Chapitre 31 : L'alliance des tyrans
Je ne sais pas quelle importance à la Terre aux yeux d’Arceus ou des autres Façonneurs. En réalité, je m’en moque, à vrai dire. Je sais juste quelle importance elle a pour moi. Je suis le Sauveur du Millénaire, et j’ai tenté de la sauver à ma façon. Après, cette façon a-t-elle été la bonne ? Ça, c’est le futur qui nous le dira.
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Venamia devait bien l’avouer : regarder sur grand écran et en direct Erend Igeus se prendre la raclée du siècle par le Grand Forgeron, c’était pour elle un grand moment de plénitude. Depuis le début de l’invasion, les chaînes du monde entier ne cessait de montrer des images des combats qui se déroulaient ci et là à travers le globe, mais le combat principal lui se déroulait bien sûr au-dessus de Bakan. Il s’agissait de celui de la flotte de la Confédération, menée par la cité d’Atlantis, contre le vaisseau mère de Memnark.
Venamia était de retour dans son Palais Suprême depuis peu, et une rapide réunion avec ses conseillers militaires avait suffi pour la rassurer : pour le moment, le Grand Forgeron tenait parole et n’avait envoyé aucun de ses Akyr à Johkan. Venamia pouvait donc, en toute quiétude, observer le reste du monde se faire envahir tout en réfléchissant à la façon dont elle allait prendre possession des autres Dieux Guerriers, pour ensuite s’emparer d’Excalord, anéantir Memnark et devenir dirigeante suprême de la planète.
- Lady Venamia, fit une voix dans son comlink, nous avons de nouveaux éléments à vous communiquer.
- Eh bien, communiquez.
- Nos radars nous informent que toute une flotte de vaisseau vient de partir de la région d’Alabatia, sans doute en destination de Bakan.
Venamia fit la moue. Alabatia était le fief de Stormy Sky, et vu qu’Erend s’était payée l’une de ses flottes, il avait forcément dû convaincre le Grand Amiral Skadner de s’engager à ses cotés.
- Bah, on s’en doutait un peu, résonna Venamia. À voir si ces vaisseaux vont changer quoi que ce soit, à supposer qu’ils arrivent à temps.
- Oui, Dirigeante Suprême, mais ce n’est pas tout, continua l’officier. Nous repérons aussi plusieurs mouvements de forces venus de différents pays, tous aussi en direction de Bakan.
- Bon, et bien j’imagine que ce cher Igeus s’est mis à genoux pour supplier les autres dirigeants du monde. Quelle importance ?
À dire vrai, ça ne dérangeait pas vraiment Venamia. Il ne fallait absolument pas que Memnark bénéficie d’une victoire rapide et facile, ou alors Venamia n’aurait pas le temps de mettre en œuvre son plan. Si Erend et Memnark pouvaient s’affaiblir mutuellement, ça lui allait à merveille.
- Dirigeante Suprême, Monsieur Esliard voudrait vous faire savoir que tout ceci pourrait vous faire une très mauvaise publicité. Si tous les peuples de la Terre voient leurs gouvernements la défendre contre ces aliens à l’exception du vôtre, votre image pourrait en être durablement ternie. Ce sont ses mots.
Venamia ricana. Esliard, en ancien journaliste, connaissait très bien les domaines de la propagande et de l’apparence. C’était un bon gars, compétent, qui avait beaucoup aidé Venamia durant sa prise de pouvoir, mais s’inquiéter des questions de popularité maintenant était aussi inutile qu’absurde.
- Dites à Esliard qu’il n’a pas à s’en faire, fit-elle. Le bon peuple de la Terre me verra bientôt en train de nous débarrasser de ce Grand Forgeron avec un Pokemon sans pareil, et s’il y en a encore après qui me boude, ils se rétracteront très vite, ou ils mourront.
Venamia en avait assez de tous ces opposants. Étaient-ils si stupides pour ne pas vouloir comprendre qu’elle œuvrait pour le bien de tous ? Avec elle comme dirigeante mondiale, il n’y aurait plus de guerres, plus de pauvreté, plus de chaos. Seulement l’ordre et la paix. Ne voyaient-ils pas que Lady Venamia était la seule solution pour ce monde au bord de l’effondrement ?
Venamia abandonna un moment le spectacle de la bataille de Bakan à la télévision pour retourner dans sa salle de commandement, où tous ses officiers et conseillers vaquaient à droite à gauche pour recueillir toutes les informations en temps réel sur l’invasion Akyr. Lucian, son ancien Agent 007, était l’un d’entre eux, et quand il vit arriver Venamia, il s’avança vers elle.
- Dirigeante Suprême, on a des infos comme quoi la chère vieille 005 et votre papa adoré sont actuellement à Odipolis, capitale de la région Naya, où ils se battent contre les Akyr qui ont débarqué.
Venamia fronça les sourcils, et Lucian dut bien voir à son regard qu’il avait dit quelque chose qui ne fallait pas, et s’excusa rapidement. Venamia détestait qu’on lui rappelle ses origines. Oui, Siena Crust avait bien été la fille cachée du général Tender. Mais Siena Crust n’existait plus aujourd’hui. Lady Venamia était une tout autre personne, qui ne pouvait avoir pour père quelqu’un d’aussi minable et pathétique qu’Hegan Tender.
- Bien, j’espère qu’ils se feront tués, mais en quoi ça nous concerne ? Demanda-t-elle.
- Bah… comme vous le savez peut-être, j’ai un agent sur place. La capitaine Kelifa Akenvas. Elle s’est alliée à un certain groupe, les Gardiens de l’Harmonie, pour détrôner le gouvernement en place, le Triumvirat. Je lui ai envoyé toute une unité il y a quelque mois. Pour le moment, ils se planquent. Mais si pendant ce temps, la… euh… fausse Team Rocket dirigée par Estelle gagne les faveurs du Triumvirat en arrêtant pour eux les Akyr, ça pourrait poser quelque problèmes dans nos relations avec…
- D’abord Esliard, puis vous… soupira Venamia. Quand est-ce que vous allez comprendre : je me contrefiche des relations extérieures ou de l’opinion des gens, maintenant. Elles ne me servent plus à rien ! Soit Memnark triomphe et domine notre monde, soit je l’arrête et je m’empare de ses armes pour le dominer moi. Dans les deux cas, on se passera bien de l’avis des autres.
- Euh… je vois, fit Lucian, guère convaincu.
Venamia n’avait jamais bien sûr considéré la troisième option possible : qu’Erend Igeus et sa Confédération arrivent à vaincre Memnark avant Venamia. Là, ce serait plus problématique. Il fallait qu’elle traite vite ce problème en éliminant Erend et en lui volant son Triseïdon. Et c’est à ce moment que le destin favorisa Lady Venamia, car un GSR qui gardait visiblement l’entrée du palais vint lui faire un rapport.
- Dirigeante Suprême, nous avons interpellé un intrus qui souhaitait pénétrer dans l’enceinte du palais.
- Qu’est-ce que j’en ai à faire ? Tuez-le donc.
- Il dit vouloir vous rencontrer, Dirigeante Suprême.
- Tiens donc ? Et que me veut-il, cet illustre inconnu ?
- Je vous présente mes excuses, madame. Nous l’aurions abattu sans sommation mes hommes et moi en temps normal, mais je crois qu’il pourrait vous intéresser. Il s’est présenté à nos portes armés d’une fourche rouge qu’il a fait se transformer en Pokemon, comme votre… Ecleus.
Venamia en resta un moment bouche bée. La personne qu’il lui décrivait, est-ce que cela pourrait être… le fameux Castel Haldar détenteur d’Hafodes ?! Que venait-il faire ici ?!
- Je veux une escouade avec moi, ordonna-t-elle. Non, plutôt deux. Et tout de suite.
- Vos désirs sont des ordres, Dirigeante Suprême !
Toute surprise soit-elle, Venamia n’allait certainement pas laisser passer cette chance de s’emparer d’un des Dieux Guerriers. C’était justement ce dont elle avait besoin en ce moment. Mais pour maîtriser Castel Haldar, un homme qui selon les rumeurs pouvaient se servir du Revêtarme, valait mieux ne pas prendre de risque. Deux escouades de GSR ne seraient pas de trop. Ce fut donc accompagnée d’une trentaine d’hommes en arme et armure qu’elle se rendit aux portes du Palais Suprême.
L’homme y était déjà entouré par une dizaine de GSR qui pointait leurs armes sur lui, mais il n’avait pas lâché sa fourche, et ne semblait nullement inquiet. Venamia avait déjà vu des images de Castel Haldar dans la presse ou sur le net, le fameux roi d’un monde parallèle qui avait envahi Bakan et l’avait mise à feu et à sang. Du souvenir que Venamia en avait, il s’était agi d’un beau jeune homme aux cheveux or et au visage d’une grande beauté. L’homme qu’elle avait en face d’elle aujourd’hui ne correspondait plus trop à cette description. La partie droite de son visage était ravagée par des cicatrices purulentes, signe de graves brûlures, et ses cheveux, fins et éparpillés, étaient blancs. De plus, il était vêtu simplement, comme un paysan.
- Vous êtes Lady Venamia ? Demanda-t-il.
- C’est moi qui pose les questions ici, rétorqua-t-elle. Mais je veux bien vous confirmer mon identité. Confirmez-moi donc la vôtre.
L’homme regarda sa petite troupe de GSR prêts à se battre au moindre claquement de doigt et lui servit un sourire ironique.
- Je pense que vous le savez, non ? Je suis Castel Haldar, roi et fondateur de Cinhol.
- Fondateur peut-être, mais roi, plus trop, à ce que j’ai cru comprendre. Ceci dit, je vous remercie grandement d’être venu ici-même de votre propre chef. Ça va m’éviter de perdre du temps à vous trouver pour vous prendre Hafodes.
Elle leva le bras, et les GSR se mirent en position d’encerclement. Castel avait toujours ce même air aimable et amusé.
- Vous pensez pouvoir me voler Hafodes avec vos petits soldats ? Vous ne devez sans doute pas ignorer que je possède le Revêtarme, non ?
- Ça, c’est une sacrée coïncidence…
Venamia lança l’éclair d’Ecleus dans les airs, et se lia mentalement à lui. Il retomba sur elle en plusieurs pièces, recouvrant son corps d’une armure d’or ailée. Aussitôt, Venamia sentit sa puissance et sa vitesse grimper en flèche, comme si les stats d’Ecleus venaient de s’ajouter aux siennes. Castel n’eut pas d’autre réaction qu’un léger haussement de sourcils.
- Oh, je vois. Vous avez rencontré Memnark, apparemment…
- Désolé de ne pas vous offrir un combat entre nous deux exclusivement. Vous maîtrisez votre Dieu Guerrier depuis plus longtemps, donc je me suis permis un léger avantage avec mes hommes ci présents.
- Vous pensez que ça pourrait suffire ? Demanda l’ancien roi. Le type Sol d’Hafodes me protégera de toutes vos attaques électriques, tandis que vous, vous craindrez mes flammes. Et ce ne sont pas vos hommes qui changeront grand-chose.
Venamia fut un peu moins sûre d’elle, tout d’un coup. Elle n’avait pas calculé qu’Hafodes ait pu être de type Sol, en plus de ses types Feu et Acier. Mais c’était logique. Ecleus et Triseïdon avaient trois types, eux aussi. Venamia avait bien sa vision Futuriste et son brassard d’Eucandia en avantage, mais cela suffirait-il ? Elle n’aimait pas s’engager dans un combat dont elle n’était pas certaine à 100% de l’emporter. Castel dut voir son trouble, quand il lui sourit.
- Détendez-vous, madame la Dirigeante Suprême. Je ne suis pas venu à vous pour me battre, mais pour parler de nos intérêts communs.
Venamia avait beau chercher dans le futur, Castel n’avait vraisemblablement aucune intention de l’attaquer. Elle décida donc d’en savoir plus, et fit signe à ses GSR d’attendre.
- Nos intérêts communs ? Et quels sont-ils, je vous prie ?
- C’est assez évident non ? Le monde est en train de tomber entre les mains de Memnark. Je pense qu’aucun de nous ne le souhaite.
- Vraiment ? Fit Venamia en décidant de le tester. Comment croyez-vous que j’ai obtenu le Revêtarme ?
- Memnark vous l’a débloqué, comme pour moi. Mais je doute que vous soyez une de ses fidèles pour autant. D’après ce que j’ai appris de vous, vous n’êtes pas du genre à aimer partager, hein ?
Venamia sentit que cet homme la comprenait un peu. Lui aussi sans doute, autrefois, n’était pas du genre à partager. Elle fit signe à ses hommes de baisser leurs armes, et invita Castel à passer devant.
- Allons discuter tranquillement dans mon bureau… Votre Majesté.
Une fois seuls à seuls, Venamia invita Castel à s’asseoir et alla lui servir un verre. Elle ne baissa pas sa garde pour autant, guettant tout signe d’hostilité à venir via sa vision Futuriste.
- Alors donc, vous préconisez une alliance entre nous ? Commença Venamia. Pour quels buts ? Vaincre Memnark ?
- Entre autre chose oui. Lui et ses sbires ont détruit le village dans lequel je m’étais installé à Cinhol. J’aimais ce village et ses habitants, et j’aimais ma vie là-bas. Je veux le faire payer, et aussi pour s’être servi de moi pour tenter de détruire ce monde il y a plusieurs siècles.
- Pourquoi ne pas vous allier à Igeus et à sa bande alors ? Ils combattent Memnark à l’instant où nous parlons.
Mais Castel secoua la tête.
- Igeus me déteste. À raison bien sûr, car j’ai tué sa mère, son frère et ravagé sa région natale. Et puis, je ne l’aime pas trop moi non plus. Il est trop fier et buté, et n’acceptera jamais mon aide même pour acquérir le fameux Excalord, sauf à me voler Hafodes.
- Ainsi, vous êtes au courant pour Excalord… marmonna Venamia.
- C’est pour cela que les amis d’Igeus sont venus me chercher depuis Cinhol. Je sais qu’il faut les trois Dieux Guerriers ensemble pour réveiller Excalord et le soumettre à la volonté d’un dresseur. Ce Pokemon serait assez puissant pour qu’une fois sous contrôle, son possesseur puisse défaire Memnark. Mais moi, il ne m’intéresse pas. Vous, j’en suis sûr, vous avez de grands projets pour lui.
Venamia but une gorgée de son verre, en tentant de voir derrière les yeux bleus de Castel. Des yeux scintillants et cristallins, mais extrêmement fuyants.
- Vous me laisseriez Excalord ?
- Je vous l’ai dit, je n’en ai aucune utilité. Une fois Memnark et ses Akyr éliminés, je compte retourner vivre à Cinhol. Vous pouvez faire ce qui vous chante dans ce monde ci, ça m’est complètement égal. Et quitte qu’à ce que quelqu’un dirige le monde, je préfère que ce soit vous plutôt que le descendant d’Uriel.
Castel, qui n’avait pas touché à son verre, le vida d’un seul coup puis se leva.
- Voilà ce que je vous propose : je vous aide à prendre possession d’Excalord. Allons où se trouve Igeus, battons-le, prenons-lui Triseïdon et réveillons Excalord. Je vous aide à le battre, vous le dominez, vous passez en Revêtarme et vous mettez à Memnark la branlée du siècle. Je vous y aiderai aussi. Ensuite, vous pourrez garder Excalord et même Triseïdon si vous voulez, prendre possession d’Atlantis et des Solerios de Memnark, puis dominer tout ce qui vous chante. Moi, je ne demande que trois choses, qui seront, je m’en doute, assez insignifiantes pour vous.
- Dites-moi.
- Un : je garde Hafodes. Lui et moi sommes liés depuis tant d’années, que je ne peux imaginer de m’en séparer. J’image qu’avec Ecleus, Triseïdon et Excalord, vous n’aurez pas spécialement besoin de lui. Deux : je veux votre promesse de ne jamais tenter de vous en prendre à Cinhol. Ce monde ne vous apporterait rien, de toute façon. Et trois : vous pourrez faire ce que vous voulez d’Igeus et de ses amis, mais je veux l’assurance qu’il n’arrivera rien à Leaf Elson. C’est l’ambassadrice d’Igeus à Cinhol.
- Je la connais de nom, oui, acquiesça Venamia. Pourquoi ne devrai-je pas la toucher ?
- Parce que je l’aime, tout simplement.
Surpris par cet aveu sincère et innocent, Venamia éclata de rire.
- Soit. J’accepte vos conditions, Castel Haldar. Juste une chose cependant : Igeus retient apparemment mon fils Julian à Cinhol, dans le palais royal. J’ai promis de ne pas toucher à votre monde, mais je ferai le nécessaire pour récupérer mon fils, même si pour cela je dois exterminer toute la garnison de la cité.
- Laissez-moi me charger de ça, proposa Castel. Dès que Memnark sera vaincu, je me rendrai dans la Cité Royale moi-même pour ramener votre enfant sans heurt.
Les deux possesseurs de Dieux Guerriers finirent par se mettre d’accord sur les détails, dont le fait de laisser à Castel l’extermination d’un certain Akyr rouge blindé, puis finalement, se serrèrent la main. Venamia n’avait pas entièrement confiance en Castel, mais elle ne pouvait pas ignorer sa proposition.
- L’affaire est entendue, alors, conclut Venamia. Quel est votre plan ?
- Il est tout simple. Tout ce que nous voulons se trouve à Bakan : Triseïdon, Excalord et Memnark. Nous infiltrons Atlantis pendant la bataille, nous neutralisons Erend et nous lui volons Triseïdon, et la suite, vous la connaissez.
- Le temps qu’on arrive, Memnark aura déjà peut-être gagné, répliqua Venamia.
- Allons donc, vous possédez le Revêtarme, oui ou non ? Je suis sûr qu’habillée d’Ecleus, vous pouvez voler plus vite qu’un avion à réaction tout en me portant ?
Le sourire de Venamia lui donna lieu de réponse, et les deux nouveaux alliés se rendirent sur le toit du Palais Suprême pour un décollage fulgurant.
***
En se sachant prisonnière du Grand Forgeron dans son vaisseau rempli d’Akyr, Eryl Sybel aurait facilement imaginé être étudiée, torturée, découpée en morceaux puis reconstituée autrement. Elle s’y était préparée d’ailleurs. Venamia lui avait dit que le Marquis la voulait vivante, mais apparemment, elle n’avait pas pu la refuser à Memnark. Le Grand Forgeron avait dû entendre parler de sa nature, et voulait la garder pour lui, afin de mener ses recherches et ses expériences horribles.
Mais pour le moment, Eryl n’avait pas bougé de sa cellule, qui ressemblait un caisson de laboratoire tout blanc. Elle n’était pas attachée, mais elle ne pouvait bien sûr pas sortir. Aucun Akyr n’était venue la chercher pour le moment. Eryl aurait dû s’en contenter, mais plus le temps passait, plus elle regrettait de ne pas avoir été charcutée par Memnark. Car il avait apparemment imaginé pour elle une torture encore plus terrible que tout ce qu’il aurait pu faire sur une table d’opération : il l’avait enfermé avec Bertsbrand !
- Quand te reverrai-je, pays merveilleux ? Où ceux qui aiment Bertsbrand, vivent dans le swag !
Bertsbrand avait commencé à chanter cette rengaine il y’a une heure, et sans s’arrêter. Eryl avait d’abord cru que ce serait une amélioration à ses éternels babillages sans queue ni tête, surtout qu’il avait une voix agréable, mais là ça commençait à devenir difficilement supportable.
- QUAND TE REVERRAI-JE, PAYS MER…
- LA FERME ! Hurla Eryl en perdant son sang-froid. Pour l’amour d’Erubin, taisez-vous un peu ! Si on doit mourir, j’aimerai passer mes derniers moments dans un silence réconfortant…
- Mourir ? Moi ? Absurde. Je suis trop swag pour mourir. La mort est d’une telle ringardise qu’elle ne supportera pas un type aussi classe que moi. Pas vrai, Marie-Eglantine ?
Le Parecool chromatique acquiesça en baillant. Eryl essaya d’imaginer pourquoi Memnark avait gardé Bertsbrand. Comptait-il le transformer en l’un de ses Akyr ? Un Akyr Bertsbrand ? Y’avait de quoi avoir peur… Eryl avait perdu la notion du temps en restant enfermé dans cette salle, mais elle était sûre que Bertsbrand avait bien passé toute une journée à lui parler de sa swagitude, de sa beauté, de sa classe et de toutes ses incroyables réussites dans différents domaines. L’idée qu’ils étaient prisonniers d’un alien fou l’avait semble-t-il échappé. Au moins se tenait-il le plus loin possible d’Eryl, dans l’angle opposé de la pièce, comme si la jeune femme couvait une maladie extrêmement contagieuse.
- Pourquoi tant de cruauté, Arceus ? Murmura Eryl. La Terre est en train d’être envahie, et je me retrouve enfermée avec ce type…
- Vous devriez en être reconnaissante, répondit Bertsbrand. C’est pas tous les prisonniers qui ont la chance d’avoir THE Bertsbrand comme compagnon de cellule. Je connais des femmes qui tueraient pour être à votre place.
- Et je la leur céderai bien volontiers !
Depuis quelques temps, le vaisseau était secoué de légers tremblements. Eryl ne pouvait en aucun cas deviner ce qu’il se passait à l’extérieur, mais elle supposait que Memnark avait commencé son attaque et lançait son vaisseau à l’assaut d’Atlantis. Eryl doutait qu’Erend et ses alliés possédaient la puissance nécessaire pour détruire ce vaisseau, mais s’ils l’avaient, ça ne la dérangeait aucunement qu’ils le fassent exploser, même avec elle à l’intérieur. Au moins, elle n’aurait plus à supporter Bertsbrand, et ça, ça valait toutes les morts du monde.
- Je crois qu’on est revenu sur Terre, fit Eryl. Ce vaisseau doit se battre au-dessus de Bakan contre la force coalisé d’Erend, en espérant qu’il ait pu convaincre un maximum de Chefs d’Etat.
- En parlant de la Terre, je suis parvenu à théoriser quelque chose d’incroyable, y’a pas longtemps, intervint Bertsbrand. Quelque chose qui va révolutionner notre façon d’appréhender notre système solaire.
- Vraiment ? Marmonna Eryl en se demandant quelle connerie il allait bien pouvoir lui sortir cette fois.
- Oh que oui. Depuis des siècles, les astrologues et autres scientifiques nous rabâchent que la Terre tourne autour du Soleil. Mais c’est une erreur. Ils n’avaient pas pris en compte un élément majeur : ma propre existence. En fait, ce n’est pas la Terre qui tourne autour du Soleil, mais le Soleil qui tourne autour de Bertsbrand.
- Voyez-vous ça… répondit Eryl en se prenant la tête dans les mains.
- Eh oui. Je suis tellement swag que le Soleil lui-même me tourne autour pour m’observer sous toutes les coutures. Je crois que si je faisais part de cette découverte à ce Grand Forgeron, il comprendrait mon génie et me relâcherai immédiatement en me suppliant de l’assister dans ses recherches. Oh, et en parlant de recherches, vous ai-je raconté le moment où j’ai découvert, à mes heures perdues de biochimie élémentaire, l’existence d’une nouvelle ADN souche tout à fait inconnue ? Apparemment, chaque être humain en semble être pourvu, mais chez moi, elle est bien plus importante que la moyenne. Je pense qu’il s’agit de la branche qui influe le swag chez l’humain. Ça me fait penser qu’il y a deux ans, je participais à ce gala des hommes les plus influents de la planète, et qu’à cette occasion, voyez-vous, j’ai…
Eryl était sur le point de craquer et de s’effondrer en larmes. Tout en se bouchant les oreilles, elle priait inlassablement :
- Pitié, Erend, Mercutio, tout le monde… Pitié, détruisez ce vaisseau ! Tuez-moi !