Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Echos Infinis de Icej



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 23/10/2016 à 15:02
» Dernière mise à jour le 04/01/2019 à 13:44

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Épisode 31 : La vie d'une Autruche
Ndlr, court rappel, nirenhua se prononce « ni-gêne-hua » avec un h aspiré. :D

---

— C’est joli…
— Hm… Je ne m’attendais pas à ce que la nature soit aussi vaste.
— On s’y perd…
— Évite, ce serait l’enfer pour te retrouver.
— Oh, mais tant que je suis avec toi, aucun risque, non ?
— Si. Tu es capable de tout.
— Oh ça va, dis que je suis un démon à trois cornes tant que t’y es…
— Je me suis toujours demandé comment tu te coiffais pour les cacher aussi bien. Puis j’ai compris que tu ne te coiffais pas.
— Jamais. … Mais tu me surestimes, tu sais ?
— Comment ? Je surestime ton potentiel diabolique ?
— Tu dis que je suis capable de tout, mais tu as la force de m’arrêter.

Élin lui sourit, la mine éclairée, radieuse, confiante. Elle oscillait parmi la brise, les herbes folles, tournesol. Animée par le bleu du ciel, le bleu de l’été, celui qui se répercutait contre ses iris noirs et voilait ses émotions d’une double-brillance, d’une sagesse ancienne.

Il détourna le regard, écœuré, courbé sous le poids de sa culpabilité.


(Une bande de fous)
Leafer avait grandi dans une famille très terre-à-terre. Sa mère travaillait d’arrache-pied et attendait que la maison soit impeccable et les devoirs faits quand elle rentrait. Son père était un homme prudent qui élevait rarement la voix et conciliait amis, famille et voisins. Son grand-frère rieur avait choisi de poursuivre des études générales et avait arrêté de fumer à temps pour avoir un diplôme solide. Leafer avait—consciemment ou non—imité chaque membre de la famille, et il mêlait obstination, intelligence sociale et malice.

Mais ce dont il avait surtout hérité, c’était d’un esprit pratique et d’un calme à toute épreuve. Bref, Leafer était terre-à-terre.

Aussi, chaque jour depuis une semaine, il hallucinait.

Il avait d’abord mis les choses bizarres qu’il remarquait sur le compte du voyage initiatique. Après tout, le gamin qui avait grandi dans un hameau de soixante personnes n’avait aucune idée de comment on se comportait quand on vadrouillait tout Unys. Mais au bout de quelques jours, il s’était quand même dit que le groupe ne tournait pas rond. Quelque chose clochait. Juste un peu. Par exemple, le fait que Mélis s’endormait n’importe où. Une fois, debout sur un rocher dont il se servait pour scruter les alentours—le dresseur de légende avait chancelé pendant quelques minutes, puis avait ripé sur la pierre humide et ses fesses avaient atterri sur un pic humide. Ensuite, Élin était saisie de brusques envies de manger, à n’importe quelle heure, et harcelait Syd pour qu’il cuisine—mais vu qu’il ne voulait pas s’arrêter, il lui filait des tranches de jambon à la place. Du jambon. En plus Leafer était végétarien ! D’ailleurs, ce fait n’avait pas plu à Syd, qui lui lançait souvent des regards orageux. Dès que Leafer adressait la parole à Élin, par exemple. Et puis, et puis, comme si cela ne suffisait pas, Elsa était une fille hyper bizarre. À l’opposé de la personne timide qu’il avait rencontré il y a un mois, elle rigolait de manière flippante et lui susurrait souvent des informations perturbantes à l’oreille. « Tu sais que tes Bargantuas se mangent entre eux par petits bouts en préservant la vie de leur proie, pour la faire frétiller davantage, car ça leur fait plaisir ? »

Bref, Leafer était terre-à-terre et il hallucinait.

— Hé !

Le nouveau venu sursauta—se cognant contre une branche au passage—et fit difficilement volteface, massant son front d’une main. Syd le fixait d’un air neutre, les sourcils juste assez arqués pour que Leafer rougisse de sa maladresse. Le neveu d’Aloé était très fort pour le faire rougir, l’observant comme s’il était un insecte insignifiant ou particulièrement disgracieux.

Leafer le détestait.
Il avait cru comprendre que le sentiment était mutuel.
Mais les deux garçons rivalisaient d’angélisme devant Élin, car elle les adorait tous les deux.
Ce manège durait depuis une semaine, et leur filait une sacrée migraine… Évidemment, jamais Syd n’était malpoli avec Leafer, et jamais il n’avouerait son aversion pour le petit nouveau. Non, le dresseur était trop fort pour se salir les mains : il préférait plutôt épingler Leafer pour chaque petit défaut, le déstabilisant subrepticement…
Syd Redding-Park, neveu d’Aloé, était une personne profondément abjecte.

— Mélis s’est encore endormi sur une souche, du coup les filles ont décrété que l’on s’arrêterait pour la journée, l’informa le concerné avec un sourire poli.

Sa voix grave arracha Leafer à son introspective, et le dresseur frotta la belle bosse violette qu’il arborait maintenant au front. Il réalisa qu’effectivement, il n’apercevait plus les filles à travers les arbres : elles avaient dû s’arrêter il y a quelques minutes déjà.

— Pourquoi personne ne m’a prévenu ? grommela-t-il, piqué au vif.
— Oh, tu étais dans la lune… et nous avons eu le temps de dérouler les sacs de couchage avant de constater ton absence, expliqua Syd.

Cette remarque vexa doublement Leafer. Cela indifférait-il tant Elsa, et surtout Élin qu’il soit là ou non ? Sa présence était-elle si insignifiante ?
Cette fois réellement blessé, le garçon dépassa Syd et fit de son mieux pour le distancer, tout en sachant que son Némésis était sûrement satisfait d’avoir su lui soutirer une réaction.

Cependant, une fois arrivé au camp, Élin lui offrit un sourire lumineux et il oublia tout de suite sa colère. Elsa se servait de Hope le Caninos pour sécher les vêtements qu’Amaryllis avait lavés, et la blonde caressait son Pokémon tout en ne faisant strictement rien pour aider.

— Yosh, tu t’étais perdu ou quoi ? s’amusa la gamine, lui faisant signe d’approcher.
— On a eu le temps de dérouler nos trois sacs de couchage sans réveiller Mélis, remarqua Elsa.

Leafer lui lança un regard offusqué tout en s’écroulant à terre, fouillant dans son sac-à-dos à la recherche de sa propre couche.

— Oui, je sais, on m’a dit, marmonna-t-il. On m’a dit.

Syd, apercevant les trois adolescents ensemble, grimaça et préféra se diriger vers le chaudron du groupe. Riolu le rejoignit, curieuse, et lui passa tous les ustensiles nécessaires au plat du jour, jappant avec bonheur.

— Waouuuw ! ricana Élin. La tension est à son paroxysme !
— Tu connais le mot « paroxysme » ? rétorqua Syd.
— Bientôt l’un de vous va craquer ! continua dramatiquement la blonde sans l’écouter. Soit on vous retrouvera en train de vous étriper dans la boue, soit en pleine séance de tripotage !

À ces mots Mélis, jusque là complètement endormi, tomba de sa souche.

— Tripotage ? s’étrangla-t-il, recrachant de l’herbe. Qui a dit tripotage ?
Élin, répliquèrent Syd et Elsa sans sourciller.
— Rah ! Ce savon anti-gros-mots… marmonna Mélis d’un air orageux… était vraiment une arnaque. Il fronça les sourcils, déterminé : nous allons devoir tenter des méthodes plus radicales.
— « Tripotage » n’est pas un gros-mot, souffla Elsa, levant les yeux au ciel.
Mélis paru outré par l’affront.
— Si je le dis c’est que ça en est ! Je suis votre gardien légal ! Vous n’aurez pas le droit de dire ce mot avant vos vingt-et-un ans !
Tri-po-tage ! s’écria Élin, ravie.
Jeune fille… gronda l’adulte en retour—
— Tripotage ! Tripotage !

Face à ce torrent d’absurdité, Leafer secoua la tête. L’adolescent était tout simplement atterré… surtout que Mélis s’était levé, avait titubé vers Élin et plaqué sa main sur sa bouche… Il avait déjà vu Syd faire pareil quelques fois, mais ça ne se terminait jamais bien, en général la blonde mordait sa paume.
Ce qu’elle fit encore une fois.

— Calmez-vous les enfants… ricana Syd, qui ressemblait à une sorcière voûtée avec la manière dont il touillait le dîner. On va faire peur au petit nouveau !

D’un geste dramatique, il désigna Leafer de la spatule, envoyant des gouttes de soupe sur la chemise du dresseur. Ce-dernier grimaça et tenta de réparer les dégâts, ne remarquant pas la manière dont chacun présent se tourna vers lui, leeentement, pour vérifier si le « petit nouveau » était terrifié ou non.

— À soixante-quinze pour cent apeuré, je dirais, jugea sagement Élin.
— Quatre-vingt, trancha Elsa.
— En tant que l’adulte du groupe… débuta Mélis.
— Vous n’êtes clairement pas l’adulte du groupe, rétorqua instantanément la brune. Ceci valu une exclamation indignée du dresseur de légende :
— Ah oui ? Qui alors, insolente ?

Un long silence siffla où chacun se regarda dans le blanc des yeux.

— À la limite… s’aventura Elsa. À la limite… Leafer.

Syd soupira de manière offensée. Mais il ne contesta pas, retournant à son potage sous les regards amusés d’Elsa et Mélis. Élin lui souriait d’un air moqueur, et Leafer rougissait, apaisé et flatté par le compliment qu’on lui avait unanimement fait. Le soleil se couchait, les étoiles s’égrenaient peu à peu dans le ciel… et une bonne soirée s’annonçait en chaleureuse compagnie.

Tandis que Syd s’occupait de préparer un peu de viande et de riz aux légumes, la conversation dériva. Leafer se laissa bercer par les mots, les piques, les exclamations ravies, s’allongeant dans l’herbe et observant le crépuscule. Il regrettait de ne pas avoir amené son appareil photo tout neuf, mais sa mère l’avait jugé trop précieux. La forêt qui séparait Méanville de Port Yoneuve était magnifique…

Chênes centenaires, bouleaux élancés et pins parasols s’enlaçaient sous les feux du soir, léchés d’or et d’obscurité. Les tons d’anis, d’olives et d’émeraudes et se mêlaient à l’ambre du soleil pour étinceler une dernière fois, avant d’être engloutis par les ténèbres liquides du sous-bois. Une odeur de musc et de mousse s’élevait vers les cimes, et au-delà, vers les troupeaux de nuages gris qui fuyaient le ciel noir. Se mêlant à leur conversation, les soupirs de la forêt, les grincements des insectes, le souffle des prédateurs en chasse… La fraîcheur du crépuscule coulait, goutte à goutte, dans leur petite bulle de chaleur. Ils étaient seuls, et Leafer s’endormait.

Mais une question le réveilla brusquement.

— Et la Team Plasma… pourquoi ne fait-elle rien depuis qu’on les a atomisé sur le Ferry ?

Élin caressait toujours Hope. Mais ses yeux noirs étaient étonnamment concentrés, et elle arborait une expression déterminée. Consciente du silence qu’elle avait causé, consciente que Syd fixait son chaudron en serrant la mâchoire et qu’Elsa arborait un air troublé.

Mélis se redressa, soupira ; parut réfléchir à comment répondre.

Et Leafer… Leafer eut un hoquet. Sa mâchoire chuta muettement vers le sol. Il contempla les adolescents, un à un, puis Mélis… et répéta plusieurs fois la phrase d’Élin dans sa tête. Son esprit inquisitif ne mit pas longtemps à relier ses mots aux articles de journaux de mois précédent… quatre adolescents, anonymes, avaient libéré le Ferry en compagnie de Zhu—Élin, Syd, Elsa… et Oscar !

— C’est vous ! s’écria-t-il, sans entendre la manière dont sa voix transperça quelques notes aiguës ; stupéfié. C’est vous qui avez aidé à libérer le Ferry !

Un silence.

— … C’est cela, confirma Elsa.

Élin ricana, se pointant du pouce sans aucune prétention de modestie. Syd sourit d’un air supérieur, heureux que chacun puisse constater l’ignorance du « petit nouveau », mais surtout flatté. Mélis même siffla, bien que toujours préoccupé.

— Mais ! s’étrangla Leafer. Pourquoi vous ne m’avez rien dit !
— Nous ne voulions pas « crâner »… expliqua Elsa.
— Tu rigoles ! lança Élin.
— Élin avait totalement envie de crâner, confirma Syd. Mais—ajouta-t-il à l’adresse de Leafer—c’est notre petit secret de groupe.
— Ah… souffla le dresseur de Spinda, se sentant encore une fois, un peu exclu.

C’était difficile de rejoindre un groupe qui se connaissait aussi intimement, fonctionnait ensemble sans y penser, comme chacun respirait.

— Petit… ce n’est pas ça qu’il veut dire, soupira finalement Mélis. Nous gardons le secret pour la protection de chacun. L’implication de dresseurs comme White, Tcheren ou moi-même est avérée, mais Élin, Syd, Elsa et Oscar sont encore assez inconnus pour passer inaperçus. Par ailleurs, tous les sbires impliqués dans la prise d’otages—ou presque—ont perdu la mémoire, ce qui veut dire qu’ils sont en relative sécurité tant que leurs identités ne fuitent pas.

Cette fois, Leafer laissa échapper un « Ah… » surpris. Il comprenait mieux pourquoi le groupe était si soudé, désormais. Les trois autres adolescents échangeaient des regards à la fois doux et amers, haussant les épaules et arquant les sourcils pour faire comme si, pendant un instant, ils se moquaient de leur fardeau. Mais le poids les rattrapa bien vite, et Élin se pencha contre Syd, Syd qui serrait si fort sa spatule que ses phalanges blanchissaient…

— Mélis, j’ai posé une question… souffla-t-elle, le fixant. Pourquoi la Team Plasma se tient à carreau depuis le Ferry ?
— J’y réfléchissais, répondit le dresseur.

Un moment s’écoula parmi les bruissements de la forêt.

— Bon, je ne vois pas d’autre manière de te le dire, soupira le jeune adulte, frustré. La Team Plasma fait profil bas car elle se prépare à sa prochaine offensive. Et celle-là sera encore plus sanglante, dévastatrice, et globale que la précédente. Le Ferry ? Ce n’était qu’un coup de com’ pour signaler leur retour, de la poudre aux yeux, voilà pourquoi vous avez réussi à vous en sortir ! Mais là, on parle de gens, de fous, qui ont cryogénisé Janusia il y a quatre ans, qui ont tué des centaines de personne en un coup. On parle de gens qui ont invoqué des Pokémon légendaires, des divinités…

Il ne le savait pas, à cet instant. Mais ils parlaient aussi d’une Team qui avaient emprisonné des êtres humains dans des Pokéball.

— Ils sont beaucoup trop forts, dit Mélis.

Leafer frissonna. Elsa sourit de manière crispée ; détourna le regard, ses iris outremer s’en allant quelque part entre deux étoiles. Mais Élin tira sur le bras de Syd, se redressa, serra la mâchoire avec force et détermination.

— Nous n’avons qu’à nous entraîner encore plus, affirma-t-elle avec détermination.

Des souvenirs défilaient devant ses grandes prunelles, lagons d’encre noir : Sbires Plasma qui s’enfuyaient avec les Ponchiots, Anto qui l’étouffait sur le Ferry, ses tatouages brillants dans le crépuscule de l’orage. Elle entendait encore les adultes murmurer anxieusement, leur exclamations filtrant à travers la porte laquée contre son oreille d’espionne.

— Nous les avons battu une fois… nous pouvons les affronter de nouveau ! argua-t-elle, sourcils froncés. Même s’ils frappent plus forts, nous répondrons, car nous nous sommes améliorés aussi.
— Ne joue pas l’héroïne, répliqua Mélis, dardant les adolescents de ses yeux froids. Vous êtes trop jeunes pour vous comprendre dans quoi vous vous lancez.
— Vous aviez le même âge, avec Écho et Matis ! Et mon père et White aussi ! rétorqua Élin, gonflant la joue.
— Faux, nous avions deux ans de plus, siffla le concerné. Et c’était déjà trop juste.

Il fit un geste impatient à la blonde pour qu’elle se taise, mais elle ne l’écouta pas, grimaçant à la recherche d’un nouvel argument. Leafer sourit, attendri par son entêtement. Mais Syd tira à son tour sur le bras de la gamine, et marmonna des paroles lassées à son oreille. Elle se tut.

Elsa échangea un regard avec Mélis, et un souvenir passa entre eux—une conversation au creux du désert, le soir.

— … Bon… sourit Leafer avec timidité après un long moment. Ce qui est sûr, c’est que je suis content que vous ayez survécu au Ferry. Comme ça j’ai pu vous rencontrer !

Élin ricana, Syd servit la soupe, et ils s’endormirent à l’ombre des chênes.

[…]

Quelques rayons lumineux filtraient à travers la dense canopée. L’été endormait la végétation, brouillant les contours des arbres et des fleurs. Le vent sifflait une chanson timide ; retenait son souffle, reprenait une caresse. Dix ruisseaux pétillants se croisaient et se recroisaient à travers les arbres, glissant sur leurs lits de galets pommelés, accrochant les mousses duveteuses des berges.

Leafer suivait le reste du groupe parmi les arbres, préoccupé. De loin, il percevait les éclats de la conversation d’Elsa et Mélis.

— Penser que l’on peut se mesurer aux Plasmas… Élin est une véritable inconsciente, grommelait l’adulte. Déjà, quand elle était petite et capricieuse…
— Son père l’enfermée pendant sept ans sans la laisser aller à l’école avec d’autres enfants, ou découvrir le monde, argua Elsa. Ce n’est pas de sa faute.

Leafer sursauta. Enfermée ? Il imagine tout de suite Élin cloitrée dans une haute tour de pierre—d’ailleurs cela lui faisait penser à un film, peut-être Jeux d’Arènes ou Jeux d’Amour… bizarre—mais cet emprisonnement ne ressemblait pas du tout à la jeune fille pleine de vie. Et puis… Black Hei, le dresseur légendaire ? Enfermer son enfant ? Élin répétait pourtant qu’elle adorait son père…

Mélis avait tourné un regard intense sur Elsa.

— Comment tu sais cela ?
— Elle nous l’a dit.

Leafer aurait aimé entendre la suite, mais le jeune adulte remarqua sa présence et parla plus bas, jetant un coup d’œil méfiant au petit nouveau qui les collait de près. Le concerné soupira. Se sentant quelque peu seul, il sortit Rouletabille son Spinda, et caressa son crâne soyeux, son regard errant parmi les cents nuances de vert du bois.

Le groupe suivait un chemin sinueux parmi les arbres, le sentier se faisant boueux là où il frôlait les ruisseaux, et poussiéreux au moment où le soleil frappait. Peu à peu, la piste cessa de zigzaguer et se colla à une petite rivière, remontant son cours opalin jusqu’à une petite cascade. Chacun dut se concentrer sur la montée et les discussions cessèrent, englouties par le mugissement des eaux.

La cascade froide chutait d’une vingtaine de mettre, trempait les rochers rugueux qu’ils escaladaient tant bien que mal.

Une fois en haut, essoufflé, le groupe se reposa un instant. Élin et Syd, qui débattaient sur le meilleur moyen d’éviter un Choc Psy, entraînèrent Elsa dans leur discussion ; quand ils reprirent la marche, Mélis se retrouva seul à l’arrière, pensif. Leafer l’approcha, jouant nerveusement avec le porte-bonheur qui pendait depuis sa ceinture de Pokéball : un petit rubix’cube en nacre.

— H-Hey… lança-t-il, intimidé car il parlait à une star, une vraie. Comment allez-vous…
— Euh, assez bien, merci, répondit l’adulte en arquant un sourcil.

Leafer sentit un vent glacé rugir dans ses entrailles.

— Ok… en fait… balbutia-t-il, rougissant. Il prit une grande inspiration : Je suis un fan ! C’est grâce à vous que j’ai construit mon style de combat… en vous observant, j’ai appris à reconnaître les points de rupture de mes adversaires…

Il déglutit, sentant le regard de Mélis peser sur ses épaules, et termina d’une toute petite voix :

— … le moment où il faut intervenir, après avoir patienté.

Un long moment s’écoula de nouveau et Leafer cru que son interlocuteur ne lui répondrait pas. Mais finalement, l’adulte se secoua, et lança calmement :

— Je suis content d’avoir pu t’aider, d’une manière ou d’une autre. Si tu veux tu pourras t’entraîner contre moi ou contre Élin et Syd, ce sont d’excellents dresseurs.
— Bien sûr… répondit le garçon, repensant au combat qu’Élin avait livré contre Inezia. Elle avait certainement progressé depuis leur premier combat.

Quant à son Némésis actuel…

— Mais Syd… a un style quelque peu rigide, non ? glissa-t-il innocemment.

Il n’aurait pas pu pas prédire à quel point sa remarque excéderait Mélis. Non, il n’aurait pas pu pas prédire que le dresseur de légende lèverait les yeux au ciel avant d’indiquer Elsa d’un geste énervé, comme si la brune était la source de tous ses mots. La concernée, bien loin, arqua un sourcil.

— Bon sang, mais qu’est-ce que vous avez tous avec ce garçon ? Son style est le plus travaillé de la bande ! il grommela face à la réaction estomaquée de Leafer. Roh, me regarde pas avec de grands yeux comme ça, va en discuter avec Elsa !

Et Mélis laissa le nouveau planté dans les herbes hautes, sonné.


Inconnu-e
Le groupe était sorti des bois mouchetés, et se trouvait à présent dans une large clairière en bord de rivière. Un vent léger balayait les hautes herbes, pailletées de fleurs violettes et blanches. Après un repas rapide, les enfants avaient décidé de s’affronter, car s’ils avaient défié bon nombre de dresseurs cette semaine, ils n’avaient pas encore combattu entre eux.

— Limitons-nous à des un contre un, proposa Elsa. Nous avons déjà du retard, il faut que nous accélérions si nous voulons arriver à Port Yoneuve le 29 Aout.
— Ah noon, prenez tout le temps que vous voulez, faites un six contre six les mioches… bailla Mélis.

Sous les yeux blasés des enfants—aucun desquels n'avait six Pokémon—le dresseur s’écroula avec un sourire heureux, s’étira dans l’herbe haute et se mit à ronfler.

— À cet endroit, la berge est glissante… s’alarma Leafer.
— Oh super, il va tomber dans la rivière, commenta calmement Elsa.

Moment de flottement.

— Bon, on s’affronte ? s’impatienta Élin.

Syd s’offusqua ; elle entraîna Leafer vers la rivière, à un endroit où l’herbe s’effilait pour laisser de la place à une mousse humide, légèrement irisée sous le soleil d’après-midi.

— Cette fois je vais te battre ! lança la blonde, se positionnant à bonne distance.
— Peut-être, répondit Leafer, haussant les épaules.
— Quoi, même pas un peu de peur ? De fougue ?
— Non, sourit-il, que je gagne ou que je perde je suis heureux, car dans les deux cas j’aurais progressé !

Élin fit une moue hautement dubitative et se saisit d’une Pokéball sous les rires de Syd et Elsa, qui sortit la caméra du groupe pour filmer les matchs. Leafer, fronçant les sourcils avec détermination, se saisit aussi d’une Ball ; et ensemble les dresseurs invoquèrent leurs compagnons, cris enthousiastes se mêlant :

— Trucmuche, go !
— Gargantua, c’est à toi !

Sous les yeux surpris d’Élin se matérialisa… Gargantua, un Bargantua bleu. Le poisson frétilla un instant dans l’air, grands yeux miroitant sous le soleil, puis chuta dans la rivière. Seule sa nageoire bleutée dépassait du torrent, tanguant tandis que la créature se démenait pour rester sur place.

Élin réfléchit un instant, puis haussa les épaules et demanda à Trucmuche de se positionner au-dessus des eaux sombres, à l’affut d’une attaque.

— Ils ont tous les deux fait un choix intelligent, commenta Elsa. L’humus était trop glissant pour un combat au corps à corps, mais Bargantua et Chovsourir n’ont pas besoin de toucher le sol.
— Je ne crois pas qu’Élin y ait réfléchi, répondit Syd, levant les yeux au ciel. Elle voulait juste utiliser son nouveau Pokémon.

Sur le terrain, Leafer avait sorti son Pokédex, triturant le rubix cube à sa ceinture tandis qu’il attendait les résultats. Trucmuche était au niveau trente-deux, soit un de moins que son Gargantua. Le combat se déciderait donc sur la stratégie des dresseurs : il fallait que Leafer trouve le point de rupture d’Élin, sa faille ; puis qu’il l’exploite de manière fulgurante.

C’est à cet instant qu’Élin choisit de débuter le match.

— Lame d’Air ! cria-t-elle, pointant le dernier endroit où la dorsale de Bargantua avait fait surface.

La gamine espérait sans doute que la lame acérée fende les flots assez profondément pour attendre Bargantua. Mais le poisson s’était déjà enfui—la puissante bourrasque entailla la rivière jusqu’à son lit de galets sans atteindre sa cible.

La gamine fronça les sourcils, réfléchit.

— Utilise Choc Mental pour repérer Bargantua et recommence !

Cette fois, la tactique fonctionna. Trucmuche s’illumina et utilisa son énergie psychique pour scanner la rivière, étonnant Elsa au passage. Aussitôt l’adversaire repéré, le Chovsourir battit un seul grand coup d’ail, et un nouveau coup de vent fendit les flots—

— Bélier ! s’exclama Leafer avec un sourire narquois.

Au plus grand dam d’Élin, les écailles de Bargantua se parèrent de reflet métallique et le poisson bondit à l’encontre de la Lame d’Air.

— Esquive ! lança-t-elle rapidement, se ressaisissant.

Grâce à la protection accordée par son armure argentée, Bargantua fendit l’air sans ressentir la moindre douleur—mais son poids le ralentissait et Trumuche put facilement esquiver, culbutant un peu plus haut dans le ciel. Le piranha replongea dans les flots sombres de son refuge.

Élin fixa Leafer d’un regard défiant tandis que celui-ci souriant malicieusement, lissant sa chemise légère.

— Tu prends ce combat trop au sérieux ! commenta-t-il sagement. Ce n’est plus un moment de plaisir pour toi quand tu es mise en difficulté…
Élin haussa les sourcils et secoua du chef.
— C’est tout le contraire ! Si tu n’investis aucune émotion dans le combat, comment peux-tu prétendre soutenir tes Pokémon ou savourer une victoire ?
— À trop s’investir, la défaite devient amère.
— Il en faut pour tous les goûts, répliqua Élin, échangeant un coup d’œil complice avec Syd…. puis elle ricana : c’est ce qui fait le sel de la vie !

Son regard s’aiguisa, lagons noirs voilés de bleu, le bleu du ciel.

— Trucmuche, fends-moi le cœur ! sourit-elle, tendant la main en un geste dramatique.

Leafer sursauta, ne comprenant pas son ordre—une métaphore… ? Comment son Pokémon pouvait-il comprendre ?—cependant, le Chovsourir sembla complètement saisir l’intention de sa dresseuse. Il tournoya un instant dans l’air, attendrissant (ou apitoyant) l’audience, avant de venir frôler la dorsale de Bargantua et grouiner joyeusement. Enfin, à l’instant où le piranha sautait pour le mordre, croyant son adversaire distrait, Trumuche fit volteface et assomma l’adversaire d’un coup brutal. Un halo rosé se dessina autour du point d’impact : c’était l’Attaque Crèvecœur.

— Enchaîne avec Choc Mental ! ordonna Élin, sautillant d’enthousiasme (et ripant presque sur la mousse humide à ses pieds).

Trumuche luisit et un gargouillement blessé retentit depuis les eaux vives de la rivière. Bargantua émergea, frétillant vaguement sur son flanc, emporté par le courant. Elsa sourit, glissa à Syd : « Élin a vraiment un bon instinct pour les capacités, Choc Mental a un effet double quand le Pokémon ennemi est déconcentré… ».

— Attraction ! cria ensuite la gamine.

Rien ne se passa.
Il y eu un silence consterné.

— QUOI, ils pouvaient être GAYS ! s’offusqua-t-elle, levant le nez au ciel.

Syd et Elsa échangèrent un regard blasé. « Tu disais qu’elle avait un bon instinct… » marmonna le neveu d’Aloé en retour. Élin l’entendit, lui répondit d’une pique salée et se recentra sur le match, son esprit volant à la recherche de nouveaux enchaînements.

À cet instant, Trucmuche s'éclaira d’une lumière bien plus pure et puissante que celle d’un Choc Mental.

— Il évolue… souffla Elsa, les yeux écarquillés.
— Déjà ? marmonna Syd, fourrant les mains dans ses poches.
— Les Chovsourir évoluent quand ils sont le plus heureux, répondit mécaniquement Elsa, observant la créature s’épaissir, se transformer.

Elle n’entendit pas Syd grommeler un « je sais. » fermé, jeter un regard indéchiffrable à Riolu, qui patientait à ses pieds jusqu’à leur propre combat. La chienne bleue, quant à elle, n’avait toujours pas évolué…

Un cri comblé l’arracha à sa culpabilité : il ne sut pas qui d’Élin ou de Trucmuche avait poussé ce hurlement. Le combat s’arrêta le temps que la dresseuse et son Pokémon s’enlacent, et que la blonde félicite son Rhinolove, très fière. Leafer joignit également un compliment au tout nouveau Rhinolove, suivi de Syd et Elsa.

Puis le combat reprit.

— Gargantua, Pisolet A O ! s’exclama Leafer, pointant Trucmuche.

L’attaque eut l’effet escompté : le jet d’eau déstabilisa le Rhinolove, trempa ses ailes et son pelage. Le Pokémon, alourdit, maladroit dans son nouveau corps perdit en attitude sans s’en rendre compte. Il était de nouveau atteignable.

— Crèvecœur, encore ! demanda Élin sans paraître s’en soucier, trop heureuse que Trucmuche ait évolué.

Mais elle commit une erreur fatale. Trop portée sur l’offensive, elle ne se rendit pas compte de l’ouverture qu’elle offrait à l’adversaire. Et Leafer ne fut que trop heureux de la saisir. Il le tenait : le point de rupture du style d’Élin.

— Attrition, ordonna-t-il simplement.

Une attaque doublement efficace quand l’ennemi baissait sa garde. Bargantua sauta un instant après que Trumuche ne fonde en piquée—l’arc de son bond le porta juste au-dessus de la chauve-souris et il lui asséna un puissant coup de queue sur le dos. Le corps tout juste évolué de la créature ne résista pas au choc—elle chuta brutalement et but la tasse.

— Trucmuche !
— Hydroqueue, enchaîna Leafer.

Bargantua tournoya sous l’effet de son Attrition et se retrouver en position de frapper son adversaire juste quand celle-ci émergeait. Le Rhinolove affaiblit replongea, grouinant avec panique.

— Trumuche, tiens bon ! l’encouragea de nouveau Élin, serrant les poings.

Mais elle devait bien reconnaître qu’elle était à présent à un gros désavantage, son Pokémon étant affaibli, et surtout plongé au cœur de l’élément de l’ennemi ! Mince, juste après une évolution en plus—elle allait vraiment décevoir son compagnon…
Que pouvait-elle faire ?

— Éloigne-toi avec Tornade ! s’écria-t-elle en croisant les doigts et même les orteils.

Son plan fonctionna : Trucmuche arriva à se dégager des eaux, juste assez pour battre des ailes et reprendre de l’attitude, se séchant en même temps le bas du corps. L’ouragan creusa les flots sombres de la rivière et aplatit les herbes sauvages de la clairière, allant jusqu’à déranger la tignasse de Mélis qui grommela dans son sommeil. Malheureusement elle ne perçut pas l’ordre de Leafer, qui fut perdu dans le cyclone !

Bargantua frappa Trucmuche d’un nouveau Bélier et cette fois, le Rhinolove paru très mal en point.

— Relance Tornade… souffla Élin, serrant les dents.

Leafer l’avait acculée, elle avait besoin de réfléchir…
Son Rhinolove lui jeta un regard confiant.

— Brouhaha, sourit gentiment le petit dresseur.

À l’instant où Trucmuche déchaînait la tempête, Bargantua ouvrit la bouche et déversa une onde sonique magistrale. La puissance du souffle inversa le sens de l’ouragan, comme si elle le retroussait… et le chuintement se répercuta violemment contre Trumuche prit dans une chambre d’écho.

Le Pokémon s’effondra, encore conscient mais incapable de lutter plus longtemps.

Élin souffla, serra les poings.
Leafer lui jeta un regard empreint de sympathie.
Il l’imaginait sûrement aux prises d’un tourbillon amer…
Mais il n’en était rien : elle était déçue et acceptait sa déception comme une partie de la vie.
Elle inspira, puis courut vers Trucmuche, posant une main délicate sur sa nuque.

— Tu es magnifique, je suis très, très fière de toi… murmura-t-elle avec un sourire.

Elle sortit Baggy, Lucky et Hope pour lui tenir compagnie tandis qu’elle le soignait, et les Pokémon félicitèrent—plus ou moins—joyeusement leur compère. Puis la gamine se tourna vers Syd et éructa un « ÉCLATE-LE MOI LE P’TIT NOUVEAU ! » si fort qu’on crut à un nouveau Brouhaha. Syd porta une main à son front.

— Riolu, c’est à toi… marmonna-t-il avec un demi-sourire, désignant le centre de la clairière comme terrain.

L’herbe là-bas était très haute, ce qui laissait la possibilité aux Pokémon de se dissimuler. Surtout, la terre était sèche sans être poussiéreuse, ce qui donnait une prise parfaite à Riolu—aucun risque qu’elle ne dérape.

Elsa et Élin s’assirent sur un tronc d’arbre tandis que Leafer rappelait son « Gargantua », le remercia, et choisissait son prochain Pokémon.

— Rouletabille, je te choisis, lança-t-il fermement.

Syd s’autorisa un petit rire satisfait : Leafer agissait exactement comme il l’avait prévu.
Captant ce mouvement, le concerné trifouilla nerveusement son rubix cube et grimaça.
Les dresseurs échangèrent un regard aiguisé.

— Rouletabille, Danse Folle !
— Riolu, commence par le schéma trois-bis !

Élin n’eut que le temps de grommeler « quoi il a même des schémas bis maintenant ? » avant que Spinda ne se lance dans ses pas si erratiques, confus, que le simple fait de les regarder donnait un mal de crâne. Riolu allait se faire entraîner dans la danse et perdre temporairement la raison… mais contre toute attente, la petite chienne luisit faiblement et se lança dans sa propre chorégraphie, perturbant Rouletabille !

Tandis que Leafer serrait les dents, Elsa se pencha vers Élin :

— Syd a utilisé Imitation pour lancer sa propre Danse Folle, comme ça Spinda ne pourra pas utiliser son entraînement pour résister à sa propre attaque. Ils vont tous les deux être confus et…

Les adversaires terminaient leur ballet infernal, et chacun semblait malade, mais aussi injecté d’une énergie immense. Leurs mouvements se floutaient, de plus en plus rapides ; ils fusaient à travers les hautes herbes à la recherche de l’autre avec des cris furieux, bondissant parfois par-dessus un bosquet comme des boulets de canon.

— … Spinda et Riolu ont tous les deux la capacité spéciale Pieds Confus : leur vitesse augmente de cinquante-pour-cent quand ils font une crise de folie.

Leafer ne semblait pas du tout avoir anticipé le mouvement adverse. Il pâlissait, à la recherche d’une nouvelle stratégie, la précédente s’étant écroulée comme un château de cartes en feu. Rouletabille était confus, Riolu allait aussi vite que lui ?

— … Merde ! siffla-t-il sans le réaliser, ce qui provoqua un ricanement hautain de Syd.

Ce bruit l’arracha à sa stupeur. Leafer plissa les yeux, étudia son adversaire. Que ferait un garçon prudent et arrogant comme lui ? Certainement une Attaque pour baisser les statistiques afin de Rouletabille afin que les prochains coups soient d’une puissance décuplée… et fatale.

— Spinda, utilise Boost, marmonna-t-il.

Plus loin, sur le tronc d’arbre, Elsa hocha du chef avec satisfaction. Élin lui lança un regard intrigué, et la brune se pencha vers son amie pour expliquer :

— Boost est un transfert de stat’ : non seulement le lanceur peut copier les augmentations ou baisses de l’ennemi, mais il peut lui refiler les siennes. Cela prouve que Leafer reste maître de la situation malgré le faux pas du début… vu les tactiques habituelles de Syd, c’est presque sûr qu’il utilisera le Grincement de Riolu.

Élin haussa les épaules.

— Moi, j’aurais attaqué… songea-t-elle, battant des pieds contre l’écorce effritée de leur siège.

Elle avait raison. Rouletabille rutila d’une lueur rose protective—mais Riolu fonça sur le panda roux d’une Vive Attaque surpuissante grâce à l’augmentation de vitesse. Leafer et Elsa écarquillèrent les yeux tandis que la chienne s’enfuit, méfait accompli, dans les hautes herbes. Le dresseur leva la tête vers Syd… mais son adversaire semblait aussi étonné du geste de son Pokémon…
Rah, c’était incompréhensible !

— Rouletabille—
Riolu frappa le Spinda d’une nouvelle Attaque.
— …lance—
Un nouveau coup.
— Feinte !

Aussitôt l’ordre crié, la silhouette du Pokémon se liquéfia, se fondant avec les ombres striées des hautes herbes.
À cet instant précis, Riolu s’immobilisa, respirant à grands coups, exténuée.
Spinda se matérialisa derrière elle et leva le poing.
Elle fit volteface en un mouvement fluide et lui asséna une Forte Paume sur le nez.
Spinda s’écroula, inconscient.

Leafer cligna des yeux.

— Voilà… soupira Syd, et avec un sourire enchanté, il remercia Riolu et la rappela.
— M-Mais… bafouilla Leafer, perdu.
— Quoi ? lança innocemment Syd (et Élin s’esclaffa quand elle vit son expression atypique).
— À un moment donné du combat ! Tu étais surpris de l’attaque de ta propre Pokémon !

Elsa s’approcha, tout aussi intéressée car elle avait remarqué l’étonnement sur le visage de Syd. Élin, quant à elle, s’allongea sur l’herbe avec ses Pokémon, écoutant la conversation de loin.

— On m’a fait savoir que j’étais trop rigide en combat… lâcha Syd avec un sourire envers son amie de Volucité.
Elle rit sous le regard surpris de Leafer, touchée.
— Et donc j’ai décidé de lâcher prise. Mes Pokémon contrôlent le combat… expliqua Syd. Je leur indique un schéma qui comporte plusieurs possibilités, et ils choisissent en fonction de la situation.

Elsa et Leafer clignèrent des yeux, assez stupéfaits. La brune surtout savait à quoi point il était contrenature pour Syd de se laisser aller, de compter sur d’autres personnes. Ce qu’il avait changé…

Élin minauda bruyamment qu’elle en avait marre d’attendre, qu’elle voulait castagner du Pokémon sauvage, et les ados se remirent en marche, plongeant dans l’obscurité fraîche de la forêt. Un quart d’heure après, cependant, Élin fronça les sourcils, troublée…

— Hey, on a pas oublié quelqu’un… ?
Quatre voix blanches se mêlèrent en une exclamation horrifiée :
— Mélis !

[…]

— Syd… lança Élin, au devant de la troupe comme d’habitude, marchant à reculons avec les bras croisés derrière la tête.
— Quoi ? rétorqua-t-il avec un fin sourire. Tu vas te déguiser en « l’Ombre Jaune » à nouveau, et faire du cirque avec les Pokémon ?
— Chht ne parle pas de ma double identité aussi fort ! se scandalisa la blonde, lançant un regard faussement suspicieux à la ronde.
— Oooh, qui donc pourrait entendre ? répliqua-t-il, et il leva les yeux au ciel, ajoutant : Leafer ?

À cet instant, Élin trébucha contre un nid de poule et s’étala de tout son long contre l’herbe drue. Elle gémit, ne voyant que des étoiles alors que le soleil approchait de son zénith. Syd souffla, la contempla d’un air blasé, marmonna un « pourquoi ça n’arrive qu’à toi ? ». Mais malgré tout son cynisme, il ne put s’empêcher de s’attendrir devant l’expression sonnée de la gamine, et se penchant pour la relever.

Elle rigola, résistant, s’étirant dans l’herbe, et il chuta à ses côtés.

— T’es impossible… marmonna-t-il, mais—ils avaient plusieurs minutes d’avance sur les autres, alors où était le mal de s’allonger un peu ?
— J’sais… c’est ce que tu m’as dit le premier jour, « im-pos-sible », ricana-t-elle.
— Une vraie plaie.
— Et toi, un « vrai désagréable ».
— Un vrai renfermé.
— Nan, juste un désagréable.

Il fit mine de s’offusquer, la repoussa d’un geste bref, tourna son regard vers le ciel éclatant. Deux Chinchidou se querellaient un peu plus loin, leurs piaillements arrivant jusqu’à eux par vagues.

— Tu sais pourquoi j’t’aime… raconta paresseusement Élin. C’est parce que t’es le mec le plus sincère—Syd déglutit—que j’ai rencontré, t’es intense. T’sais pourquoi j’aime Oscar ? Parce qu’il est gentil. Et Mélis parce qu’il est, genre…—elle sembla hésiter sur un mot, puis bailla et—noble. C’est ça, noble. Et Elsa parce qu’elle est consciencieuse, elle fait attention à ses amis, contrairement à moi !

Elle rit à nouveau, se tourna vers lui, la mine rayonnante et ouverte.

— Et t’sais pourquoi j’aime Leafer ? Parce qu’il est rigolo !

Elle bondit sur ces pieds après ces mots, et le laissa échoué dans l’herbe, perplexe.
Rigolo… ?
Elle trouvait Leafer rigolo… ?
C’est clair que Syd, lui, n’était pas du tout rigolo.
Il fronça les sourcils, vexé, percevant déjà les échos des voix de Mélis, Elsa et du nouveau qui s’approchaient.

— Et aussi pour te rendre jalouuuux ! cria Élin depuis très loin.

Il ricana malgré lui.

[…]

— Mélis m’a dit que tu es terrifié de Syd.
— Je ne suis pas du tout terrifié de Syd !

Elsa siffla une note gaie en réponse, et s’éloigna légèrement, sa jupe blanche ondulant à chaque pas.
Leafer serra les dents.

— Attends ! souffla-t-il, accourant.

Il jeta un coup d’œil à la ronde, mais Mélis était loin derrière, se plaignant de fatigue depuis trois quarts d’heure, tandis qu’Élin et Syd s’employaient déjà à escalader une petite montée. Seul les Pokémon sauvages qui se dissimulaient dans les bosquets parfumés pouvaient discerner leurs voix.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda-t-il à la brune, qui l’observait avec satisfaction.

Décidément, tous des sadiques dans cette bande.

— Tu trembles à chaque fois qu’il te parle.
— Faux ! s’indigna-t-il.
— Tu te caches quand il sort faire la cuisine…
— Ok, j’ai peut-être fais ça une fois.
— Ou deux, rajouta-t-elle innocemment.
— Juste une !
— … Je t’ai vu le 25 au soir et hier, quand tu as sorti Spinda pour causer une distraction, le cassa Elsa d’un air blasé.

Cette fois, c’en était trop. Leafer lui offrit sa plus belle grimace, et leva ses mains vers le ciel en un geste exaspéré.

— Mais qu’est-ce que vous avez tous dans cette bande ! gémit-il. Oui je ne m’entends pas avec Syd, c’est une brute, il ne m’aime pas !

Elsa rigola, et il fut frappé par son rire, aussi léger que l’été. Puis elle s’adoucit et désigna le concerné, une vingtaine de mètres plus loin. Il observait Élin escalader un gros rocher strié de lichen, une lueur protective dans les yeux.

— Syd est juste jaloux, expliqua-t-elle.
Il la fixa, éberlué. La pauvre devait avoir perdu la raison, c’était sûr.
— Il est jaloux car Élin t’apprécie, élabora la brune, lui souriant avec malice.

Leafer s’immobilisa et Elsa marcha un instant sans lui, appréciant la fraîcheur du bois. Levant une main pour effleurer les rayons de soleil, qui filtraient paresseusement à travers les feuilles effilées des bouleaux. Puis il se secoua, et se dépêcha à nouveau de la rattraper, ayant l’impression de pénétrer dans un monde nouveau.

— J’aimerais discuter de ton Spinda, lança aimablement Elsa. Son entraînement m’intéresse. À quel âge l’as-tu obtenu ? Quand as-tu commencé le traitement de Danse Folle ?

Leafer rougit, touché, et débuta son explication.


(The shape of things to come)
Le ciel était bleu et sa radiance inondait l’univers de clarté. La rivière s’était faite plus calme à mesure qu’elle s’approchait de son delta, et le courant paresseux charriait feuilles mortes, fleurs fanées, sombres sédiments et éclats de galet, s’obscurcissant à mesure que les jours filaient. Un soleil ambré glissait sur les eaux indolentes, un soleil de fin d'après-midi.

Élin, Syd, Elsa et Leafer étaient regroupés autour du Vokit de Mélis, tous leurs Pokémon sortis. Les créatures venaient de terminer leur repas et attendait patiemment que l’on décroche, sauf pour Baggy qu’Élin avait dû menacer pour qu’il reste. Mélis s’endormait.

La troupe appelait Bianca Lenoir pour faire leur rapport hebdomadaire, après lui avoir transféré des fichiers audio et vidéo le reste de la semaine, notamment les combats des trois jours précédents. Elsa avait filmé les affrontements grâce à la caméra que Leafer leur avait offert, un mois auparavant.

Au bout d’une minute, la scientifique décrocha, ses lunettes reflétant le soleil de fin de journée.

— Biancaaa regarde, Trucmuche a évolué en Rhinolove ! cria aussitôt Élin, sautant sur ses pieds et désignant la créature, qui grouina d’un air niais.
— … Félicitations ! répondit Bianca, légèrement désarçonnée par l’accueil. Félicitations à toi Trucmuche, et à toi Élin…

Elsa demanda à l’adulte comment elle se portait—bien—puis si elle avait reçu leurs fichiers—ce qui était le cas. Syd discuta ensuite de la victoire de Riolu avec la scientifique, qui s’étonna au passage de la défaite d’Élin, et demanda à rencontrer le nouveau dresseur du groupe. On poussa Leafer sur le devant de la scène et il rougit, balbutiant une présentation.

— Tu viens de… Perpet’-les-Couanetons ? répéta Bianca, incrédule.

Un silence plana.
Mélis ricana.

— C’est cela… confirma Leafer, lançant un regard noir au dresseur de légende. C’est un tout petit hameau de soixante personnes, j’y ai grandi car ma mère est Ranger dans la région des Mont Pavle…

Le dresseur raconta un temps son enfance et répondit à quelques questions sur la faune locale, puis présenta ses Pokémon. Rouletabille intéressa beaucoup Bianca, et Leafer réitéra l’explication qu’il avait fournit à Elsa sur l’entraînement spécifique du Spinda. Puis il présenta Gargantua et Gargamel, ses deux Bargantua, l’un bleu et l’autre rouge, qui s’entendaient pourtant très bien.

— Pourquoi avoir choisi une paire ? s’enquit Bianca, prenant des notes.
— Car les rapports entre Pokémon m’intéressent beaucoup, répondit Leafer, s’éclairant. J’aimerais aussi capturer un Nidoran femelle et un Nidoran mâle, Seviper et Mangriffe, Munja et Ninjask…
— Les rapports entre les Pokémon et les humains sont le sujet de ma thèse, sourit Bianca en réponse.

Elle commençait vraiment à apprécier ce petit « Leafer ».

Après avoir discuté encore quelques temps, les enfants s’éloignèrent pour dérouler les sacs de couchage et cuisiner le dîner, souhaitant la bonne nuit à Bianca. Mélis resta agenouillé devant son Vokit, contemplant le monde se voiler d’ombres bleutés, noires, et le courant s’obscurcit jusqu’à devenir un abysse. Une traînée d’étoiles perça peu à peu l’horizon, constellant la cime du bois de lueurs spectrales.

— En réalité, plus j’étudie les rapports entre Pokémon et humains, plus le sujet de mes recherches se transforme… souffla Bianca. Je m’intéresse à la conscience des Pokémon… et aux êtres mythiques, les « Nirenhua »…
— Je nous en veux à tous pour ce qu’on a fait à Écho, coupa Mélis.

Bianca sentit sa voix mourir dans sa gorge, les mots à jamais perdus. Elle chercha ce qu’elle pouvait dire pour consoler Mélis, pour parler de cette jeune femme partie loin. Mais la découverte des MystèreBall—des PlasmaBall—ne cessait d’interférer, nouvelle tranchante, effrayante dont elle ne pouvait pas parler au jeune homme fermé à l’autre bout du fil.

Elle aurait transgressé les règles édictées par les Champions et l’aurait informé ; mais il crachait du venin et de l’amertume et elle ne savait que répondre.

— White veut retrouver Black à Kalos dès sa sortie de la Ligue, le 31. Je l’accompagne. Notre avion décolle demain.
— Le 31, c’est l’anniversaire d’Élin… fit vaguement Mélis, les yeux fixés sur un point derrière la caméra.
— C’est vrai ? Oui, je m’en rappelle… répondit-elle, gênée.

Ils ne trouvèrent plus de mots, pendant de longues minutes. Puis Mélis raccrocha, maussade.
Exténué.

Plus loin, Syd préparait seul le repas pendant que les autres s’affairaient. Il inspira, sombre. L’appel avec Bianca amenait de nombreux souvenirs de leurs débuts avec Oscar, à l’époque où Syd avait ses priorités bien en tête. Sa mission. Otis. Une période où il n’avait pas encore jeté toute prudence à la porte, aimé, trahi.

Cet appel était un rappel à la réalité.

[…]

— Bianca m’a rappelé de vous montrer les Trouées Cachées, il y en a beaucoup dans la région entre Méanville et Port Yoneuve… fit Mélis sur un ton docte.

Ils se trouvaient à la lisière des arbres, écoutant tantôt Mélis, tantôt les murmures du vent. Élin caressait Hope, Elsa et Leafer discutait des Pokémon sauvages que l’on trouvait dans la région. Syd fixait ses pieds, sombre. Il triturait son téléphone portable, se rendant compte qu’au fil de l’été, il avait peu à peu cessé d’échanger des textos avec sa famille, chaque message se faisant plus rare jusqu’à ce que la discussion ne s’évapore. Il avait été trop pris par ses amis, ses émotions, les événements… Il avait honte, et ce poids de plus se rajoutait à la charge immense de sa culpabilité.

Après leur avoir expliqué comment reconnaître une Trouée Cachée, Mélis déclara qu’il allait faire une sieste. Les quatre adolescents convinrent rapidement de se séparer pour couvrir plus de terrain, et de s’appeler par Vokit s’ils découvraient quelque chose. Chacun sortit un Pokémon, Leafer appelant Spinda, Elsa sortant Amaryllis et Syd relâchant Riolu. Élin sourit à Hope, et s’enfonçant la première sous la dentelle frémissante d’un saule-pleureur. Leafer partit rapidement dans une deuxième direction.

Syd, haussant les épaules, peu enthousiaste, se prépara à les suivre.
Mais une main attrapa son poignet.

— Syd, commença Elsa—
— Qu’est-ce que tu veux… soupira-t-il.
Elle cligna des yeux, blessée.
— Te demander ce qui te tracasse, souffla-t-elle après une seconde. Mais c’est bon, j’ai deviné. Si tu es si en colère que Riolu n’ait toujours pas évolué, eh bien sois un bon dresseur, donne-lui un compagnon, tu n’as pas capturé de Pokémon depuis le Ranch d’Amaillide !

Agacée, elle le lâcha et plongea dans la forêt, son ensemble bleu rapidement englouti par les ombres.
Syd resta hébété quelques secondes, et crut même entendre Mélis ricaner dans son sommeil.
Il jeta un regard à Riolu.
Mais la chienne jappa sans paraître troublée et sautilla vers un bosquet moucheté de baies sauvages, rouges, et lui fit signe de suivre.
Haussant les épaules, le dresseur suivit la Pokémon dans les bois.

Plus loin, Élin se faufila sous la branche d’un chêne, trottinant avec Hope. Elle se sentait exténuée depuis Méanville, et avait toujours le sentiment de ne pas assez manger, mais s’efforçait de ne pas le laisser paraître. Au contraire, elle sautait parfois sur son Pokémon pour le chatouiller, le caresser, observant les cent nuances de verts autour d’eux, jeunes pousses, feuilles de toutes tailles, lianes et lierre qui s’agitaient sous le souffle du vent.

La gamine erra quelques temps, de plus en plus songeuse, titubant parfois quand elle ne remarquait pas une racine, un nid de poule.

Elle suivit inconsciemment le son d’un petit cours d’eau jusqu’à presque y tomber, et le longea ensuite, les yeux rivés sur le ciel clair. Sans vraiment le réaliser, elle plongea dans un nouveau saule-pleureur, écartant son triste rideau d’une main et se glissant en son intérieur calme, strié d’ombres et de lumière, un monde en demi-teintes.

Mais une sensation brutale de distorsion l’arracha à ses pensées, une douleur brûlante.

D’un coup la gamine ploya, ses genoux se cassant, et roula à terre sous les yeux paniqués de son Pokémon. Elle retint un gémissement, étourdie, puis leva une main qui se voulait rassurante vers Hope. Les échos des explications de Mélis jouaient dans sa tête comme des marteaux, assénant encore et encore « il est possible que vous ressentiez un chatouillement un peu étrange en pénétrant dans une Trouée Cachée. Ne vous inquiétez pas… ». Elle ricana, les pensées noires, se disant que là c’était sûr, elle avait gagné le palmarès des sensations étranges. Pour une fois, elle aurait préféré ne pas gagner.

Les jappements paniqués de Hope alertèrent finalement le reste de ses Pokémon, qui sortirent de leurs abris pour l’entourer, effrayés. Trucmuche, grouinant, utilisa la même attaque que lors de leurs rencontre, qu’elle reconnut à présent comme Plénitude. Curieusement, l’écaille de Mamambo Shiney que lui avait offert Leafer luisit en réponse, décuplant les effets des soins.

Lentement, entourée de cette aura rosée, Élin s’assit. Elle jeta un regard à ses Pokémon, touchée, et grommela un « je peux me débrouiller toute seule vous savez… » qui ne convainquit pas du tout Baggy. Un à un, la dresseuse les rappela, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que son Starter.

Il recula alors qu’elle se levait, sa toute première Pokéball à la main.

— Allez, rentre… souffla-t-elle, voulant paraître forte. Ne t’inquiète pas, j’en ai fini avec ces Trouées Cachées, j’ai assez eu de distorsion pour la journée…
Mais le Pokémon secoua de la tête, buté.
— ... On ne sera jamais séparés, tu sais, dit-elle finalement. Même si tu te reposes…

Un moment s’écoula. Puis il accepta de rentrer, se saisit de sa Pokéball, et se rappela tout seul comme par défi. Son dernier regard, fier, semblait un écho à ses paroles… « Jamais séparés ».

Titubant, Élin quitta le saule-pleureur, une seule pensée en tête : trouver Syd. Elle s’était bien éloignée, perdue dans sa tête… car à mesure que les jours passaient, elle était de plus en plus nerveuse, parfois elle paniquait… Elle s’était souvenue que la Ligue de Kalos se terminait le 29 Aout, c’est à dire le jour de leur arrivée à Port Yoneuve. Deux jours avant son anniversaire. L’idée de revoir son père, après avoir fugué, la rendait malade.

Elle secoua de la tête, refusant d’y repenser encore.
Il fallait trouver Syd.
Mais un bruit l’alerta, et elle fit volteface, méfiante.
Depuis qu’elle avait quitté le saule-pleureur, la blonde avait une impression qu’une ombre la suivait, patiemment.

Non loin d’Élin, Syd s’arrêta devant deux sapins déformés. Leurs troncs gris, pommelés, se rejoignaient et s’enlaçaient, hérissés d’épines sombres. Les arbres formaient une entrée obscure, et Syd ne pouvait clairement distinguer ce qui se trouvait de l’autre côté, le tapis d’aiguilles fragrantes se perdant dans les ténèbres. Une aura étrange se dégageait du lieu, provoquant un léger frisson.

Une Trouée Cachée.

Le dresseur se pencha et plongea sous les sapins, ressentant un picotement étrange. Il prit un instant pour s’ajuster à l’ambiance crépusculaire, distinguant peu à peu d’autres sapins biscornus, qui se rejoignaient pour former un véritable plafond noir… Et un feulement agressif lui arracha un sursaut.

Face à lui, dos rond, babines retroussées, se dressait une Chacripan.

Une goutte de sueur s’écoula froidement au coin de sa tempe. Chacripan. Léopardus. Le Ferry. La Mélodie du Répit. La Sbire, danseuse, dresseuse. Riyah.
Passé et présent se condensèrent brutalement tandis que la Chacripan bondit, que Riolu vola à sa rencontre, protégeant son dresseur. Il n’avait même pas eut besoin de donner d’ordre. La chienne exécuta le premier schéma qui lui passa par la tête, le numéro un, tout bêtement : Grincement—Vive Attaque—Forte Paume.

— Yosh, tu vas l’attraper ?

Il poussa un petit cri, les yeux écarquillés, fit volteface c’était Élin accroupie qui le fixait depuis l’entrée—

— Q-Quoi ? dit-il alors que les Pokémon se battaient, derrière son dos.
— Ça fait longtemps que tu n’en as pas capturé, commenta Élin.

Il ne vit pas qu’elle suait, d’être aussi proche de la Trouée Cachée. Il serra les poings, plongé dans sa propre peur.

— On ne peut pas tous élever une ferme entière, répliqua-t-il d’une voix blanche.
— Je sais que tu en as envie, lui lança-t-elle simplement.

Elle se redressa, lui offrant un petit sourire, un faible sourire. Puis elle lui balança une Honor Ball qu’elle avait reçu en cadeau, lors de ses emplettes à Méanville—et s’éloigna tandis qu’il contemplait l’objet si ironiquement nommé, un rictus douloureux aux lèvres.

Sans réfléchir plus longtemps, il se dit—Élin a pris cette décision pour moi—déchargea tout ses soucis sur elle, inhala comme s’il avait été en apnée ces dernières minutes, comme s’il venait de naître. Puis il lança la Honor Ball.

Le rayon blanc absorba Chacripan, et l’engin vibra une fois. Deux fois. Trois fois.
Puis se stabilisa.

Il murmura :
— Bienvenue. Tu t’appelleras Riyah.


(L’Autruche)
Sa chanson l’avait attirée ici.
Elle avait quitté le groupe, rêveuse, ne réalisant pas où la menaient ses pas.
Une Trouée Cachée, chemin sinueux sous les racines d’un chêne millénaire.

Un frisson remonta le long de son échine. Mais elle n’arrivait pas à rebrousser chemin, à se détacher elle—Contre sa volonté, portée par la musique, Élin pénétra dans la Trouée Cachée.

Elle se trouva dans une clairière tressée de lianes, de fleurs. Un parfum sublime, sucré, embaumait l’air lourd de l’été. Et sa mélodie vrombissait, aussi légère que le ciel, susurrant que les ombres renaissaient sans cesse, suppurant de fraîcheur et de lavande. La mélodie qui chantait toujours à l’arrière de son esprit… la mélodie de la vie…

Élin chancela vers la lumière, la réalité se distordant.
Elle plongea sa tête dans le sol, son corps ruisselant de douleur, vivant la vie d’une Autruche.

Rien ne s’était jamais passé.