Chapitre 6 : Impuissance désapprise.
Charles
Le rapport du médecin m’avait rassuré. Ce n’avait été qu’une mauvaise chute, aucune séquelle physique. Cependant, depuis cet incident, le mental de ma femme semblait avoir été gravement atteint. Son aura noire s’étendait, tentaculaire, jusqu’aux moindres recoins de notre demeure. De cela, aucun médecin ne pouvait me rassurer.
Un ballet de soldats défilait sans cesse, faisant curieusement leur rapport tout d’abord à ma femme avant de l’apporter à mes oreilles. J’aurais normalement dû m’insurger d’un tel comportement, mais je retenais ma fougue, de peur de réveiller un volcan.
Car, je l’avouais, moi, le puissant Charles Alban, avais une terreur ancrée dans le cœur.
Le sang palpitant, je gravis les escaliers et me dirigeai vers le balcon où Aude avait établi son bastion. J’attendis que le soldat s’entretenant avec elle tira sa révérence, j’arrêtai le messager qui voulait prendre sa suite et je m’engouffrai, anxieux, vers l’antre de ma femme.
— Charles ? s’étonna-t-elle de me voir. Que me veux-tu ?
— Rien de spécial, je voulais simplement savoir comment tu te portais…
— Ma domestique personnelle s’est enfuie. Votre Général nous a trahi. Nos esclaves ne nous craignent plus. Les fuites se multiplient. Nous sommes la risée d’Alola. Comment veux-tu que je me porte ?
Les brusques sursauts de ses veines apparantes trahissaient le ton calme qu’elle s’acharnait à employer. Elle avait évidement raison, la situation ici était plus que catastrophique et s’empirait d’heure en heure. Alors qu’ils s’étaient tenus tranquille pendant des années, nos sauvages se rebellaient, un à un. Même les coups de fouet les plus éducatifs n’arrivaient pas à les remettre sur le droit chemin. Nous étions dépassés par leur nombre, nous ne pouvions garder un œil sur chacun ; fatalement, la main d’œuvre disparaissait dans la forêt.
Selon Père Félix, la trahison d’Ivan était la cause de tout. Mon Père mentionnait que si les nègres nous étaient obéissant, c’était à cause d’un mécanisme psychologique nommé ‘‘impuissance apprise’’. Un principe selon lequel, en passant les détails, un individu habitué à ne pas pouvoir agir sur son destin adoptera une position soumise et passive le reste de sa vie. Sauf si un individu extérieur l’aide à reprendre confiance en lui. Ivan était cet individu extérieur. Ses actions avaient revigoré les sauvages, leur redonnant cette passion de la vie qu’ils avaient égarée, et à chaque fois qu’un nègre réussissait à s’échapper, cette même passion se décuplait.
La solution au problème était on ne pouvait plus simple : retrouver les fuyards et les châtier si fermement qu’Arceus lui-même ne pourrait réveiller leur conscience à nouveau.
Or, cette solution posait elle-même problème. Nous étions incapables de pister les évadés, et encore moins de retrouver ce sagouin d’Ivan. Où diable pouvaient-ils être ?! Nos soldats ratissaient la forêt de fond en comble, inspectant chaque buisson, retournant chaque feuille morte, et pourtant, ils revenaient toujours bredouilles ; ces incapables !
J’enrageai. Si la situation ne s’inversait pas, si les sauvages destructeurs continuaient à s’enfuir un à un, si mes champs de gloire continuaient à ne plus être entretenus, si mes usines continuaient à ne plus cracher leur fumée enrichissante, je serai ruiné. Je perdrai tout. Absolument tout. Ma fortune était ici. J’y avais investi jusqu’à la plus petite pièce. Toute ma fortune, matérielle et immatérielle ; la conséquence et la cause.
Ma peur enfouie, qui me consumait. C’était pour elle que je cherchais à m’enrichir sans cesse. La raison de tous mes faits et méfaits depuis que son regard avait croisé le mien.
Aude aimait le pouvoir, ce n’était pas un secret. L’argent, la puissance, l’influence ; sa sainte trinité. Si elle s’était mariée moi, ce n’était pas un hasard, j’en avais bien conscience. Je louais Arceus avec ferveur tous les soirs pour cela.
Si j’avais consacré des dizaines d’années de ma vie à accumuler les richesses, à étendre ma domination, quitte à mépriser les autres, réduire des peuples en esclavage, les considérer uniquement comme des objets jetables, c’était pour elle.
Suis-je un être haïssable ? Peut-être, sûrement. Je n’en ai cure. Qu’importe si les flammes de Giratina m’attendent au trépas, c’était le destin que mon cœur avait choisi. Un destin que d’autres tueraient pour toucher du doigt.
Je me souviens encore de ce moment, lors de mes jeunes années. Aude Serieys, fille de notables, à la beauté ensorcelante. Sa seule présence éclairait les nuits les plus sombres, sa voix cristalline faisait fondre les âmes les plus endurcies, sa grâce divine torturait les corps les plus insensibles. Tous les hommes la désiraient ; elle refusa chaque demande, sauf la mienne.
Déjà à l’époque, j’avais la chance d’appartenir à l’une des familles les plus puissantes de Kalos ; Aude n’avait pas hésité longtemps. Or, j’avais vu suffisamment d’amis se retrouver ruinés du jour au lendemain pour comprendre que rien n’était plus éphémère que la fortune. Comme eux, je n’étais pas à l’abri des infortunes ; des infortunes qui repousseraient Aude. C’est ma peur, mon effroi, ma terreur.
Alors, je me suis dévêtu de mon humanité.
Dédain, chantage, alliance peu scrupuleuse, exploitation, tout était bon à prendre. Tout dans un seul et unique but, devenir l’homme le plus riche du monde, de devenir comme le soleil, de sorte que, jusqu’à la fin des temps, Aude ne regarde que moi.
Aujourd’hui encore, elle restait tout aussi désirable, comme si le temps n’osait ternir son éclat. Même maintenant, au simple effet de sa proximité, mon ventre se nouait atrocement, mes yeux de conquérant fuyaient, ma voix de commandant tremblait. Aude Alban. Ma plus grande fierté en tant qu’homme.
Une fierté que des sauvages tentait d’anéantir. Une révolte signifierait ma perte. La perte de tout ce que j’avais bâti en échange de mon humanité. Je ne pouvais pas l’accepter. C’était intolérable. Il fallait que cela cesse.
— Tu comptes rester planter là ? fit soudain la voix angélique de ma tendre. Je suis occupée, va jouer les piquets ailleurs !
J’acquiesçai silencieusement. Oui, je ne devais pas la perdre. Je ne pouvais pas laisser ma vie s’écrouler devant mes yeux, même si pour cela, je devais me séparer du peu d’âme qu’il me restait !
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Félix
Lorsque le humble paysan fauche le blé, est-il un assassin impitoyable ? Lorsque l’innocent enfant écrase des fourmis, est-il un sadique sanguinaire ? Bien sûr que non, c’est l’ordre des choses. Le blé et les fourmis ont certes une vie, mais aucun ne parle, n’éprouve des sentiments. Il en est de même pour les nègres.
Bien sûr, certains parvenaient désormais à parler plus ou moins notre langue et donc à communiquer, cependant, il ne fallait pas prendre cela pour preuve d’intelligence ; c’était simplement un moyen d’auto-défense. Comme les animaux qui adaptent leur comportement pour survivre, les nègres avaient appris à imiter notre langue. J’insiste beaucoup sur le verbe « imiter » ; il est certain qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes notre belle langue Kaloise, cependant, ils sont suffisamment habiles pour la mimer, donnant ainsi l’impression qu’ils sont instruits. On retrouve ce mimétisme d’auto-défense dans la nature, par exemple, les ailes des Maskadra imitent le regard féroce des plus cruels Pokémon pour intimider ses opposants. Ici, c’est le même principe, les nègres nous imitent, nous, les plus forts.
Cependant, cette fois-ci, les nègres étaient allés trop loin. Se révolter ? Quelle plaisanterie. Nous avions été trop bons avec eux, avec le temps, ils avaient sûrement cru pouvoir nous vaincre. Et ce pauvre Ivan qui s’était laissé embarquer par eux ! Décidément, Arceus aime rire.
— Maître, nous sommes prêts à lancer l’assaut.
Je baissai les yeux sur Reino qui, en bon serviteur, c’était agenouillé avant de m’adresser la parole. Ah ! Si je voulais démontrer ma précédente théorie, je ne pourrais trouver de preuves plus concrètes que ce nègre. Reino, Reino, une source d’amusement sans pareil. Depuis que je l’avais nommé Doyen de Mele-Mele, il s’évertuait à reproduire les mêmes gestes que nous ; c’était toujours cocasse à observer, presque touchant, le même sentiment que l’on ressentait devant un enfant tentant d’imiter les grands.
— Parfait, souris-je. Il est temps de rappeler à ces rebelles la lumière d’Arceus.
La rébellion des sauvages s’aggravait à chaque instant. Normalement, je laisserais Charles agir, toutefois, la situation était bien trop sérieuse pour laisser une marge d’erreur. Charles était faillible, pas moi. Les rebelles étaient dans la forêt, c’était une certitude. Charles disait avoir fouillé ces bois de fond en comble. Ah ! L’incapable. Il était temps que je prenne les choses en mains.
— Vous avez l’autorisation d’abuser de Tokorico, précisai-je à l’éternel enfant.
Je vis le sourire de Reino s’agrandir, rivalisant avec la bête la plus carnassière. Ces Alolois étaient si prévisibles ; donnez-leur une occasion et ils retombaient immédiatement aux tréfonds de leur sauvagerie naturelle. Après tout, les nègres ne sont que des animaux.
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Ivan
La tension était constamment à son comble, à un tel point que je pensais me trouver continuellement à proximité d’un volcan menaçant d’exploser dans la seconde ; ce qui n’était pas si imagé que cela en y réfléchissant.
J’étais malgré tout particulièrement heureux des évènements. Peu après ma trahison et la fuite de Kale et Mina, d’autres nègres, de leur propre chef, sans que je n’eus à les motiver, avaient tenté leur chance. J’avais évidemment décidé de les recueillir ; seuls dans la forêt, ils ne pourraient pas survivre longtemps.
Peu à peu, notre nombre se multipliait. De trois, nous passions à neuf, puis à quarante-cinq, jusqu’à cent trente-cinq. On commençait sérieusement à être comprimé dans cette grotte !
Notre cache était parfaite. Il s’agissait de l’ancienne tanière des Chelours, que j’avais anéantie dans ma pitoyable jeunesse. Une tanière pleine de surprises, car, loin d’être un simple trou dans la roche, il s’agissait en réalité d’un fabuleux dédale souterrain plongé dans l’obscurité. Nous étions au niveau le plus profond, inatteignable pour ceux ne connaissant pas les lieux.
Mon ultime atout. C’était là que j’avais entraîné en secret Kite et Guma, mes deux Chelours. Ce fut très difficile de gagner leur confiance – et pour cause, j’avais assassiné leur parent devant leurs yeux ! – mais au fil de longues années de labeur, ils avaient fini par comprendre. Je ne savais pas s’ils m’avaient pardonné ; je n’en demandais pas tant. Cependant, je sentais que la peine de leur cœur s’apaisait de jour en jour, allégeant ainsi le mien.
Un peu plus loin, tous les nègres se rassemblèrent en une masse sombre, il s’en dégageait une si grande pression que je n’osais me rapprocher davantage. Mina, accompagnée de Kale et d’un nègre sachant traduire le Kalois en Alolois, émergèrent de cette foule et s’élevèrent sur un rocher. Plus un murmure ne se fit entendre. Mina bomba son frêle, pourtant robuste, corps.
— Mes amis ! hurla la puissante détermination féminine. Ce jour est celui de notre délivrance ! Ces Blancs qui nous ont humilié, torturé, spolié ! Nous allons leur rendre la monnaie de leur pièce ! Vous pensez que je divague ? Que je rêve ? Non, mes amis. Brisez votre conditionnement ! Ce sont les Blancs qui vous ont fait croire que vous étiez impuissants ! Ce n’est qu’une illusion ! Ils ont peur de nous. Ils savent que nous possédons la force de les renverser. Oui ! Vous en aviez tous la force ! Plongez dans votre cœur, mes amis. Vous les voyez ? Ces années de souffrance, de rage, de désespoir. L’enfer moribond des Blancs ! Ils pensaient nous anéantir par leur terreur, mais ce fut là leur erreur. Sentez votre colère, faites là couler dans vos veines, envenimez-en votre sang ! Car c’est ce qui nous unis, tous, tous autant que nous sommes ! Unissez votre fureur, mes amis, et reprenons nos terres ! REPRENONS NOS TERRES !
Le traducteur finit de transmettre le discours véhément et aussitôt, des clameurs volcaniques se diffusèrent comme une traînée de poudre ardente. Elle savait parler cette petite ! En dépit de sa stature chétive, elle possédait un charisme tout bonnement stupéfiant, et une voix déchaînée capable de réveiller l’inertie des cœurs endormis.
La seule ombre au tableau était qu’elle s’exprimait en Kalois. Personne ne le soulevait, mais c’était assez ironique. Elle usait du langage de ses ennemis pour exalter ses alliés, elle était même forcée d’avoir recours à un traducteur pour se faire comprendre par tous ! Cela n’était qu’une autre preuve de la domination des Kalois. À cause de cette « civilisation », la pure langue Aloloise se perdait peu à peu…
Je me laissais imprégner par la terrible ambiance insurrectionnelle. Nous ne pouvions rester cacher indéfiniment, cela coulait de source. Il fallait sortir, guerroyer, et s’imposer. Combattre la violence par la violence. C’était primitif, mais le monde fonctionnait comme cela ; l’évolution n’est qu’un mythe.
Je saisis nostalgiquement la Pokéball de mon Feunard. Le pauvre, depuis que je l’avais forcé à calciner les Chelours, il n’était plus le même. Je sentais que sa culpabilité surpassait de mille fois la mienne. Notre relation n’était plus la même ; elle ne le serait plus jamais.
Je comptais le relâcher dans la nature, j’en avais discuté avec lui, et il était compréhensif. Au sud d’Alola il y avait une immense île, Ula’Ula. La chasse au Chelours perdurait encore là-bas et comble de l’ironie, la battue se faisait grâce aux flammes de Goupix, en hommage à « l’exploit » de ma jeunesse. Je désirais libérer ses pauvres Pokémon, pour qu’ils ne subissent pas le même traumatisme que mon compagnon de toujours.
Mon Feunard regagnera sa liberté là-bas, après avoir convaincu les Goupix d’arrêter leur massacre. C’était notre ultime souhait. Mais pour l’exaucer, il fallait d’abord regagner Mele-Mele, ce qui n’allait pas être une mince affaire. J’étais tout de même intimement convaincu que la victoire nous tendait les bras. Les nègres insurgés étaient à bout ; qu’y avait-il de plus dangereux que des soldats n’ayant rien à perdre ?
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Reino
Pourquoi étais-je accompagné ? C’était totalement inutile. Tokorico seul me suffisait. Un feu de forêt déferlait déjà dans mon dos. Maître Félix m’avait accordé le privilège d’abuser de Tokorico et c’était justement ce que je faisais. Je savais que Maître Félix avait quelques scrupules à détruire l’écosystème – car cela nuirait aux récoltes – mais l’absurde révolte des sauvages nécessitait aucune pitié. En brûlant la forêt, j’étais persuadé de faire sortir ses rats à un moment ou un autre ; mon fusil et mon sabre les attendaient de pied ferme. Aux grands mots les grands remèdes, comme nos Maîtres Blancs disaient !
Je ne comprenais pas pourquoi ces rebelles cherchaient à se soustraire aux Blancs. Ils nous apportaient gloire, richesse, pouvoir ! En suivant leur pas, notre future était assuré ! Il suffisait de regarder leurs avancées technologiques. Pendant que nous dormions à même le sol dans des cabanes bancales, eux construisaient déjà d’imposantes et confortables habitations en brique ; pendant que nous cueillons et chassions pour survivre, eux avaient déjà développé d’ingénieux systèmes de production massive d’aliments. Et que dire de leurs armes ! Ces tuyaux de métal qui crachaient des projectiles à une vitesse prodigieuse ! Qu’étaient nos arcs et flèches à côté de cela ? Bien peu de chose, assurément.
Il fallait se rendre à l’évidence. Les Blancs nous étaient supérieurs en tout point. Ils avaient raison. Les nègres sont une race inférieure, qui doit être éduquée. Refuser cette éducation était incompréhensible. Comme mes Maîtres Blancs disaient, il y avait des idiots partout !
Ah ! Si seulement j’étais né Blanc ! Si seulement je pouvais m’arracher cette fichue peau noire ! Je voulais tellement être de la race supérieure ! Le destin était si cruel. Mais je ne désespérais pas. J’en étais persuadé, si je continuais à obéir aux précieux préceptes des Blancs, sans hésitation, sans faille, alors, un jour, moi aussi, sûrement, je serais Blanc…
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Mina
Les préparations étaient terminées. Nous ne pouvions en faire plus. Cela sera-t-il suffisant ? On devait le croire. Cela faisait des jours que nous volions des armes aux Blancs, au moins de quoi donner un fusil et des munitions à la moitié d’entre nous, et des sabres à l’autre. C’était peu, mais au moins nous n’étions pas sans défense.
Pendant ce temps, d’autres rebelles agrandissaient la caverne, de sorte à creuser une autre sortie que mènerait directement au village Blanc. Une magnifique idée, puisque la forêt devenait de moins en moins sûre avec le temps, et puis, en apparaissant au milieu de leur camp, nous aurions sans doute l’effet de surprise.
Notre premier objectif sera de rallier les autres Alolois, ceux qui travaillaient encore aux champs. Nul doute qu’ils désiraient la liberté aussi ardemment que nous. J’espérais juste qu’ils oseraient nous rejoindre. Sans eux, nous étions perdus. Nos forces étaient bien trop modestes pour espérer une victoire seules, en revanche, si les autres nous prêtaient leur âme, la balance pencherait en notre faveur.
La vitesse serait notre mot d’ordre. Le principal corps armé des Blancs se trouvait actuellement dans les profondeurs sylvestres ; il leur faudrait un certain temps avant de revenir au village. Leurs têtes pensantes étaient donc sans défense, si nous parvenions à exterminer leur chef avant le retour de l’armée, la victoire serait à portée de main.
Soudain, je poussai un léger ricanement. Me voilà en train de penser comme une commandante ! Dire que je n’étais qu’une simple domestique il y avait quelques semaines. J’avais changé, c’était indubitable. En bien ? En mal ? Je ne saurais dire. Seule l’extermination des Blancs m’importait.
Kale, le nègre qui m’avait aidé à m’enfuir, marchait fièrement à mes côtés. Sa présence me rassurait, m’apaisait. Je ne savais toujours pas s’il était mon père ou non, lui-même semblait ne pas le savoir ; sans doute n’aurais-je jamais la confirmation. Ce n’était pas grave. Père ou pas, il s’était montré extrêmement bienveillant depuis notre rencontre, il m’avait même sauvé la vie. Recevoir autant d’attention d’un autre être était nouveau pour moi, me perturbait presque, mais me réchauffait le cœur. C’était tout ce dont j’avais besoin.
— C’est ici.
L’ex-Général Ivan, légèrement derrière moi, m’arrêta. Il pointa le plafond rocheux.
— Selon mes calculs, continua-t-il, le village se trouve juste au-dessus.
— Parfait, souris-je. Il est temps d’apprendre aux Blancs qui nous sommes réellement.
Je fis signe aux rebelles, qui installèrent une multitude d’échelles sur les parois. Notre plan était le suivant : les Chelours exploseront le plafond, créant a fameuse sortie, et nous nous engouffrerons dans la brèche. Simple et efficace.
Sauf bien sûr si Ivan nous menait en bateau depuis le début. Je l’avais à l’œil, celui-là. En dépit de ses « bonnes actions », il restait un Blanc, un ennemi. Je ne pouvais lui accorder une totale confiance. Mais je n’étais pas idiote non plus, si je voulais gagner, je devais m’allier à lui. Cependant les choses étaient claires, au premier faux pas, sa tête roulerait à mes pieds.
Une fois les échelles solidement mises en place, les deux Chelours d’Ivan se réunirent, prêts à faire une démonstration de leur force absurde. Nous nous éloignâmes, de peur de nous faire ensevelir sous l’éboulement imminent.
Je déglutis. Dans quelques secondes, les cloches de l’enfer sonneront.