Le savoir c'est le pouvoir
L’inspecteur regarda tout autour de lui. C’était quelque chose qu’il appréciait de faire lorsqu’il le pouvait. Bien avant de commencer un interrogatoire, il aimait essayer de comprendre, de se mettre dans la peau de la victime ou de celle des suspects. Et à ce niveau de l’enquête, toute personne interrogée était un suspect.
Une, dans le cas présent. En effet, il allait interroger la veuve qui n’était pas encore au courant ; il voulait voir sa réaction en direct lorsqu’elle apprendrait pour son défunt mari.
Regardant tour à tour à droite et à gauche, il observa les maisons qui se succédaient. Toutes les mêmes en l’occurrence. De grandes maisons aux dimensions impressionnantes, aux murs beiges et à la pelouse outrageusement verte sur cette île où la quasi-totalité de la surface était recouverte de désert. De gigantesques baies vitrées se dressaient sur une large part de la façade des maisons dans lesquelles, Sigfrid n’en doutait pas, la climatisation tournait à fond pour que les occupants ne soient pas dérangés par la chaleur sèche qui régnait en maître dans la région. Chaque fenêtre était partiellement occultée par de riches tentures qui traînaient sur le sol en marbre de luxe ou en parquet de bois rares.
Nidoran piaffa dans la sacoche que l’inspecteur portait à l’épaule. Il était lourd mais surtout, il avait chaud. Ce petit couinement rappela à Sigfrid qu’il ne devait pas se faire d’idées avant de commencer à interroger les suspects.
Enfin, il arriva devant la maison qu’il devait. Il arrêta sa moto dans l’allée de la maison, absolument identique à toutes celles autour. Il alla frapper à la porte et attendit. La porte s’ouvrit au bout de quelques secondes à peine et un homme vêtu en costume, avec de larges favoris blancs invita l’inspecteur à entrer.
- Madame vous attends, Inspecteur Sigfrid.
Essayant tant bien que mal de ne pas paraître trop surpris, Sigfrid suivit le majordome à travers la maison aux murs blancs. Ils ressortirent à l’arrière de la bâtisse pour arriver dans un jardin de taille plus que conséquente. Au milieu, un enfant en bas âge jouait avec un tarsal tandis qu’un gardevoir les observait avec une attention toute maternelle. Dans un coin, la mère du petit tentait de faire bonne figure avec une amie à ses côtés. La jeune femme était élancée et fine, avec de longs cheveux noirs coulant sur le dos de son siège. Un chapeau en paille au bord très large et de très grandes lunettes de soleil cachaient une grande partie de son visage mais son corps athlétique était mis en valeur dans une robe en lin clair. Son amie, elle était habillée en tailleur bleu marine, les cheveux blonds retenus en arrière en un chignon strict. Sigfrid n’eut même pas besoin des présentations pour savoir que, plus qu’une amie, il s’agissait d’un des très rares membres de cabinets d’avocats d’Alola. Aux vues de leur coût, la suspecte devait être encore plus aisée qu’il ne l’avait estimé.
À peine arrivés, Nidoran sauta des bras de l’inspecteur pour aller jouer avec le tarsal et l’enfant. La mère du petit ne réagit pas. Elle regarda l’inspecteur avant de lancer, d’une voix agréable mais où la tristesse perlait :
- Je sais pourquoi vous êtes là inspecteur. Le commissaire général m’a appelé.
Cela expliquait déjà bien des choses…
- Toutes mes condoléances… Je suis là pour vous poser quelques questions si vous le permettez… - la jolie femme hocha imperceptiblement la tête – Vous êtes bien Madame Elonie Volchin, femme de Monsieur Marc Volchin ?
- Vous le savez bien, non ? – aboya-t-elle presque. L’inspecteur était habitué à ce genre de réactions. La douleur de la perte était souvent assez intense.
- Oui, Madame. Mais je me dois de suivre un protocole. – l’avocate posa doucement une main sur le bras de son amie.
- Oui, c’est bien moi.
- Savez-vous ce qui est arrivé à votre mari ?
- Il est mort.
- Oui… Bien sûr… Mais savez-vous plus exactement…
- Je pense qu’il n’est pas nécessaire de continuer sur cette voie, Inspecteur – l’avocate avait une voix bien plus douce et agréable que ne le laissait supposer son air strict -. Peut-être pourriez-vous passer à une autre question…
- Bien sûr. – il ne servait à rien de ce mettre la suspecte ou son avocate à dos – Où étiez-vous, hier soir, entre 22h00 et 01h00 ?
- Avec moi. Et je peux le jurer sous serment.
- Oui – la veuve secoua la tête – J’étais ici, avec Stéphanie. Nous fêtions l’acquisition d’une petite propriété dans un coin frais.
- Pour vous-même ou pour votre mari ?
- Pour moi. Je voulais monter un petit commerce d’objets locaux sur la plage de l’île la plus proche et nous avions obtenu un petit bâtiment coquet près de la mer…
- Pourquoi ne pas acheter un grand magasin avec l’argent de votre mari ? – l’avocate lui jeta un regard noir. D’une certaine façon, cela lui allait bien.
- Ma cliente n’a nullement besoin de…
- Non. Laisse. – elle sembla reprendre son souffle – Je voulais juste passer le temps. Ici, je n’ai rien à faire. Je m’ennuie à mourir. Lorsque mon mari a pris sa retraite à Devon Sarl, je pensais que nous passerions plus de temps ensemble, qu’il serait plus à la maison… Mais en réalité, il n’a pris sa retraite que sur le papier. Il continue de travailler comme consultant pour la boîte et le peu de temps libre qu’il a, il l’utilise pour faire de la draconologie… Il était d’ailleurs allé observer un nid de Mucuscule lorsqu’il a … - sa voix se brisa et son amie la serra dans ses bras…
- Je pense que vous devriez revenir une autre fois, Inspecteur…
- Bien…
Sigfrid se leva doucement.
- Encore une fois, toutes mes condoléances, madame.
Et il repartit en faisant le tour par l’extérieur de la maison. Aucun interêt de repasser par le gigantesque hall, il avait déjà pas mal d’éléments et il ne voulait pas attraper un chaud et froid. Nidoran arriva à sa hauteur en trottinant, comme si de rien n’était, prêt à partir. Au milieu du jardin, tarsal et le petit garçon lui faisait de petits signes d’au revoir.
Longeant la maison, l’inspecteur était presque arrivé à la rue lorsqu’une voix mélodieuse l’arrêta net.
- Inspecteur Sigfrid ?
- Désolé. Je ne voulais pas déranger votre cliente.
- N’en parlons plus. Elle vient de subir un énorme choc. Mais en réalité, cela fait un moment que Marc et Elonie ne vivent plus vraiment ensembles… Ils se côtoient tout au plus… Donc j’espère qu’elle se remettra très vite…
- Très bien. Merci pour votre aide. – il fit mine de partir mais se retourna presque aussitôt – Une dernière question toutefois… Vous et Madame Volchic… n’êtes qu’amies ? Aucun autre type de relation ne vous lie qui pourrait influencer votre jugement ?
- Absolument pas. – elle l’énonça comme un fait, pas du tout gênée – Nous sommes très bonnes amies et confidentes. Depuis très longtemps. – elle sourit puis fouilla dans une poche intérieure de sa veste. Elle sortit un petit bout de carton sur lequel plusieurs informations semblaient écrites dont son nom, son numéro de Vokit et ses contacts de son cabinet – Et je peux même vous le prouver si vous le souhaitez ? Autour d’un diner peut-être ? – le sourire qu’elle fit alors fit frémir quelque chose dans la poitrine de l’inspecteur. – N’hésitez pas à m’appeler si vous avez des questions. Ou juste pour m’appeler.
Et sans plus rien ajouter, elle fit demi-tour et retourna auprès de son amie. Sigfrid prit une grosse inspiration et rejoignit son véhicule. Il souleva Nidoran pour l’attacher sur son siège.
- Oh ! Ne me regarde pas comme ça, petit fripon… C’est juste pour l’enquête…
Mais il allait sûrement la rappeler se dit-il. Et ce ne serait sûrement pas pour l’enquête.
Pour l’heure, il y avait des choses plus importantes. Il devait allait au siège de la Devon Sarl pour voir le genre d’opinion que le patron de la société pouvait avoir de la victime. Mais en arrivant, on lui indiqua que celui-ci était parti assister à un concours. L’inspecteur décida de le questionner directement là-bas.
En arrivant au bâtiment gargantuesque dans lequel plusieurs concours avaient lieu en même temps, Sigfrid se demanda encore une fois l’intérêt de ce passe-temps, qui tournait, pour certains, à l’obsession. Il n’avait jamais vraiment adhéré au principe et, même s’il respectait ceux qui y participaient, il trouvait les fans de l’activité souvent très superficiels. Mettant de côté ces opinions et ayant expliqué à l’accueil que non, il ne venait pas participer avec son ‘adoraaaaaaaaaaaaable’ Nidoran mais qu’il venait interroger quelqu’un, il se dirigea vers l’amphithéâtre dans lequel le concours de sang-froid avait lieu. La pièce était bondée mais Sigfrid savait où aller. Se dirigeant vers la petite alcôve protégée, au centre de la pièce, il montra son badge et l’accès lui fut ouvert.
À l’intérieur, un homme d’un âge avancé regardait une multitude de cadrans devant lui. Des ordinateurs, des écrans, des outils et nombre d’autres gadgets trônaient autour de lui tandis qu’il grommelait dans sa barbe. Lorsqu’il entendit la porte, il releva la tête et l’inspecteur eut tout loisir de l’étudier pendant qu’il posait ce qu’il avait entre les mains et se frottait les paumes avec un chiffon. C’était un homme assez grand et fin, pas comme un squelette mais plutôt comme quelqu’un qui fait assez attention à son poids pour ne pas devenir gros mais assez peu pour profiter un peu de la vie. Contrairement aux sempiternel costumes élimés marrons et aux chapeaux ronds que portaient tous les hommes d’un certain âge dans l’amphithéâtre, le président de Devon Sarl portait un très beau costume sur mesure de couleur bleu foncé, tirant sur le noir et une chemise incroyablement blanche vu ce à quoi il s’attelait, peu importe ce que cela devait être. Il se lava les mains de façon énergique et serra aussitôt la main du nouveau venu.
- Oh ! Quelle poigne de main franche et forte ! Je vous apprécie déjà, jeune homme ! En quoi puis-je vous aider
- Bonsoir, Monsieur. Je suis l’inspecteur Sigfrid. Je voudrais vous poser quelques questions mais je ne voudrais pas vous déranger pendant vos… divertissements – déclara le policier en montrant la scène du menton.
Cette technique marchait à tous les coups. La majorité des gens coupables le laissaient posé les questions pour faire bonne figure et les autres acceptaient pour ne pas paraître suspects. Mais comme il leur laissait le choix, ils se sentaient plus libres et confiants en sa présence. Comme prévu, le vieil homme lui proposa un siège et s’installa lui-même sur un grand fauteuil.
- Si vous parlez des concours, je les abhorre.
- Vraiment ? – Sigfrid ne put retenir sa surprise
- Oui. Ce ne sont là que des compétitions puériles pour prouver à qui veut l’entendre que les apparences valent mieux que l’intellect selon eux. Ils ne cherchent qu’à montrer combien la superficialité a plus de valeur à leurs yeux qu’autre chose ! Et ils se pavanent, fiers d’eux, fiers d’objetiser des êtres capables de tant de merveilles !
L’inspecteur n’arrivait pas à en croire ce qu’il entendait.
- Je sais – poursuivit le senior –, je me laisse parfois emporter. Et je m’excuse si j’ai pu blesser vos opinions.
- Oh non Monsieur ! Vous avez plutôt mis des mots sur mes idées.
- Je t’aime bien, jeune Sigfrid. Mais appelle moi Karl et laisse tomber les ‘Monsieur’. J’ai l’air vieux mais je peux encore te botter le derrière si tu me prends pour un pépé sénile fan d’idoles et de pokémon en tutu !
Sigfrid ne put retenir un petit ricanement.
- Mais alors, que faites-vous ici, mons… Karl ?
- Je travaille sur un nouvel outil. Ce petit gadget – déclara-t-il – est un prototype d’un nouveau système. Il se met sur le dessus du crâne d’un pokémon et permet à celui-ci de faire appel à plus de ses capacités pour peu qu’il fasse preuve d’une qualité hors norme. Dans le cas précis, de sang-froid par exemple. Mais pour l’heure je ne vois que sang-froid apparent, et aucune réelle motivation. Donc je vais sûrement abandonner l’idée et trouvé d’autres projets… Mais dis-moi donc ce qui t’amène ici, dans ton cas.
Sortant deux tasses d’une table basse, le vieil homme servit deux infusions de baies. Il força l’inspecteur à en prendre une tandis qu’il sirotait la sienne.
- Je suis venu vous demander si vous connaissiez bien Mr. Marc Volchin.
- Oh ! Marc ! Oui, oui… il est arrivé très peu de temps après mois dans la société et il était toujours plein de très bonnes idées… C’est d’ailleurs pour cela qu’on n’a pas voulu le lâcher, même à la retraite ! – et il rigola à un souvenir personnel – Que lui arrive-t-il encore ? Il a volé un œuf de bébécaille pour sa collection personnelle de dragons ?
- En vérité, Karl, je suis au regret de vous dire que Mr. Volchin est mort. Très certainement de cause non naturelle. Et j’enquête afin de comprendre ce qui s’est passé.
- Mais qui pouvait bien en vouloir à Karl ?
- C’était ma question suivante, à vrai dire…
Ce fut le moment que choisis Nidoran, jusqu’alors immobile derrière le siège de son maître, pour sauter sur les genoux de Sigfrid et tenter de boire son infusion.
- Quel magnifique spécimen ! – s’exclama Mr. Devon comme si la conversation précédente n’avait pas eu lieu. – Me permettriez-vous de le scanner très rapidement ? De façon totalement indolore, évidemment…
- Bien sûr … -accéda l’inspecteur, prit de court
En quelques instants, le vieil home avait sorti plusieurs petits objets qu’il plaça autour de Nidoran et qui commencèrent à bourdonner doucement. Le petit pokémon stressa un instant mais se laissa faire dès que le scientifique lui offrit un petit plat de baies multicolores. Aussitôt, Karl Devon reprit une mine triste et déclara :
- Personne ne pouvait en vouloir à Marc. Il n’a jamais rien fait de mal, jamais blessé qui que ce soit. C’était le genre de type qui offrait un repas ou un petit cadeau de compensation à ceux qui perdaient un combat contre ses sempiternelles pokémon dragon… Et, puisque c’est sûrement votre prochaine interrogation, j’étais dans mon atelier hier et avant-hier toute la journée, quel que soit l’heure que vous voudrez savoir. Je demanderais à ma secrétaire de vous faire parvenir les enregistrements des caméras de sécurité pour confirmer.
- Je… Merci, Monsieur…
- Je vais même vous dire, je vais demander à ce que les alibis de chacun de mes employés soient prouvés pour vous faciliter la tâche.
- Vous devez avoir une totale confiance en chacun d’eux pour me proposer cela…
- Tout à fait. Chacun de nos employés est quelqu’un de confiance et peu sont ceux qui pourraient ne serait-ce que regarder un grotadmorv’ sans vouloir le câliner ou l’étudier. Ils ne feraient pas de mal à un chenipotte. Et ils n’ont sûrement aucune raison d’en vouloir à ce pauvre Marc. Que lui est-il arrivé ?
- À vrai-dire… Nous n’en sommes pas certains. Les causes de sa mort restent très étranges et nous continuons à chercher des réponses…
- En tout cas, n’hésitez pas à me demander mon aide si le besoin se fait sentir.
- Merci, Karl. Puis-je vous poser une autre question ? Comment se passait la vie de Mr. Volchin ? Avait-il des tensions avec sa femme ? Des aventures peut-être ?
- Rien de tel… Marc était quelqu’un de simple. Il venait tous les jours au travail pour donner son avis éclairé et son expertise sur toutes sortes de projets et de prototypes. Le reste du temps, il cherchait par tous les moyens comment se procurer des pokémon dragons pour comprendre comment ils réagissent et vivent. Une véritable passion chez lui… Quant à sa relation avec Elonie… Elle n’était pas des plus évidentes mais ils s’aimaient et étaient heureux même s’ils ne se voyaient pas souvent.
- Merci pour votre avis. Si vous repensez à quelque chose d’étrange ou de suspect, n’hésitez pas à me contacter sur mon Vokit, Karl.
- Avec grand plaisir. – il semblait franc.
Le vieil homme l’accompagna jusqu’à la porte et c’est au moment de sortir que Sigfrid lui déclara :
- Je vais trouver celui qui a fait ça. Je vous le promets.
Mr. Devon acquiesça. Dehors, le brouhaha était incroyable. Le concours venait de se finir et les gens acclamaient le vainqueur. Sigfrid, Nidoran sur les talons, sortit de la salle concours sans même se retourner. Quelque chose le dérangeait dans toute cette histoire…
Le président de Devon Sarl le héla alors qu’il allait quitter le bâtiment.
- Inspecteur ?
Sigfrid eut juste le temps de se retourner pour voir le sénior lui lancer quelque chose. Un petit objet argenté et émeraude atterrit dans sa main.
- Garde ça, jeune homme. Et vois si tu peux en faire bon usage !