« Time flies over us, but leaves its shadow behind. »
Les premières émeutes avaient eu lieu il y a une heure, à peine, et elles menaçaient déjà les hauts de Givrecime. Arden n’avait pas attendu plus de temps que ça pour fuir la plus haute montagne d’Alola, voulant à tout prix trouver un abri pour ses enfants avant que les hordes n’arrivent pour les faire taire à jamais. Jamais la Feunard n’aurait pu imaginer que les relations entre les habitants des îles puissent aller si mal pour plonger l’archipel dans une guerre qui laisserait à jamais ses marques sur les générations concernées, qui les hanteraient avec les images d’horreur qu’elle pouvait leur laisser. Arden chassa la vision de ses deux fils torturés par leurs souvenirs de son esprit en fermant violemment des yeux, tandis qu’elle continuait de courir en direction des grottes de la montagne. Fort heureusement, elle connaissait l’emplacement de l’une d’elles, mais elle craignait de se perdre dans le réseau souterrain, ou pire : tomber sur les rebelles. Elle ne savait pas de qui se méfier, ce qui n’arrangeait pas la psychose dans laquelle elle tombait peu à peu. Seul son instinct de mère semblait la raccrocher à sa survie.
Un regard emplit de peur fusilla alors ses deux rejetons, et elle fut rassurée de les voir à seulement quelques pas d’elle. Elle aurait voulu les serrer contre elle, dans l’instant même, mais l’envie de vivre qu’elle décela dans les yeux de Midgard lui rappela ses priorités : les grottes. Un rapide coup d’œil aux alentours lui confirma que le trio n’était pas observé chassa quelque peu l’angoisse de la mère, et celle-ci se précipita vers une cavité discrète - surement creusée par un Bébécaille il y a quelques années - qui rappela à la renarde que tout n’était pas encore perdu. Les deux Goupix la suivirent, espérant être enfin à l’abri car exténués par la course qu’ils venaient d’effectuer. Vidés de leurs forces, ils s’écroulèrent dans un recoin sombre qui les cachait des regards indiscrets, plongeant dans le sommeil par la même occasion. Arden, qui reprenait peu à peu son calme, encercla ses enfants – désormais ses seules sources de courage – de ses queues qui leur offrait une source de chaleur réconfortante. Relevant la tête et les oreilles aux aguets, les uniques sons qui lui parvenaient témoignaient d’une violence inouïe…
Sentant l’absence de son frère, Midgard émergea de son subconscient, les yeux encore embrumés par le sommeil réparateur qu’il venait de quitter. Le rouquin huma l’air, essayant de percevoir son frère, sans succès. Il fit la moue, puis un frisson d’effroi parcouru son pelage l’instant d’après, à l’idée que son frère se soit finalement fait prendre. Car oui, Asgard faisait partie de ces Pokemon considérés comme « déviants ». Il avait cette particularité que lui seul avait, du moins aux yeux du jeune Goupix, de ne pas être d’un brun roux semblable à celui d’une feuille d’arbre en Automne. Midgard ne voyait pas, ne comprenait pas pourquoi tous les Pokemon d’Alola en voulait à son frère, et cette pensée le fit paniquer : il ignorait où était son grand frère ! Ravalant sa peur, il se leva, posa une patte tremblante sur le sol rocailleux qui lui arracha un spasme dû à la froideur de la roche. L’air venant des glaciers ne l’aidait pas à se rassurer : il avait l’impression d’errer dans un inconnu froid au fond duquel ne l’attendaient que ses pires cauchemars. Pour une raison que lui-même ignorait, il tourna à gauche, comme poussé par un esprit qui voulait l’attirer dans un piège. Le jeune renard discernait son courage s’envoler à chaque pas. Ses yeux alternaient entre la paroi droite et la gauche à chaque seconde, tant il avait peur de regarder devant lui. Au bout d’un moment, il s’arrêta, tapant fermement de sa patte sur la roche. Sois fort, Midgard, pensa-t-il. Il prit une bonne bouffée d’air, concentrant alors ses sens dans l’espoir de distinguer quelque chose : un bruit, une odeur, n’importe quoi. Percevant une infime trace du passage de son frère, un sourire se dessina sur son visage et il se mit à courir dans la direction que lui indiquait son odorat.
Asgard épiait les environs, le regard durci par ses yeux colériques. Il se savait vulnérable car recherché, mais aussi très mal camouflé de par son pelage aux teintes neigeuses. Il ne se cachait pas pour autant, il savait se battre, et s’il le fallait, il jouerait de ses griffes et de ses crocs. Il était peut-être jeune, petit et paraissait inoffensif, mais il se savait redoutable : il n’avait jamais perdu une bataille contre les autres membres du Clan, quand il vivait encore là-haut. Alors oui, il ne s’agissait pas de véritables combats à proprement parler, mais le renard blanc n’était pas du genre à mettre ses sentiments ou émotions en jeu quand il se battait. Il ne s’arrêtait que parce que ses adversaires étaient des amis, des connaissances. La pitié ? Très peu pour lui. Il n’en témoignerait pas la moindre pincée pour un ennemi qui viendrait pour le tuer.
Ses oreilles frémirent, lui signalant un bruit dans son dos. Il tourna la tête avec méfiance, essayant de garder un œil sur le couloir étroit qui occupait toute son attention jusqu’à maintenant. Analysant le bourdonnement régulier assourdis par les murs, le renard avait déjà une petite idée de ce qui allait surgir au détour de la façade de granit. Il leva les yeux au ciel, un petit sourire en coin tandis qu’il faisait quelques pas vers son frère, qui ne tarderait pas à arriver.
« Asgard ! », jappa alors le rouquin en lui sautant dessus, soulagé d’avoir enfin retrouvé son frère.
Ce dernier essayait tant bien que mal de s’extirper de l’étreinte du Pokemon Feu sans pour autant y arriver : c’était bien là le pouvoir du roux. Personne ne pouvait se libérer de son emprise. Si une bête – quel que soit sa taille – se retrouvait prisonnière des pattes de Midgard, elle y resterait longtemps. Celui-ci le laissa finalement s’évader après une bonne minute de câlinerie, et Asgard, en s’éloignant, soupira.
« Fais moins de bruit ! Nous ne sommes pas à l’abri ici… » chuchota-t-il, lançant un regard dur à son frère. Le cadet plaça alors ses deux pattes avant devant sa bouche, se rendant compte de l’énorme bêtise qu’il venait de faire en criant le prénom du Pokemon le plus recherché de l’île.
Le renard au pelage de glace rapporta son attention au couloir. Il ne pouvait s’empêcher d’avoir un mauvais pressentiment : il y avait surement un nombre important de brèches dans la montagne, mais celles-ci se rejoignaient toutes. Et c’était bien ce qu’Asgard et sa mère redoutaient. Ils pouvaient, à tous moments, tomber sur des créatures qui voudraient leurs peaux. A côté, l’innocence de Midgard creusait de la peine dans le cœur de l’aîné : il ne fallait pas se leurrer, cette vague de haine à l’encontre des « déviants » n’allait pas se terminer dans les jours qui suivent, et cette même innocence, qui est propre à tout enfant, allait devenir la faiblesse du Goupix roux. Asgard soupira une nouvelle fois. La vie allait être difficile, pour les Pokemon différents, comme pour les normaux, mais il y avait quelque chose de bon dans ce contexte-ci. Son jeune frère se forgerai un caractère digne de celui d’un adulte, armé d’un esprit critique et d’une méfiance qui allait devenir indispensable au vu des personnes qu’il avait de fortes chances de rencontrer. L’aîné baissa les yeux. Il ne pouvait pas estimer son espérance de vie, dans le monde qui était en train de se former. Fuir restait une solution. Mais fuir où ? Des Pokemon, il y en avait partout ! Jamais il ne pourrait espérer être seul ; on finirait forcément par le retrouver. Il ne pouvait pas non plus s’échapper d’Alola, ne savant pas nager. Qui plus est, rien ne lui garantissait l’existence d’une autre terre, qui aurait été assez proche pour qu’elle soit accessible sans mourir d’épuisement dans l’eau. En clair, il était prisonnier de l’île qui l’avait vu naître, et qui le verrai forcément mourir. L’arctique devait l’avouer, cette pensée lui coûta sa bonne humeur, et une partie de son moral.
« Allez, viens. Maintenant que je t’ai mis la patte dessus, on rentre ! Maman va pas s’en remettre si elle se réveille et que nous ne sommes pas là. » la réplique de Midgard le tira de sa torpeur physique. Il avait raison, il fallait bouger. Asgard listait les possibilités qui s’offraient à lui alors que les deux frères entreprirent de revenir au nid de fortune qui les avait accueillis. Il n’y en avait définitivement aucune qui lui convenait, mais après avoir retourné le problème une bonne dizaine de fois dans sa tête, le renard blanc arriva à une conclusion qu’il eut du mal à digérer quand il y songea, la première fois. Il s’était mis à chercher d’autres alternatives à ce bilan, mais au bout de quelques minutes qui lui donnaient des sueurs froides, le jeune Goupix dû se rendre à l’évidence : sa seule solution, s’il voulait que son frère et sa mère puissent vivre en paix – du moins, si on pouvait toujours parler de « paix » -, il devait tout bonnement les abandonner pour leur éviter des ennuis qui pouvaient très bien se solder par leurs morts à tous les trois. Il avait envie de hurler, mais cela lui était interdit. Il luttait tant bien que mal, s’enfermant dans un mutisme qui ne tarderait pas à exploser s’il ne sortait pas vite de cet endroit, s’il ne trouvait pas un endroit qu’il puisse qualifier de « sûr ». Malheureusement, un tel lieu n’existait plus, ni sur cette ile, ni sur les trois autres.
Tournant à un croisement, le silence fut alors brisé par un bruit sourd et lointain, venant de derrière eux. Asgard percuta en premier, et la panique se lisait dans ses yeux. Non. Il regarda derrière lui, effrayé par la dure réalité : ce martèlement ne pouvait être que celui d’une horde venue pour régler leur compte à tous ceux qu’elle appelait « déviants ». La réaction de l’aîné ne se fit pas attendre.
« COURS ! »
Sa voix avait fait manquer un battement au cœur de son frère, et celui, prit au dépourvu, resta décontenancé pendant une seconde jusqu’à comprendre l’ampleur du problème. Ravalant ses pleurs, il se mit alors à courir à perdre haleine à la suite de l’arctique qui avait pris le chemin inverse de celui qui les menait au renfoncement où ils avaient dormi. C’était un mal pour un bien : au moins leur mère ne risquait rien, si elle dormait. Cependant, ils prenaient de gros risques en s’enfonçant davantage dans le cœur de la montagne. Ni lui ni son frère ne connaissait les galeries de ce labyrinthe de pierre, et s’ils avaient le malheur de tomber dans un cul-de-sac… Midgard balaya cette frayeur soudaine d’un coup de tête à droite, suivant son frère, qui menait la course.
Les pattes du cadet puisaient dans leurs réserves : il ne tiendrait pas très longtemps. Le jeune renard grimaça quand il vit que la distance entre lui et son frère avait facilement doublé depuis le début de leur fuite, et l’adrénaline n’y fit rien, même quand il vu que leurs poursuivants les – le – rattrapaient dangereusement. Son souffle le perdait, et il s’affala sur la roche qui lui arracha au passage une petite bande de chair. Asgard, entendant la chute malgré le vacarme qui les poursuivait, fit demi-tour, dans l’espoir d’aider son frère à se relever. C’est alors qu’il vit, au loin, leurs assaillants qui gagnaient du terrain, et Midgard, blessé, au milieu du chemin, complètement vidé de ses forces. Alors c’était comme ça qu’ils allaient mourir ? Ici et maintenant, sans avoir eu la chance d’apercevoir le soleil se lever et vous redonner du cœur à l’ouvrage ? Ils serraient de ceux qu’on tue pour l’exemple ?
Et, tandis que toutes ces questions remuaient et se cognaient sans cesse dans son cerveau, Asgard sentit la colère monter en lui. Non. Ils ne se laisseraient pas faire. Ses yeux affichaient alors une haine sans précédent vers cette masse qui se rapprochait toujours plus près. Malgré les faibles appels de son frère, l’arctique ne cilla point. Il n’avait aucune chance contre ces ennemis là, mais il ne se laisserait pas faire. Non. Il lutterait, et mourrait en martyr, témoin de l’absurdité des nouvelles idéologies pour lesquelles ces idiots luttaient. Rugissant et crachant contre ses ennemis, il s’élança dans la bataille à griffes déployées.
Midgard observait la scène de loin, épuisé et saignant d’une écorchure qui s’affectait déjà. Il voulait aider son frère, mais il en était incapable. Ses yeux commençaient à flouter les environs, et tout ne tarderait pas à devenir que forme brumeuse dans son champ de vision. Il voyait la scène au ralentit, entendant les battements de son cœur au ralentit. Il sombrait dans l’inconscience, impuissant. Au loin, une forme s’approcha. Il entendit quelques mots, étouffés par ses sens paralysés qui refusaient d’entendre et de voir. Il se sentit alors soulevé, et malgré ses faibles tentatives de défense, rien n’y fut. Il était emporté, toujours plus profond dans la montagne, alors qu’il voyait son frère à terre, à essuyer des coups auxquels il ne survivrait pas. Les sanglots lui montaient, et il ignora le mal que sa gorge lui faisait, pour une raison obscure, quand il murmura le prénom de son frère. Il continua, priant pour que celui-ci lui réponde, lui fasse un signe. « Asgard » aucune réaction. Sa plainte n’atteint même pas ses oreilles. Mais il continue. « Asgard » ses pleurs lui entravent la vue, piquant ses rétines, mais il garde les yeux ouverts. Il se sent tomber dans l’inconscient, impuissant. « Asgard »
Il sombre alors, laissant tomber dans l’obscurité une dernière larme pour son frère, ce Goupix à la fourrure blanche tirant vers le bleu d’un ciel crépusculaire, encore ébloui par les feux du Soleil.