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Qui es-tu, Gouroutan ? de RedRhume



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» Auteur : RedRhume - Voir le profil
» Créé le 22/10/2016 à 12:40
» Dernière mise à jour le 22/12/2016 à 15:36

» Mots-clés :   Drame   Policier   Présence d'armes   Présence de personnages du jeu vidéo   Suspense

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IV – Mauvaise Mine
______T'as vraiment une sale gueule, ce matin !

____Artis se tordait de rire. La vue du cadavre ambulant d'Églantine passant le pas de la porte avait déclenché une hilarité incontrôlable. Les cheveux ébouriffés, le teint terne, le regard macabre, il était miraculeux qu'elle eût pensé à enfiler son pantalon avant de sortir.
____Elle traîna toute sa masse endormie vers son compagnon, les semelles de ses baskets frottaient mollement le sol poussiéreux. Ses yeux trop fatigués ne trouvaient pas la force de croiser ceux d'Artis, qui la jugea :

______Tu comptes présenter ta tête de déterrée en retard à Sierra ? Je suis pas bon en maths, mais la probabilité que ça se termine bien me semble assez faible.

____Églantine lui répondit en marmonnant, les paupières presque closes mais les sourcils réellement froncés :

______Ferme-la et contente-toi de me guider jusqu'au point de ralliement.

____Elle massa son visage éreinté en soupirant, comme si les cernes sous ses yeux allaient merveilleusement disparaître en étant frottées. Elle continua :

______J'ai eu une nuit de merde, et ton appel m'a réveillée à un mauvais moment. Je suis pas d'humeur à t'écouter débiter des conneries.

____La froideur de ses propos glaça presque l'échine d'Artis. Il crut même, durant une courte fraction de seconde, sentir une menace émaner de cette fille qui peinait pourtant à tenir debout. Mais il revint bien vite à lui et, toujours si joueur, la piqua :

______T'es pas d'humeur, mais t'es surtout pas en état de m'en empêcher.

____Il avait bien raison. Elle n'avait même pas assez d'énergie pour rendre ses paroles convaincantes. Elle pouvait tout juste expirer de l'air avec plus ou moins d'intensité, de façon à faire comprendre son harassement, ou lever les yeux au ciel pour signifier un « Pitié, faites-le taire ».
____Artis l'avait bien compris, il prenait un malin plaisir à ponctuer les silences de leur marche par des « Magne-toi, c'est pas humain d'être aussi ramollie », comme elle l'avait fait la veille. L'ironie de la situation le faisait sourire sadiquement.

____Ignorant les provocations bon enfant de son ami, Églantine remuait les souvenirs de sa nuit. Il ne restait que des miettes de son rêve qui s'était brusquement arrêté avec les vibrations de son téléphone. Et ces miettes, bien trop légères, bien trop insignifiantes, risquaient d'être soufflées par le premier courant d'air mental qui eût agité ses pensées. Il subsistait une surprenante image d'une plage Hoennoise, qui semblait trop réelle pour n'être que le fruit de son imagination subconsciente. Dans sa tête, toute son attention convergeait obsessionnellement vers les grains de sables de la baie, vers les vagues de cette mer étrangère.

______Dis-moi, Artis, t'as déjà été à Hoenn ?

____Le jeune homme, qui marchait devant elle en perdant parfois son regard sur les façades entachées des bâtiments, dirigea son visage vers elle. Tout en enchaînant des pas réguliers sur le bitume, il lui répondit, par-dessus l'épaule :

______C'est quoi cette question soudaine ? Mais oui, j'y suis déjà allé. Mon père a pas mal d'affaires là-bas.
______Il y a de belles plages ?

____Églantine n'avait même pas écouté la fin de sa réponse, elle lui avait presque coupé la parole avec sa question vivement posée. Artis ne saisissait pas la finalité de ces interrogations subites. L'incompréhension lui fit hausser les sourcils ; puis les épaules, par indifférence.

______J'ai juré, t'es un peu dérangée, comme fille, soupira-t-il en balançant lentement la tête. Même si je comprends pas trop où tu veux en venir : oui, il y a de jolies plages. Par exemple, le village Myokara est bâti au bord d'une île. Sa plage est l'une des plus belles que j'ai vues.

____« Myokara » n'évoquait rien aux oreilles d’Églantine, ce n'était qu'une suite de lettres creuse, sans âme, un coquillage vide.

______Après, continua Artis, il y a la baie de Nénucrique.

____Cette fois, le mot transperça l'esprit de la jeune fille. Ces phonèmes n'étaient plus vides, ils étaient comme emplis d'une histoire, comme teintés de mémoires oubliées. « Nénucrique » lui rappela immédiatement le souvenir qui lui était apparu cette nuit. La petite fille, son chapeau, sa mère, la plage, le collier-coquillage. Églantine ouvrait des yeux stupéfaits. Dans son regard se lisait une illumination quasi-divine. Elle s'arrêta net et se figea, les iris perdus dans le vide.

______Merde... lâcha Artis qui s'était lui aussi arrêté. Qu'est-ce qui t'arrive, encore ?

____Il tapota son épaule, comme on le fait pour réparer un jouet défectueux.

______Tu sais, la poudre, on est censés la vendre, pas la prendre.

____La jeune fille releva lentement la tête en direction de son visage moqueur et légèrement agacé. Ses paupières grandes ouvertes donnaient l'impression qu'elle venait soudainement de comprendre le sens de la vie. En gardant une expression béate, elle déclara, presque solennellement :

______Je viens de me souvenir de mes vacances à Hoenn !

____Un sourire étendit discrètement ses lèvres. Son visage, naguère sombre et froid, rayonna alors un bonheur chaleureux. Elle sentit une liesse tiédir ses entrailles. C'était la seule véritable image qu'elle avait de son enfance perdue, elle la chérirait précieusement jusqu'au prochain souvenir qui resurgirait.

____Durant toute la marche, Églantine raconta à Artis tous les détails de la vieille anecdote. De la couleur de la robe qu'elle portait au chapeau qui s'était fatalement envolé. Elle débitait sans s'arrêter des mots, des phrases, qui traversaient le crâne du jeune homme sans laisser de trace. Ce-dernier en était arrivé à se demander comment une fille aussi fatiguée, presque morte, avait pu si rapidement se transformer en un geyser de paroles. Dorénavant, il était celui qui levait les yeux au ciel, priant « Pitié, faites-la taire ». Et l'ironie de la situation lui déplaisait fortement.



____Les deux jeunes recrues arrivèrent enfin dans la rue où Sierra et Yvan les attendaient, l'air détendus sur les chaises de la terrasse d'un bar. Ils s'installèrent hâtivement, gênés par leur retard, autour de la table. Sierra écrasa sa cigarette dans le cendrier avant d'adresser à Églantine un beau sourire.

______T'as bonne mine aujourd'hui, petite !

____Une joie transparente se devinait effectivement sur le visage de la jeune fille, encore bouleversée d'avoir récupéré un précieux souvenir d'antan. Elle lui répondit, illuminée par un sourire radieux :

______Merci ! Aujourd'hui, je me sens super b...
______Tu te foutrais pas de ma gueule, un peu ?

____Églantine déchanta. Sierra l'avait sèchement interrompue. Le sourire qu'il arborait quelques secondes auparavant s'était complètement retourné.

______Vous arrivez en retard pour la deuxième fois de suite, et t'oses te pointer avec cette tête d'imbécile heureuse ?

____Une colère infinie était implicitement cachée sous le ton calme et posé du supérieur.

____Églantine n'essaya même pas de se défendre. Elle savait que c'était inutile. Aussi se contenta-t-elle de subir les reproches, sans toutefois baisser les yeux – elle avait bien trop de fierté pour fuir du regard. Yvan se réjouissait intérieurement de la remise en place des deux rigolos qui lui servaient de coéquipiers.

______Vous savez très bien qu'il y a pas de licenciement ici ! reprit Sierra. Si vous faites chier l'orga, on vous fait crever, c'est tout.

____La clarté placide de ses propos – qui n'étaient que strictement vrais – renforçait la terreur qu'ils inspiraient. Ses mots et leur réalité résonnaient âprement dans les têtes des deux jeunots.

______C'est ni ce que je veux, ni ce que vous voulez. Mais regardez-moi bien dans les yeux, là.

____Il alterna rapidement la direction de son regard, d'abord vers Églantine, ensuite vers Artis. Ses prunelles sombres les foudroyaient sans retenue.

______Vous arrivez encore une fois en retard, et j'vous fais corriger à titre personnel. Compris ?

____Ils ne purent qu'acquiescer mécaniquement, sans conviction, terrorisé par la dureté de ces dires. Hélas, c'était là le vrai visage de la rue, de la Team Skull, du crime organisé. « Le groupe avant tout ! », et ce même si c'était synonyme de la mort d'un de ses membres.
____La Team Skull n'était pas qu'un simple amas de sbires baignant dans la crapulerie. C'était bien plus qu'une famille dirigée par Guzma, l'actuel leader. C'était une idée, une entité ancrée dans la région d'Alola. Elle véhiculait, derrière son masque de banditisme, des idéaux, des valeurs et objectifs que seul Guzma connaissait vraiment. Pour cette raison, elle n'avait aucun mal à se séparer d'un de ses enfants, qui eût été bien vite remplacé par d'autres nouveaux arrivants. Églantine frissonna à la pensée de cette idée glaciale.



____Après avoir magistralement réprimandés les incorrigibles retardataires, Sierra commença à exposer le déroulement de la mission aux sbires.
____Le client arriverait aux alentours de vingt-trois heures. L'équipe le rejoindrait peu après car, selon l'expérience de la Team Skull en ce qui concernait la truanderie, « Vaut mieux éviter de se faire choper comme des bleus par une embuscade des condés ». Même si des guetteurs quadrillaient sans interruptions les rues de la ville, contrôlant la présence d'agents de l'ordre, il était toujours préférable d'éviter une fuite précipitée avec la marchandise dans les mains.
____Une fois sur place, avec la certitude de l'absence de la police, Églantine irait directement à la rencontre du client et s'assurerait de l'authenticité des billets. Alors Yvan et Artis rejoindraient la scène à leur tour avec la mallette. L'échange s'effectuerait simplement, sous la vigilance de Sierra, dissimulé à l'arrière, et chaque camp repartirait ensuite de son côté.

____Ce plan valait plusieurs centaines de milliers de pokédollars, aussi, chaque détail avait été pensé et analysé par les stratèges du gang. Ils ne pouvaient pas échouer. Ils ne devaient pas. C'était le premier « gros coup » d’Églantine. Afin de gravir les échelons et ne pas terminer comme Yvan, – un vulgaire homme de main malgré dix ans de service – elle devait faire ses preuves là-bas, cette nuit-là.
____Une fois que tout le monde eut correctement imprimé les instructions, le groupe se sépara.



____Sur le chemin du retour, une certaine tension appesantissait l'atmosphère entre Artis et Églantine. Ils étaient tous deux angoissés à l'idée de la transaction de cette nuit, une affaire de cet acabit alimentait évidemment en eux des questions inquiétantes qui restaient sans réponse. Ce serait leur première fois, à tous les deux.

____Ils arrivèrent devant la vieille maison d'Anaïs, une bicoque aux murs ternies par le temps, très loin d'être accueillante. Longtemps, ils se fixèrent réciproquement, dans un silence pesant. Ils ne savaient pas comment se quitter. Le voulaient-ils réellement ? Chacun d'eux était intérieurement en proie à une peur de l'inconnu, une angoisse quant à la mission, et ils se sentaient tous deux incapables de la combattre seul. Mais étrangement, aucun n'osait demander à l'autre de rester. Pas une question, même vide d'intérêt, ne vint retarder l'échappée d’Églantine. Pourtant, ils restaient là, plantés comme deux piquets solidement enfoncés dans la terre, et ils se lorgnaient lourdement, non sans une gêne mal dissimulée.

______Bon, je vais y aller, du coup, lança la jeune fille sans aucune conviction.
______Ouais.

____Son « ouais » sonnait tout aussi creux. Et il la regarda marcher lentement vers le pas de la porte, comme elle l'avait fait ce matin, à peine éveillée.
____Églantine posa la main sur la poignée grinçante mais avant de la faire tourner, elle s'adressa à son compagnon.

______Écoute, Artis... marmonna-t-elle en hésitant. Tu fais quoi cet aprèm ?

____Le jeune homme fut surpris. Il comprenait parfaitement la requête implicitement signifiée derrière cette question. Et c'était ce qu'il voulait, lui aussi. Il sourit discrètement.

______J'ai vendu toute ma came de la semaine, continua-t-elle. J'ai plus grand chose à faire, donc si tu veux, on peut se poser tranquillement en attendant l'heure du bail...

____Elle aurait presque rougi. Elle se trouvait ridicule, à quémander sa compagnie de la sorte. Comme si elle ne pouvait pas se passer de sa présence, de ses boutades énervantes, de son rire si charmant, de son regard transperçant...

______Mouais, répondit-il en feignant une incertitude, pourquoi pas ? Perso, j'ai pas charbonné le quart de ce qu'on m'a confié mais bon, vu le gros coup de ce soir, les gars d'en haut seront indulgents.

____Églantine masqua sa joie derrière son regard indifférent, surmonté par deux épais sourcils parfaitement horizontaux.

______Entre. Il doit me rester un peu de Frista.
______Résine ou herbe ? demanda Artis.
______Ça va, je sais que tu préfères l'herbe. C'est bon, c'est ce que j'ai.

____La baie Frista était un fruit plutôt rare qui était réservé à l'élite des dresseurs. Elle avait un effet extrêmement bénéfique sur les Pokémon mais les feuilles et la résine de son arbre pouvaient modifier le comportement et la conscience humaine, il était donc nécessaire d'avoir prouvé que l'on était un dresseur digne de confiance pour être en droit d'en posséder ou d'en cultiver. C'était toutefois la drogue la plus répandue dans le trafic de stupéfiants, puisqu'il était très simple de trouver un Topdresseur peu scrupuleux qui revendait ses baies, ou tout simplement de voler ceux qui étaient trop honnêtes.

____Ils passèrent le pas de la porte. Anaïs, l'autre « grande sœur » d’Églantine, était vautrée dans le canapé, le cerveau éteint devant une émission bien peu instructive.

______Bonjour Anaïs, fit poliment Artis depuis le vestibule.

____Sans détacher le regard de l'écran, Anaïs lui adressa un « salut » mal articulée, quelque peu atténué par le coussin sur lequel reposait sa joue.

____Les deux jeunes sbires se rendirent dans la chambre mal rangée d’Églantine. Lorsqu'elle entendit la porte s'ouvrir, l'hôte des lieux hurla à travers la maison :

______Aère ta chambre, cette fois-ci. Parce que la dernière fois, ça puait la Fris' dans toute la piaule.

____Anaïs était au courant des fréquentations peu recommandables de sa petite sœur adoptive. Elle était également consciente de ses viles pratiques. Hélas, elle ne les connaissait que trop bien, ces habitudes... Car il n'y avait de fait rien d'autre que la drogue pour fuir l'ennui et la misère du quartier.
____Alola avait beau être un lieu de convergence touristique mondial, cela ne servait que l'économie des grandes villes. Les maires n'avaient que faire des petits ghettos misérables comme celui dans lequel elles vivaient. Ils étaient complètement délaissés, leurs routes étaient endommagées, les bâtiments crasseux, et les membres de la Team Skull adoraient s'y entasser. Les écoles étaient ou trop loin, ou mal entretenues, les rares musées ou bibliothèques étaient ridiculement vides d'intérêt et donc d'intéressés.

____En même temps qu'elle roulait les miettes de Frista dans une feuille à fumer, Églantine parcourut sa chambre d'un regard las. Un lit défait, des murs barbouillés de tâches grasses et informes, divers objet éparpillés çà et là sur le sol poussiéreux. Puis ses yeux se redirigèrent vers la cigarette artisanale.
____Elle soupira.
____Quelle vie misérable... Elle alluma le joint avec un briquet qui traînait sous la pile de feuilles entassées sur le bureau puis tira longuement dessus, frustrée par la laideur du monde et de son existence. Elle se laissa ensuite tomber dans son lit aux draps froissés, en expirant un nuage de fumée opaque. Ses prunelles se perdirent dans le blanc, presque gris, du plafond. Elle passa la cigarette à Artis qui fuma plus posément.

______La vie c'est quand même bien chiant, déclara-t-il après quelques taffes.

____Églantine ne décolla pas ses épaules du lit, elle se contenta d'incliner sa tête engourdie en direction d'Artis.

______J'veux dire, j'ai rejoint la Team Skull pour qu'il y ait un peu d'action dans ma vie monotone. Mais j'ai l'impression que j'échapperai jamais à la routine.

____Il fit de grands gestes avec sa main, dans laquelle il tenait le joint incandescent.

______C'est comme si l'ennui me retrouvait toujours. Je suis condamné, Églantine.
______On l'est tous. Ouvre tes yeux, on est tous bouffés par la flemme et l'ennui. Il y a rien à faire au quartier. Et je suis pire que toi : j'ai aucun avenir. Ton père est riche, tu peux toujours essayer de t'insérer dans la société, fonder un foyer et toutes ces conneries.

____Elle retenait une certaine amertume qui ridait imperceptiblement son visage.

______J'ai aucun avenir, répéta-t-elle. JE suis condamnée.

____Elle avait bien mauvaise mine.

____En plus des yeux plissés et rougis par la fumée illicite, on devinait sur ses traits une certaine aigreur. Il n'y avait plus une once d'espoir en elle et ce défaitisme rendait son visage, pourtant si doux, sombre, presque macabre. Artis reprit la parole :

______Tu m'as bien regardé ? Allez, tu crois vraiment que j'suis le genre de gars à fonder une famille heureuse ?

____Il pouffa légèrement avant de continuer :

______Non, j'suis le genre de gars qui a besoin d'action... J'aime trop l'adrénaline pour me ranger dans la société. Tu vois, j'aimerais bien qu'il se passe un truc vraiment fou ce soir. Je voudrais que la mission ne se déroule pas comme prévu.

____Églantine se releva en sursaut, écarquilla tant bien que mal ses yeux irrités par la fumée et s'exclama :

______Qu'est-ce que tu me sors ?! Il faut à tout prix que la bicrave de ce soir se passe à la perfection. C'est notre seule chance de gravir les échelons. Me dis pas que tu prévois de tout faire foirer, parce que je te démonterai avant que ça arrive.

____Elle était sérieuse, et malgré la quantité de Frista dans le sang, elle ne riait absolument pas. Toutefois, cette même substance était sans doute à l'origine de son agressivité soudaine.

______Tu tires une de ces gueules quand t'es défoncée et énervée ! s'esclaffa Artis. Mais t'en fais pas, je plaisantais. Moi aussi je veux mener à bien la mission.

____Rassurée, Églantine reprit la cigarette et fuma un peu à son tour.

____Ils passèrent une journée peu productive, comme c'était tous les jours le cas au quartier. L'oisiveté était en quelque sorte devenue la deuxième mère de tous les jeunes, là-bas.



____L'heure de l'affaire arriva bien vite. À vingt-trois heures, la Lune brillait dans le ciel et l'équipe se retrouva près des locaux désaffectés à l'intérieur desquels devait se dérouler la transaction. Le client était déjà sur les lieux. C'était un homme, grand et fort, vêtu d'un costume noir.
____Malgré la distance, Églantine put apercevoir son visage marqué par le cours du temps. Il semblait bien quiet même si la tension dans l'atmosphère était palpable. À ses côtés se tenait une femme qui portait ce qui était probablement la mallette pleine de billets. Il était également suivi par un grand homme à l'allure sombre et menaçante. Églantine dévisagea longuement cet assistant. Elle était certaine de l'avoir déjà croisé. C'était cette étrange sensation désagréable d'avoir un visage à portée de main, sans parvenir à poser un nom dessus.
____Sierra ne s'étonna pas que le client ne fût pas seul. Il était courant de venir accompagné lors d'affaires aussi importantes, même sans le préciser. Le chef ordonna à Églantine de partir à la rencontre du client. Elle s'exécuta.

____Seule face aux trois inconnus, intimidée et peu sûre d'elle, elle tenta de garder la tête haute et les interpella ainsi :

______Vous avez l'argent ?

____Pas de politesse, il fallait aller à l'essentiel.

______T'es qui ? répondit l'homme en costume. Et j'veux voir le produit avant.
______Vous êtes trois, je suis seule, remarqua-t-elle pertinemment. T'as rien à craindre. Le produit arrivera quand je serai sûre que t'as le biff.

____Églantine feignit l'assurance à la perfection. Pas un tremblement dans sa voix, elle semblait déterminée malgré l'anxiété qui tourmentait son esprit. L'homme accepta finalement. D'un signe de la main, il ordonna à son assistante de montrer le contenu de la valise à la jeune sbire. Celle-ci brassa rapidement les liasses, plongeant les mains dans cet océan d'argent sale. À son tour, elle fit signe à ses collègues qui la rejoignirent avec la mallette.

____Artis donna la petite valise à Églantine qui montra alors les friandises illicites au client. Il les détailla minutieusement. Tout se déroulait merveilleusement bien. Sierra se réjouissait déjà de la réussite de la mission.

____Mais au moment de procéder à l'échange, la jeune fille garda la mallette en fixant étrangement le client dans les yeux. Artis et Yvan s'échangèrent des regards interrogatifs et l'homme en costume s'agaça :

______C'est quoi ton problème ?

____Voyant que la transaction s'éternisait sans raison apparente, Sierra commença à s'inquiéter. Il observait la scène de loin, sans aucun pouvoir sur son déroulement. Églantine regarda le client droit dans les yeux et déclara :

______Je veux savoir qui vous êtes tous les trois.

____En vérité, elle était surtout curieuse de connaître le nom de cet homme dont le visage flottait dans ses souvenirs. Le client se mit à rire bruyamment.

______Elle est sérieuse la gamine, là ?

____Il sortit alors une arme de sa veste et la braqua froidement vers Églantine. Un frisson parcourut subitement les veines de chacun.
____Le contrôle avait été totalement perdu.

______T'es mignonne mais tu fermes ta gueule et tu me passes la marchandise, lâcha-t-il gravement.

____Églantine tenta de dissimuler la panique causée par la vue du revolver pointé vers son nez. Elle ne baissa pas le regard et maintint sa question.

______Vous êtes qui ?
______Putain mais qu'est-ce que tu fous, Poni'eka ? jura Yvan. Donne-lui la mallette qu'on s'tire d'ici vite fait.

____Le client armé fit glisser son doigt sur la détente du pistolet. La tension pesait lourdement sur le dos des personnes présentes.
____Artis jubilait intérieurement, c'était exactement le genre d'imprévus qu'il manquait à sa vie fade.

____Le lointain chant strident des sirènes de police fit chuter la pression.

______Merde, ils sont où nos guetteurs ? paniqua Églantine.

____Sierra sortit de sa cachette précipitamment, accompagné de son Ténéfix. Il ordonna à ses subordonnés de s'enfuir en se dispersant dans l'usine avant d'en faire de même, guidé par son Pokémon. Le client et ses assistants s'échappèrent également au milieu des locaux abandonnés.

____L'usine était immense, Églantine s'y égara bien vite. La mallette dans les bras, elle n'avait aucune idée de la façon dont elle allait s'en sortir. Les sirènes semblaient assez éloignées pour leur laisser le temps de quitter les lieux, pourtant les guetteurs auraient dû les avertir de l'arrivée de la police sans qu'ils eussent entendu les gyrophares. Surtout sur un gros coup comme celui-ci. C'était un non-sens total, incompréhensible et incohérent.

____Alors qu'elle déambulait sans destination entre les conteneurs elle aperçut Artis, immobile et pensif. Elle l'interpella avec un « Qu'est-ce que tu regardes ? » brusquement interrompu lorsqu'elle découvrit, au pied du mur en face de son ami, le corps inerte du mystérieux accompagnateur du client. Ses yeux vides se dirigeaient vaguement vers le sol. Il avait un trou près de la tempe d'où coulait un épais et visqueux filet de sang. L'effroi percuta brutalement la jeune fille.

______Artis, qu'est-ce que...

____Le jeune homme désigna calmement avec l'index une arme au sol. Églantine reconnut immédiatement celle qui avait été naguère pointée vers elle.

______C'est celle du ien-cli, qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle naïvement.
______Faut pas traîner ici, lui rétorqua-t-il froidement.

____Elle n'était pas préparée à la vue d'un cadavre, son estomac s'agitait désagréablement et son cœur fragile s'emballait. Elle se contenta de suivre Artis qui parvint à les mener hors des locaux désaffectés. Sierra et Yvan s'étaient déjà probablement envolés loin de l'usine, ils avaient filé comme des Ratata apeurés par un Persian furtif. Les deux jeunes membres du gang désertèrent également les lieux et rejoignirent leurs maisons respectives.



____Anaïs était confortablement installée devant son ordinateur – elle avait l'habitude de tuer le temps et ses yeux avec des écrans. Lorsqu'elle décolla son regard de la page Internet vide d'intérêt, elle découvrit avec stupeur le visage accablé de sa petite sœur. Elle avait le teint pâle, l'air songeur et ses iris luisaient sombrement.

______Eh ben, t'as une bien mauvaise mine, ce soir !