Chapitre 18 - Reason to fight
La volonté est comme une flamme. Elle peut brûler intensément, et embraser tout le corps. Ou au contraire, elle peut s’amenuiser, jusqu’à presque s’éteindre.
Mais même rendue à l’état de braise, la flamme de la volonté ne meurt jamais complètement. Elle reste enfouie en nous, attendant patiemment qu’un souffle vienne la raviver.
~*~
Sans perdre un instant de plus, je rassemblai mes Pokémon afin de leur expliquer mon plan. La paroi de la crevasse où nous étions tous tombés était très friable, donc impossible à escalader à mains nues. Et avec son handicap, Flambusard était incapable de nous porter jusqu'au sommet. Au final, il serait même celui à qui l'ascension poserait le plus de problèmes.
- Et c'est pour ça qu'on va travailler en équipe, clamai-je. Brutalibré passera le premier.
Devant l'air interrogateur de l'oiseau de combat, j'exposai mon choix : avec son attaque Poing-Karaté, Brutalibré créerait des encoches dans la pierre, où Flambusard, ainsi que les autres, pourraient s'agripper.
Bien sûr, il nous faudrait aussi un moyen d'escalader la paroi sans tomber. C’était là que Croâporal allait intervenir : en utilisant ses Grebulles gluantes à la manière de ventouses, nous pourrions remonter la crevasse sans risquer de tomber.
- C’est un bon plan, approuva l’amphibien.
- On compte sur toi, Gentlemon !
Je levai un sourcil étonné face à Flambusard. Mes Pokémon avaient de drôles de façon de se donner des surnoms…
- Quand à toi, Sonistrelle, poursuivis-je sans relever, on aura besoin de tes ultrasons. Il fait assez sombre, et la crevasse est plutôt étroite ; tu devras nous indiquer les obstacles, afin qu’on puisse les éviter.
Le petit Pokémon opina avec vigueur, visiblement tout heureux de se montrer utile.
- Ensemble, les amis, on va sortir d’ici, assurai-je. Je vous le promets.
- Je te reconnais bien là, Sacha, sourit Pikachu.
- Alors qu’attendons-nous ? fit Croâporal. Que l’évasion commence !
- POR MEXICO !!!
Nous sursautâmes tous, les yeux écarquillés devant Brutalibré, qui prenait fièrement la pose.
- Qu-qu’est-ce qui te prend ? lui demandai-je.
- Ma, amigo, c’est simplemente mi cri dé guerra !
- Ton cri de… ? Me dis pas que tu cries ça à chaque fois que tu prends la pose ?
- Ma si, porqué ?
Ne sachant trop comment réagir, je décidai d’ignorer sa question et indiquai à tous de se mettre en place. Il fallait agir vite. Nous avions déjà assez perdu de temps.
Croâporal distribua des Grebulles collantes à tous, excepté Sonistrelle. Comme convenu, Brutalibré s’élança le premier, pour créer des prises. Le petit Pokémon dragon voletait à quelques centimètres au-dessus de lui, l’air concentré tandis qu’il usait de ses ultrasons. La casquette à l’envers pour ne pas être gêné par la visière, j’entamai à mon tour l’ascension, Croâporal et Pikachu à mes côtés.
La première partie de cette escalade se déroula sans encombre. Nous avancions à un bon rythme, et même Flambusard arrivait à se hisser malgré ses ailes immobilisées.
Tout allait bien quand soudain, quelque chose de froid se posa sur mon bras, me faisant légèrement tressauter. Je jetai un coup d’œil, juste le temps de voir une petite particule blanche fondre sur ma peau, jusqu’à disparaître.
Non loin de moi, Pikachu paraissait avoir le même problème :
- Eh, c’est quoi ça ? Vous avez senti ?
- C’est de la neige !
- Hein ? Ma porqué est-ce qu’il neige ? C’est pas la saison !
Il avait raison. Nous étions à la fin de l’été, comment pouvait-il déjà neiger ?
Mais nous n’eûmes pas le temps de nous interroger davantage. Les flocons tombaient de plus en plus nombreux, et grossissaient à vue d’œil. Puis tout à coup, le vent se leva.
Et en un instant, ce fut un véritable blizzard qui s’abattit sur nous.
- C’EST QUOI CE DÉLIRE ??!!
Notre cri commun s’évanouit dans le vacarme du vent qui s’engouffrait dans la crevasse, manquant de nous déséquilibrer. Je sentis un poids sur ma tête ; Sonistrelle s’y était accroché, ses petites ailes ne lui permettant pas de faire face à une telle bourrasque. De mon côté, je me démenais de mon mieux pour rester accroché à la paroi.
Mais qu’est-ce qui se passait ? Ce blizzard avait surgi de nulle part, comme ça… Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Quelqu’un voulait nous empêcher de remonter ! Mais qui, et pourquoi ? Je me serais sans doute posé ces questions si je n’avais pas plus important à gérer sur le moment.
Sous la force du vent, et avec les rafales de neige qui m’aveuglaient, je n’arrivais plus à bouger. Mes bras commençaient à souffrir de devoir supporter mon poids – et celui de Sonistrelle – et le froid me brûlait la peau. Mes doigts craquelés saignaient ; je ne savais pas combien de temps j’allais encore pouvoir tenir.
Je crus entendre des cris ; mais je ne savais pas si c’était le vent qui sifflait à mes oreilles ou mes Pokémon qui m’appelaient.
- LES AMIS ! hurlai-je. OÙ ÊTES-VOUS ?!
Rien à faire, ma voix se perdait dans les hurlements de la tempête. Puis tout à coup, une lueur orangée perça le rideau blanc qu’était devenu mon champ de vision.
- LAISSEZ, JE VAIS VOUS GUIDER !
Je reconnus la voix de Flambusard. Il venait d’embraser ses plumes pour créer de la lumière à travers le blizzard ! Bientôt, tous mes autres Pokémon apparurent dans mon champ de vision. Pikachu se tenait entre moi et l’oiseau de feu. Croâporal et Brutalibré étaient juste au-dessus de nous.
- ÇA VA ?
- COMMENT TU VEUX QUE ÇA AILLE ?! JE SUIS GELÉ !
- IL FAUT QU’ON SE SORTE DE CE GUÊPIER !
- CARAMBA ! J’AI DE L’EAU DANS LES YEUX !
Le cri de Brutalibré me fit tiquer. De l’eau ? Mais alors…
Ma crainte se confirma quand je vis les flocons, transformés en grosses gouttes d’eau sous les flammes de l’oiseau de feu, détremper la paroi de la crevasse.
- NON, FLAMBUSARD ARRÊTE !! m’égosillai-je. ÉTEINS TES FLAMMES !!
Trop tard. Pikachu, Sonitrelle et moi fûmes aussitôt aspergés d’une gerbe d’eau glacée. D’énormes flocons de neige fondue vinrent s’écraser contre mon visage, emplissant mes oreilles, mon nez et mes yeux.
Alors que je me contorsionnais autant que possible pour me détourner de cette averse, je vis que la mousse entourant les pattes de Pikachu se dissolvait petit à petit sous l’effet de l’eau. Aveuglé par ce blizzard fait d’eau et de vent, le rongeur se rendit compte trop tard qu’il glissait de la paroi.
Puis il lâcha prise.
- PIKACHU !!
Ayant moi aussi de toute manière perdu l’adhérence de mes Grebulles, je dérapai plus que je ne sautai de la paroi pour rattraper Pikachu. Une fois le Pokémon électrique dans mes bras, je fis le dos rond, prêt à encaisser le choc que je devinais imminent.
Mais contre toute attente, je ne brisai pas les os du dos, pas plus que je ne m’écrasai sur la falaise. Ma chute fut brutalement stoppée bien avant.
J’ouvris péniblement les yeux ; le blizzard faisait toujours rage, mais la neige était redevenue normale.
- Papa-Sacha ! Pikachu ! Vous allez bien ?
Je n’en crus pas mes yeux ; Sonistrelle me tenait par le col, ses ailes gelées battant furieusement pour résister au vent.
- Sonistrelle ? C’est toi qui… ?
- Non ! cria le petit Pokémon pour se faire entendre. Quand le Gentlemon t’a entendu crier, il a jeté sa mousse collante pour vous rattraper ! Hermano-Brutalibré et lui vous retiennent de toutes leurs forces, là-haut ! Et moi aussi je veux aider !
Je baissai les yeux, et vis en effet qu’un collier de Grebulles m’entourait la taille.
- C’est de la folie ! protesta Pikachu. Vous risquez de tomber, vous aussi !
- Mais… Papa-Sacha a dit qu’on s’en sortirait ensemble… (Je pouvais presque entendre les larmes dans la voix de Sonistrelle.) Alors je veux pas l’abandonner ! J’m’en fiche si je tombe, au moins, on restera ensemble ! Et je sais que Hermano et Gentlemon pensent pareil !
Entendre de telles paroles venues d’un si jeune être me bouleversa profondément.
- Bien parlé, l’ami !
Soudain, de puissantes serres agrippèrent mes épaules. De nouveau, j’eus du mal à croire ce que je voyais : Flambusard était venu aider Sonistrelle ! Le bandage de son aile – pourtant supposée infirme – à demi défait, il bravait courageusement la tempête, tout en s’excusant pour l’incident.
- T’excuse pas, vieux, fit Pikachu avec un demi-sourire. C’est aussi ma faute si j’ai glissé…
- Attends, Flambusard…, soufflai-je, presque à court de mots. Et ton aile ?
- Tout va bien ! Ce n’est pas cette petite blessure qui m’empêchera de vous venir en aide ! Je vais vous remonter, faites-moi confiance !
Sur ces paroles, il battit des ailes avec force, et réussit à nous faire monter petit à petit. Bientôt, Brutalibré et Croâporal devinrent visibles à travers le rideau de neige. Tous deux s’accrochaient d’une patte à la paroi, la deuxième étant occupée à tenir la « corde » de Grebulles qui me retenait par la taille.
- Bien joué, ami oiseau ! coassa brièvement l’amphibien, le visage crispé sous l’effort.
- Accroche-toi, amigo ! On va te remonter, foi de Brutalibré !
- J’aimerais tellement vous aider…, protesta Pikachu avec impuissance. Je vous en prie, les gars, tenez bon !
J’étais impressionné par le courage et la persévérance de mes Pokémon. Je ne les aurais jamais crus capables de dépasser leurs limites à ce point, et ce simplement pour me venir en aide. D’habitude, c’était plutôt le contraire ; c’était souvent moi qui avais dû risquer ma vie pour les sauver de maintes situations presque aussi critiques que celle-ci.
Et voilà qu’ils me rendaient la pareille. Alors que je m’étais lâchement enfui, alors que je les avais abandonnés, ils se démenaient pour me garder auprès d’eux. Je crois bien que jamais je n’avais été aussi ému.
Je pris alors conscience à quel point j’avais été égoïste. Ma défaite m’avait tellement démoralisé que j’avais complètement abandonné tout espoir, et avait préféré fuir mes problèmes plutôt que de les affronter. Et ce, au détriment de tous.
Mes Pokémon. Mes amis, Serena, Lem et Clem. Je les avais tous laissés tomber.
Que se passerait-il si je mourrais ici et maintenant ? Si malgré les efforts de mes Pokémon, nous finissions écrasés, gelés vivants ou je ne sais quoi encore ? Je ne pourrais plus jamais les revoir. Et eux ne sauraient jamais ce qu’il m’est arrivé.
Et tout ça à cause de ma stupide lâcheté.
- PAS QUESTION D’ABANDONNER !!
Avec rage, j’enfonçai littéralement mes doigts dans la paroi pourtant glissante. Etonnés, mes Pokémon poussèrent de petits cris aigus.
- Ça peut pas se terminer comme ça ! Je ne veux pas mourir, pas tant que je n’aurai pas revu mes amis ! Je veux les revoir… Et continuer mon voyage avec eux !
Le vent redoubla d’intensité. Mais même aveuglé et assourdi, je sentais toujours cette rage de vivre en moi, qui me brûlait les entrailles. Et cette rage, je voulais l’exprimer haut et fort, faire en sorte que tous l’entendent, blizzard ou pas.
- Je ne veux plus jamais perdre un être qui m’est cher ! Et pour ça… JE CONTINUERAI À ME BATTRE !! JUSQU’AU BOUT !!
Tout à coup, une intense lumière bleutée nous aveugla, moi et mes Pokémon. Au même instant, il me sembla entendre un cri, comme un feulement de rage.
La seconde d’après, je sombrai dans l’inconscience. Encore.
~*~
Lorsque je repris conscience, un violent mal de crâne m’accueillit douloureusement. Combien de fois m’étais-je évanoui, ces derniers temps ? Un peu trop à mon goût. À force, c’en devenait presque lassant.
J’ouvris les yeux, et découvris mes cinq Pokémon allongés près de moi, occupés à me surveiller. Lorsqu’ils me virent émerger, tous se redressèrent en poussant de petits babillements joyeux.
- Eh… les copains…, soufflai-je. On… s’en est sortis ?
- Pika !
Tous guillerets, mes cinq amis batifolèrent dans leur langue. Ce qui par ailleurs m’étonna. Pourquoi n’étais-je plus capable de comprendre leurs paroles ? À moins que tout cela ne fût qu’un rêve… ? Non, impossible. L’aile de Flambusard n’était plus bandée, preuve indéniable que ce qui s’était passé – la crevasse, le blizzard – fut bel et bien réel.
- Ah, tu es réveillé, mon gars ?
Je sursautai, avant de voir Genzo attablé non loin de nous, les yeux rivés sur un journal froissé.
Ce qui m’amena à m’interroger sur ma condition actuelle. Où est-ce que j’étais ? À première vue, j’étais allongé sur un matelas à même le sol, dans ce qui semblait être une pièce à vivre. J’avais l’impression que cela faisait une éternité que je n’avais vu un toit au-dessus de ma tête.
- M’sieur Genzo… ? (Je raclai ma gorge enrouée.) Où on est ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Le vieil homme ne répondit pas tout de suite. Les yeux fermés, il reposa son journal sur la table, et s’approcha de notre petit groupe.
- Pour répondre à ta première question, vous êtes ici chez moi.
- Ch-chez vous ?
- Et quand à ce qui s’est passé…
Sans crier gare, le vieil homme m’assena un rude coup de poing au sommet du crâne.
- Ça, j’attends justement que tu me l’expliques, bougre d’andouille !
- AÏE !!! Mais ça va pas, non ?! Pourquoi vous m’avez frappé comme ça ?!
Mes Pokémon se placèrent aussitôt entre moi et Genzo, prêts à me défendre bec et griffes.
- C’est tout ce que tu mérites ! éructa le vieil homme. Je t’avais dit de ne pas aller dans la forêt ! Mais évidemment, tu ne m’as pas écouté ! Résultat : tes Pokémon et toi avez été victimes des illusions du Bois du Dédale, et avez failli vous faire tuer !
- Ouais, ben fallait pas nous laisser en plan au beau milieu de la forêt, si elle est si dangereuse ! répliquai-je, furieux.
- Le lac était sûr ; le chemin que je t’ai indiqué était sûr. Et je t’avais prévenu quant au danger que tu encourais si tu daignais t’aventurer dans ce bois. Alors n’essaie pas de rejeter la faute sur moi ! C’est de ta faute si vous avez failli y passer. Tu devrais plutôt t’estimer heureux que je vous aie retrouvés à temps !
Je décidai de laisser tomber, et massai ma tête endolorie en gratifiant mon "sauveur" d’un regard noir.
- D’ailleurs, comment vous nous avez trouvés ?
- Peu importe, éluda Genzo. Au moins, ici, tu es en sécurité, c’est tout ce que tu as besoin de savoir.
Je soupirai d’agacement et me levai, soudainement désireux de prendre l’air. Si j’avais survécu à ces illusions de malheur, ce n’était certainement pas pour me faire remonter les bretelles par un vieillard sénile, qui paraissait me considérer comme un gamin dont il ne savait que faire. Mes Pokémon à ma suite, j’ouvris la porte du salon…
… et écarquillai les yeux.
L’extérieur débouchait sur une petite terrasse entièrement faite de planches de bois poli, et donnant sur un immense et magnifique champ fleuri. Toutes les couleurs y étaient représentées, formant un camaïeu à couper le souffle. Un vrai régal pour les yeux.
A cela s’ajoutait l’odeur enivrante des fleurs, portée par une douce brise tiède, qui faisait bruisser les feuilles des arbres qui ceinturait ce petit coin de paradis.
- C’est… magnifique, soufflai-je.
Pikachu et les autres en restaient tout aussi bouche bée que moi, émerveillés devant tant de nature sauvage.
- Bienvenue au Village Pokémon, mon garçon.
Je m’arrachai à la contemplation du champ fleuri pour me tourner vers Genzo, qui nous avait rejoints.
- C’est beau, n’est-ce pas ? sourit-il. Et c’est bien pour préserver cet endroit et tous les Pokémon qui y habitent que le Bois du Dédale existe.
- Euh… Pourtant, je ne vois aucun Pokémon…, fis-je, étonné.
- Si tu apprenais à observer plutôt qu’à simplement voir, tu te rendrais compte que ce champ cache de nombreux Pokémon. D’ailleurs, ils vous observent en ce moment même.
- Ils… nous observent ?
J’eus beau scruter les fleurs qui se balançaient sous la caresse du vent, je ne vis pas le moindre petit signe de vie.
- J’suis désolé, je ne les vois pas…
- C’est bien là ton problème, rétorqua Genzo. Tu ne jures que par ce que tes yeux peuvent percevoir. Mais il est des choses qui leur sont invisibles, et ces choses-là sont les plus essentielles.
Et voilà qu’il recommençait avec ses discours sans queue ni tête… Cela dit, ma curiosité avait été piquée.
- Est-ce que vous faites allusion aux illusions ?
- En quelque sorte, sourit Genzo, visiblement satisfait que j’aie fait ce parallèle. Nos yeux sont trompeurs. Ils ne nous renvoient qu’une image floue de la réalité. Si tu veux avoir pleinement conscience du monde qui t’entoure, il te faut apprendre à ouvrir ton cœur, et à voir au-delà des apparences.
Ces paroles me laissèrent perplexe. Voir au-delà des apparences ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Et surtout...
- Pourquoi est-ce que vous me dites tout ça ? Et pourquoi seulement maintenant ?
Genzo sembla réfléchir un moment.
- Tu te souviens quand je t’ai proposé de vous entraîner, tes Pokémon et toi ? À vrai dire, j’ignore ce qui m’a poussé à dire ça. C’est vrai, comment savoir si je pouvais te faire confiance, et t’amener ici, dans ce lieu sacré ? C’est entre autres pour cela que j’ai demandé à ce que tu réfléchisses à la raison qui te pousse à te battre. Je voulais vérifier ce que tu avais dans le cœur.
Il marqua une pause, avant d’esquisser un sourire énigmatique.
- Et je crois bien que tu as trouvé ta réponse, je me trompe ?
Je le regardai sans comprendre.
- Je t’ai entendu, dans la forêt. Certes, tu délirais certainement sous l’effet des illusions, mais je suis certain que tu pensais ce que tu as dit. A propos de tes amis.
Le souvenir me revint en mémoire comme un coup de poing. Je me souvins d’avoir en effet exprimé le souhait de revoir mes amis.
Sans savoir pourquoi, je fouillai aussitôt dans mes poches, et en sortit un pétale de fleur bleu.
Cette même fleur que nous avions découverte, mes camarades et moi, quelques temps plus tôt. Combien de temps, je n’aurais su le dire ; tout cela me paraissait si loin, désormais.
Curieusement, le pétale brillait d’une légère lueur bleutée.
- Je me souviens…, murmurai-je comme pour moi-même. Quand j’ai vu à quel point mes Pokémon se sont battus pour me sauver la vie, ça m’a bouleversé. J’ai compris… que je n’étais pas tout seul. Qu’il y avait des êtres qui tenaient à moi… et à qui je tiens plus que tout.
Je serrai le poing.
- Et c’est bien parce que je tiens à eux que je veux absolument vaincre l’Homme Masqué. Il menace directement mes Pokémon ; et indirectement mes amis. Et ça, je ne peux pas l’accepter. L’idée qu’il puisse leur faire du mal m’est insupportable.
- Voilà donc ce qui te motive. Le désir de protéger tes proches.
Les mots de Genzo sonnaient plus comme une affirmation que comme une question. Le fait qu’il avait réussi à lire en moi aussi facilement me troubla quelque peu.
- Oui…, soufflai-je doucement. Mais…mais la vérité, c’est que…j’ai peur de ce type. J’ai peur qu’en le combattant, on ne risque pas d’aller à notre perte. Face à lui, notre nature à ne jamais renoncer passe pour du suicide, ni plus ni moins. Il n’est pas seulement fort ; il est impitoyable, et n’hésite pas à tuer ceux qui se dressent sur son chemin. Alors j’ai fui. J’ai renoncé, et fui en emportant mes Pokémon avec moi, et en laissant mes amis derrière.
Non loin, un parterre de fleurs bruissa. Puis un autre. Quelques petits yeux commencèrent à apparaître entre les herbes folles. Mais emporté dans mon monologue, je ne m’en rendis pas compte.
- J’ai tenté de me persuader qu’en faisant ça, je protégeais mon entourage. Mais ce n’était qu’un mensonge déguisé. J’ai agi par peur, pas par altruisme. Preuve en est : je suis parti sans rien dire à personne, comme un vulgaire voleur. Mais quand j’étais seul dans la forêt… Je me suis rendu compte à quel point j’étais dans l’erreur. Fuir mes problèmes ne sauvera personne. Le seul moyen que j’aie de protéger ceux qui me sont chers, c’est de me battre. Me battre, et dépasser mes limites. Et c’est pour ça… C’est pour ça que je vaincrai l’Homme Masqué à tout prix !
Je respirai bruyamment, autant parce que j’avais perdu mon souffle en m’emportant que parce que je sentais de nouveau mes yeux me piquer. Mais je ne voulais plus pleurer. Je ne voulais plus rester statique, à me lamenter sans cesse en me disant que je n’y arriverai jamais. Ce sentiment d’impuissance me rongeait, et me mettait les nerfs en pelote.
Le silence qui suivit ma déclaration fut finalement, au bout d’un long moment, troublé par la voix de Genzo :
- Tu sais, petit, il ne faut pas avoir honte d’avoir peur.
Estomaqué, je retournai vers lui. Les yeux levés vers le ciel, le vieil homme semblait perdu dans ses pensées. Mais il se reprit bien vite :
- Avoir peur, c’est reconnaitre qu’on est faible. Et reconnaitre ses faiblesses, c’est faire un premier pas vers la victoire. On ne peut pas progresser sans connaître ses limites, j’en suis convaincu.
Il esquissa un sourire :
- Je vais te faire une confidence : je pense que cette escapade dans le Bois de Dédale t’aura finalement été plutôt bénéfique.
- Comment ça ?
Un feulement nous interrompit. Mes Pokémon sursautèrent, soudainement aux aguets.
Plus loin dans le jardin fleuri, à quelques mètres de nous, un Pokémon se tenait perché sur un rocher, ses yeux azur et perçants nous toisant durement.
- Ah, le voilà. Petit, laisse-moi te présenter Zoroark. Le gardien du Village Pokémon.
- Le gardien ? Mais alors, c’est lui qui créait ces illusions ?
- Gagné, confirma Genzo. Et il a un certain talent pour cela.
J’étais presque hypnotisé par le regard profond et intense du Pokémon Ténèbres. Nous étions plusieurs sur la terrasse ; pourtant j’aurais juré que c’était moi et moi seul qu’il fixait.
- Ce que les illusions de ce Zoroark ont de particulier, poursuivit Genzo dans mon dos, c’est qu’elles prennent la forme des peurs les plus profondes, enfouies en chacun d’entre nous. En clair, les illusions dont tu as été victimes n’étaient pour la plupart que des représentations de tes plus grandes peurs.
Tout concordait. Le feu, l’ombre de Méga-Raichu…et cette voix qui me disait d’abandonner… Tout cela n’était que le fruit de ma propre peur ; et les illusions de Zoroark leur avaient donné vie.
- Ah, mais…, m’exclamai-je alors. Ça ne m’explique pas pourquoi je pouvais comprendre ce que disaient mes Pokémon… Ça n’a rien avoir avec une peur, ça.
- Comprendre ce qu’ils disaient ? (Genzo resta pensif un moment, massant la barbichette de son menton.) Non, c’est sûr… Mais toutes les illusions de Zoroark ne prennent pas source dans tes peurs…
Nous observâmes tous deux le Pokémon, qui n’avait pas bougé de son promontoire. Le renard nous rendit notre regard encore quelques instants, avant de fermer les yeux et de s’éloigner, sans un mot.
- Eh ! Où va-t-il ?
- Je crois bien que Zoroark tolère ta présence ici, mon garçon.
Je tournai la tête vers Genzo, qui esquissait toujours un petit sourire en coin.
- Je crois qu’il sait quel genre de personne tu es vraiment. Et cela a l’air de lui convenir.
- Quel genre de personne je suis ? répétai-je sans comprendre.
- Tu as le cœur bon, petit. Tu aimes profondément tes Pokémon, et tu accordes une affection toute aussi grande à ces amis dont tu me parles tant. et c’est cette affection qui te pousse tant à te battre pour tous ces êtres qui te sont chers. C’est ce dont je me suis rendu compte en entendant ton cri. Et je crois que Zoroark l’a également compris à ce moment-là…
Je ne répondis pas, occupé à fixer les hautes herbes, ou le Pokémon Ténèbres avait disparu. A cet instant, les fourrés frémirent, et je crus voir une ombre s’y faufiler hâtivement.
A mon tour, je souris légèrement.
- A sa façon, Zoroark aussi se bat pour protéger ceux qui lui sont chers…, murmurai-je. C’est pour ça qu’il crée toutes ces illusions. Maintenant, je comprends.
Pikachu s’avança vers moi, l’air interrogateur.
Mon sourire s’élargit. Silencieusement, je remerciai Zoroark. Même si lui n’avait fait que défendre son territoire, il m’avait ouvert les yeux. Grâce à lui, j’avais eu l’occasion d’affronter mes peurs aux côtés de mes Pokémon. Et c’était une expérience que je n’oublierais jamais.
A présent, le doute n’était plus permis. Je savais pertinemment ce que je devais faire. Je m’approchai de mon équipe, et m’agenouillai à leur hauteur, le pétale bleu toujours au creux de ma paume.
- Ecoutez-moi, vous tous. Je sais que j’ai agi comme le pire des dresseurs… et aussi comme le pire des amis, ces derniers temps. Mais malgré tout, vous avez continué à croire en moi, et à me soutenir. Merci. A présent, c’est à moi de vous rendre la pareille. Jamais plus je ne douterai, c’est promis. A présent, je sais ce que je dois faire : continuer à me battre et à aller de l’avant. Je vais tout faire pour que vous progressiez suffisamment afin de vaincre les Pokémon de l’Homme Masqué. Et je m’entraînerai avec vous. Je ne vous laisserai pas tomber cette fois. Après tout, on forme une équipe.
Je tendis la main qui tenait le pétale, et un à un, mes compagnons tendirent pattes et ailes pour toucher la petite feuille bleue. Celle-ci brillait toujours, pour quelque obscure raison. Mais personne ne s’en inquiéta. Tout ce qui comptait pour nous, était le pacte que nous venions de sceller.
Ensemble, nous deviendrions plus forts, quoi qu’il arrive. Pour protéger ceux qui nous sont chers…et pour pouvoir les revoir un jour.
- Alors tu as pris ta décision ? fit Genzo derrière moi.
Je me redressai, et le regardai bien en face.
- Oui. Et si ce n’est pas trop vous demander… Je crois que nous aurions besoin de votre aide. Vous avez dit que vous formiez des dresseurs autrefois. Vous pourriez…nous entraîner ?
Pendant un temps qui me parut interminable, Genzo resta silencieux.
Puis il sourit.
- Marché conclu, petit. Tu m’as convaincu.
Je soupirai, à la fois soulagé et… heureux ? Oui, je pense que l’on pouvait dire ça comme ça. J’avais la sensation de retrouver un sens à ma vie. C’était comme… renaître en quelque sorte.
- Au fait, petit, comment t’appelles-tu ?
La question me surprit. Mais à bien y réfléchir, je ne m’étais jamais présenté à Genzo…
- Je m’appelle Sacha.
- Parfait. Alors écoute bien, Sacha. Mon entraînement n’est pas une promenade de santé. Si toi et tes Pokémon voulez vraiment progresser, vous allez devoir vous surpasser plus que vous ne l’avez jamais fait jusqu’ici. Je ne veux entendre aucune plainte, sinon j’arrête tout. Est-ce clair ?
- Pas de problème ! répliquai-je, ayant soudainement retrouvé mon entrain d’antan.
Mes Pokémon, galvanisés, poussèrent un seul et même cri enjoué. Je m’étonnai de ressentir autant d’excitation ; serais-je enfin redevenu celui que j’étais autrefois ?
- Dans ce cas, commençons tout de suite ! clama Genzo. Tout d'abord…
Soudain, un gargouillis sonore résonna dans l’air, coupant court à l’excitation générale.
- Ah…, bredouillai-je. Juste, est-ce qu’on pourrait manger un morceau avant ? Je…j’ai faim.