Chapitre 1 : La chanson de la mer.

L'avion filait, fendant l'éther tel un majestueux latios métallique, surplombant les nuages qui s'agglutinaient tels un troupeau d'altaria paresseux.
A l'intérieur, le Professeur Pollux s'ennuyait. Il n'avait jamais aimé l'avion, préférant largement le bateau, les voyages à dos de pokémon, ou les déplacements via n'importe quoi qui ne nécessitait pas d'être enfermé dans une boite en métal propulsée à trop haute altitude. Il jeta un œil au hublot de l'autre côté de son compagnon de voyage. Dehors il n'y avait rien d'autre à voir que le bleu du ciel et le blanc éblouissant des nuages qui reflétaient le soleil.
Regulus, son ami, s'était endormi une heure auparavant, bercé par le ronronnement des moteurs de l'avion. Le reste des passagers semblait aussi tombé dans une douce torpeur de fin d'après midi. Ceux qui ne dormaient pas regardaient un film ou les informations sur des petits écrans incrustés dans les sièges qui les précédaient. Pollux s'était amusé à observer un homme en costard qui suivait avec passion les cours de la bourse d'Unys en tapotant frénétiquement sur sa tablette, puis il s'était lassé du spectacle et avait tenté de faire fonctionner l'appareil visuel en face de lui mais les écrans étaient tactiles et ne reconnaissaient pas le contact de ses griffes.
Pour la deux cent quatorzième fois, depuis le début du voyage, il râla intérieurement contre le professeur Vega pour l'avoir obligé à faire ce voyage.
Le professeur en question était un homme qui avait l'air d'avoir une quarantaine d'années, les traits tout en longueur et le poil châtain blond, qui lui donnait l'air d'un kadabra transformé en humain, toujours plongé dans ses recherches. Il vivait dans un phare isolé qu'il avait réaménagé en laboratoire.
Pollux était son assistant. C'était un mangriff au pelage bien entretenu et aux griffes soignées, il portait une blouse blanche pour marquer son statut de professeur et des lunettes à monture bleue très pratiques pour la lecture. Les deux scientifiques étudiaient la communication entre humains et pokémons, dans le but de faire pouvoir un jour tomber la barrière de la langue pour tous.
Mais le professeur Vega était également un genre d'ermite qui refusait catégoriquement d'abandonner son précieux laboratoire, aussi envoyait-il son assistant sur le terrain chaque fois qu'ils avaient l'ombre d'une piste qui pouvait les aider dans leurs recherches.
Et ils avaient justement entendu parler d'un archipel très loin où des humains avaient apparemment la faculté de comprendre ce que disaient les pokémons. Certaines rumeurs parlaient même d'une espèce qui se transformait. Si c'était le cas, ça serait une première historique.
Pollux avait voyagé dans un nombre incalculable de villes et de bibliothèques à travers un bon nombre de régions à la recherche d'indices sur des humains et des pokémons qui auraient réussi à communiquer entre eux. Il avait déjà rencontré -grâce à Regulus- un pokémon qui avait appris la langue humaine qui lui avait tenu lieu de professeur. Une solution intéressante mais très difficile, qui n'était pas applicable pour tous, et qui ne résolvait le problème que dans un sens.
Il avait également séjourné dans un étrange village pokémon où, une fois tous les deux ans, le seigneur Darkrai venait et transformait les habitants en humains et inversement, en les plongeant dans un cauchemar collectif. On ne pouvait pas plonger le monde entier dans un cauchemar qui permettrait à tout le monde de se comprendre à travers les espèces.
Mais si des humains avaient réussi à apprendre la langue des pokémon à Alola… Pollux devait s'assurer que cette rumeur était fondée, et découvrir comment ces dits humains avaient réussi un tel exploit. Il doutait de la véracité de cette rumeur, mais aucune piste ne devait être négligée.
Une hôtesse passa dans l'allée principale de l'avion et lui jeta un regard curieux. A côté de lui, Regulus se retourna sur son siège mais ne se réveilla pas.
Pollux était reconnaissant à ce dernier d'avoir accepté de l'accompagner. Même s'il était un scientifique très sérieux, -aussi sérieux que ceux qui faisaient revivre les fossiles- le mangriff craignait pour sa liberté, surtout dans une région inconnue où son espèce pouvait être rare. Il avait rechigné à partir seul, et son ami s'était alors proposé pour veiller à sa sécurité. Regulus était un dresseur spécialisé dans le type feu. Visiter une nouvelle région était pour lui une opportunité unique de faire des rencontres intéressantes, voire d’agrandir son équipe. Le dresseur s'était même montré d'un enthousiasme ardent lorsqu'il avait appris que la région d'Alola comportait un volcan. Pollux sourit malgré lui. Même si le voyage n'était pas productif, il n'en serait pas moins passionnant.
*** ***L'avion atterrit en soirée, peu après la tombée de la nuit. L'aéroport se trouvait un peu en retrait de l'archipel sur une île minuscule qui lui était dédiée, et il leur fallut donc prendre un navire, au grand dam des compagnons de Regulus qui avaient pour le bateau la même affinité qu'un mélofée avec un miasmax. Eux qui espéraient prendre l'air à la sortie de l'avion, ils tremblèrent dans leur ball tout au long de la traversée. Ils arrivèrent dans leur hôtel tard dans la soirée. Le voyage les avait épuisé.
Mais dès le lendemain, fidèle à ses habitudes, le professeur se leva aux aurores. Il aimait découvrir de nouvelles villes à l'aube, quand elles s'éveillaient et qu'il n'y avait pas encore d'activité bourdonnante dans les rues, lorsqu'il avait peu de chance de croiser un dresseur zélé.
Il aimait entendre les bruits de la nuit devenir progressivement des bruits de jour, quand les cris solitaires des pokémons nocturnes cédaient la place au brouhaha des pokémons diurnes. Il aimait le ferraillement des stores que les marchands relevaient, les exclamations des enfants qui allaient à l'école, et le silence morose ponctué du martèlement rapide des pas des adultes qui partaient au travail.
Et derrière tout ça, il aimait entendre ce que son mentor appelait des « sons de l'éternité ». Le murmure du vent sur les arbres et les toits. La douce complainte des feuilles. La chanson du reflux de la mer sur le sable… Tous ces bruits qui ne cessaient jamais et que les gens qualifiaient curieusement de « silence ».
Alola était un archipel. Il y avait toujours du vent et la présence de l'océan. Pollux supposa que ces sons d'éternité étaient audibles partout dans la région. Il se plut à imaginer quatre îles emplies de ces silences et aussi vieilles que la lune et le soleil. C'était une image apaisante.
La ville dans laquelle ils avaient mis les pattes se situait sur l'île Nord-Est de l'archipel, la plus grosse île, nommée Ula-Ula. La cité était nichée sur la côte, entre la mer à l'Est et une chaîne de montagne à l'Ouest. Pollux la trouva aussi très pittoresque, elle avait le même style d'architecture que Rosalia de Jotho : mais là où Rosalia utilisait des tuiles rouges, celles-ci étaient teintées en vert sapin et ornées de symboles blancs et dorés représentant une fleur de lotus. Et comme dans la ville mythique de Johto, une immense pagode dominait la ville, aux murs dorés et aux tuiles saphir, entourée d'un immense jardin bien entretenu. Et Rosalia sentait la terre, ici, on sentait le sel..
Il vit également un petit bois de bambous au Sud de la ville, qui exhalait ses senteurs dans l'air frais du matin, mais il n'eut pas le temps de l'explorer. Il devait rejoindre Regulus, ensuite ils avaient rendez-vous avec le professeur Euphorbe, figure scientifique majeure dans la région.
Lorsqu'il revint à son hôtel, Regulus l'attendait en bâillant, tranquillement assis sur un fauteuil de l'entrée, et s'occupait en consultant une brochure sur les plus beaux sites de plongée sous-marine.
-Envie de visiter les fonds sous-marins ? Son compagnon eut un demi sourire.
-Je doute que mes compagnons soient d'accord…
Ils échangèrent quelques banalités sur la nuit passée et le petit déjeuner, puis le professeur Euphorbe arriva dans le hall de l'hôtel et leur fit un grand signe de la main. Regulus et Pollux passaient rarement -autant dire jamais- inaperçus. Le professeur Euphorbe était un homme grand, la peau dorée par le soleil, les cheveux sombres ramenés en un chignon sur la nuque et même s'il portait la blouse blanche de rigueur, il était pour le moins décontracté du côté vestimentaire. Le mangriff l'avait déjà vu sur le visiophone du professeur Vega.
Tandis que le professeur ès pokémon s'approchait, le professeur pokémon se leva et salua dans un humain à l'accent à couper au couteau :
-Salutations. Je suis professeur Pollux. Voici Regulus.
Ils échangèrent une poignée de patte (ou une pattée de main ? Pollux n'avait jamais vraiment su...). Voyant Regulus, Euphorbe ouvrit la bouche d'un air vaguement surpris, la referma, puis déclara en se frottant nerveusement la nuque.
-Bonjour, bonjour. On m'avait prévenu, bien sûr, mais ça reste une surprise. On n'a pas tous les jours l'occasion de croiser un professeur mangriff ni un dresseur tel que vous. Votre combat bouillant contre Adrien du Conseil de Sinnoh a été relayé jusqu'ici !
Regulus afficha un sourire fier et ravi. L'homme de science ajouta joyeusement :
-On sera plus à l'aise pour discuter dans le parc un peu plus loin !
Le professeur les conduisit à l'extérieur, jusque dans le jardin de la grande pagode, où il fit sortir trois de ses compagnons : un genre de petit hoothoot avec un nœud papillusion constitué de deux feuilles, une sorte d'otaria bleue croisée avec un clown et un espèce de chacripan à rayures rouges et noires. Les deux visiteurs regardèrent ces nouveaux pokémon avec curiosité, et les trois petits leur retournèrent leur regard. Le professeur Euphorbe délcara :
-Je vous présente brindibou, otaquin et flamiaou. Ce sont les starters de cette région. Il vont bientôt rencontrer leurs dresseurs…
Regulus s'accroupit près du félin, les yeux brillants comme chaque fois qu'il rencontrait un type feu, et s'adressa au chat d'un ton gaga :
-Aaaaawww, comme il est mignon !
Tandis que le professeur Pollux essayait d'expliquer à son confrère humain en quoi consistaient ses recherches, Regulus s'adossa à un palmier et entreprit de faire sortir ses pokémons pour jouer avec les trois petits. Ed Asich, son dracaufeu et Ankaa sa flambusard étendirent leurs ailes et entreprirent de montrer au petit brindibou comment voler sur place. Deneb son simiabraz s'amusa à envoyer une pokéball à l'otaquin dans l'eau qui la faisait jongler sur son nez et la renvoyait d'un coup de queue, et Inkalunis son lugulabre tournait sur lui même de bonheur, ce qui semblait captiver le flamiaou.
-Il semble un pokémon peut apprendre l'humain, mais pas l'inverse.
Euphorbe semblait fasciné par les explications approximatives de Pollux.
-C'est ce que Vega m'a expliqué. Avez-vous découvert pourquoi ?
-C'est quelque chose dans, heu… la nature ?
-Physiologique vous voulez dire ? Comme les cordes vocales ou le larynx ?
-Non, plus… comme l'intérieur… le concept dans la langue.
Mais il n'eut pas l'occasion de développer : ils furent interrompus par une exclamation perçante suivie d'un bruit d'éclaboussures. Ils virent un Regulus à l'air ahuri, tombé en arrière dans un bassin, ses quatre pokémons flamboyants et ceux du professeur Euphorbe regardant avec intérêt le palmier qui pataugeait à côté de lui pour s'éloigner du groupe en toute hâte.
Pollux se précipita pour aider son ami à se relever, puis il tilta.
Le palmier qui
pataugeait à côté de lui ? Il leva les yeux le long du tronc de l'arbre.
Puis il leva les yeux un peu plus haut.
Ensuite il les leva encore plus haut.
Enfin, il finit par apercevoir la ramure de l'arbre et entendit le dresseur à ses côtés lâcher un :
-Oh !
Le professeur mangriff se tourna vers son collègue humain.
-Je ne savais pas les noadkokos pouvaient évoluer ?
L'intéressé arrivait à peine à réprimer un fou rire.
-Oh, ils n'évoluent pas. C'est une forme de noadkoko spécifique à cette région. C'est ce que j'étudie ici avec le professeur Chen. Comment l'environnement a influencé l'évolution et donc la morphologie et le typage de certaines espèces.
Les deux visiteurs le regardèrent, surpris :
-Le professeur Chen est ici !?
Pollux avait toujours admiré cet homme. Il était un scientifique connu et reconnu. Le mangriff espérait pouvoir un jour le rencontrer, et rêvait secrètement d'avoir un jour le même succès dans ses recherches et la même notoriété… Euphorbe secoua la tête.
-Le professeur Raphaël Chen. Un cousin du Samuel Chen que vous connaissez dans votre coin du monde.
Regulus demanda :
-Les noadkokos ont une autre forme ? C'est… bizarre.
L'homme bronzé en blouse blanche haussa les épaules :
-C'est une conséquence naturelle du processus d'adaptabilité d'une espèce. Ici, les noadkokos sont plus grands et sont de types plante et dragon. Je crois que vos pokémon feu l'ont effrayé...
-Quoi !? Tous se tournèrent vers le dracaufeu qui venait de s'exclamer, et regardait le palmier d'un air surpris et dégoûté :
-Ce TRUC est un dragon ? C'est pas possible ! Il n'a même pas d'ailes ! Regulus lui frotta le dos d'un geste encourageant. Le simiabraz répondit :
-Les carchacroks non plus. Tous les dragons n'ont pas forcément des ailes, tu le sais très bien…
-Oui, mais il n'a même pas de griffes !
Le lugulabre répliqua :
-Les trioxhydres non plus.
-Oui, mais il n'a même pas de queue !
La flambusarde rétorqua :
-Les mucuscules non plus.
-Oui, mais... Tandis que le dracaufeu s'enflammait en faisant l'inventaire des attributs qu'avaient les dragons et que ses collègues lui fournissaient des contres exemples, Euphorbe se pencha vers Pollux :
-Que disent-ils ?
-Ed Asich est surpris le noadkoko est dragon.
-Pourquoi je suis pas un dragon moi !? Il a rien de tout ça lui ! C'est rien qu'un stupide palmier ! C'est le cou c'est ça ? Moi aussi j'en ai un long ! Et des ailes, et... Le mangriff expliqua :
-Je crois il est jaloux.
Regulus tapota gentiment la patte avant de son pokémon non dragon d'un geste de réconfort et dit doucement :
-Allons, allons… Tu peux prendre le type dragon quand tu méga-évolues. C'est quand même la super classe de changer de type à volonté ! Tu ne vas pas être jaloux d'un arbre quand même ?
Il fallut un moment pour que le dracaufeu blessé dans son honneur et sa fierté cesse de ruminer, puis les pokémons flamboyants et les starters reprirent leurs jeux. Les deux professeurs reprirent leur conversation, mais Pollux s'avoua vite vaincu par son manque de compétence en langue humaine. Il laissa donc à Regulus le soin d'expliquer pourquoi les pokémons pouvaient apprendre l'humain et pas l'inverse :
-En résumé, les humains mettent le sens de leur parole dans les sons. Fée et Feu sont deux mots différents qui veulent dire des choses différentes. Les pokémons mettent le sens de leurs paroles dans les intonations et le non-verbal, c'est à dire les gestes, les mimiques, la tension dans la voix… Peu importe le son qu'ils émettent, ce qui compte c'est la façon dont ils l’émettent.
Pollux ajouta :
-Et puis, professeur Vega pense il y a des ondes. Comme... les épicéas ?
Devant l'air perplexe de son collègue, il tenta d'expliquer :
-Les épicéas mangés par les chevroums et vivaldaim, ils deviennent amers et ils envoient une onde aux autres dire « danger, faut devenir amer pour pas être mangé », et tous les épicéas deviennent amers. Vega pense il y a une onde comme ça entre nous. L'onde permet de comprendre entre nous les concepts, l'abstrait on dit mal autrement... C'est pour ça les humains peuvent pas apprendre. Il fait des recherches pour prouver ça. Moi je cherche les autres solutions pour contourner ça. Toutes les rumeurs, toutes les légendes, quand elles suggèrent les humains et les pokémons ont communiqué entre eux comme avec ceux de leur espèce, et je vois si c'est vrai, et comment c'est fait. C'est pour ça je viens à Alola. On a entendu des rumeurs...
Le professeur Euphorbe songea aux paroles du mangriff.
-Toutes les légendes qui disent que des humains et des pokémons ont communiqué entre eux comme avec ceux de leur espèce ? Hm… Est-ce que ça inclut des humains qui se transforment en pokémon ?
Les yeux du mangriff brillèrent d'excitation. Les rumeurs qu'il avait entendu étaient peut-être bien fondées, si même le professeur Euphorbe en avait entendu parler ! Et si c'était le cas… Il tenait peut-être enfin, après toutes ces années, le début d'une solution au problème de la communication inter-espèces !
Soudain, Regulus revint dans la conversation les yeux brillants comme chaque fois qu'il découvrait un nouveau pokémon feu, tenant le flamiaou ronronnant dans ses bras et déclara d'un ton ébahi :
-Professeur, je peux le garder ?
