037 - Travail d'équipe
Une détonation, un grand bruit sec, effrayant. Voilà ce qu'elle venait d'entendre. Victoria Sterling, allongée dans son lit, un plateau de médicaments à sa gauche, une perfusion à sa droite, était impuissante, et sa maudit de ne pas pouvoir bouger. Ce son fort, assourdissant, qui l'avait faite sursauter inopinément tandis qu'elle était plongée dans la lecture de son livre... Elle se doutait bien qu'il s'agissait d'un coup de feu. Elle en avait déjà entendu, par le passé, et reconnaissant ce fracas caractéristique. D'autant plus que le son d'un corps s'écroulant au sol, raide mort, avait aussitôt suivi ; il se trouvait un cadavre dans sa propre maison, et elle ne pouvait rien y faire. Cette pauvre femme de ménage qui ne demandait rien de plus qu'un salaire avait trouvé la mort.
"Mon dieu, mon dieu, mon dieu..."
Elle ne semblait pas paniquer, ses traits fins et délicats étaient sereins, mais intérieurement, elle bouillonnait de colère et de peur. De colère contre elle-même, car cette satanée maladie l'empêchait de pouvoir faire des efforts physiques, c'est à peine si elle pouvait se lever pour aller aux toilettes. Et de peur, car bien qu'elle fût très courageuse, la jeune femme ne désirait pas vraiment mourir chez elle, dans son lit, tuée par un obscur inconnu aux motivations tout aussi énigmatiques.
"Oh, et puis merde ! grommela-t-elle. On ne me reprochera pas d'avoir rien fait !"
Prenant son courage à deux mains, elle se leva difficilement, saisissant sa perfusion, qu'elle traîna avec elle pour sortir de la chambre. Elle marchait péniblement, ses jambes étant engourdies par le manque d'exercice et le fait qu'elle fût alitée presque tout le temps, mais elle tint bon malgré la fatigue, et parvint à atteindre l'extrémité du couloir, où se trouvait un téléphone, posé sur un guéridon en bois. Elle le saisit, et composa l'unique numéro qu'elle connaissait de mémoire. Après quelques sonneries, on décrocha. Le ton de la voix masculine était inquiet, presque paniqué.
"Victoria ! Que se passe-t-il, tu vas bien ?
- Moi, ça va, mais je ne peux pas en dire autant de Jennie...
- Que lui est-il arrivé ?
- Je crois qu'on lui a tiré dessus... Je n'en sais rien, j'ai entendu un coup de feu et le bruit d'un corps qui tombe, ça venait de tout près... Ethan, ne rentre pas à la maison, si quelqu'un vient tuer notre femme de ménage, c'est forcément pour t'attirer dans un piège.
- Attends ici.
- Ethan, non..."
Trop tard, son époux avait déjà mis fin à la conversation. Elle reposa le téléphone rageusement, et retourna tant bien que mal à sa chambre, espérant que son mari ne commettrait pas de folies et appellerait la police, plutôt que de rentrer directement par excès d'inquiétude. Malheureusement, elle le connaissait bien, et savait qu'il reviendrait immédiatement. Décidément, sa vie partait en vrille ; à peine sortait-il pour aller à la pharmacie du bout de la rue, chercher des calmants, qu'un meurtre avait lieu dans sa maison.
En s'allongeant de nouveau dans son lit, elle entendit un bruit de fenêtre qui s'ouvre. Sans doute le, ou les assaillants, s'ils étaient plusieurs, entraient par là, en embuscade, afin de surprendre Ethan. Elle ne savait pas exactement quel genre d'affaires il avait menées ces derniers temps, loin de chez lui, mais elle aurait beau le questionner, il s'obstinerait à rester dans un mutisme parfait. Victoria préférait lui accorder toute sa confiance ; il lui en parlerait le moment venu. Peut-être gardait-il le silence pour la préserver d'autres soucis. Oui, c'était sûrement cela.
En tendant l'oreille, elle parvint à capter quelques bribes de conversation ; il y avait deux voix, l'une féminine, l'autre masculine. Probablement des personnes relativement jeunes, la trentaine sans doute, au vu du timbre.
"Il sera sans doute là d'un instant à l'autre, Ryan, prépare-toi.
- Prêt ? Je le suis depuis le début de l'opération, Katia, rétorqua l'homme.
- J'ai vu ça, tu es toujours d'une précision infaillible. Cette pauvre femme de ménage n'avait aucune chance, admit la femme.
- J'aime le travail bien fait."
La conversation s'arrêta là. Quelques bruits de pas, puis plus rien, ils avaient sans doute disparu dans le salon ou le vestibule, sans même chercher à monter pour fouiller l'étage. Quelques temps plus tard, Victoria entendit une porte s'ouvrir, avec l'espoir qu'ils s'en allaient, mais malheureusement, il s'agissait d'autre chose.
Ethan, inquiet, venait de quitter la pharmacie en toute hâte, sans même avoir atteint la caisse et payé ses produits, suite à l'appel inquiétant de son épouse. N'ayant pas écouté ses conseils, il s'était rué chez lui, de peur qu'il n'arrive quelque chose à Victoria. Précautionneusement, il ouvrit la porte, et le regretta aussitôt, puisqu'une main le saisit par la cravate pour l'entraîner dans le vestibule, sans délicatesse. Il ne s'attendait pas à être surpris dans l'entrée de sa maison.
"Qui êtes-vous ? questionna le médecin, tout en essayant, en vain, de se dégager de l'étreinte qui le retenait.
- C'est nous qui posons les questions, ici", soupira une voix de femme.
Ethan put en déduire qu'ils étaient au moins deux ; l'homme qui le traînait jusqu'au salon, et la femme qui venait de prendre la parole. Il sentit qu'on lui attachait solidement les mains à l'aide de menottes, puis on le fit asseoir sur le canapé. Impossible pour lui de s'en tirer, s'il ne pouvait pas bouger ses mains. Il observa les deux énergumènes tour à tour.
La rouquine à lunettes, dont les cheveux étaient ramenés en un chignon serré, lui octroyant un air sérieux, avait un regard brillant d'intelligence et d'autre chose qu'il ne parvint pas à identifier. Il crut que c'était de l'amusement, mais il ne saurait dire. Plutôt grande et fine, vêtue élégamment et même plutôt jolie, elle n'avait rien d'une tueuse. Et pourtant, elle tenait un pistolet dans une main, souriante.
Le grand brun en costume noir, de carrure plutôt sportive, en revanche, gardait un air parfaitement impassible, le visage fermé. Son regard était aussi perçant qu'une foreuse ; Ethan eut l'impression qu'il pourrait presque lire en lui aussi facilement que dans un livre ouvert, et pourtant, on lui disait souvent qu'il était compliqué à comprendre.
"Qu'est-ce que vous me voulez ? De l'argent ? Je suis prêt à vous en donner.
- Nous posons les questions, vous, contentez-vous d'y répondre, répéta la femme.
- Katia, ménage-le un peu, tu veux ? Le patron dit qu'il est assez fragile, surtout depuis qu'il a dû tuer Esther."
Le médecin plissa les yeux, intrigué.
"Vous travaillez pour le Juge ?"
Les deux intrus se regardèrent, et soupirèrent dans une parfaite synchronisation. Sans doute ne voulaient-ils pas répondre, et ils l'avaient bien fait comprendre.
"Vous allez nous dire ce que vous savez des projets de Freeze. Autrement, on tue votre femme. Ryan a déjà éliminé votre femme de ménage, et ce n'est pas beau à voir. Cervelle explosée, du sang partout...
- Je vais parler, finit par dire Ethan, peu désireux de retrouver son épouse dans un état déplorable.
- Eh bien voilà !"
Katia sourit, triomphante, tandis que Ryan allumait une cigarette. Cet entretien allait être long, ils le pressentaient...
x x x
"Putain, c'est qu'il pèse son poids, le bougre !" grommela Walter.
Le voleur venait d'allonger Will sur le canapé du salon où, un peu plus tôt, Oniglali et lui avaient eu affaire à une Lippoutou particulièrement véhémente et agressive. Le feu brûlait toujours dans l'âtre, diffusant une chaleur agréable, qui oppressait un peu le brun, lui qui ne pouvait plus supporter des températures trop élevées. Il essuya son front ruisselant de sueur, et quitta la pièce, ne fermant pas la porte derrière lui, pour laisser le blond se remettre tranquillement.
Retournant sur ses pas, il longea à nouveau le sinistre couloir séparant l'aile gauche du hall principal, et, résigné, décida de se rendre à l'étage. Si Will s'était retrouvé en danger, Liz aussi, selon toute vraisemblance... Il devait les retrouver, Linda et elle. En y repensant, il n'étais pas une seule fois tombé sur l'énigmatique personnage qui avait orchestré tout cela. Où se trouvait-il ? Il l'attendait peut-être, au détour d'un couloir, armé d'un couteau à la lame longue et luisante. Ou bien, derrière une porte, avec une seringue remplie de poison, quoique ce fût davantage dans les méthodes de l'Empoisonneuse. Ou encore, un piège mortel duquel Linda servirait d'appât...
"Non, mon vieux, ne te fais pas de films, contente-toi d'être réaliste, tout n'en sera que plus facile. Réaliste, et prudent", songea-t-il.
Walter resserra l'emprise de sa main sur son arme, appréciant le contact du métal froid contre sa peau étrangement chaude. Cette sensation le rassurait, il avait l'impression d'être intouchable, avec ce pistolet glaçant. Ce n'était pourtant pas le cas, mais il s'obstinait à croire que ça l'aiderait à en finir beaucoup plus simplement ; une simple pression sur la détente, et tous ses problèmes finissent congelés. Oniglali sortit de sa Pokéball, n'appréciant guère de rester inutile.
"Eh, je t'avais pas condamné à une peine plus longue, toi ? ironisa le voleur, sarcastique.
- Je ne crois pas que tu aies prononcé la sentence, monsieur le juge, répliqua le Pokémon sphérique, sur le même ton. Quoi qu'il en soit, je refuse de ne servir à rien, alors tu devras supporter ma présence à tes côtés, ça marche ?
- Attends, tu te rebelles contre l'autorité un peu trop souvent à mon goût... t'es en pleine crise d'adolescence, c'est ça ? T'en pinces pour une jolie Momartik et tes hormones te conduisent à éprouver une colère sans nom envers ton tuteur légal, et..."
Le regard noir d'encre que lui lança Oniglali dissuada Walter de pousser la plaisanterie plus loin, d'autant plus qu'ils se trouvaient dans une situation des plus inquiétantes ; il était le seul à pouvoir se charger du problème, sauf si Liz était encore en train de fouiner quelque part, mais c'était peu probable, étant donné qu'elle ne se serait pas séparée de Will, surtout vu l'état dans lequel il se trouvait...
"Bon, d'accord, suis moi, on va aller chercher les jolies filles en détresse..."
Ils se mirent tous deux à explorer, pièce par pièce, l'étage. Il ne s'y trouvait absolument rien d'intéressant, du moins, dans les premières salles visitées. Juste de la poussière, des vieux meubles, des toiles d'insectes et autres joyeusetés. Lorsqu'ils furent arrivés devant une porte, ils entendirent un son qui leur glaça le sang à tous deux — du moins, si cela était possible dans le cas d'Oniglali — ; un cri étrange, caractéristique d'une espèce en particulier. La Lippoutou se trouvait là-dedans, enfermée.
"Bon, à toi de jouer, balance un Giga Impact dans la porte.
- Et si Liz est derrière, gros malin ? soupira le Pokémon.
- ...disons une Charge, alors."
La créature de glace s'exécuta, et en très peu de temps, la porte se dégonda pour atterrir par terre, dans un craquement sonore qui fit sursauter les deux occupantes de la pièce. Car en plus de la Lippoutou, Liz se trouvait là aussi. La pirate informatique aux cheveux bleus, voyant une issue, s'empressa de se ruer hors de la pièce, et somma à Walter de s'occuper de ce Pokémon femelle effrayant.
"Oh, eh, attends, calme-toi et parle plus lentement, je ne capte rien ! pesta le voleur.
- Désolée, c'est que... merde, en me réveillant à côté de cette chose, j'ai paniqué, heureusement que tu es là ! geignit-elle. Will va bien ? Et Linda, tu l'as retrouvée ?
- Chaque chose en son temps... Will était sous l'emprise d'une drogue bizarre qui le faisait délirer, je l'ai emmené en lieu sûr. Quant à Linda, je sais pas où elle est, mais je compte bien la retrouver. Pourquoi tu t'es évanouie ?"
La jeune femme soupira et repensa à sa confontation avec Sander, qui l'avait affectée plus qu'elle ne voulait l'admettre. Elle se mordit la lèvre inférieure, ce que Walter ne manqua pas de relever.
"J'ai rencontré le type qui est responsable de tout ça. Je... je le connaissais, avant toute cette histoire. On s'est rencontré, une fois, dans une ruelle, je l'ai aidé à chercher son Skitty qui s'était enfui. C'est... ça m'a fait un choc, de le revoir dans de telles circonstances, je l'avoue...
- Qui c'est, exactement ?
- Sander Dowell, il doit avoir trente ans. Sûrement d'une famille riche, vu son accoutrement et ses manières. J'en sais pas plus, admit-elle.
- Un parfait inconnu, en somme, pour qui tu nourrissais quand même une certaine affection ?
- C'est un peu ça, oui."
Le voleur hocha la tête et se tourna vers la Lippoutou, qui avait disparu. Il ne s'en préoccupa pas davantage. L'important était de retrouver Linda, rien d'autre ne comptait.
x x x
Sander, toujours en présence de Linda, se retourna en entendant la porte s'ouvrir sur Pamela, qui avançait toujours de son étrange démarche chaloupée, laissant penser qu'elle dansait. La Lippoutou, tout en baragouinant dans son langage, émit des signes étranges, que Linda observait nerveusement, sans comprendre. L'homme en revanche, semblait saisir le propos de son Pokémon.
"Oui, je comprends. Les choses vont devoir s'accélerer, ce n'est plus le moment de s'amuser. Ma chère mademoiselle, je vais devoir prendre congé."
La blonde, agacée, ne répondit rien, et se contenta d'un regard mauvais, plus éloquent qu'une longue flopée d'injures. Elle ne se débattit pas lorsqu'il s'approcha d'elle avec une seringue remplie d'un liquide transparant, et se laissa piquer par l'aiguille, sans grande douleur. Les limbes du sommeil ne tardèrent pas à l'envelopper comme une épaisse couverture d'hiver.
"Il est grand temps que je m'occupe moi-même de ces plaisantins qui vadrouillent dans le manoir sans savoir quoi faire. Allons-y, Pamela."
Le ton de sa voix était soudain devenu beaucoup plus sérieux, et non plus affable comme à l'accoutumée. Calmement, il quitta la pièce, et ferma doucement la porte derrière lui, bien décidé à accomplir ce pourquoi on le payait.