet de… cette chose. Que vous cachez dans votre poche gauche. »
-Je ne vois pas de quoi tu parles. »
-Ne me mentez pas Señor ! Je suis de votre équipe et nous ne pouvons rien nous cacher. Quelle est cette chose ?! »
Pour la première fois, Rafael prit enfin le dessus. Mais Martin le dévisagea avec colère. De quoi se mêlait-il ce petit freluquet ? C’était son or, le sien !
« Tu veux me mettre en colère ? Petit fouinard, sale mousse qui n’a aucun tact, aucune dureté et qui devrait rejoindre les Pokémon aux fers.»
Rafael écarquilla les yeux.
-Redites ça pour voir. »
-Va au diable, freluquet. »
Cette simple phrase suffit à mettre Rafael sous une rage incontrôlée. Il piqua un sprint et se lança sur son Capitaine qui tomba lourdement sur le sol.
« J’en ai assez ! Vous ne m’avez jamais respecté ! J’ai toujours fait ce qu’il fallait en tant que mousse et vous ne m’avez jamais apprécié ! », Hurla-t-il.
Ses poings heurtèrent successivement le visage de son adversaire de toutes ses forces. Chaque coup lui procurait autant de plaisir qu’un butin d’or. Il pouvait sentir le souffle rapide du vieil homme qui avait du mal à riposter. Ce n’est qu’en entendant un « cling » qu’il s’arrêta enfin. Rafael tourna son regard en direction de la bille brillante qui était sortie de la poche du Capitaine. Sans bouger sa tête, il lâcha la veste da sa victime et se leva doucement.
-Ne la touche pas ! Elle est à moi ! », Ordonna Martin, la bouche en sang.
-C’est mon or, mon butin ! Je l’ai trouvée dans le sable, elle m’attendait c’est sûr ! Cette île et ses pépites d’or vont me rendre riche, je n’ai plus besoin de toi ! »
La graine était à présent en pleine possession de Rafael. Celui-ci la fit tourner entre son index et son pouce, sous son regard ahuri. Il n’en croyait pas ses yeux. Depuis tout ce temps, il travaillait pour un infâme personnage, une merde des océans qui n’avait aucun amour, aucun sentiment distinct pour ses proches. Il était pour lui absolument rien, un gringalet qui allait l’aider à survivre jusqu’au moment où il n’aurait plus besoin de lui, tant que sa fortune est à portée de main et qu’une équipe est prêt à la déterrer. Ses pensées furent interrompues par un bruit mécanique.
-Lâche ma pépite. Lâche-la, si tu ne veux pas avoir une balle dans la cervelle.
-Je ne peux pas y croire… Vous êtes l’homme le plus cruel que je n’ai jamais vu. Vous n’avez jamais considéré les Pokémon comme autre chose qu’une simple marchandise.
-Des créatures futiles, bonnes qu’à faire de l’argent. Je t’ai déjà vu les regarder avec pitié ! Peuh ! Fadaises. »
Le mousse serra de nouveau ses poings.
-Tout comme cette île », ajouta-t-il. « Un vaste territoire de minerais qui portera mon nom. Un bijou qui fera ma fortune. Et ses Pokémon seront vendus comme... »
Un couinement l’interrompu. De quelques feuilles tropicales surgis soudainement une tête de Pokémon. Une tête familière. Celle de Goupix, qui s'était perdue en cherchant désespérément sa mère. Señor Martin resta cloué sur place, surpris comme jamais. Son esclave lui était revenu comme par magie.
Goupix haussa la tête et vit le regard que lui lançait l’homme barbu. Elle eut un choc, c’était l’homme qui l’avait volé de sa propre maison, mis aux fers, tué sa famille. Ses pattes se mirent à trembler ; elle n’osait plus bouger.
-Te voilà, toi », dit-il enfin, le sourire à pleines dents, rouges de sang.
En brandissant calmement son pistolet, Señor Martin se mit à rire frénétiquement.
-Attendez ! »
Rafael s’interposa entre le canon et le Pokémon, les bras ouverts.
-Assez de morts comme ça, Capitaine ! Il est inutile de rajouter des victimes à notre liste. »
-Ces fumiers ont brûlés un des nôtres, Rafael. Je ne les pardonnerai jamais. Bouge-toi de là, c’est un principe. »
-Et nous, nous les avons massacrés ! Tué leurs proches ! Rasé leur habitat ! Réfléchissez-y, Capitaine. Faites la bonne décision ou je ne bouge pas d’ici. »
Señor Martin soupira en haussant les épaules.
-Très bien. Si tu tiens tant à les rejoindre… »
Le monde s’écroula en une demi-seconde. Rafael ne pouvait plus rien sentir, toucher ou entendre autour de lui. Il ne vit que le trou qui le menaçait, entendit le doigt du Capitaine se poser sur la gâchette, senti la mort frissonnante frôler sa peau. Une seule ligne subsistait dans ses pensées.
« Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. JE NE VEUX PAS MOURIR ! »
C’était la fin. Il ferma les yeux, refusant de voir la mort en face.
Un cri résonna dans la vallée. Du sang gicla sur les troncs de palmiers. Des Picassaut s’envolèrent rapidement et quittèrent le feuillage abondant de la jungle.
Rafael ouvrit les yeux. Devant lui s’étendait Señor Martin, la gorge massacrée. Son eau rouge s’écoulait doucement sur la surface de l’herbe. C’était Feunard qui les avait sauvés.
« Il faut vous cacher », proposa Rafael. « Si je fais un feu pour appeler les miens, ceux-ci n’oseront pas à vous attaquer de nouveau. Je suis désolé. »
Feunard acquiesça. Même si elle n’appréciait pas cet humain, elle savait quels risques elle allait faire courir à ses proches.
« Au revoir, alors », dit-il finalement.
Rafael se sentait coupable. Coupable de tout ce qui arrivait à ces Pokémon, coupable de la mort de certain et de les avoir chassés jusqu’ici, un endroit complètement hostile. Il pleurait, mais ses larmes sincères n’affectaient pas Feunard. Seule Goupix pouvait ressentir la tristesse du jeune homme, elle avait pitié.
Ce fut les deux Pokémon qui partirent en premier. Leurs têtes visaient hauts, hauts dans les montagnes, comme si elles étaient prêtes à affronter le froid qui y régnait. Elles allaient reconstruire leur colonie, devenir plus méfiantes, apprendre à leurs enfants quels dangers ils risqueront d’encourir. Du haut de la montagne glacée, un Sabelette curieux les observait.
Le mousse descendit alors la pente, la pépite dans sa main.
Rafael fut finalement secouru par un navire qui passait dans les environs. Avec son feu, il n’a eu aucune peine à les appeler. Mais c’est en embarquant qu’il remarqua un détail bouleversant sur sa pépite. Ce n’était pas un minerais, ce n’était pas de l’or qui était dans la paume de sa main. On pouvait apercevoir sur la couche dorée une minuscule fissure dans laquelle poussait une tige. Il se mit à rire. Son Capitaine, cet affreux renifleur d’or pensait avoir découvert un des plus grands trésors des îles d’Alola. Le jeune homme ouvrit la main et laissa tomber la graine dans les profondeurs de l’eau.