La disparition
Les semaines passèrent, et Dario eut tellement de travail que le mois suivant, il ne put même pas rentrer voir sa famille. Tous les élèves de la classe commençaient à fatiguer, mais les professeurs semblaient prendre un malin plaisir à leur donner toujours plus de travail. Parfois, des disputes éclataient, et Dario prenait bien garde à ne pas s'en mêler. Il faisait de son mieux pour rendre ses devoirs à temps, et sacrifiait quelques heures de sommeil pour prendre soin de ses Pokémon dans le parc de l'école. Jusqu'au jour de l'événement tragique.
Dario avait, ce jour-là, réussi à se concentrer malgré la fatigue et la maigre nuit de sommeil qu'il avait passée la veille. Mais au moment où le professeur allait finir de démontrer son analyse qu'il avait mis deux heures à mettre en place, le directeur de l'école – un homme grand et large au crâne chauve – entra dans la salle de classe. Tout le monde se tut et le regarda sans broncher.
-Dario, j'aimerais que tu viennes avec moi s'il-te-plaît.
Tous les regards se tournèrent vers lui et Dario, n'y prenant pas garde, se leva.
-Dois-je rassembler mes affaires ?
-Oui.
Le directeur avait une voix grave et un ton dur. Dario fourra ses affaires dans son sac et le suivit dans le couloir, légèrement inquiet tout en faisant attention de ne pas le montrer. Avait-il écrit quelque chose de ridicule dans une de ses copies qui allait lui valoir une punition ? Un de ses Pokémon avait-il commis une bêtise en son absence ? Que pouvait-on bien lui reprocher au point de lui faire louper les cours ? Connaissant la réputation de l'établissement dans lequel il s'était inscrit, Dario pensa au fait qu'on allait peut-être lui faire subir des tests de pression ou physique. C'était peut-être pour cela qu'on les fatiguait énormément en ce moment. Pour voir ce dont ils étaient capables face à la fatigue. Alors Dario suivait le directeur d'un pas fier tout en continuant de réfléchir. Finalement, le grand homme lui ouvrit la porte de son bureau et le fit asseoir dans la pièce. Un Flamiaou était assis en boule sur le rebord de la fenêtre et faisait sa toilette.
-Dario, ce que j'ai à t'annoncer, j'aurais aimé ne jamais avoir à le faire. Mais sache que je ne te demanderais qu'une seule chose : suivre mes ordres.
-Je le ferai, répondit Dario, le regard fier, prêt à tout faire pour réussir l'épreuve que le directeur allait sûrement lui faire passer.
-Tes parents ont appelé ce matin. Ta sœur a disparu.
Dario perdit toute contenance et ouvrit légèrement la bouche.
-Une enquête va avoir lieu, ajouta le directeur, et les élèves de l'école vont y prendre part. Mais je te demande de ne pas t'en mêler.
-Mais, sauf votre respect monsieur, je...
-Tu comprends qu'étant un membre de sa famille, tu ne peux assurer le bon déroulement de l'enquête. Si tu venais à te retrouver face à une personne ayant des informations ou étant en lien avec la disparition, tu pourrais avoir tendance à ne pas utiliser de bonnes méthodes pour arriver à tes fins. Tu comprends ?
Dario se renfrogna.
-Oui, monsieur.
-Bien, Dario. Tu es un garçon intelligent. A la vue des circonstances, j'ai décidé, avec l'accord de tes professeurs, de te laisser deux jours avec ta famille. Tu pourras t'y rendre demain matin, après le passage de tes camarades enquêteurs. Et tu pourras utiliser un Pokémon de l'école pour t'y rendre et pour revenir.
Dario ne répondit pas. Il avait l'impression que son cerveau avait été débranché. Il aurait aimé que le directeur lui dise « C'était une blague, ta sœur va bien je voulais seulement tester ta réaction. » Mais le directeur était sérieux. Très sérieux. Il y avait même de la tristesse dans ses yeux.
-Est-ce qu'il y a... une piste ? demanda-t-il faiblement.
-Aucune pour l'instant. Des policiers sont déjà sur place et d'autres iront demain, comme je te l'ai dis. Nous ne savons pas si c'est une fugue, un enlèvement, ou quoi que ce soit d'autre. Mais je dois te demander. As-tu des renseignements à me donner ?
-Ma sœur ne fuguerait jamais à moins que quelque chose ne lui ai fait très peur. Je ne pense pas qu'elle ai d'ennemis à l'école. Et elle ne m'a rien dit de particulier lors de notre dernière rencontre. Elle veut devenir éleveuse...
Sa voix se perdit dans le bureau qui lui paraissait immense à présent. Comme si les murs s'éloignaient.
-Nous la retrouverons, Dario.
Le directeur s'était levé et avait posé une main sur son épaule.
-Veux-tu que j'appelle quelqu'un pour t'aider à aller jusqu'à ta chambre ?
-Non, je vais y aller seul.
Dario se leva sans s'en rendre compte, et sortit du bureau. Il prit le chemin de l'internat et ne remarqua pas, encore une fois, tous les regards tournés vers lui. Il avait l'impression d'être un zombie, de marcher au radar. Solea... Ses mains commencèrent à trembler. Il ne concevait pas que demain, en rentrant chez lui, il ne la verrait pas. Elle serait forcément là, et sauterai dans ses bras comme elle le faisait tout le temps. Et elle caresserait son œuf, assise dans le jardin. Et elle se mettrait de la farine sur le nez pendant qu'ils feraient la cuisine ensemble. Qu'avait-il bien pu se passer ? Si elle avait fui, c'était qu'un danger la menaçait. Elle connaissait bien l'île, elle n'aurait pas pu se perdre. Et si elle avait rencontré quelqu'un de mal intentionné... Dario serra les poings. La colère l'emporta sur l'incompréhension. Si on lui avait fait du mal, il faudrait le payer. Toute sa vie il s'était battu pour protéger sa sœur. Il était allé deux ou trois fois à l'école pour dire à des gamins bagarreurs de la laisser tranquille lorsqu'elle avait des problèmes. Il lui répétait toujours de ne pas aller dans les hautes herbes tant qu'elle n'avait pas son propre Pokémon. Il lui répétait toujours de ne pas faire confiance aux inconnus. Et elle était intelligente. S'il lui était arrivé quelque chose, ce n'était pas à cause d'une erreur de sa part. C'était quelque chose d'autre. Mais il se rappela les mots du directeur. Il avait promis de ne pas se mêler de l'enquête, et il tiendrai sa parole. Un bon policier respecte son supérieur.
Dario s'enferma dans sa chambre, et Lougaroc sortit de sa pokéball sans qu'il ne lui ai rien demandé. Le jeune élève s'allongea sur son lit, la tête enfouit dans son oreiller. Et les larmes commencèrent à couler sur ses joues. C'était des larmes de colère, et des larmes de peur. Lougaroc s'allongea à côté de lui et poussa une petite plainte déchirante. Puis il approcha son museau de celui de Dario, et lui en donna de petits coups pour le réconforter. Dario tourna la tête, révélant ses yeux humides et ses joues moites. Il renifla en passant ses doigts dans la fourrure de Lougaroc.
-Ils vont la retrouver, pas vrai ? murmura-t-il.
Lougaroc lui lécha la joue, et quelques larmes coulèrent encore des yeux de Dario. Il resta là, un moment, amorphe et incapable de penser. Un mal de tête l'envahit peu à peu, et finalement il s'endormit sans s'en rendre compte.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, il faisait encore noir dehors. Lougaroc aussi était éveillé. Dario savait qu'il n'avait pas dormi pour s'assurer que tout allait bien. A présent, l'étudiant n'avait plus du tout envie de se reposer. Le mal de tête était encore présent, mais il avait une envie irrépressible de voir ses parents. Il avait besoin de parler avec eux.
Il se leva et rassembla ses affaires, puis il quitta la chambre, Lougaroc sur ses talons. Dehors, la lune était haute dans le ciel, et les étoiles brillaient de mille feux. Il se rendit à l'aérodrome de l'école, et y trouva le responsable qui lui lança un regard endormi.
-Tu as une mine affreuse, mon garçon. Qu'est-ce qui t'amène ici ?
-J'ai l'autorisation de l'école d'emprunter un Pokémon pour me rendre chez ma famille.
Le responsable ouvrit de grands yeux, semblant comprendre qui il avait en face de lui.
-Bien sûr, bien sûr, je t'en prie. Nous avons un Dracolosse rien que pour toi. Tu seras avec les tiens en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Il essaya de sourire, mais la peine se lisait sur son visage.
Dario suivit la direction indiquée par l'homme, et il déboucha sur un quai aérien où l'attendait un grand et majestueux Dracolosse. En règle général, il aurait été absolument ravi et époustouflé ; il aurait sûrement raconté ça à tout le monde. Mais cette nuit-là, il voulait juste rentrer le plus vite possible. Il prit place sur le dos de Dracolosse après avoir rappelé Lougaroc dans sa pokéball, et il décolla. Le Pokémon avait une telle puissance dans les ailes ! Dario était très bien installé, et flattait souvent le cou de Dracolosse. Le Pokémon avait l'air content d'effectuer une mission pour l'école. L'école de police avait quelques Pokémon volants auxquels ils demandaient d'effectuer des mission de transports. Les plus petits pouvaient porter des lettres ou des colis importants alors que les plus gros pouvaient transporter des élèves ou des professeurs dans des missions de recherche et d'enquête. Évidemment, les élèves et le personnel possédant leur propre Pokémon volant pouvaient les utiliser pour ce genre de tâches. Mais les Pokémon de l'école étaient spécialement entraînés.
Le voyage ne dura en effet pas longtemps comparé au temps que Dario mettait avec ses propres Pokémon. Le soleil n'était pas encore levé quand il arriva devant la porte de la maison. Il remercia Dracolosse puis poussa la porte le plus silencieusement possible. Ses parents devaient dormir. Il regarda la nourriture sur la table mais n'en avait aucune envie. Sa gorge était trop nouée pour qu'il puisse avaler quoi que ce soit. Il traversa la cuisine et se rendit dans sa chambre. Il resta un moment à la fenêtre, regardant la lune et les étoiles. Où pouvait-elle bien être ?
Soudain, un éclair jaillit dans son esprit et Dario se rendit dans la chambre de sa sœur. Les enquêteurs étaient déjà passés par là, c'était certain. Comme dans toute la maison d'ailleurs. Un petit lit aux draps jaunes, une commode blanche, un bureau jonché d'objets, quelques jouets rangés dans des bacs en bois. Le cœur de l'étudiant se serra. Habituellement, la chambre de Solea était en bazar ; les jouets traînaient par terre, et il y avait même parfois des morceaux de gâteaux dans les tiroirs. Il se rendait compte que la chambre n'était plus habitée.
Il commença par ouvrir la commode, pleine de vêtements. Et il déplia et replia tout son contenu. Il ne savait pas vraiment ce qu'il cherchait. Peut-être que des souvenirs auxquels il voulait s'accrocher. Et quand la commode fut vidée et rangée à nouveau, il s'attela au lit. Il défit les draps, retourna le matelas... Dehors, le ciel commençait à s'éclaircir. Le soleil se levait. Et sa fouille restait veine.
Et soudain, il trouva ce qu'il cherchait.
Sur le bureau, parmi les innombrables dessins de Solea, quelque chose attira son attention. Elle dessinait souvent des œufs, des Pokémon, ses parents, Dario. Mais il y avait aussi, à deux ou trois reprises, un homme que Dario ne reconnaissait pas. Pourtant le talent de sa sœur pour le dessin était indéniable. Il reconnaissait sans problème ses parents, ses copains d'école... Mais cet homme-ci lui était inconnu. Il s'arrêta alors un instant pour réfléchir. Que devait-il faire ? En parler à l'école pour leur faire part de cet indice possible ? D'un autre côté, il était furieux que ses « collègues » n'aient pas trouver ses dessins avant lui. Après tout, peut-être que Solea lui faisait passer un message à lui. Il se résolut alors à trahir sa promesse, et à commencer sa propre enquête.
-Dario, tu es là, ça fait au moins cinq fois que je t'appelle...
Le jeune homme s'élança hors de la maison sans faire attention aux appels de sa mère, et cria alors qu'il passait la porte :
-Je serai de retour pour le dîner !