Chapitre 2 : Memory
-... Et deux jours plus tard, tu t'es réveillée.
Assise dans le lit de Gil, la jeune amnésique écoute d'une oreille attentive le récit du jeune homme. Bon, il n'y a pas grand-chose à raconter, mais il espérait que le fait qu'elle sache qu'elle a été trouvée sur la plage lui ramènerait des souvenirs. Alors il se tait. Mais la jeune fille secoue la tête :
-Désolée, je ne me souviens de rien.
Elle a une voix grave, très douce. Gil frémit dès qu'il l'entend.
-Je suis désolée... répète la jeune fille.
-Ne le sois pas. Tu n'y es pour rien.
Elle hoche la tête et esquisse un petit sourire. Elle a passé la nuit à dormir et ne s'est réveillée que tard dans la matinée. Les parents de Gil, eux, sont déjà partis travailler. Heureusement que c'est la période des vacances, ce qui fait que le jeune homme peut rester veiller sur elle.
-Roooc...
Le sourire de la jeune fille s'élargit en voyant le jeune Pokémon au pied du lit et elle lui caresse doucement la tête :
-Alors c'est toi qui m'a trouvé, hein ? Merci, petit Rocabot.
-C'est étrange... fait remarquer Gil. Tu ne te souviens pas de ton nom mais tu reconnais sans souci un Rocabot. Et hier soir, tu as aussi reconnu les Concombaffe dans la soupe.
L'amnésique réfléchit mais secoue finalement la tête :
-Je ne sais pas. J'ai juste... la connaissance de ce genre de choses Je sais ce qu'est un être humain, un Pokémon, et je pourrais te citer sans souci le nom de toutes les grandes régions de ce monde. Mais je ne saurais même pas te dire quels humains ou Pokémon j'ai côtoyé, ni même où j'ai pu vivre.
-J'y ai réfléchi. Tu n'es pas typée comme les natifs d'Alola. Tu pourrais être l'enfant d'un couple métis, comme moi, mais il y en a très peu et à ma connaissance, aucun n'a de fille de mon âge. Donc soit tu viens d'une autre région, soit tu es la fille d'une des familles immigrées des autres régions, ou d'une famille de touristes de passage. C'est les vacances, après tout. Mais on a affiché ta photo dans toutes les îles et rien. Personne. On est même passés au commissariat et personne n'a déclaré ta disparition.
Les yeux de la jeune fille se troublent légèrement. Gil l'entend à peine murmurer :
-Peut-être que personne ne tient à moi et ne souhaite me retrouver...
-C'est faux, s'exclame Gil, j'en suis sûr ! Je te l'ai dit, tu viens peut-être des autres régions !
-Tu le penses vraiment ?
Un moment passe avant que Gil ne réponde, plus doucement :
-Non. Impossible que tu aies survécu autant de temps en mer. On a pensé que tu étais peut-être tombée d'un bateau de touristes, mais aucune compagnie maritime ne déplore de perte de passagers.
Un profond silence s'installe. La jeune fille semble attristée et Gil se reproche de ne rien pouvoir dire qui lui remonterait le moral.
-Dis, euh... commence-t-il.
Il s'interrompt et la jeune fille relève la tête vers lui. Il arbore un air embarrassé :
-C'est plutôt compliqué, avoue-t-il. Je n'ai pas vraiment envie de t'appeler « Eh, toi » ou « La fille »... Mais tu ne te souviens même pas de ton nom...
La jeune fille reste silencieuse un instant avant de répondre :
-Alors donne-m'en un.
Gil doit avoir un regard complètement éberlué, car la jeune fille se met à rire :
-Donne-moi un nom. Je l'utiliserai jusqu'à ce que je retrouve la mémoire.
Le jeune homme ouvre la bouche, puis la referme, avant de la rouvrir de nouveau. Finalement, il arrive à dire :
-Mais... Ça ne se fait pas comme ça... Je veux dire... Je ne peux pas te donner un surnom comme à un Pokémon...
Rock jappe, comme pour signaler son acquiescement, mais la jeune fille penche la tête sur le côté et demande très sincèrement :
-Pourquoi ?
Gil ne trouve aucune réponse. Alors il réfléchit. Un long moment passe. La jeune fille ne dit rien, comme si briser la concentration de Gil lui était une idée insupportable. Finalement, il se décide :
-Iaiyoe.
Au manque de réaction de son interlocutrice, il se semble obligé de s'expliquer :
-Il y a une ancienne légende, en Alola, qui dit que donner à quelqu'un le nom de quelque chose lui permettra de trouver cette chose. C'est pour ça que dans notre culture, beaucoup de gens s'appelaient Bonheur, Force ou Amour. Iaiyoe, c'est un mot de notre ancienne langue, avant que nous ne nous mêlions au reste du monde, il y a a très longtemps. Ça signifie « Mémoire ». Peut-être que comme ça, tu retrouvera tes souvenirs...
La jeune fille ne répond pas. Gil se sent tout à coup très gêné :
-C'est... C'est peut-être de mauvais goût... Euh... Sinon...
-I... Iaiyoe...
Le mot roule dans la bouche de la jeune fille. Elle semble le savourer un instant. Puis elle sourit :
-J'aime beaucoup !
-Euh... Vraiment ?
-Oui.
Gil sourit. Puis, il tend la main vers elle :
-Eh bien... Enchanté de te connaître, Iaiyoe. Je suis Gil.
Le sourire d'Iaiyoe s'élargit et elle attrape vigoureusement la main de Gil. Ce simple contact fait naître de la chair de poule sur ses bras.
-Enchantée, Gil. Je m'appelle... Iaiyoe.
Puis, après un court instant :
-C'est quand même difficile à prononcer. On ne peut pas raccourcir à Ia ?
Gil s'apprête à répondre mais elle se met à rire. Il se contente donc de soupirer avant de l'imiter.
La journée passe tranquillement. Gil et Ia discutent longuement, notamment de la vie de Gil. Il lui raconte tout : sa mère qui travaille dans un centre Pokémon de la ville, son père qui travaille le bois dans son atelier, à deux pas d'ici, ses propres jours d'écoles, ses amis, et sa rencontre avec Rock.
-Je l'ai trouvé au bord de la route en rentrant de l'école. Je l'ai caché sous mon tee-shirt et je l'ai emmené derrière la maison. Je l'ai nourri pendant quelques jours jusqu'à ce que Papa le repère en sortant les poubelles. Je l'avais caché dans la benne à ordures et il l'a recouvert de détritus. La seule condition à laquelle je pouvais le garder était que je le nettoie.
Ia rit avant de demander :
-Les Pokémon vont dans des Pokéball, non ? Pourquoi Rocabot n'est jamais dans la sienne ?
-Coutume d'Alola, explique Gil. Seuls les dresseurs professionnels utilisent des Pokéball pour dresser leurs Pokémon. Ceux qui ne souhaitent pas s'engager sur cette voie se contentent de les laisser en liberté.
-Tu ne souhaite pas devenir dresseur, plus tard ? Qu'est-ce que tu veux faire ?
Gil regarde par la fenêtre, comme si son avenir se trouvait à l'extérieur.
-Je n'en sais rien, avoue-t-il. Je me suis inscris dans une école scientifique, où on forme les infirmiers des centres Pokémon et les scientifiques-chercheurs, comme le fameux Professeur Chen. Mais... il me manque quelque chose. Une vraie motivation.
-Une motivation ?
-Oui. Quelque chose qui me fasse penser « Voila, c'est pour ça que je fais ces études ! ».
-J'espère que tu la trouveras.
-Moi aussi.
-On aurait dû t'appeler « Motivation » dans la langue ancienne de ton atoll, non ?
-Haha, très drôle !
Au bout d'un moment, Ia se sent fatiguée, alors Gil la laisse dormir. Et lorsqu'elle se réveille, ils discutent, encore. La journée toute entière se perd entre leurs discussions et ses phases de sieste. Lorsque les parents de Gil rentrent, ils discutent tous les trois. Ils approuvent la décision du nouveau nom de la jeune fille et s'entendent rapidement avec elle.
Gil aimerait que ces jours de paix durent éternellement. Mais une étrange pensée lui vient en tête. Une fois que son amie aura retrouvé la mémoire, que se passera-t-il ?
-Aller en ville ?
Gil hoche la tête.
-Peut-être que de la voir te ramènera des souvenirs.
Ia prend l'air intriguée :
-Le docteur n'a pas dit de laisser les choses arriver d'elles-même ?
-Il n'est pas revenu depuis le premier soir, objecte Gil en agitant la main, et il ne m'a pas l'air de vraiment savoir ce qu'il fait. Il paraît qu'il n'a même pas son diplôme, en plus. Et puis, il n'y a pas que ça.
-Quoi, alors ?
Gil pointe un doigt vers la poitrine de la jeune fille qui baisse les yeux mais ne semble pas comprendre.
-Tes habits, explique le jeune homme. On t'a prêté les affaires de ma mère pour le moment, mais ce n'est pas vraiment à ta taille. Alors on s'est dit qu'on pourrait t'en offrir des nouveaux. Enfin, je veux dire... Tu ne portais rien, quand je t'ai trouvé, alors...
Même s'il n'avait pas vraiment fait attention à ce détail sur le moment, l'état de santé de la jeune fille lui ayant semblé plus important, ce simple souvenir fait naître chez lui un étrange frisson.
-Considère ça comme un cadeau, ajoute-t-il.
Ia le regarde un instant avant de murmurer :
-Un cadeau... de Gil ?
Son visage s'éclaire soudain d'un sourire :
-D'accord ! Je te suis !
Est-ce son sourire ou le fait qu'elle semble heureuse à la seule idée que Gil lui fasse un cadeau ? Gil se sent tout d'un coup rougir et il détourne la tête :
-B... Bien. Alors allons-y.
-Oui !
Comme dans la plupart des régions du monde, l'archipel d'Alola ne comporte qu'un magasin par ville et village ainsi qu'un grand centre commercial. Par chance, ce-dernier se trouvant sur Mele-Mele, Gil et Ia n'ont qu'à prendre le bus pour s'y rendre. Une fois sur place, ils se rendent directement dans la grande tour de la ville, qui abrite les boutiques les plus réputées de l'archipel. Ia semble complètement ébahie par le festival de lumières et de couleurs qui s'offrent à elle. Elle court de la devanture d'un magasin à une autre, Rock sur les talons. Gil se tient légèrement en retrait, les mains dans les poches, à sourire en regardant son amie aller à droite et à gauche. Cela fait seulement quatre jours qu'elle s'est réveillée, la mémoire ne lui est toujours pas revenue mais elle ne semble pas s'en soucier. A croire que sa vie d'avant ne l'intéresse pas. Et puis après tout, est-ce si grave que ça si elle ne retrouve pas la mémoire ?
Gil se donnerait des claques, d'un coup. Comment est-ce qu'il peut avoir des pensées aussi égoïstes ? Bien sûr qu'il faut qu'Ia retrouve la mémoire ! Il y a sûrement quelqu'un qui l'attend, quelque part. Et puis... Gil aimerait connaître son nom. Son vrai nom. Rien que pour pouvoir l'appeler par celui-ci. Ia lui va bien, mais... il a l'impression que s'il connaît son vrai nom, les choses seront... différentes. Meilleures ou pires ? Difficile à dire.
Le jeune homme détourne son esprit de ses pensées lorsqu'Ia l'interpelle devant un magasin de vêtements. Il la rejoint avec un sourire et les deux jeunes gens passent l'heure suivante à choisir des habits qui conviennent à la jeune amnésique. La vendeuse leur assure qu'ils étaient faits avec la soie produite par des Papillusion importés directement de Kanto et Ia, séduite, finit par sélectionner une simple robe blanche et des chaussures « au cuir de Tauros » garantit la même vendeuse. Parée de ses nouveaux atours, la jeune fille semble semble radieuse. Gil et elle se baladent dans le centre pendant les heures suivantes, s'arrêtant de temps en temps chez le marchand de glace ou à la salle d'arcade. Un magasin d'accessoires fantaisistes les accapare un long moment. Ia essaie des fausses dents de vampire qui font grogner Rock et rire le jeune homme. Gil essaie ensuite une ridicule paire de lunettes teintées de vert.
-Tu es très séduisant, comme ça ! s'exclame Ia en riant.
Malgré le sarcasme évident, Gil ne peut s'empêcher de rougir tout en riant avec son amie.
Le soleil se couche déjà lorsque les deux jeunes gens sortent finalement du centre commercial. Gil regarde l'heure sur la pendule la plus proche et grogne. A cette heure, les bus ne passent plus que par tranche d'une demi-heure. Même marcher jusqu'à la maison sera plus rapide que d'en attendre un.
-Bon... Eh bien on dirait qu'on va marcher un peu.
Cela ne semble pas poser de problème à Ia et Rock affiche même une mine réjouie à cette nouvelle. Le Pokémon court devant son maître, allant plus loin devant comme pour vérifier si la voie est libre avant de revenir et de japper joyeusement tout en poursuivant à l'occasion un Ratatta aux moustaches frémissantes. Ia regarde le ciel, d'une jolie couleur pourpre. Elle semble perdue dans ses pensées. A quoi elle peut bien penser, Gil l'ignore. A quoi peut bien rêver une personne sans souvenirs ? De nouveau, il se pose la question : qui est Ia ? Pourquoi personne n'a donc cherché à la retrouver ? A croire qu'elle est apparue comme cela. Le mythe du pêcheur revient en tête de Gil mais il évince l'hypothèse d'un mouvement de tête. Ia est certes très belle, mais autrement, elle n'a rien de divin. Non, elle est humaine, c'est une certitude. Mais les humains n'apparaissent pas ainsi... n'est-ce pas ?
Plongé dans ses réflexions, Gil entend à peine le grognement menaçant de Rock. Le jeune homme relève la tête. Devant lui, sur le trottoir surplombant la plage, à une dizaine de mètres, se trouve un homme. Gil sent un frisson le parcourir et il tend un bras pour stopper Ia qui ne l'a visiblement pas vu. Elle baisse les yeux sur l'homme avant de les tourner vers Gil :
-Tu le connais ?
Gil déglutit.
-Non. Mais c'est pas la peine. C'est pas un type sympa.
-Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Le jeune homme pointe son doigt le tee-shirt de l'homme. Un badge y est accroché, reflétant la faible lumière du soleil déclinant. Un petit bijou d'orfèvrerie, en métal précieux, peut-être de l'argent. En forme de crâne.
-C'est un Skull.