La réponse vient de l'au-delà
Comme l’avait supposé Stéphanie, la nuit lui avait porté conseil. Après avoir prévenu le poste de ses dernières découvertes, il s’était replongé dans son enquête avec une nouvelle vision des choses.
Les trois dossiers complets étaient affichés sur des tableaux en liège géants au commissariat. Il connaissait maintenant le lien entre les trois affaires. Il savait que c’était bien une seule et même personne et, bien qu’il ne la cerne pas et qu’il ne sache pas ce qui la motivait, il avait déjà quelques éléments de réponse.
Il savait que le coupable voulait que l’on voit son œuvre, qu’il avait fait des étoiles avec ce qu’il avait sous la main pour chaque victime, qu’il les disposait toujours sur une surface réfléchissante et, Sigfrid l’avait compris il y a peu, que toutes les victimes avaient étaient déposées sous le ciel nocturne. Chaque corps avait subi sa mise en place sous la lumière des étoiles et trouvés au petit matin. Même la première victime avait été déposée dans une maison sans toit, pour être sous le ciel de nuit.
Pour le policier, tout cela semblait trop mystique pour lui. Mais il savait qui interroger et il était en ce moment même devant son magasin.
Jisgard était ce que beaucoup qualifiaient de mystimaniac. Il adorait tout ce qui touchait à l’au-delà, au mystique, à l’étrange et à ce que le simple regard ne pouvait expliquer. Sigfrid l’avait rencontré il y a de cela quelques temps, durant une enquête pendant laquelle il avait dû convaincre une grande partie des gens concernés que la victime d’un meurtre n’avait pas été tuée par un spectre. Jisgard était alors arrivé et, contrairement aux premières suppositions de l’inspecteur, avait tout fait pour démontrer que le tueur était on ne peut plus humain. Il s’avérait que bien que le jeune exorciste possède une connaissance quasi-encyclopédique de tout ce qui est mystérieux, il veut absolument montrer à tous que ce que nous ne voyons ou ne comprenons pas ne nous veux pas de mal. Pour cela, il comptait bien prouver à tous que le mal était humain. Sigfrid avait apprécié ce point de vue et, bien qu’ils ne fussent pas toujours d’accord, ils se retrouvaient parfois le soir pour discuter de nombreux sujets autour d’un repas. Malgré une amitié naissante, l’inspecteur ne se sentait jamais vraiment à l’aise lorsqu’il se rendait dans le fonds de commerce du jeune ami des fantômes. Il y avait toujours un grand nombre de pokémon ténèbres, spectres et psys qui rôdaient autour et cela ne lui plaisait pas plus que de raison.
Nidoran à ses côtés, le policier se rendit d’un pas pressé à la porte du petit magasin qui annonçait, avec une vieille pancarte en bois aux teintes étranges ‘Là où l’occulte rencontre le visible pour donner le merveilleux’. Un plus petit écriteau, près de la poignée disait ‘Pas de pokémon ténèbres à l’intérieur s’il vous plaît’. Sigfrid rentra, accompagné d’un petit tintement de clochette sinistre.
Et comme à chaque fois qu’il passait le seuil, un frisson le parcourut et il eut l’impression de se trouver dans un autre monde. Partout autour de lui, de gigantesques étagères en bois étaient recouvertes de livres, de grimoires et de parchemins, eux-mêmes parsemés de symboles parfois incompréhensibles et d’images à glacer le sang pour la plupart. Malgré un ordre impeccable et une propreté impossible à mettre en doute, Sigfrid se sentait à l’étroit, oppressé par quelque chose qui s’agitait à la lisière de son esprit et de son imagination. Il marcha doucement jusqu’au comptoir, Nidoran sur ses talons.
- J’arrive. – hurla quelqu’un depuis la réserve.
L’inspecteur tenta de ne pas faire attention au fantominus qui flottait au-dessus d’une des étagères et préféra faire attention plutôt à un magnifique objet poser sur le meuble, près de la caisse. Il s’agissait d’une sorte de petite sculpture marron et grise à la forme oblongue qui n’était pas sans rappeler le corps d’un insecte qui aurait été, en réalité, très étrange. Ce qui lui aurait servi de queue était replié sur le devant du corps, tandis que la représentation de ses pattes était plaquée contre son abdomen, dans une position placide et inoffensive. Une paire d’appendices dépassaient dans son dos, similaires à des ailes en lambeaux mais avec une texture solide. Deux petites cornes pointaient sur son crâne allongé, juste sous une sorte de petit anneau blanchâtre. En y regardant de plus près, l’anneau en question ne semblait pas reposer sur un support et paraissait flotter au-dessus de ce qui serait la tête de la sculpture. Sceptique, Sigfrid fit plus attention et nota que la sculpture en elle-même semblait stagner à quelques centimètres au-dessus du bois du comptoir. L’inspecteur avait l’impression que les fentes servant d’yeux à la sculpture totalement immobile étaient comme fixés sur lui. Le regard qu’il imaginait braqué sur lui le rendit un peu plus mal à l’aise et bientôt il se sentit avoir quelques vertiges. Il se préparait à repartir lorsque Jisgard apparut, les bras chargés de livres.
- Munja, on a déjà discuté de ça. Ne fixe pas les gens comme ça.
À la surprise du policier, la sculpture ressemblant à une étrange mue d’insecte émit un son proche d’une cymbalisation de cigale, en plus gutturale et plus lugubre. Puis il flotta en ligne droite parfaite et sortit de la pièce.
- Excuse-le. Il est quelque fois assez impressionnant mais il ne s’en rend pas compte.
Le sourire désarmant de Jisgard fit fondre la glace qui semblait s’être formé autour de Sigfrid. Contrairement à ce que sa passion aurait pu laisser penser, Jisgard ne portaient pas de vêtements sinistres ni ne rappel à la mort. Bien au contraire, il portait un jean assez simple et noir, une chemise grise anthracite et une sorte de longue capeline recouvrait ses épaules. Cela lui donnait une apparence, certes étonnante mais qui lui collait comme un gant. Ses cheveux mi- longs, couleur ébène rajeunissait son visage déjà assez juvénile et il semblait impossible de lui donner un âge. L’inspecteur nota qu’un funécire trônait sur l’épaule du jeune homme et que même si sa flamme violacée était en contact avec la chevelure de celui-ci, il ne prenait pas feu. Pour ce qu’il en savait, cela impliquait une grande confiance entre les deux.
- Et que me vaut le plaisir de ta venue dans mon antre ?
- ‘Antre’ me semble, en effet, le mot approprié…
- Tu dis ça parce que tu n’es pas habitué – il sourit de nouveau. Cela lui arrivait très souvent – Personnellement, je suis rempli d’un sentiment de solitude très déplaisant si je reste trop longtemps loin de mon chez-moi et de ses occupants.
Il prit une baie dans un tiroir qu’il tendit sous son bureau. Sigfrid n’y voyait que de l’ombre mais, avec un bruit mouillé, la baie disparut aussitôt. Le policier frissonna et reprit la parole tandis que le vendeur tendait une baie à son funécire.
- J’aurais un service à te demander. Je travaille sur un cas qui me donne du fil à retordre et je pense que tu es le mieux placé pour m’aider à démêler ce sac de nœud. Tu aurais un moment ?
- Pour toi et une enquête nécessitant mon aide ? Toujours – et un sourire.
- Comme d’habitude, tu sais que tu n’as pas le droit de répéter ce que je te dirais.
- Je serais muet comme une tombe. Ou plus. Certaines sont assez bavardes. – il fit un clin d’œil à Sigfrid et celui-ci préféra ne pas demander s’il blaguait ou non.
Ils allèrent s’installer derrière, dans un petit bureau cosy où Sigfrid sortit tous les documents qu’il avait apporté. Il les parsema doucement sur la large table trônant au milieu de la pièce. Jisgard prépara une infusion de baies dont il tendit une large tasse à son invité. Nidoran se mit à jouer dans un coin de la pièce avec un feuforêve et, Jisgard ne semblant pas réagir, Sigfrid les laissa faire.
- Voilà ce qu’on a. Quelqu’un tue des gens en apparence totalement différents, sans liens entre eux, sans passé ou présent commun. Il ne les tue pas de la même façon, même s’il ne tue apparemment pas de façon cruelle. Il ne les dépose pas dans les mêmes lieux, ni même dans des lieux associés à leurs vies. Par contre, il y a des similitudes que j’ai tardé à voir mais qui me semblent aujourd’hui flagrantes. Il les dépose en positions recroquevillés sur eux même, sous le ciel étoilé. Mais le plus étrange et qu’il dispose de petits éléments autour d’eux, pour imager des étoiles. Selon la scientifique, ses représentations de la carte stellaire sont correctes à moins de 23% mais je pense qu’il doit avoir des notions d’astronomie. Et toutes les victimes étaient sur une surface réfléchissante. Le plus souvent de l’eau mais aussi de la bave de mucuscule.
Le policier ayant vu le visage de son ami changer peu à peu, pâlir et s’éteindre, il savait que celui-ci tenait quelque chose dès la mention des étoiles. Mais lorsqu’il avait parlé des surfaces miroitantes, Jisgard avait eu comme une étincelle dans le regard. C’est pour cela que l’inspecteur ne réagit pas lorsque le médium, se leva d’un bond pour grimper à une échelle coulissante, adossée à une de ses bibliothèques. Il chercha pendant un moment et revint au bout de quelques minutes avec un énorme volume relié dans du cuir. Ainsi que plusieurs plus petits. En silence, il les ouvrit à des pages en particulier, cherchant les informations dans les sommaires. Sigfrid savait maintenant qu’il était impossible de l’arrêter maintenant qu’il pensait avoir trouvé. Jisgard allait sortir chaque information qu’il trouverait avant de se calmer. Et le policier ne l’avait jamais vu aussi énergique. Alors Il but tranquillement sa tisane pendant que son ami courait partout dans la pièce ouvrant de plus en plus de livres sur la table.
Enfin, il se calma et vint se poster près de l’inspecteur. La table avait totalement disparue sous une pile de livres de différentes époques et factions, tous ouverts à des pages très précises. Jisgard prit la parole avec une voix pleine d’une excitation qu’il savait mal venue mais qu’il n’arrivait pas à retenir :
- Tu sais, contrairement à ce que beaucoup disent, je ne suis pas un fana de ce qui n’existe pas. J’adore ce que beaucoup ignorent ou décident d’ignorer. Mais je ne crois pas en ce que je ne vois pas ou ce dont je n’ai pas de preuves de l’existence. À une exception près.
Sigfrid était attentif. Il attendit que son interlocuteur continue sans chercher à le presser ou à l’interrompre.
- Je pense que les légendes et les mythes reposent sur un fond de réalité. Lorsque tu as parlé d’étoiles, j’imaginais déjà des choses folles mais je n’avais pas compris… C’est lorsque tu as parlé de miroir et d’étoiles reflétées.
Jisgard regardait le policier comme s’il s’attendait à ce que celui-ci réalise tout à coup. Et, bien sûr, ce ne fut pas le cas.
- Éclaire-moi.
- Je pense que tu te trompes sur un point. Le tueur ne s’y connaissait pas forcément en étoiles. Et je pense que tes calculs de similitudes sont faux aussi. Il n’a pas fait la position des étoiles de tête. Il les a copiées. Tu comprends ?
- Non. Désolé mais toujours pas.
Cette fois, Jisgard semblait plein de fougue.
- Il a positionné des éléments sur les reflets des étoiles. C’est pour ça qu’il y a si peu de correspondance. Essaye d’inverser les images de ses positionnements et je suis prêt à parier que la correspondance devrait être quasi-parfaite avec celle du ciel étoilé du soir de la mort.
- En fait, c’est tout à fait cohérent. – Sigfrid s’en voulu encore une fois de ne pas y avoir pensé tout seul – Et ça t’es venu tout seul ?
- Non. – Jisgard tenta de faire une pause dramatique mais il ne tint pas longtemps. Son sourire était celui d’un enfant à la veille de Noël – Je le tiens de Lunala. Ou Runaāra. Ou quel que soit le nom que tu veux lui donner.
- Je suppose que je devrais savoir de quoi il s’agit mais là, je sèche…
- Certains l’appellent le pokémon Halo Lunaire, d’autres le Spectro-bouclier mais ceux qui l’adorent le nomment ‘Celui qui invite la lune’… Son appellation est aussi impressionnante que lui… - maintenant, Jisgard avait les yeux étincelants – Si les légendes disent vrai, il s’agirait d’un pokémon spectre et psy aux pouvoirs incroyables. Bien entendu, personne ne l’a jamais vu alors il s’agit peut-être d’un simple mythe… Mais j’aime à croire que, comme Lugia dont on ne croyait pas à l’existence et qui s’est pourtant montré à tous il y a quelques temps, Lunala existe vraiment et que, quelque part, il attends son heure pour venir se dévoiler à nous…
- Très bien… Mais je ne vois pas trop le lien avec mon enquête pour être honnête. - Sigfrid se sentait mal de le couper dans son monologue enthousiaste mais, pour l’heure, cela ne l’aidait pas vraiment à arrêter le coupable.
- J’y viens. Le nom de Lunala change souvent selon les gens et les localités mais sa forme, elle, est la même dans toutes les légendes – il tendit un des livres devant l’inspecteur -. Il s’agit d’une sorte de chiroptère géant, comme un rhinolove aux dimensions impressionnantes. Mais le plus important est sa forme circulaire, aux rebords dorés – il fit une pause avant de rajouter – et la membranes de ses ailes, qui ressemble à un énorme miroir réfléchissant les étoiles environnantes.
Cette fois, Sigfrid comprit. La coïncidence était beaucoup trop importante pour n’être que cela. Les corps offerts à la nuit, les reflets des étoiles, la représentation de ce reflet, la surface miroitante, tout y été. Il se frotta le menton, pensif. Plus loin, Nidoran et son nouvel ami feuforêve arrêtèrent de jouer et se rapprochèrent, sensible au changement d’atmosphère.
- Je comprends mieux ta réaction… Mais les meurtres ne sont pas dus à ce Runala –il n’arrivait pas à bien prononcer le nom de ce presque-dieu mais, pour l’heure, peu lui importait-. Peu importe son pouvoir, je ne vois pas un pokémon capable de tant de technique et surtout d’assez de cruauté pour tuer un être humain…
- Je suis d’accord avec toi. Les textes anciens racontent autant de mal que de bien sur Lunala – il appuya bien sur le nom, rappelant à l’inspecteur qu’il avait mal vocalisé -. Pour ce qui est de ses adorateurs par contre… J’ai entendu parler d’un petit groupe de gens qui se fait appelé la Team Dark. Ils sont assez étranges pour le reste. Ils semblent vénérer le Halo Lunaire plus que nécessaire et croient que répandre les ténèbres sur l’univers serait meilleur pour tous. Je ne crois pas que c’est ce que Lunala voudrais mais ça ne me regarde pas. J’en viens au point capital. Crois-moi ou pas mais des esprits m’ont rapporté divers échos. Il paraît que certaines personnes croient en certains des adages de cette Team Dark un peu trop fort.
- Je suis tout ouïe.
Et c’était vrai ; Sigfrid avait sorti un petit carnet et prenait plein de notes qu’il se promit de vérifier dès que possible. Il dessinait maintenant un croquis de Lunala sur une page vierge mais continuait à prêter une oreille attentive à ce que disait son ami.
- Ce sont les Fils de la Nuit Étoilée. Pour le peu d’informations qui ont fuité jusqu’à moi, il semblerait qu’ils vénèrent véritablement Lunala comme un dieu. Ils ont des rituels, des cultes, des réunions nocturnes…Et surtout… Ils lui font des sacrifices, comme dans l’ancien temps. Je ne sais pas ce qu’ils veulent mais je crois qu’ils veulent en quelque sortes invoquer Celui qui appelle la lune peu importe ce qu’il fera après. Ce sont des vrais fanatiques, à mon avis. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est leur œuvre mais cela ne m’étonnerait en rien pour être franc… Et ils ternissent l’image de Lunala !
- Je comprends ce que tu veux dire et je suis assez d’accord avec toi, Jisgard.
Le carillon de la porte d’entrée sonna doucement et Jisgard se leva. Il avait encore l’air comme ému mais il tenta de se reprendre au plus vite.
- J’arrive – hurla-t-il à l’adresse du nouvel arrivant.
Il remit en place sa petite cape noire et arrosa au passage un arbre en pot qui frémit sous la pluie rafraichissante de l’arrosoir. Sigfrid compris qu’il s’agissait là d’un desséliande juste avant de croisé le regard de son œil rouge sang ce qui lui permit de retenir le petit cri surpris. Ce qui ne fut pas le cas de Nidoran qui suivit son maître jusqu’à l’avant de la boutique.
- Merci Jisgard, tu m’as vraiment beaucoup aidé. N’hésites pas à me recontacter si tu en as besoin ou si tu le souhaites !
- Merci à toi de m’avoir permis de parler du Halo. Si tu veux plus d’informations, j’en serais ravi.
Sigfrid sortit dans la rue et frissonna. Il eut l’impression, pendant un court instant qu’il était plus à l’abri dans la petite boutique qu’à l’air libre. Le soleil brillait fort dans le ciel et réchauffa peu à peu son esprit et son corps. Serrant et caressant le petit pokémon, Sigfrid attrappa Nidoran et le remis dans le petit sac à dos où était sa place lors de ses excursions en moto. Il fit vrombir le moteur du véhicule et démarra en trombe. Il préférait les montures pokémon mais sa moto lui faisait beaucoup de bien de temps à autre. Nidoran piailla de plaisir depuis sa sacoche.
- Et maintenant, il est temps de coincer les coupables.