I - La mort d'Amy.
Le cimetière se désengorgeait petit à petit, non sans larmes.
Tous étaient auparavant assemblés devant une même pierre tombale, celle d'une jeune femme décédée quelques temps plus tôt. La raison importait peu, le moment également, ce n'est pas l'intérêt de l'histoire racontée ici. Tout ce qu'il fallait savoir, c'était que la demoiselle était morte prématurément à la surprise de tous. Un accident ? Une maladie qu'elle avait dissimulée à ses proches ? En somme, cela n'avait pas son importance.
Elle s'appelait Amy, avait tout juste dix-huit printemps et était belle comme une fleur. La demoiselle était petite, brune claire, un sourire d'enfant pouvant ravir homme comme femme, un petit brin de malice dans sa façon d'agir, des yeux couleur d'automne et portait constamment un charmant bonnet crème sur lequel étaient fixées des petites oreilles de chat. Il était écrit, sur sa tombe, née un 4 Janvier, morte un 9 Novembre.
Ce jour là, le jour de son enterrement, il pleuvait sur Unionpolis, une charmante ville du continent de Sinnoh connue pour ses avantages commerciaux. C'était là qu'elle était née, et ici même qu'elle était enterrée dans la tombe qui était initialement prévue pour sa grand-mère qui, malheureusement, était toujours debout même si elle peinait à le rester suite à la mort tragique de sa petite-fille. L'aïeule avait quitté le cimetière, lovée contre son fils qui était tout autant dévasté de la mort de sa jeune fille.
La pluie n'était pas violente, elle était bruineuse, rien de plus. Elle exprimait à merveille la tristesse ressentie par tous en ce jour funeste. Deux heures après la mise en terre, il ne restait plus qu'une seule personne devant la terre humide qui avait accueillie en son sein Amy : c'était un jeune garçon appelé Elio. Il avait dix-neuf ans, un poil plus vieux qu'elle, il était grand, avait les cheveux noirs, les yeux rougis par la tristesse bien qu'originellement, ils étaient bleus. Il frottait inlassablement ses yeux avec son poing, utilisant parfois même la manche orange de son pull qui était surmonté d'un léger blouson vert pâle. Ses cheveux d'ébène étaient collés contre sa tempe, des mèches restaient collées sur son front, ses larmes se confondant avec les gouttes d'eau qui continuaient de choir.
Dans le regard azuré du jeune homme, un flot de souvenirs lui revenaient en mémoire. Ils avaient tous un seul et même référent : Amy. Les yeux du jeune homme se perlaient à nouveau de larmes scintillantes qui coulèrent lentement, inexorablement, sur ses joues avant qu'il ne les efface d'un vulgaire revers de la main, reniflant un peu tel un enfant. Il gardait les poings serrés, il pestait mentalement contre les forces invisibles qui lui avaient arraché celle qu'il aime. Ils avaient encore tant de choses à vivre tous les deux. Il pensait qu'Arceus était un démiurge et non pas un dieu destructeur qui prenait plaisir à reprendre ce qu'il avait tantôt créer. C'était une pensée enfantine, naïve et insensée de la part du jeune homme.
Il retenait un cri de douleur. Son cœur se serrait dans son poitrail, il se crispait avec force et arrachait à son possesseur une grimace qui exprimait assez sa souffrance. La pluie s'accentuait légèrement, comme si le climat se confondait à la tristesse croissante d'Elio. Son esprit était encore embrumé par les quelques souvenirs qu'il lui restait de la jeune demoiselle et de son sourire si agréable. Elle avait des rêves, comme toutes les enfants, et elle ne pourra plus jamais les réaliser … Son plus grand rêve était sans nul doute d'aller défier la ligue de Sinnoh, maintenant qu'elle avait rassemblé les huit badges de sa région natale. Peu de gens croyaient en elle, même Elio doutait de ses capacités à devenir la nouvelle maître de la région mais vraisemblablement, elle lui avait donné tort avant de périr. Peu de gens auraient été capable d'arracher les badges aux champions du continent, surtout avec le pokémon qu'elle chérissait tant. Un pokémon loin d'être une bête de combats, un champion né, une créature transpirant le combat et inspirant la peur lors de ses attaques. Ce pokémon, c'était son Pijako.
Flash-Back.
« Pourquoi tu persistes avec ce piaf peinturluré, là ? Demanda Elio, avachi sur une chaise dans sa petite maisonnette de Vestigion.
-Qui oses-tu traiter de piaf peinturluré ? Lança de sa voix chantante le perroquet, apparemment vexé.
- T'en connais d'autres des piafs peinturlurés, peut-être ? Demanda le jeune homme en frottant son poing contre le crâne de l'oiseau qui lâcha un cri aiguë avant de s'envoler pour ensuite picorer le crâne de son interlocuteur.
- Ahah ! Vous êtes tellement amusants ensemble ! » Lança de sa voix cristalline la jeune fille en se bidonnant littéralement face à eux.
Un soupir franchit les lèvres du jeune homme qui avait chuté de sa chaise suite à l'attaque subite du perroquet contre sa personne. Il peina un peu à se relever, se dépoussiéra rapidement son blouson vert qu'il réajusta convenablement avant de prendre un petit air boudeur qui amusa tout autant Amy. Le perroquet pokémon, visiblement vexé, imita l'attitude de l'humain et lui tourna le dos, exprimant ainsi le conflit entre eux. Amy, qui était visiblement au centre de cette joute silencieuse, soupira un peu et fit également une petite moue :
« Mh... Vous êtes pas drôles à vous chamailler à chaque fois !
- C'est ton piaf de pacotille qui m'a cherché cette fois ci ! Lâcha Elio.
- Certainement pas, 'Jako !
- Moi je dis ça juste pour que tu réalises tes rêves, Amy ! Pense un peu à tous ces autres dresseurs qui partagent le même rêve que toi ! Tu sais ce qui te différencie d'eux ? Ton « pokémon signature », ton « main », ta botte secrète, si tu veux ! Tu penses vraiment qu'ils se cantonnent à un Pijako, eux ?
- Surveille ton langage et cesse de parler ainsi à Amy ! Lâcha à nouveau l'oiseau, comme si il chantait.
- Tu sais, Jako est très fort ! Lâcha Amy en gardant un grand sourire, restant installé sur sa chaise. Je n'aurais certainement pas remporté ce troisième badge si il n'avait pas été là ! T'aurais dût voir la raclée qu'il a collé à ce Rozbouton, c'était phénoménale !
- Amy... Soupira Elio en se frottant la tête. C'est un pokémon de type vol, encore heureux qu'il a vaincu ce pokémon plante ! Mais il n'a pas l'étoffe d'un champion comme Simiabraz, Mackogneur, Lucario ou alors Carchacrok ! Il n'a même pas d'évolution, il va rester petit et fragile jusqu'à la fin des temps …
- C'est pas la taille qui compte ! Bouda la jeune femme qui, elle aussi, n'était pas bien grande et encore moins musclée.
- C'est quoi ton problème, Jako ? S'énerva le pokémon.
- Pff... Laisse tomber. Je dis ça pour ton bien, moi. » Conclut le jeune homme.
Elio retourna s'occuper de son champ tandis que la jeune femme tournait son regard en direction de son pokémon qui la regardait également, l'air inquiet. La demoiselle lui sourit, comme pour le rassurer, et lui frotta la tête afin de le faire roucouler. Elio, qui avait laissé la porte de sa maison ouverte, regardait par l'entre-bâillement de celle-ci la dresseuse et son pokémon qui commençait à jouer ensemble. Une baie fut tendue à l'oiseau qui la grignota avant de chanter de plaisir, faisant rire par la même occasion la jeune femme.
« Je sais que tu es fort, mon petit Jako... Tu es très important pour moi, tu es vraiment particulier comme pokémon et je comprend parfaitement que les autres contestent ta place dans mon équipe mais jusque là... On fait du bon boulot, non ? » Dit-elle, comme pour se rassurer de son choix.
Fin du Flash-Back.
Un frisson parcourut tout le corps du jeune homme, il serra les dents assez vigoureusement et ferma tellement fort ses paupières que ses larmes ne coulèrent pas linéairement de ses yeux clos, elles glissèrent de tous côtés, arrivant sur son nez pour en contourner les irrégularités, arrivant au bout de celui ci avant de tomber goutte par goutte sur le sol boueux du cimetière. Il ravala sa tristesse de son mieux, et sans aucune grâce. Il savait qu'il allait devoir partir, il ne pourrait pas rester là indéfiniment. Il resterait prisonnier de son passé, de sa mémoire. Son père lui avait toujours apprit à savoir tourner la page, et il lui avait apprit ça par la pire des façons : il était partit un soir en prétextant qu'il allait acheter des graines pour le champ. Il n'est jamais revenu.
Elio avait l'impression que ses pieds avaient prit racine dans le sol. Il les arracha difficilement, son regard restant fixé sur la pierre tombale de sa petite-amie, comme si il n'en revenait toujours pas, comme si il ne la croyait pas. Peut-être tout ceci était une grande mascarade pour voir si il l'aimait, peut-être voulait-elle lui jouer un tour comme elle en avait l'habitude. Son cœur essayait de le persuader mais sa raison elle, s'était déjà résignée et essayait de le pousser à partir d'Unionpolis au plus vite afin de ne pas se détruire de l'intérieur. Il fit un pas en arrière, sans tourner le dos à la tombe, la regardant encore, médusé.
Il maintenait contre lui la grande ceinture rouge de sa petite amie sur laquelle était fixé ses six pokéball et, alors qu'il ne faisait pas réellement attention à celle ci, il trébucha un peu à force de reculer aveuglement et fit tomber la ceinture, utilisant sa main pour se rattraper au dernier moment et ainsi éviter une chute assez violente. Elio pesta contre lui, ou contre la Providence -qui sait-, et se pencha vers la ceinture afin de la récupérer, les pokéballs ayant roulé sur le sol suite à cela. Une... Deux... Trois... Une quatrième, ici. Cinq, par là. Et la sixième ? Il releva doucement son regard et vit l'ultime pokéball heurtait un grand pin situé juste à côté de la tombe de sa petite-amie. La sphère bicolore s'ouvrit aussitôt et de celle-ci jaillit une puissante lumière blanche qui fonça droit vers le ciel avant de prendre une forme animale. Elle se posa sur une branche assez élevée de l'arbre et laissa apparaître un petit oiseau coloré. Pijako.
Le perroquet avait l'air grave, sombre, et triste. Il avait la tête baissée sur la tombe de sa maîtresse, un vent froid lui passant sur les plumes. Il souleva son aile gauche et effaça une larme naissante sans quitter des yeux la pierre qui représentait le trépas d'Amy. Il avait ses plumes toutes ébouriffées, sa mine était mauvaise, il semblait avoir passer une très mauvaise nuit. On pouvait aisément le comparer à un ivrogne dépressif enfermé depuis vingt-quatre heures dans son pub habituel.
Elio, dont l'apparence coïncidait un peu avec celle du perroquet, se redressa, les cinq pokéballs et la ceinture dans les bras, et regarda en silence le pokémon favori d'Amy avec qui il avait tant eut de conflits. Cette pipelette et lui n'avaient jamais sût être d'accord sur le moindre point, ils avaient passé toute leur existence à se chamailler sous le regard de la demoiselle qui, tantôt en riait, tantôt en pleurait. C'est à cet instant même qu'Elio comprit que sa relation envenimée et véhémente avec l'oiseau n'avait put que jouer préjudice à la jeune femme, et il s'en voulut soudainement. Certes, cela n'avait aucun rapport direct avec sa mort mais en cet instant, le moindre faux pas d'Elio était interprété par lui-même comme un acte terrible ayant eut pour répercussion la disparition tragique de la dresseuse. Il déglutit.
« Jako... Tu devrais retourner dans ta pokéball. » Lâcha simplement Elio, la gorge nouée.
Étrangement, il n'eut aucune réponse. C'était la toute première fois que l'oiseau chantant ne lui répondait pas, lui qui passait tout son temps à parler, encore et encore, au grand damn du jeune homme. Ce fut à ce moment précis qu'Elio se rendit compte à quel point le pokémon était affecté par la mort d'Amy. Il passait toutes ses journées en sa compagnie, il l'avait accompagné dans ses bons comme dans ses mauvais jours, il avait toujours été là pour la prendre sous son aile et la câliner gentiment pour lui remonter le moral, pour lui dire qu'elle n'était pas seul. C'était peut-être pour cela qu'elle continuait à le garder auprès d'elle, ce n'était peut-être pas qu'une question de puissance, c'était peut-être tout simplement car il était devenu son ami, un ami qui était là constamment contrairement à Elio qui avait refusé de la suivre dans son périple, préférant privilégier la ferme familiale... Cette nouvelle révélation intime eut l'effet d'un coup de poignard dans le cœur d'Elio. Il se sentait misérable. Si il avait accepté de la suivre, il aurait peut-être put la protéger et elle n'aurait pas eut à se reposer entièrement sur ce tout petit pokémon... Honteux, il baissa la tête, voûta son dos et retint difficilement ses larmes tandis que l'oiseau gardait un silence mortuaire, sans lâcher du regard la tombe, tombe qui renfermait le corps de sa maîtresse, la seule personne, la seule humaine, en qui il avait une totale confiance.
Elio se mordit la lèvre inférieure, il releva lentement son visage en direction de l'oiseau qui trônait sur sa haute branche sans même lui porter attention. Il passa autour de sa taille la ceinture d'Amy, raccrocha une à une les pokéball en faisant attention à ne pas en libérer un autre, et s'arma de la sixième pokéball, celle qui était vide et qui devait contenir à la base l'oiseau coloré. Le jeune homme s'approcha doucement du tronc, restant sur ses gardes et avançant à pas de loup, il pointa la pokéball en direction de l'oiseau et un faisceau lumineux jaillit de l'orbe mécanique afin de récupérer l'oiseau qui, aussitôt, prit son envol et esquiva la tentative de capture.
« Pijako ! » S'écria Elio en faisant volte-face.
L'oiseau atterrit juste derrière lui, à quelques centimètres seulement de la tombe de sa maîtresse. Il marcha doucement sur le sol trempé, enfonçant ses petites pattes aviaires sur la surface boueuse de la terre, et avança solennellement jusqu'à la pierre tombale. Elio sentit son cœur manquer un battement. Il ressentait une certaine empathie pour le pokémon, il savait ce que c'était que de perdre quelqu'un qui nous était cher et pour cause, il avait déjà tout perdu. Son père, sa mère, et maintenant celle qu'il aimait … Il n'avait plus rien, plus aucune attache en ce monde, un peu comme ce pokémon. Il se rendait enfin compte des points communs qu'il avait avec lui, à commencer par leur amour réciproque pour une seule et même personne : Amy...
'Jako alla poser doucement son crâne contre le rock de la pierre tombale et ferma ses paupières, se laissant submerger par ses souvenirs et laissant sa langue, ayant imprimé les sons de la langue humaine et plus particulièrement la voix d'Amy. Il ouvrit son bec et laissa la mélodie sortir. Il prit le timbre de voix d'Amy et lâcha :
« Je sais que tu es fort, mon petit Jako... Tu es très important pour moi, tu es vraiment particulier comme pokémon... - Merci Amy, tout comme toi. Répondit-il, imaginant un dialogue entre sa maîtresse et lui. - Promet moi d'être fort, mon petit Jako.- J'essaierai, Amy... J'essaierai... - Je sais que tu en es capable, parce que … Tu es mon petit Jako... A moi... »
Le pokémon sombra dans d'amers frissons, il singea les pleurs humains alors qu'une larme fut arrachée à Elio une fois qu'il eut entendu à nouveau la voix de sa petite-amie. Désespéré, il renonça à partir et se laissa tomber sur ses genoux dans la boue, ses larmes coulant sans le moindre sanglot. Il regardait à tour de rôle la pierre tombale de la jeune femme et le Pijako de celle-ci, il bredouilla alors à mi-voix, une voix embrumée par sa tristesse apparente et qui finit par se traduire par des sanglots infernaux qui secouèrent tout son corps, des paroles qu'il ne s'attendait certainement pas à dire un jour à ce pokémon-ci :
« Parle-moi, 'Jako... Parle moi encore comme elle le faisait … Parle moi d'elle... Je t'en supplie... »