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Paradis Ébène [Concours S/L 2016] de Clafoutis



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Informations

» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 18/10/2016 à 10:28
» Dernière mise à jour le 30/10/2016 à 17:36

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Chapitre 5 : Cœurs sauvages.
Kale


 La douleur. Brusquement, il n’y avait plus que ça dans ma tête. Rien d’autre. La douleur, la douleur, la douleur. Elle frappait tout mon corps, m’étouffait, me harcelait, me tuait. Ma vision se troublait, mon corps pesait des tonnes, impossible de me relever.

Soudain, quelque chose empoigna ma main et la tira vers l’avant. Sans aucune force, mon corps se remit debout en suivant le mouvement. La chose m’entraînait dans les champs de cannes, très rapidement. Je me mis à courir machinalement, toujours submergé par la douleur qui s’amplifiait à chacun de mes gestes. Les feuilles tranchantes des cannes à sucres perçaient ma peau, m’arrachant des cris sourds.

Mon corps bougeait toujours, je ne savais pas où j’étais, je ne savais pas où j’allais. Étais-je mort ? Cette chose qui m’emmenait, était-ce l’un de ces fameux anges que les Blancs disaient être les envoyés d’Arceus ? Je n’avais aucune réponse. Même aucune question. Je me laissais entraîner, l’esprit vide. Comme la marionnette que j’avais toujours été.


____________________

Mina

 Comment madame Alban m’avait retrouvée ? Ah ! Me posais-je vraiment la question ? Ce fichu Miaouss, il avait dû comprendre mes intentions et courir alerter sa maîtresse. J’aurais dû rester dans la demeure. Ces évènements catastrophiques étaient prévisibles. Mais je voulais tellement, tellement sortir…

— Ne la laissez pas partir ! cria une voix hystérique. Immobilisez-les !

En plus de madame Alban, des voix de Gris brisèrent subitement. Les coups de feu tonnèrent les uns après les autres. À chaque pas. À chaque seconde. À chaque instant, ma vie pouvait s’arrêter aussi facilement qu’une bulle pouvait éclater. Je courais. Courais. Courais. Courais. La main fermement scellée dans celle du nègre que j’avais rencontré. C’était instinctif, aucune réflexion, le geste fou s’était fait de lui-même.

Un geste fou et suicidaire. Le nègre était blessé, heureusement, il parvenait encore à bouger, mais ses mouvements étaient maladroits et manquèrent plusieurs fois de me faire sombrer. Sa carrure imposante en faisait aussi une cible facile ; c’était un miracle qu’aucune autre balle ne l’avait déjà transpercée.

Cependant, en dépit de tout ça, je ne pouvais me séparer de ce contact vital. Le doute germait. Et si c’était mon père ? Je n’avais que des yeux et une voix, ses yeux et sa voix, mes yeux et ma voix ; rien que cela. Et pourtant, cela suffisait. Ces yeux et cette voix me troublaient, me minaient, m’infligeaient le plus douloureux supplice : l’espoir.

L’espoir qu’il soit mon père. L’infime espoir. Le réel espoir. Je ne pouvais pas le perdre. Je ne me le pardonnerais jamais. Je me sentais pousser des ailes, je me sentais enivrée d’une force sans pareille, une incroyable envie de vivre.

Vivre. Oui, c’est cela. Je voulais vivre. Je ne voulais pas mourir. Une nouveauté. Auparavant, je me fichais bien de ce qui pouvait m’arriver. Je me savais prisonnière de la demeure des Alban, pour l’éternité. Je savais que jamais les nègres ne se rebelleraient. Je savais que jamais les Blancs ne partiraient. Alors, à quoi bon vivre ?

Désormais, je le sais. Je ne regrettais pas d’avoir survécu. Un sens. C’est cela. Il faut vivre pour trouver un sens à sa vie. Survivre à la vie jusqu’à ce qu’on trouve son chemin. Et là, actuellement, je tenais mon chemin dans ma main.

— MINA ! vociféra madame Alban. REVIENS !

Toutefois, je ne comprenais pas. Pourquoi autant de violence ? Pourquoi en venir aux armes ? Je n’étais que sortie de la maison. Je savais qu’elle pouvait rugir dans des colères spontanés, mais jamais à ce niveau. Il y avait quelque chose, quelque chose qui m’échappait. Je n’avais cependant pas le temps d’y penser, puisqu’en l’occurrence c’était moi qui devais m’échapper.

— … !!

Une balle déchira le flanc de ma robe. Du sang gicla. Retenant mon cri de douleur, je perdis l’équilibre. Stupide. Mon pied se prit dans une racine. Idiote. Le paysage défila rapidement. Imbécile. De la terre s’infiltra dans ma bouche. J’étais tombée.


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Aude


— Encerclez-les, ne tirez pas !

Mon ordre résonna fortement, implacable. Ha…hahaha ! Elle m’avait fait courir cette sale petite ! Je ne la pensais pas capable de défier mes ordres ; en dépit de toutes les piques qu’elle m’envoyait continuellement, j’étais certaine de mon emprise totale sur elle. Je m’étais trompée. Je ne la contrôlais pas. C’était donc un être hors de contrôle, un être dangereux.

Quand je l’avais vu dans les champs, avec ce nègre, mon sang n’avait fait qu’un tour. Elle avait retrouvé son père. Mon secret allait être dévoilé. Ma réputation ruinée. Je devais agir.

… toutefois, maintenant que je le regardai, ce nègre qui m’avait fait si peur, le dos en sang et couvert de boue, une doute m’envahissait. Était-ce lui, le nègre qui m’avait fait un enfant ? Comment pourrais-je le savoir ? Il était courant parmi les dames de la haute d’avoir une aventure avec une bête sauvage, c’était un peu comme croquer le fruit défendu.

Je n’avais donc que suivi la tendance, c’était mon devoir. J’avais juste fait en sorte que mon aventure reste discrète, et que la bête sauvage ne soit pas trop déplaisante à regarder. J’avais relâché la bête une fois que je m’en étais lassée, l’effaçant de ma mémoire, ne gardant d’elle qu’une indésirable trace de plus en plus envahissante.

Bien entendu, la bête sauvage n’en savait rien de sa paternité. Mais c’était des êtres primitifs, liés à la nature ; il était connu que les animaux avaient un instinct parental au-dessus de toute raison. Je savais qu’un jour où l’autre, son père bestial viendrait à sa rencontre. J’aurais dû le tuer au lieu de le relâcher, j’y avais pensé, mais mon cœur me l’avait empêché. C’était là toute la différence entre les Blancs et les nègres, nous, nous pouvions faire preuve de sentiments, même envers les plus insignifiants.

— Mina…, soufflai-je. Vilaine fille…
— …
— Je te l’avais pourtant dit, de ne jamais sortir… tu sais pourtant qu’il ne faut pas me désobéir…

Ses paroles sortaient d’elle-même, comme de l’eau sous pression. Je n’attendais aucune réponse particulière. Je devais agir pragmatiquement. Je ne savais pas si le nègre avec elle était son père ou non. Mais le doute subsistait. Un doute bien trop gênant pour le laisser en vie.

Un étrange sourire orna petit à petit mon visage. Ma main glissa sur mon arme. La canon choisit sa cible.


____________________

Kale

 J’étais au sol. Je ne bougeais plus. La force qui m’entraînait avait disparu. Pas la douleur. Que s’était-il passé ? Petit à petit, mes souvenirs me revinrent. Il y avait cette gamine dans les champs. Une des domestiques qui travaillait pour les Blancs dans leur maison. Elle avait l’air triste. Ensuite, c’était difficile ; je m’étais sentis comme obligé d’aller la voir, de lui parler.

Mais elle ne savait pas parler notre langue, elle ne parlait que le Blanc. Et puis… la douleur. Une affreuse douleur qui perdurait encore, mais dont je commençais à m’habituer.

Ma lucidité revenue, je constatai que la petite était à côté de moi, au sol. Des Gris pointaient leur fusil sur nous. Une dame blanche faisant de même. Cette dernière avait un regard particulier. Un regard que je reconnaissais bien. Le regard d’un meurtrier. Elle allait tirer.

Sur qui ? Sur moi ? Je n’en avais rien à faire. Ma vie n’était pas une vie, et la mort était une délivrance dont j’avais plusieurs fois rêvée, sans pouvoir atteindre à cause des Pokémon soigneurs des Blancs. Si cette dame blanche voulait me tuer, je lui en serais reconnaissant.

Mais.

Et après ? Qui serait sa prochaine victime ? La gamine ? Une si jeune enfant ? Cette pensée brûla mes veines. Brusquement, mon sang bouillit, ma peau se contracta. Et soudain, mon corps bougea, il se souleva, dans une robustesse qui m’étonna moi-même. J’entendis les cris des Gris. Normalement, mon corps aurait dû s’arrêter. Il était dressé pour ça. S’arrêter net au moindre ordre des Blancs ou des Gris.

Pas cette fois. Mon corps ne s’arrêta pas, surprenant autant mes adversaires que ma propre conscience ; mon poing cogna puissamment le fusil de la dame Blanche, elle hurla, le coup de feu partit rejoindre les nuages, les Gris armèrent leur fusil ; je saisis la main de la gamine habillée en domestique, je bondis vivement avec elle derrière la dame Blanche, me servant d’elle comme protection ; les Gris hésitèrent à tirer et d’un violent coup de pied, je propulsais la dame Blanche l’envoyant mordre la poussière, les Gris lâchèrent un instant leur arme de mort pour s’approcher d’elle ; je me servis de ce moment de latence pour prendre la fuite, emportant la petite ; un cri de la dame Blanche, les coups de feu reprirent mais j’étais trop rapide, la forêt était en vue, là-dedans on serait en sécurité ; mon corps courait, encore et encore, sans s’arrêter.


____________________

Charles

 Je réglais ardemment des affaires urgentes au village lorsque soudain, des beuglements irritants se mirent à parasiter ma concentration. Désireux de faire revenir le calme, je sortis en trombe de la milice que j’inspectais, lorsqu’un nègre me bouscula brusquement. Ma réponse ne se fit pas attendre, je saisis le pistolet à ma ceinture et je le pointai sur la trempe du sauvage.

— Monsieur Alban, lança une voix derrière moi. Laissez-le, vous menacez mon messager.
— Messager ou pas, il m’a bousculé, crachai-je. Et rassurez-vous, Général Ivan, je ne comptais pas le tuer, juste lui rappeler sa place.
— Je pense que cela est déjà fait, et si nous l’écoutions, plutôt ?

Je pestai. Ce type commençait à prendre la grosse tête. Ce n’était qu’un simple soldat il y a vingt-deux ans ; il ne devait sa promotion fulgurante que grâce notre concours, à Père Félix et moi. À l’époque, nous avions besoin d’un symbole militaire fort pour motiver les troupes, et quoi de mieux que cet Ivan, un jeune soldat ayant annihilé à lui seul la menace Chelours, ses Pokémon surpuissants qui mettaient en déroute nos militaires les plus entraînés ?

Toutefois, Ivan était censé devenir l’un de mes pions, mais plus les années passaient, et plus il me prenait de haut. A lui aussi, je devrais lui apprendre sa place ; j’en discuterais avec Père Félix à l’occasion.

— Je vois, fis brusquement Ivan. Merci de votre rapport camarade, j’y vais de ce pas.
— Un instant ! grondai-je. Que se passe-t-il ?!
— Une révolte, dans vos champs, résuma sarcastiquement le vulgaire Général. Vous le sauriez, si vous aviez écouté mon messager au lieu de regarder le plafond.

Gnn ! Le revoilà qui m’insultait ! Qu’insinuait-il ? Qu’il était meilleur que moi ? Ah ! J’étais celui qui avait rendu tout ce qui se passait ici possible ! Sans mon argent, le projet de « Civilisation » d’Alola n’aurait jamais existé ! Sans moi, cette île serait restée aussi vide qu’à l’origine ! J’étais le créateur de l’archipel, son maître ! Tous me devaient respect !

— Ah, s’exclama tout d’un coup l’indigne, votre femme a été blessée. Si j’étais vous, je me précipiterais à ses nouvelles.
— Aude ?!

Quoi !? Qu’est-ce que ce sagouin venait de dire !? Aude ? Blessée ? Par les nègres ? Inconcevable ! S’en prendre à ma femme reviendrait à s’en prendre à ma fierté ! Comment osaient-ils !?

— Hé bien cessez de rester là à tirer au flanc ! hurlai-je. Vous êtes la milice d’Alola ! Faîtes votre office et punissez ces sauvages !


____________________

Mina

 Le nègre me traînait furieusement par le bras. En dépit de son énorme blessure au dos, il se voguait à travers la mer de verdure, telle une force de la nature. C’était ironique, il y avait à peine quelques minutes c’étaient moi qui étais à sa place.

Je ne savais pas où nous allions – et je doutais que mon guide ne le sache également –, toutefois, chaque centimètre que nous parcourions faisait naître en moi des sentiments de plus en plus fort. Liberté. Extase. Ivresse. Le manoir des Alban étaient bien loin désormais, et sans doute que je n’y remettrai jamais les pieds. Une nouvelle vie débutait, une vie dont je serais seule à en décider la substance. Une substance dont j’avais déjà décidé la couleur, celle de l’azur liberté.

Mon allié s’arrêta brutalement, me tirant de mes pensées et plongea dans un épais fourré lui-même dissimulé par l’ombre d’un rocher. Le nègre semblait plus alerte que jamais, l’oreille tendue aux bruissements les plus imperceptibles.

Plus je le fixais, et plus ma poitrine se serrait. Quelque chose, il y avait quelque chose chez lui qui me rendait si nostalgique ! Père. Lorsque je le regardais, c’était ce mot que reflétait dans mes yeux. Le doute me torturait. L’était-il ? Était-ce juste une hallucination de mon esprit ? Ayant toujours vécu sans figure paternelle, ne faisais-je pas un transfert sur un individu qui me paraissait de confiance ? De nombreux ouvrages psychanalytiques démontraient la capacité qu’avait notre cerveau à se créer des vérités de toutes pièces. Avec tout cela, je ne savais honnêtement plus quoi y penser.

— … !

Soudain, celui que je pensais être mon père lâcha un grognement sourd. Je pensais que c’était son horrible blessure qui le poussait à bout, mais j’étais loin du compte. Quelques secondes plus tard, je les vis : deux Chelours. Je tremblai de terreur.

Ces créatures, j’en avais évidement entendu parler. On les surnommait les démons d’Alola tant ils étaient puissants. Je pensais pourtant que les Blancs les avaient tous exterminés jusqu’au dernier, du moins, sur Mele-Mele… !

C’était mauvais. Ces Pokémon pouvaient nous tuer d’un simple geste s’ils nous débusquaient. Or, nous étions dans la forêt, certainement sur leur territoire, impossible donc de rester inaperçu. Je n’avais plus qu’à prier pour qu’ils ne nous ignorent…

… tss. Prier ? Mais prier qui ? Arceus, le dieu des Blancs ? Comme s’il allait écouter une nègre telle que moi ! Sans surprise, le dieu n’écouta rien de mes supplications et les Chelours s’approchèrent de notre cachette. Maintenant que j’étais habituée à la terreur, je remarquai que leur comportement était suspect. Les ursidés avaient l’air de… oui, l’air de chercher quelque chose. Ils… ils ne nous cherchaient pas nous en particulier, n’est-ce pas ? Ne me dîtes pas qu’ils étaient à la solde des Blancs !

Les Chelours reniflèrent les environs et toisèrent les fourrés où nous étions. J’arrêtais de respirer. Sans arme, nous ne pouvions rien faire. Au corps-à-corps, un seul de ses Pokémon pouvait massacrer des centaines d’hommes sans subir la moindre égratignure.

Alors, c’était ici que tout se finissait ? Ah ! Une minute auparavant, je voyais déjà un futur brillant, miroitant bonheur, joie et liberté. Et maintenant ? Tout s’effaçait. Pathétique, j’en rirais si l’effroi ne paralysait pas ma gorge.

J’étais vraiment faible. J’avais beau m’embraser de détermination, au premier problème, j’étais sans défense, sans espoir. La fatalité me ramenait toujours à la réalité.

— Kite, Guma, vous les avez retrouvés ?

Cette soudaine voix perça ma bulle de terreur ; mes yeux s’écarquillèrent d’épouvante. J’avais raison. Un Blanc. Les Chelours étaient commandés par un Blanc. Je le reconnaissais. Je l’avais déjà vu visiter le manoir des Alban. Le Général Ivan, celui qui commandait tous les soldats de l’île. Je n’arrivais pas à croire qu’il était à notre recherche. Nous n’étions que deux nègres, pourquoi déployer le Général en personne !?

— Mina et Kale, reprit la puissante voix du Général. Vous êtes là, n’est-ce pas ? Inutile de le nier, mes Chelours ne se trompent jamais.

Que faire ? Que faire !? Courir ? Hors de question ! Se battre ? Folie ! Rester cachés ? Impossible ! Je mobilisais toutes mes capacités ; toutes me hurlaient l’effroyable réalité : il n’y avait plus d’options. Aucune chance. Aucun espoir.

Le pire, c’était que si le Général était là, ses sous-fifres ne devaient pas être loin. Comme si nous avions besoin de ça en plus !

Brusquement, le nègre blessé se leva. Je faillis tomber à la renverse. Alors ça y est ? Lui aussi, il avait abandonné ? Se rendre était sans doute la meilleure des choses à faire, dans le meilleur des cas, les Blancs nous accorderaient une mort douce et rapide… tss, comme si c’était leur genre.

— AAAAAH !!

Un cri déchira soudain l’inertie forestière. Je n’y croyais pas mes yeux. Le corps couvert de meurtrissures, le nègre fonça furieusement vers le Général. J-Je m’étais trompée. Il n’avait pas abandonné. Il voulait encore se battre. Où trouvait-il cette force ? J’étais incapable de le dire.

Étrangement, les Chelours ne réagirent pas, laissant mon protecteur atteindre le Général. Cependant, ce dernier n’était pas un soldat ordinaire. Avec agilité, il esquivait chacun des immenses coups de poings furibonds et contre-attaquait lui aussi à main nue, ciblant avec précision les fragiles articulations du colosse.

Je me mordis les lèvres jusqu’au sang. C’était douloureux, autant physiquement que mentalement. L’affrontement était à sens unique, indubitablement. Il suffit de quelques mouvements supplémentaires pour que mon allié s’écrasa face contre terre.

Le désespoir m’envahit une nouvelle fois. C’était cruel. Tellement cruel. J’avais l’espoir, honnêtement. Je pensais réellement pouvoir m’en sortir, vivre ma vie libre, être enfin heureuse. Qu’y avait-il de plus ignoble que de faire grandir l’espoir avant de l’anéantir ? Si seulement, si seulement je pouvais faire quelque chose !

Les Blancs avaient des armes, de l’expérience, et des Pokémon. Moi, je n’étais qu’une domestique un peu plus hardie que les autres. Une balance naturellement déséquilibrée.

Le Général Ivan s’avança vers moi. Il venait me chercher. Il m’arrachera à mes rêves et me ramènerait chez les Alban, où je serais probablement torturée pendant de semaines. Je restai paralysée.

— Te voilà enfin…

Le chien des Blancs dégagea les feuilles du fourré, me dévoilant. J’étais recroquevillée, toute tremblante. La haine animait mes yeux ; la désillusion éteignait mon corps. Le chef des soldats me prit le bras et m’extirpa de ma cachette.

Je croisais le regard sombre du nègre, toujours étendu au sol. Il était peut-être mon père. Quelle importance désormais ? Je ne le saurais sans doute jamais.

« Es-tu réellement d’accord avec cela ? »

Tout d’un coup, une phrase raisonna dans mon esprit. … si j’étais d’accord ? Évidemment que non ! Mais que pourrais-je faire ? Je suis si faible ! Je suis faible, mais…

Ce nègre. Il n’avait pas hésité à défier le Général, en sachant très bien qu’il ne faisait pas le poids. Il s’était battu jusqu’au bout. Et moi… moi, je ne faisais que me plaindre ! Où était-passé ma fierté ?!

Soudain, une fougue m’envahit. Mes dents croquèrent la peau du Général ; du sang gicla. Il hurla. Il me lâcha. La disparition de son étreinte fatale et l’absence de sa main infernale sur ma peau me revigora d’une fraîcheur nouvelle.

Un bref sursaut héroïque avant le retour à la réalité. Je n’avais qu’un instant pour agir, pour fuir. Je pouvais le faire.

Mais.

Et après ? Qui serait la victime du Général ? Le nègre ? Qui était peut-être mon père ? Cette pensée brûla mes veines. Je ne pouvais pas l’abandonner. Non, je ne le pouvais pas. Je le devais, pourtant. Deux Chelours, un Blanc surentraîné, une frêle domestique nègre. Et donc ? Pourquoi fuyais-je ? N’étais-ce pas pour découvrir qui j’étais, pour ne pas avoir de regret, pour être libre ? Quelle serait l’intérêt de ma vie si je la parsemais de lamentations ?!

Le Général souffrait encore de ma morsure. Le moment où jamais. J’élançai mon corps, m’abandonnant à moi-même ; je saisis le bras de mon allié vaincu, je m’enfuis aussitôt. À mon grand bonheur, le nègre pouvait encore courir, même si mes pas vifs et fougueux faillirent nous faire tomber plusieurs fois. Mais nous avancions ; nous avions dit adieu à l’inertie.

Un coup de feu, de la terre vola sur mes jambes.

— Halte ! hurlèrent deux soldats Blancs.

Je vociférai. J’en étais sûre, le Général n’était pas seul ! La balance de pouvoir se déséquilibra davantage. Je ne voulais plus abandonner. J’en avais marre de varier de l’espoir au désespoir d’une seconde à l’autre ! J’avais décidé de me battre ! Jusqu’au bout !

Deux coups de feu, du sang vola sur mon visage.

Le goût hématique se força dans ma gorge, m’étouffant presque. Je toussai furieusement, interdite. Je contemplai malgré moi les deux corps sans vie gisant à mes pieds. Deux corps armés et inoffensifs.

— C’était bien la peine d’envoyer les autres sur des fausses pistes…

À l’unisson avec mon allié, je me retournai vers le Général. Son pistolet était encore fumant. Je ne comprenais rien. Il venait… de tuer ses propres hommes ?! Pourquoi ?!

— Vous deux, suivez-moi, tonna-t-il. Le bruit va attirer les autres, il faut s’enfuir au plus vite.

S’enfuir ? Un instant, ce Blanc nous avait demandé de nous enfuir ? En le suivant ? Qu’est-ce que cela signifiait ?! C’était bien le Général, le commandant de tous les soldats d’Alola, n’est-ce pas ? Et si c’était un piège ? Quel intérêt ? Il pouvait nous soumettre dans la seconde sans avoir recours à des subterfuges aussi grotesques ! Et ses hommes, aux crânes sanglants !

— … je vois. Kite, Guma, portez-les, en leur brisant le moins d’os possible si vous pouvez.

Pendant que j’étais plongée dans mon incompréhension, les deux Chelours s’approchèrent de nous. Le nègre tenta de résister mais c’était peine perdue ; les ursidés nous séparèrent. Ils avaient l’air d’être méticuleux, mais lorsqu’un Chelours me prit par la taille pour me placer sur son dos, j’eus l’impression que mon corps se faisait comprimer à l’extrême.

— Il va falloir revoir la délicatesse, grinça la voix du Général. Enfin, on va dire que tout va bien tant qu’ils ne sont pas morts. Bien. Assez perdu de temps, on déguerpit !

Brusquement, le paysage défila à une vitesse folle. Je serrai les poings. Agaçant. Frustrant. Rageant. Pourquoi n’arrivai-je pas à prendre mon destin en main ?! Encore une fois, je me laissais porter, par un Blanc ! J’avais beau me remettre en question, raffermir mon esprit, déferler ma détermination, je n’arrivai à rien de concret ! Ma nature de faible nègre prenait toujours le dessus, condamnée à me faire diriger par un Blanc ! Je ne voulais pas accepter ce destin. C’était inconcevable !

De plus en plus, mon cœur se tentait de sang, de rage, de ténèbres, jusqu’à saturation.

Puis, l’évidence me percuta. Les Blancs étaient nuisibles. Tant qu’ils étaient là, nous, les nègres, serions forcés à nous faire écraser. La solution était donc simple. Ils devaient être exterminés.