Lorsque sonne le glas
La nuit était tombée depuis quelques heures maintenant et le poste de police était presque vide. Sigfrid était assis dans son grand siège en cuir, dans son bureau personnel, entouré des fameux tableaux de liège sur lesquels les résumés schématiques de l’affaire étaient affichés. Il avait rajouté plusieurs noms et faits. Plus au moins au centre, le croquis qu’il avait fait de Lunala trônait, avec une grande ligne le liant, ainsi que tout le reste d’ailleurs, à un petit panneau central. Sur celui était inscrit en grand ‘Fils de la Nuit Étoilée ?’.
L’inspecteur recula encore un peu, pour avoir une vue d’ensemble. Tout concordait, à un détail près. À chaque fois, ils avaient trouvé les corps malgré leur isolement. Ça faisait un moment que cela le dérangeait mais maintenant, ça lui semblait évident que quelque chose clochait à ce sujet. Comment avait-il pu trouver systématiquement tous les corps dans les temps ? Et surtout, pourquoi ?
L’inspecteur Sigfrid sortit de nouveau les détails des différentes enquêtes. Il les posa côte à côte pour voir ce qui aurait pu lui échapper jusqu’à maintenant.
Le premier corps avait été trouvé par un homme répondant au nom de Josemith Night. Il promenait son mastouffe lorsque celui-ci lui avait échappé pour courir vers la maison oubliée dans laquelle le corps avait été découvert. La déclaration était complète et Sigfrid ne trouva rien d’intéressant comme nouvelle information.
Le second corps avait été trouvé par un baigneur ; Ismir Selen. Alors qu’il jouait avec son pokémon dans l’eau, celui-ci avait semblé renifler quelque chose et avait fini par trouver le corps. Le document ne contenait pas beaucoup d’informations sur la question par ailleurs.
La dernière victime avait été trouvée par un dresseur, appelé Boris Astro, à la recherche de ferossinges qui avait été traîné par son mastouffe jusqu’à la petite grotte. Sigfrid se rappelait l’avoir rencontré et c’était effectivement ce qui lui avait été décrit.
Rien. Pas plus de données sur le sujet.
Nidoran bailla dans son panier et se re-roula en boule. L’inspecteur se frotta les yeux des poings. La fatigue commençait à le gagner et il allait falloir penser à rentrer chez soi au final. Alors qu’il se motivait à bouger, Sigfrid remarqua quelque chose. La lumière de la lune, rentrant par la fenêtre dessinait des mosaïques de lumières sur son bureau. Et là, au milieu de la lumière, le nom des témoins parut tout à coup important au nom de l’inspecteur. Night. Selen. Et Astro. La nuit, la lune et les étoiles. Encore. Comme si enfin, les pièces s’assemblaient dans son esprit, Sigfrid crut presque entendre un déclic. À la lumière de la lune, il chercha la photo du témoin. Josemith Night était un grand homme fin vêtu d’un monocle avec une épaisse moustache grisonnante. Ismir Selen était un baigneur maigrichon à la peau pâle, vétu en tout et pour tout d’un maillot de bain trop grand. Boris Astro, quant à lui, était un jeune homme filliforme habillé pour l’aventure avec une pokéball à la ceinture et un nosferapti sur l’épaule.
Les photos avaient été prises sur les scènes de crime, comme c’était devenu l’habitude pour ce qui touchait aux témoins des affaires de la police d’Alola. De nouveau, Sigfrid eut une intuition. Il ouvrit en grand le tiroir sur la droite de son bureau et en sortit une loupe. L’approchant de la photo de Josemith, il vérifia ce qu’il espérait être une preuve. Un séléroc flottait derrière le vieux monsieur mais il ne semblait avoir qu’une pokéball à la taille. Sur la seconde photo, le nageur semblait être seul mais n’avait pas pu passer par chez lui pour le déposer entre la découverte du corps et la prise de la photo. Alors où était son pokémon qui avait soi-disant trouvé le corps ? Et, s’il avait vraiment nagé si souvent dans ce lac, pourquoi était-il si pâle ? Observant la dernière photo, l’inspecteur en eut le cœur net. Le témoin avait un nosferapti sur son épaule mais une seule pokéball à la taille. Donc, comme pour Josemith, le soi-disant Boris ne pouvait pas avoir un mastouffe qui aurait trouvé le corps. Continuant sur sa lancée, l’inspecteur Sigfrid alluma son ordinateur. Dès que celui-ci fut allumé, il enclencha une recherche de recoupement. Aussitôt, l’appareil se mit à bourdonner tandis qu’il réalisait la tâche demandée.
- Je te dérange ?
Sigfrid sursauta dans son siège.
- Pardon. Je ne pensais pas te faire peur.
- Ce n’est rien Jisgard – s’excusa le policier -. Mais que fais-tu ici ?
- En réalité, un détail de ton histoire me chiffonne et je voulais en reparler avec toi. Je suis passé par chez toi mais je n’y ai rencontré qu’une très jolie femme. J’ai d’abord cru m’être trompé mais elle m’a confirmé que j’étais bien chez toi. Tu m’avais caché ça, petit cachottier !
Sigfrid rougit un peu. Puis il se demanda pourquoi. Après tout, il était adulte et cela se passait vraiment très bien avec Stéphanie. Il n’avait ni honte ni gène à ressentir.
- La jolie jeune femme m’a dit que tu l’avais prévenu que tu resterais longtemps au bureau. Alors, comme c’était sur ma route, je me suis dit que je pouvais passer te voir.
Un bip sonore retentit et Sigfrid se tourna vers l’écran. Un pavé s’était ouvert au milieu de celui-ci. ‘ Analyse terminée ’ disait-il seulement.
- Tu travailles encore sur la même affaire ? Mes informations t’ont aidé ?
- Elles ne m’ont pas permis de trouver le coupable mais elles m’ont permis de mieux le comprendre. Là, je viens de penser à quelque chose… Et si le coupable avait voulu que l’on trouve les corps ? S’il voulait juste les utiliser pour appeler celui qu’il vénère mais qu’il les respectait quand même au point de ne pas vouloir qu’ils soient oubliés ?
- Ou s’il ne voulait pas vexer celui qu’il cherchait à appeler en créant des esprits vengeurs…
- Comment ça ? – Sigfrid n’avait pas pensé à une autre option mais peut-être y en avait-il d’autres
- Eh bien, si on ne se trompe pas, celui ou ceux qui font ça le font pour attirer le regard de Lunala. Alors peut-être respecte-t-il beaucoup ce qu’il est. Peut-être ont-ils un grand respect pour les spectres aussi. Ils ne voudront donc pas se montrer irrespectueux envers un défunt en le laissant trop longtemps délaissé de soins.
- Hummm… C’est un peu tiré par les cheveux mais pourquoi pas… Toujours est-il que je me suis demandé si les témoins nous ayant montré les corps ne seraient pas de mèche avec le tueur. J’ai donc lancé une analyse pour voir si quelque chose les liaient.
L’inspecteur cliqua sur le pavé. Mais il ne s’attendait pas à avoir ce résultat.
Sur l’ordinateur, la photo des trois témoins étaient affichées avec celle d’une quatrième personne. Un texte simple papillonnait au milieu ; ‘ Erreur : les images rentrées pour analyses correspondent à la même personne. Analyse faciale correspondant à 98% avec Killian Ronuald.’ L’inspecteur cliqua sur le lien du nom. Un fichier rédigé par l’Agent Jenny de l’île Mele-Mele s’alluma.
- Eh bien ! Ce Killian ne semble pas être quelqu’un de très sain… - fit remarquer Jisgard – Agression, voie de fait, … Il ne semble pas violent mais il fait parler de lui.
- Et surtout regarde les commentaires de l’Agent Jenny. Il faisait systématiquement mention de lunes, d’étoiles ou de la nuit. Je pense qu’on tient peut-être notre homme, Jisgard. Il y a une adresse. Je vais m’y rendre avant qu’il ne fasse encore une victime. Désolé mais je dois y aller.
Sigfrid se leva et enfila son manteau, prenant un Nidoran endormi pour le glisser dans son sac. Dans le sac, ainsi roulé en boule, illuminé par le bijou de son front, son pelage avait une teinte turquoise assez inquiétante mais le policier ne s’y arrêta pas et enfila le sac avant de sortir de la pièce.
- Si tu crois que tu vas me laisser attendre là, tu rêves.
- Ça regarde la police. Or tu n’es pas de la police. Donc, tu…
- Je suis officiellement consultant pour la police, grâce à toi, et je travaille aussi sur cette enquête, encore grâce à toi. Donc, je peux t’accompagner à ce titre ! Et, tu veux que je te dise ? Je vais le faire.
- Bien. Ne perdons pas de temps alors.
Sigfrid savait qu’il ne servait à rien de débattre pendant des heures. Son ami était aussi têtu qu’un esprit frappeur.
Ils descendirent par un côté du bâtiment et accédèrent à la zone où les pokémontures de la police étaient gardées. Sigfrid grimpa sur un chevroum, et Jisgard monta sur celui à ses côtés. Les deux pokémon montures trépignèrent un moment puis redevinrent calmes. Celui de Jisgard semblait même un peu plus alerte, comme s’il percevait quelque chose qu’il n’avait pas compris avant.
Les deux chevroums sortirent de l’enclos et se mirent à galoper à vive allure vers l’adresse donnée par le dossier. Sigfrid n’avait pas besoin de parler où de guider sa monture, il lui suffisait, en tenant bien les cornes, de penser très fort à comment arriver depuis leur position jusqu’à sa destination et le pokémon faisait le reste. Les longs sabots rouges des chevroums de la police étaient recouverts d’une sorte de chaussure en matière végétale très souple et résistantes qui leurs permettaient de se déplacer à très vive allure sans faire de bruit. C’est ainsi qu’ils arrivèrent très vite à leur destination sans s’être fait repérés.
- Restez là ! – demanda le policier aux chevroums en descendant, suivi de près par son ami.
Ils se trouvaient devant une grande bâtisse qui avait dû avoir son heure de gloire mais qui, aujourd’hui, n’était plus en très bon état. Les embruns, venant de la falaise contre laquelle elle était adossée avait comme rongé la peinture d’une des façades et le reste de la maison n’était pas plus enviable. Un cri étouffé retentit à l’intérieur de la maison. Sans y réfléchir, Sigfrid courut. Il passa la porte d’entrée en courant et déboula dans le salon sans s’arrêter. Un homme très fin se tenait debout devant une très jeune femme, attaché, bâillonnée et en pleurs. Il tenait dans sa main un grand couteau qu’il avait brandi au-dessus de sa tête.
- Inspecteur Sigfrid, ne bouge plus ! – hurla le policier
Nidoran sauta à terre, parfaitement réveillé maintenant et prit une attitude menaçante. Killian Ronuald partit en courant par la grande baie vitrée au moment où Jisgard arrivait derrière l’inspecteur. Un pitrouille flottait à ses côtés, braquant de longs rayons lumineux devant eux pour illuminer le chemin.
- Vas-y ! Je m’occupe d’elle !
Alors que Sigfrid et Nidoran courait derrière le fuyard, ils eurent juste le temps de voir un petit Ténéfix s’approcher de la victime terrifiée pour essayer de la soigner.
Dehors, l’obscurité était assez opaque mais la silhouette de Killian se découpait sur le bord de la falaise, tournant la tête à droite et à gauche pour trouver une échappatoire qu’apparemment il ne trouvait pas.
- Killian Ronuald ? Je vous arrête pour présomption de meurtre sur trois personnes, séquestration et tentative de meurtre. Rendez-vous calmement.
- Comment m’avez-vous retrouvé ?
- Nous avons percé à jour vos déguisements. Vous n’auriez pas dû rester sur les scènes de crime après vos méfaits. Et je pense que vous n’avez même pas de mastouffe.
- Mes méfaits ? Ce n’était pas des méfaits mais des offrandes ! Des offrandes pour le seul vrai dieu ! Mais ils n’ont jamais compris l’importance de leurs sacrifices. Ni vous d’ailleurs ! – il semblait désespéré et sa voix partait parfois dans les aigus. Brusquement, il sortit une ball de sa ceinture qui grandit avec le bruit habituel.
- Ne faites pas de bêtises. Rendez-vous Killian.
Sigfrid regarda la ball que tenait son suspect. De nouveau, son instinct lui souffla de se méfier.
- Je ne laisserais pas un impie me mettre la main dessus aussi facilement ! Mais vous savez, inpecteur ? Vous aviez tord pour beaucoup de choses sauf pour une. Je n’ai jamais eu de mastouffe.
La ball tourna un instant en l’air et, à la lueur rougeoyante de son ouverture, le policier vit la couleur vert et noir en motifs ronds sur sa surface et comprit que ce qui en sortirait serait terriblement pire qu’un mastouffe. Seulement à cet instant, il se rendit compte qu’il avait laissé ses pokémon au poste, dans la précipitation.
La créature qui s’éleva dans les airs était gigantesque. Même dans le noir, Sigfrid reconnut la silhouette géante, les ailes membraneuses, les oreilles immenses, les griffes acérés, la queue pointue. Il eut à peine le temps de reculer avant que son adversaire ne hurle à l’immense bruyverne d’attaquer :
- Bruyverne ! Ne te retient pas ! Dracochoc !
Le colossale pokémon Ondes entrouvrit sa mâchoire et une lueur dangereuse s’y alluma, enflant à chaque seconde. Puis, avec un hurlement strident, une puissante rafale d’énergie draconique émergea de sa bouche, lancée à pleine puissance vers le policier. La violence du souffle dirigé contre lui, terrorisa l’inspecteur.
Et c’est à ce moment précis que quelque chose d’impensable arriva. Nidoran sauta devant Sigfrid et se campa sur ses pattes. En moins d’une seconde, son bijou scintilla puissamment, l’enveloppant d’une lueur boréale étonnante. Dracochoc frappa en plein centre de la lueur qui éclata en une brume froide, projetant le policier contre le mur derrière lui. De cette brume, Nidoran émergea au galop. Il sembla à l’inspecteur que sa corne s’était dédoublée, affutée et luisait dans l’obscurité. Le dos de Nidoran lui paraissait comme couvert de givre arrangé en trois rangées de pics tranchants et ses pattes arrière portaient des excroissances glacées. Mais l’impact de l’attaque du bruyvern l’avait sonné et il ne savait plus trop ce qu’il voyait.
Nidoran sauta et frappa violemment à la poitrine le géant volant. Celui-ci s’effondra u ralentit sur son dresseur et tous deux passèrent par-dessus le bord de la falaise. Ce fut la dernière chose que vit Sigfrid cette nuit-là avant de perdre connaissance.