"Aloha, Alola."
Lilie tomba à genoux. Voir son ami blessé venait de l'achever. Elle devait fuir. Partir, loin, loin d'ici, loin d'eux. Emmener Goupix avec elle. Fuir. Elle essaya de le répéter à haute voix, pour trouver la force de se relever. Même son corps l'avait abandonnée. Des larmes coulaient à présent sur ses joues. Elle ne pouvait même plus crier. Elle était tout simplement inerte, agenouillée par terre, dans les décombres du laboratoire. Goupix lui parlait. Il lui parlait, elle le savait. Elle l'entendait. Du moins, c'est ce qui lui semblait. Tout était flou. Un son strident obstruait son ouïe. Elle ferma les yeux. « Reprends-toi, Lilie. Relève-toi. Pour Goupix. Pour... » ; mais un souffle violent la ramena soudain à la raison. Elle bascula soudainement et se retrouva couchée sur le dos. On lui attrapait la main, on essayait de la relever. Elle se redressa, mais elle était trop faible. Elle dût s'y reprendre à deux fois avant de se remettre debout. Goupix était là, à côté d'elle.
Elle esquissa un sourire -du moins, elle essaya- pour le rassurer, sans succès. On l'obligea à courir. Elle se frotta les yeux. « Ti... Tili.. ? », allait-elle demander, mais sa voix refusait de sortir. Elle regarda derrière elle, mais on lui fit signe d'accélérer. Le bâtiment encore fumant était devenu une masse informe dans la brume du soir.
Ils s'arrêtèrent. Elle s'assit sur l'herbe. Tili tenait son visage entre ses mains. « Lilie, tu m'entends ? Lilie !? » ; Lilie jeta un coup d’œil circulaire. Le bras de Tili saignait abondamment. Évidemment, il ne laissait rien paraître. Elle tendit le bras vers Goupix, qui se tenait près d'elle. Elle voulait tellement leur dire qu'elle allait bien, qu'elle allait se remettre. Mais tout ce qu'elle réussit à faire, c'est fermer les yeux, et... Dormir...
-Trois jours plus tôt, sur l'archipel d'Alola-
Une brise légère soufflait sur la petite île de MeleMele lorsque les premiers rayons du soleil vinrent caresser le museau de Goupix. Assoupi sur le rebord de la fenêtre, il sourit béatement, envahi par cette douce chaleur. Le petit renard s'étira, et manqua de tomber au moment de se relever. Une fois en appui sur ses quatre pattes, il s'élança et bondit à travers la fenêtre grande ouverte pour atterrir sur le tapis de la chambre, non loin du lit où ronflait encore sa maîtresse. Goupix s'approcha alors discrètement du lit et se dressa sur les pattes arrière, pour prendre de l'élan. Après quelques tentatives, il grimpa sur le lit. Il s'approcha alors du visage de la jeune fille, et souffla doucement sur ses yeux endormis.
Une seconde à peine suffit pour que Lilie pousse un cri strident : “Gyaaaaaaah !”. Surprise, elle sursauta et atterrit au sol, emmitouflée dans sa couverture. Le souffle glacé de Goupix pourrait geler un Limagma en colère ! Lilie le savait bien, elle avait rédigé un rapport au Professeur au sujet des Goupix de la région d'Alola.
Elle grogna, encore étourdie, et se dépêtra des couvertures pour se relever. Après une minute de pause pour reprendre ses esprits, elle se frotta les yeux, s'étira en bâillant et se retourna vers son Pokémon, souriante. « Merci, Goupix. J'aurai encore pu arriver en retard, si tu ne m'avais pas réveillé. » ; et en prononçant ces mots, elle caressa la fourrure entre ses oreilles, qui brillait à la lumière du soleil. Elle s'assit ensuite sur son lit, prit le peigne sur sa table de nuit, et commença à coiffer ses longs cheveux blonds, sous le regard admiratif de Goupix. Une fois qu'elle eût terminé, elle prit une petite brosse, et commença doucement à s'occuper de la fourrure de son Pokémon, avec douceur.
Après quelques préparatifs, elle s'était habillée et descendait de sa chambre. Elle vivait dans une petite maison, assez confortable, mais beaucoup moins grande que tout ce qu'elle avait pu connaître auparavant. Ses parents avaient, à sa connaissance, toujours été plutôt aisés. Elle avait vécu dans différentes villas, à Kalos, puis à Unys. Elle n'en gardait évidemment pas de très bons souvenirs, car elle s'y retrouvait souvent seule, le métier de ses parents les obligeant à s'absenter régulièrement.
Elle aurait espéré un changement lorsque son père lui avait parlé d'Alola. Elle avait cru au début qu'ils allaient s'y installer ensemble, au grand air, loin de toute cette agitation citadine. Malheureusement, elle avait vite compris qu'ils ne viendraient pas. « Tu verras, tu seras loin de la pollution de la grande ville. L'air pur, ça te fera du bien. », avait-il dit. Elle n'était pas si emballée que ça, au début... La traversée en bateau avait été la plus pénible qu'elle avait jamais eu à faire. Le ferry était parti de Volucité. Le voyage avait duré deux jours. Peut-être trois, elle n'en était pas certaine. Beaucoup de passagers venaient en touristes visiter Alola, réputé comme « l'archipel le plus exotique et agréable de tout l'océan ». Exotique, c'était évident. Agréable, Lilie en était moins sûre.
Lorsque le bateau a accosté le petit port de MeleMele, elle n'en croyait pas ses yeux. Le soleil était éblouissant, et le sable chaud s'infiltrait dans ses chaussures. Avant ça, elle n'avait mis les pieds sur une plage qu'une seule fois, à Vaguelone. Et, à vrai-dire, cela ne lui avait pas tellement plu : les bancs de Viskuse l'avaient tellement effrayée qu'elle n'en avait plus dormi pendant des jours ! Et depuis, l'océan l'effrayait. Alors, évidemment, la perspective d'habiter une maison sur la côte l'avait quelque peu angoissé. Mais après quelques jours, elle s'était fait à l'idée que l'océan serait la première chose qu'elle verrait en se réveillant. Du moins la deuxième, après Goupix.
C'était le premier ami qu'elle s'était fait à Alola. Et il ne l'avait plus quittée depuis. Les Goupix de la région d'Alola ont l'habitude de vivre en montagne, mais celui-ci s'était perdu et errait depuis dans l'île comme un Osselait loin de sa maman. Lilie l'avait recueilli alors qu'il était complètement mort de faim. Lorsqu'elle en avait parlé au Professeur, il n'avait pas voulu la croire, avant qu'il le voie par lui-même. « Les Goupix se font rare, depuis quelques temps ! Pas comme ces satanés Manglouton ! », avait-il dit. Et c'est vrai que, des Manglouton, Lilie avait eu l'occasion d'en voir beaucoup depuis son arrivée.
Lilie stoppa net ses réflexions et pressa le pas, alors qu'ils arrivaient bientôt au laboratoire Pokémon de MeleMele avec Goupix. Le Professeur Euphorbe, qui dirigeait les recherches, était très peu ponctuel, et c'était Lilie, en parfaite assistante, qui devait arriver plus tôt pour préparer le travail de la journée. Aujourd'hui, le programme se résumait à l'observation de Pokémon aquatiques dans leur milieu naturel et au soin d'un pauvre Picassaut qui s'était froissé l'aile.
Elle allait ouvrir la porte lorsqu'on lui agrippa l'épaule. « Hé ! Lilie ! ». Cette voix. C'était Tili, un jeune garçon né à MeleMele, qui connaît l'île comme sa poche. Lilie l'avait rencontré le jour où elle avait rencontré Goupix. Il était venu se présenter à sa porte pour lui souhaiter la bienvenue, et en avait profité pour chiper un gâteau qu'elle venait de cuisiner. Il habitait à deux maisons plus loin que celle de Lilie. Le teint mat et les cheveux noir Corboss du garçon contrastaient parfaitement avec la peau très pâle et les cheveux clairs de Lilie, de même que ses vêtements colorés juraient complètement avec la robe blanche et le chapeau de plage de la jeune fille. Tili était gentil, mais très insouciant et intrusif. Vraiment intrusif. Tout ce que Lilie détestait.
Elle se retourna, agacée, et se vit obligée de lui rappeler qu'elle avait beaucoup de travail et qu'il ne devait pas la déranger. Il insista, prétextant qu'il avait un truc « vraiment trop incroyable » à lui montrer. La jeune fille soupira. Aux côtés du jeune garçon se tenait son partenaire, Flamiaou. Un Pokémon qui n'inspirait pas vraiment confiance à Lilie, puisqu'il n'arrêtait pas de regarder Goupix avec un air méchant. Elle fronça les sourcils et tenta de prendre la voix la plus assurée qu'elle pouvait. « Tili, tu dois partir. Je suis très occupée, je dois tout préparer avant l'arrivée du Professeur... ». Mais déjà, Tili l'emmenait par la main en direction du village, ignorant ses protestations. Goupix suivait sa maîtresse, intrigué par le comportement du jeune homme, tout en restant à distance de Flamiaou qui le toisait de son regard perçant.
Ils arrivèrent après quelques enjambées sur la place du village, où une plate-forme de bois peinte trônait en son centre. Dessus se tenait Pectorius, un vieillard un peu excentrique que Lilie avait eu l'occasion de rencontrer une ou deux fois, car c'était l'un des vieux amis du Professeur Euphorbe. Elle finit quand même par demander à Tili, qui n'attendait que ça : « Dis-moi, pourquoi est-ce que tu m'as amené ici ? ». Le jeune garçon, visiblement surexcité, lui fit signe de se taire et pointa du doigt le vieil homme qui répétait d'étranges pas de danse. Entre-temps, des insulaires s'étaient rassemblés autour de lui.
Il prit la parole : « Aloha, habitants de MeleMele ! Comme vous le savez tous, aujourd'hui est un grand jour pour certains d'entre vous ! ». Tili sautillait, trépignait d'impatience. Lilie, affligée par son attitude enfantine, leva les yeux au ciel et écouta la suite. « L'épreuve du passage à l'âge adulte débute demain ! Tous les gamins de plus de 17 ans pourront se présenter à l'épreuve, accompagnés de leur Pokémon ! Attention, car un échec à cette épreuve représentera plus qu'une simple défaite, ce sera le déshonneur total pour votre famille ! », dit-il en poussant un grognement et en tapant violemment du pied. C'est à ce moment-là que le Professeur Euphorbe, qui montait sur l'estrade, décida d'intervenir.
« Salut les jeunes ! Pour ceux qui n'ont pas la chance de me connaître, je suis le Prof. Euphorbe ! J'étudie les Pokémon sur l'archipel d'Alola. Je suis né ici, à MeleMele, et ce village représente beaucoup pour moi. Et, vous le savez, le Rite d'Initiation de Passage à l'Âge Adulte est une cérémonie particulière. Tous les jeunes hommes et les jeunes femmes ici présents qui ont l'âge requis pourront y participer. Le concept est le même depuis des générations, et il est relativement simple : vous devrez affronter Pectorius dans un duel ! ».
Pectorius applaudit, satisfait. Il fut imité par la foule, qui commença à se disperser. Pectorius et le Professeur échangèrent quelques mots puis descendirent de la scène. Tili s'était déjà frayé un chemin dans la foule pour les rejoindre. Derrière, Lilie esquivait avec difficulté les passants qui s'éloignaient de la place. Goupix, dans ses bras, semblait intimidé par la foule. Tout en le caressant entre les oreilles pour le rassurer, elle faisait de son mieux pour ne pas perdre de vue le Professeur Euphorbe -c'était le plus facile à repérer, puisqu'il dépassait tout le monde d'une tête- et les autres.
Après quelques salutations, le Professeur présenta Lilie et Tili à Pectorius, le doyen du village. Tili s'empressa de demander à Pectorius s'il n'avait pas des astuces pour réussir le rite d'initiation. Lilie, décidément irritée, l'interrompit. « Ne dérange pas les adultes avec tes caprices, Tili, s'il-te-plaît ! ». Cependant, elle se ravisa lorsque le Professeur Euphorbe passa sa main dans les cheveux de Tili pour l'ébouriffer. Ce dernier rit , en même temps que les deux adultes. « Tu es incorrigible, Tonton ! », articula Tili dans un éclat de rire. Lilie s'esclaffa : « Ton... Tonton ?! Professeur ! Vous le connaissez ?! ». Le Professeur Euphorbe lui sourit, amusé. C'était bel et bien son oncle.
Lilie n'en revenait pas. Cela faisait deux heures qu'ils étaient rentrés au laboratoire, et le Professeur Euphorbe était en train de discuter de combat Pokémon avec Tili et son Flamiaou. Il avait pour mission d'aider son neveu à préparer son combat contre Pectorius. D'après ce qu'elle avait compris, Tili avait passé beaucoup de temps au laboratoire avec son oncle, lorsqu'il était enfant. C'était peut-être pour cela que Lilie se sentait aussi à l'écart. Ils étaient très complices. C'était adorable. Lilie décida de profiter de ce moment pour les laisser tranquille. Elle invita Goupix à sortir, il acquiesça. Ils sortirent donc discrètement et décidèrent de longer le chemin de la côte jusqu'au nord de l'île.