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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 27/08/2016 à 17:51
» Dernière mise à jour le 19/09/2016 à 20:54

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 17 - Illusions
Parce qu'on ne peut jamais se fier à ce que nos yeux voient, ou à ce que nos oreilles entendent, j'ai appris à n'écouter que mon cœur. Lui seul sait où se trouve la vérité.

~*~


Je ne sais pas combien de temps dura le vol. Le battement régulier des ailes de Guerriaigle eut vite fait de me bercer, et je passai le trajet entier plongé dans un profond sommeil. Pas étonnant après tout ce que j’avais vécu. Depuis ma fuite, j’avais eu peu d’occasions de véritablement me reposer.

J’étais toujours dans les bras de Morphée quand une violente secousse me réveilla brutalement. Je manquai de peu d’être éjecté du dos de l’oiseau – au contraire de Pikachu, qui fit un beau vol plané.

« Non ! Il va tomber !... » Mon inquiétude se dissipa sitôt que je vis mon vieux copain à même pas deux mètres au-dessous de moi, sonné mais sur la terre ferme.
La terre ferme ? Mais alors…

- Terminus, gamin. Allez, descends.

Genzo n’avait même pas daigné tourner la tête pour assener cet ordre. Je lui obéis toutefois et mit maladroitement pied à terre. Mes membres engourdis protestèrent douloureusement. Mais le pire restait mon dos, qui me lançait à chaque mouvement depuis que j’avais encaissé l’attaque Aurasphère de Lucario. Genzo m’avait prêté une veste pour remplacer celle qui avait été déchirée à ce moment-là, mais le frottement du tissu sur mes plaies m’arrachait sans cesse une grimace de douleur.

Pikachu sauta sur mon épaule, trop irrité pour songer à se soucier de mon dos endolori. Lui aussi devait dormir tranquillement avant d’être passé par-dessus bord…

Tandis que Genzo nous rejoignait et rappelait son Guerriaigle, j’en profitai pour observer notre nouvel environnement.

Nous nous trouvions au bord d’un lac immense, de plusieurs mètres de diamètre, alimenté par un ruisseau qui serpentait le long de petites collines herbues. Le plan d’eau était ceinturé d’une forêt de pins, à l’air peu accueillant. Sombre et touffue, elle était composée d’arbres immenses, si grands qu’il fallait se dévisser le cou pour tenter d’en apercevoir le sommet. De temps à autres, un cri de Pokémon sauvage tranchait avec le "glou-glou" continu de l’eau.

- Euh… M’sieur Genzo, on est où, là ? demandai-je, pas très rassuré.
- En plein cœur du Bois du Dédale.

Le Bois du Dédale ? Jamais entendu parler. J’allais lui en demander plus quand soudain, Galopa surgit sans prévenir de sa Pokéball.

- Mais qu… ?! Tu ne peux donc pas patienter ne serait-ce que deux minutes ?! s’énerva Genzo.

Mais le Pokémon feu ne l’écoutait déjà plus. Il se dirigea sans attendre vers le lac, ou il but goulûment. Genzo soupira, et me dit de sortir mes Pokémon.

- L’eau de ce lac est spéciale, expliqua-t-il. Elle redonne de l’énergie aux Pokémon et soulage leurs blessures.

A titre d’exemple, il désigna Galopa qui, ayant fini de boire, cabriolait vigoureusement. Enfin, vigoureux, il m’avait toujours paru l’être… Néanmoins, je fis ce que le vieil homme me demandait et sortis mes Pokémon de leurs balles de fer. Pikachu rejoignit Galopa au bord de l’eau, et y but avidement, bien vite imité par ses quatre compères.

L’effet fut presque immédiat. Mes Pokémon se redressèrent sitôt qu’ils eurent fini de se désaltérer, le regard brillant de santé, et une énergie nouvelle dans les membres. Croâporal et Brutalibré allèrent même piquer une tête. Je fus à la fois rassuré et impressionné ; cette eau était vraiment incroyable ! A mon tour, je voulus en profiter, et plongeai mes mains dans le lac. L’eau était glacée, et d’une couleur limpide entre mes doigts.

Mais lorsque je la portai à mes lèvres, je lui trouvai un goût des plus banals.

- Malheureusement pour toi, ses effets ne sont bénéfiques que pour les Pokémon, s’amusa Genzo devant mon air étonné. Pour nous autres humains, ça reste de l’eau tout à fait ordinaire.

Je masquai ma déception en buvant deux autres rasades. Pikachu s’approcha, et posa une patte sur mon bras bandé en me regardant d’un air compatissant. Je le grattai derrière les oreilles en guise de remerciement. Après tout, tant que lui et les autres se sentaient mieux…je n’avais pas vraiment besoin d’autre chose.

- Alors, dis-moi…, dit Genzo, interrompant le cours de mes pensées. Qu’as-tu prévu de faire, maintenant ?

Je levai sur lui un regard interdit.

- Je…je n’en sais rien, avouai-je. Je n’y ai pas encore pensé. Je voulais attendre d’être sûr d’avoir semé l’Homme Masqué, mais…
- Si j’ai bien compris, m’interrompit Genzo, toi et tes Pokémon avez été attaqués par cet « homme masqué » et cherchez à le fuir ?

J’acquiesçai, l’air grave.

- A vrai dire, précisai-je, j’ignore où il est en ce moment même. On ne l’a plus revu après qu’il ait emmené Pikachu. Mais il a lancé un Arcanin à nos trousses. Actuellement, c’est lui qu’on essaie de fuir. Ce Pokémon s’en prend à tous ceux qui nous côtoient, rien que pour essayer de s’emparer de mes Pokémon. C’est pour ça qu’on…qu’on est partis.

« Enfin, que je suis parti. » ajoutai-je pour moi-même. Mes Pokémon n’étaient aucunement impliqués dans cette décision. C’était moi seul qui l’avais prise. Mais ça, Genzo n’avait pas besoin de le savoir…

Je sentis les regards insistants de Pikachu et des autres me brûler la peau, mais n’osai pas lever la tête pour les défier. Ne remarquant rien, Genzo reprit :

- Eh bien, au moins, maintenant, vous devez sûrement avoir un peu de distance par rapport à eux.
- Comment ça ?
- Si ma mémoire est bonne, je t’ai trouvé aux environs de Mozheim, au nord-est de Kalos. Or, le Bois du Dédale, où nous nous trouvons actuellement, est situé beaucoup plus au sud. Et comme nous avons emprunté la voie des airs, cet Arcanin ne risque pas de nous flairer de sitôt. Qui plus est, il faut plus d’une journée de vol pour arriver ici, alors imagine à pied…
- Son Arcanin est très rapide, rétorquai-je. Et l’Homme Masqué possède aussi un Roucarnage.

Genzo me considéra avec une expression indéchiffrable.

- Toujours est-il qu’il ne peut nous localiser. Du moins, pas aussi facilement.
- C’est-à-dire ? demandai-je, masquant au mieux mon impatience.
- Le Bois du Dédale est protégé par un gardien. Tous ceux qui y entrent impunément subissent des hallucinations, et deviennent complètement fous. Dans le pire des cas, il leur arrive de…

Il s’interrompit brusquement. J’avais peur de deviner ce que silence signifiait. On ne devait pas souvent revoir ceux qui pénétraient cette forêt...

- Pourquoi nous avoir amenés ici, si c’est si dangereux ? questionnai-je, méfiant.
- Cette forêt existe non seulement pour protéger ce lac, mais également pour éloigner les intrus d’un endroit appelé le Village Pokémon.

Genzo m’expliqua que le Village Pokémon était un lieu de refuge pour de nombreux Pokémon sauvages, et que ce lieu était par conséquent interdit aux humains. D’où la forêt hantée.

- Pourtant, on a bien réussi à y entrer sans encombre, nous, soulignai-je. Par la voie des airs.
- Parce que je connais le gardien des lieux. Pour ta gouverne, je l’un des rares humains à être autorisé à fouler le sol du Village Pokémon.

Il avait donc toujours réponse à tout, ce type ? Si c'était le cas, il n'était peut-être pas obligé de sortir cet air suffisant qui m'irritait au plus haut point...

- Enfin bref, fit Genzo en balayant mes interrogations d’un revers de main. Ne te préoccupe pas trop de ça, mon garçon. Ce qui compte, c’est qu’ici, vous soyez en sécurité, et pour un bon bout de temps.
- Si vous le dites…, marmonnai-je, pas follement convaincu.
- Revenons-en plutôt à tes projets : maintenant que tu sais que tu n’as plus à fuir, que comptes-tu faire ?

Comme je ne répondais pas, il poursuivit :

- Avec un fou furieux sur le dos, je dirais que deux choix s’offrent à toi : soit tu restes caché ici jusqu’à ce que l’autre abandonne la partie, voire même jusqu’à la fin de tes jours ; soit tu décides de profiter de cet instant de répit pour te reposer et te préparer à affronter la menace.

Le regard de Pikachu et les autres s’illumina. Soudainement excités, ils m’invectivèrent par de petits cris. Pour eux, la question ne se posait même pas.

- Il est hors de question de rester caché en attendant que ça passe, dis-je. Je tournerai dingue ; le mieux, c’est encore de s’entraîner.

Cependant, ces mots sonnaient creux à mes oreilles. J’avais plus l’impression de traduire les babillements de mes Pokémon que d’affirmer quelque chose que je pensais vraiment.

- Tu ne m’as pas l’air très enthousiaste, mon garçon, remarqua Genzo en écho à mes pensées.

Je ne répondis pas. Devant mon silence, Pikachu et les autres échangèrent des regards inquiets. Pendant un moment, plus personne ne pipa mot. Même Galopa restait silencieux.
Puis Genzo troubla ce silence :

- Ecoute, petit, je vais te faire une proposition : que dirais-tu si je m’occupais de superviser votre entraînement ?

J’en restai coi. Je devais bien m’attendre à tout, sauf à ça.

- V-vous êtes sérieux ?!
- Absolument. On ne dirait peut-être pas, vu comme ça, mais il fut un temps où je formais des…des jeunes dresseurs.

Son hésitation me fit tiquer. Me cachait-il encore quelque chose ?

- Enfin, reprit Genzo, cela ne dépend que de toi. Je n’ai pas envie d’entraîner un môme qui n’a aucun désir de se battre. Autant convaincre un Parecool d’aller courir un marathon.

Ces paroles m’atteignirent en plein cœur. Genzo se pencha, chercha mon regard ; mais je m'obstinais à l'éviter.

- Tu n’es pas obligé d’accepter, tu sais. Il y a des tas d’autres dresseurs par-delà la monde, bien plus forts que toi, voire bien plus forts que cet homme masqué qui te pourchasse. Pourquoi devrait-ce être à toi et tes Pokémon de terrasser cet homme ?
- Mais c’est à nous qu’il en veut ! m’écriai-je. C’est nous qu’il vise, c’est notre problème ! Personne n’a à s’en mêler.

Mes Pokémon hochèrent silencieusement la tête.

- Alors, c’est la vengeance qui te motive ?
- La vengeance… ? répétai-je, dérouté. Non, bien sûr que non… !
- Alors quoi ? insista-t-il. La colère ? La rancune ?

Je secouai négativement la tête à chaque fois.

- Alors qu’est-ce qui te pousse à te battre ? Quelles sont tes véritables motivations ?

Je restai muet. Mes motivations ? La question paraissait des plus simples ainsi posée mais… en y réfléchissant, je n’y trouvais aucune réponse satisfaisante.

- Si tu ne sais pas pourquoi tu te bats, tu ne pourras jamais progresser. (Je levai la tête vers Genzo.) Et ce, quel que soit l’entraînement que tu t’infligeras.

Son expression se radoucit :

- Je te l’ai dit : rien ne t’oblige à accepter ma proposition. Ce choix est le tien ; toi seul peux décider de te battre ou non. Moi, je ne suis rien d’autre qu’une main tendue sur ton chemin. A toi de décider si tu la saisis ou non. Mais ne prends pas pour autant cette décision à la légère, petit. Si jamais tu choisis de te battre, tu dois trouver tes propres convictions.

Les yeux rivés au sol, je gardai le silence.

- Ne cherche pas à me répondre tout de suite, lâcha finalement Genzo. Prends ton temps pour te reposer et réfléchir à tout ce que je t’ai dit.

Il s’approcha de Galopa, et prit ce dernier par la bride. Le cheval de feu renâcla légèrement avant de se laisser faire.

- Regarde. (Genzo désigna une trouée entre les arbres, d’où partait un petit chemin de terre.) En suivant ce sentier, tu tomberas sur une clairière vallonnée. Là-bas, tu y trouveras une petite chaumière ; c’est là que j’habite. Lorsque tu auras trouvé la réponse à tes questions, viens me retrouver. Je t’y attendrai.
Puis, sur ces mots, il s’éloigna.

Mais avant de s’engager sur le sentier, il se retourna une dernière fois vers moi :

- Oh, une dernière chose : quoi qu’il arrive, ne t’aventure pas dans la forêt. Tu ne dois y entrer sous aucun prétexte. C’est bien compris ?

Il attendit que je manifeste une réponse positive avant de disparaître complètement.

Une fois Genzo parti, le silence retomba sur le lac. Soudainement las, je soupirai et m’assis en tailleur, au milieu de mes cinq Pokémon.
Lesquels s’approchèrent de moi, et poussèrent de petits cris interrogateurs.

- Je ne sais plus ce que je dois faire…, avouai-je tout haut. Genzo a raison : pourquoi est-ce que je veux à ce point me battre contre ce type, alors que c’est lui qui vous a fait…ça ?

Je désignai d’un mouvement de bras l’ensemble du groupe. Si l’eau du lac les avait apparemment soulagés, elle n’avait pas fait disparaître les blessures et les bandages qui défiguraient le corps de mes Pokémon.

Ces derniers se contemplèrent les uns les autres, avant de marmonner quelque chose dans leur langue. Essayaient-ils de me rassurer ? Je n’en savais rien ; je les écoutais à peine. Je me repassais en boucle ce qu’avait dit Genzo.

« Ce choix est le tien. Toi seul peut décider s tu te bats ou non. »

- C’est à moi de choisir, hein ? marmonnai-je. C’est toujours à moi de choisir… Sauf que depuis le début, j’ai l’impression de ne faire que les mauvais choix. Et c’est vous qui en subissez les conséquences…, ajoutai-je en adressant un regard désolé à mes Pokémon.

Tous se turent, ne sachant quoi dire.

Je me levai, et fis quelques pas le long de la berge. J’entendis Pikachu et les autres trottiner derrière moi.
Après un moment, je m'arrêtai et contemplai la surface limpide de l'eau. En voyant mon reflet, je reconnus ce garçon désespéré que j'avais déjà aperçu dans les verres de lunettes de Lem. par extension, je songeai à mon ami, à sa sœur. A Serena. A tous ceux que j'avais laissé derrière moi.

Je serrai les poings et, sans me retourner, lâchai avec froideur :

- Vous savez quoi ? J’en ai assez. Pourquoi est-ce que ce serait toujours à moi de prendre les décisions ? Je ne suis pas une référence ! Je n’ai pas toujours la solution ! Il y a même des fois où j’aimerais vraiment qu’on me dise quoi faire, sans que je n’aie rien à réfléchir… Mais non, c’est moi le dresseur, c’est moi le leader, c’est toujours à moi d’assumer les responsabilités…

Il y eut une vague d’inquiétude chez les Pokémon. Pikachu s’avança :

- Pika… pika-chu ?
- Hein ? Bien sûr que non, je ne veux pas vous abandonner, si c’est ce que tu penses. Mais je voudrais juste qu’on me fiche la paix cinq minutes ! Qu’on ne m’harasse pas de questions, en attendant que je fournisse une réponse ! Qu’est-ce que je vais faire ? Pourquoi je me bats ? Mais j’en sais rien, bordel ! J’en sais rien !!!

J’avais presque hurlé ces derniers mots. Mes Pokémon reculèrent, effrayés. Sauf que je n’avais pas fini de m’en prendre à eux :

- Et vous, vous ne valez pas mieux que les autres ! Vous vous attendez tellement à ce que j’aille voir Genzo, et que je lui dise : « Allez, on va s’entraîner ! », pas vrai ? Eh bah non, désolé, mais ce n’est pas le cas ! Au risque de vous décevoir, je ne suis pas aussi impassible que vous ! Ça m’arrive de douter, et de penser que simplement s’entraîner, ça ne changera rien du tout à la situation ! Parce oui, c'est bien ce que je pense. Je pense que la situation est complètement désespérée, et qu'on ne peut plus rien faire !

Un silence choqué accueillit cet aveu.

Puis ce fut la cacophonie. Chacun de mes Pokémon y allait de sa protestation. On raclait des griffes, on serrait des poings, on battait des ailes avec fureur.
Et ce spectacle me fit plus mal que toutes les blessures de mon corps réunies.

- Mais vous croyez que ça ne me fait pas mal, de vous dire ça ?! m’emportai-je. Moi aussi je voudrais m’entendre parler comme avant, vous savez ? Mais la vérité, c’est que je n’y arrive plus ! Et vous savez pourquoi ? Parce que j’ai changé ; vous pouvez le comprendre ça ?

Le ton monta. Non, ils ne comprenaient pas. Et ils ne voulaient pas comprendre. Tous ce qu’ils voyaient, c’était que je fuyais le danger, que je fuyais mes responsabilités.

Que je les fuyais, eux.

- Vous êtes ingrats de m’en vouloir, alors que je m’inquiète pour vous ! m’écriai-je, gorge serrée. J’aimerais vous voir à ma place ! Ce n’est pas vous qui avez vu vos amis se faire battre à mort sous vos yeux, sans que vous puissiez rien faire ! Ce n’est pas vous qui en faites des cauchemars la nuit, cauchemars qui reviennent vous hanter à chaque combat !

Un choc électrique me traversa de part en part, m’empêchant d’en dire plus. L’attaque Tonnerre à peine atténuée de Pikachu me fit tomber à la renverse.
Légèrement sonné, je vis la scène comme à travers un brouillard. Pikachu s’égosillait dans sa propre langue. Il pleurait. Brutalibré et Croâporal durent s’y mettre à deux pour l’empêcher de se jeter sur moi. Mais eux aussi avaient les larmes aux yeux. Leurs regards à tous me fusillaient comme autant de balles en acier.


{Never Surrender – Skillet}

Alors quelque chose en moi se brisa.

- Oh, et puis vous savez quoi ? Vous n’avez qu’à vous débrouiller sans moi ! Vous vous en sortirez bien mieux de toute façon ! A quoi ça vous sert d’avoir un dresseur qui n’est pas fichu de se battre pour vous protéger, de toute façon, hein ?!

Sur ces mots, je tournai les talons, ignorant les appels de Pikachu et des autres. Sans un regard en arrière, je m’enfonçai dans la forêt.


~*~

Les larmes m’aveuglaient, si bien que je courus les yeux presque fermés. Je courus à perdre haleine, sans m’arrêter, ni ralentir, encore moins me retourner. Je me fichais bien de savoir où j’allais ; je ne pensais qu’à courir, toujours plus loin. Ça m’empêchait de réfléchir à autre chose. Ça m’empêchait d’entendre les cris de mes Pokémon, leurs appels, ou encore le rire désincarné de l’Homme Masqué, qui me poursuivait sans cesse dans mes souvenirs. Au moins, lorsque je courrais, je n’entendais rien d’autre que le vent siffler à mes oreilles.

Soudain, je butai sur une racine sortie de terre, et fit plusieurs culbutes, avant de m’étaler de tout mon long sur le sol. Je respirais si vite et si fort que j’en avais mal à la tête. Mes poumons, mes bras, mes jambes, tout mon corps me brûlait. Je ne pouvais plus stopper le torrent de larmes qui me ravageait les joues.

« Je suis trop faible… Trop faible… Je peux protéger personne, pas même mes amis… Bordel ! Pourquoi ? Pourquoi ça m’arrive, à moi ?! »

La rage et l’impuissance que je contenais depuis plusieurs jours consumaient mes veines, mettaient mon cerveau en ébullition. Mon corps entier vibrait sous cette tempête d’émotions qui me ravageait de l’intérieur ; je frappais inconsciemment les arbres à portée de mes poings, tentant d’évacuer cette rage.

Puis soudain, la bouilloire explosa.

Et je hurlai.

Je hurlai à m’en casser les poumons. A m’en déchirer les cordes vocales. Je hurlai, comme si je pouvais expulser cette boule qui me comprimait la poitrine par ce simple cri. Je hurlai à m’en briser la voix, parce que c’était la seule chose que j’étais capable de faire. Hurler. Encore et toujours.

Au bout d’un moment, je finis par m’arrêter. Mon cri s’évanouit dans l’air ; le silence m’enveloppa de nouveau.

Allongé par terre, bras écartés, la tête tournée vers le ciel, – que l’on pouvait à peine percevoir à travers les hautes cimes des arbres – je repris péniblement mon souffle.

Je fermai les yeux, libérant par-là même les dernières larmes qui y étaient accrochées. Seulement après cela, je me sentis complètement vidé. Vidé de toute énergie, de toute émotion. Ma tête était devenue vierge de toute pensée.

Immobile, je savourai la sensation de sentir les secondes s’égrener tranquillement, comme si le temps était devenu matériel, et qu’il glissait sur ma peau. Aucun mouvement, si ce n’était celui de ma poitrine qui se levait et s’abaissait de plus en plus régulièrement, ne me trahissait. J’étais comme devenu absent du monde qui m’entourait.

Puis petit à petit, le fil de mes pensées se reconstitua. Je me repassai dans ma tête, comme avec un vieux DVD, tout ce qui m’était arrivé ces derniers jours. Et aussitôt, le remords m’écrasa telle une masse de plomb.

« J’ai tout foiré. Je n’ai pas été capable de sauver mes Pokémon… J’ai fui mes amis en prétendant vouloir les protéger. Et maintenant, j’ai abandonné mes Pokémon. Je n'ai plus rien. Je suis… »

Je ne trouvai pas de mots pour me définir à l’heure actuelle. Un lâche ? Un couard ? Un moins-que-rien ?
Toujours est-il que je ne me reconnaissais pas, et cela m’effrayait. J’avais peur de ne plus jamais pouvoir redevenir celui que j’étais avant. C’en devenait pathétique. Pikachu et les autres ne méritaient vraiment pas cela…

La peine me broya le cœur. A force de pleurer, mes yeux avaient fini par se tarir. J'étais toujours immobile, mais bien vite, cette sensation me devint désagréable.
La solitude me pesait de plus en plus. J’avais l’impression de me tenir au bord d’un gouffre sans fond, prêt à sombrer si je perdais l’équilibre. Qu’est-ce que je n’aurais pas donné pour pouvoir me confier à quelqu’un ! Mais j’étais seul, et ce par ma propre faute. Je m’étais éloigné volontairement de ceux que j’aimais, et à présent, j’en payais le prix.

Un bruissement de feuilles près de moi attira soudain mon attention. Je rouvris les yeux, et eus aussitôt l’impression que la forêt était bien plus sombre que tout à l’heure. Faisait-il déjà nuit ? A moins que ce ne fusse une impression…

Le bruissement reprit, plus proche cette fois. Je me redressai, tentant d’en découvrir l’origine. A quelques mètres de moi, les fourrés remuaient. Je penchai pour mieux observer. Quand tout à coup, deux petits yeux rouge vif apparurent dans l’ombre, et se posèrent sur moi.

Je sentis une sueur froide recouvrir mon dos. Qu’est-ce que ça pouvait être ? Un Pokémon ? Sans quitter ces étranges globes du regard, je me relevai lentement, jusqu’à finir en position accroupie. Les yeux rouges n’avaient toujours pas cillé.

J’étais en train de me demander quoi faire, quand je sentis quelque chose me chatouiller la jambe droite. Je baissai les yeux, et découvrit une branche de lierre enroulée autour de ma cheville.

La seconde d’après, je fus soulevé du sol, et me retrouvai suspendu tête en bas.

- Waaaah !!

J’avais à peine le temps de réaliser ce qui m’arrivait que je vis d’énormes racines sortir de terre, et foncer droit sur moi.

Tout se déroula très vite. Juste avant que les racines ne se plantent dans ma chair, j’eus le réflexe de me redresser – au diable mes douleurs abdominales – et de m’accrocher au lierre. J’escaladai ensuite cette corde improvisée, et me retrouvai perché sur une branche de pin. Je me débarrassai de mon entrave, juste à temps pour éviter un nouvel assaut de plantes en furie.

« Bon sang, c’est quoi cette forêt ?! » C’était comme si les arbres étaient vivants, et qu’ils voulaient m’attraper. Était-ce l’œuvre d’un Pokémon ? Ou bien…
Je n’eus pas le loisir d’y réfléchir plus longtemps ; déjà de nouvelles racines fendaient le sol, et plongèrent vers moi telles des lances. Je roulai sur le côté pour les éviter, avant de prendre mes jambes à mon cou.

« Faut que je m’échappe au plus vite ! » Mais par où aller ? J’étais cerné par les arbres, et par extension par leurs racines. En désespoir de cause, je courus au hasard, esquivant les attaques végétales tant bien que mal, en priant pour qu’aucune liane ou autre lierre ne m’immobilise à nouveau.

Au lieu de quoi, ce fut un mur de flammes qui me barra la route. Je pilai net, manquant de peu de foncer dans le brasier. Je voulus faire demi-tour, mais un vent puissant se leva, manquant de me déséquilibrer. Attisées, les flammes m’encerclèrent. Bientôt, ce fut la forêt entière qui brûla. Même le ciel avait pris une teinte rouge vif.

La chaleur des flammes me fit suffoquer. Mon instinct de survie me hurlait de m’échapper ; mais comment ?

- Abandonne…

Je sursautai. C’était quoi, cette voix ? D’où venait-elle ?

Tout à coup, un éclair illumina le ciel, et m’éblouit. Une fois le flash passé, je rouvris les yeux…et me figeai.

Les yeux rouges de tout à l’heure étaient devant moi, accrochés à une silhouette sombre qui se tenait debout au milieu des flammes. L’ombre avait une forme très familière.

C’était celle de Méga-Raichu.

- Abandonne… Tu ne peux plus rien faire…

Je tressautai. Etait-ce l’ombre qui venait de me parler ?

- Pourquoi t’obstines-tu ? me susurra-t-elle. Ne crois-tu pas que tu as déjà assez souffert ? Laisse-toi aller, abandonne-toi aux ténèbres…

Malgré la chaleur ambiante, j’en eus des sueurs froides. Qu’est-ce qui m’arrivait ? Rien de tout cela ne pouvait être réel, si ? Ça ressemblait bien trop aux cauchemars qui me hantaient chaque nuit… mais en plus réels.

- Tu souffres, je le vois bien, murmura la créature. Dors, maintenant… Si tu te laisses faire, tu ne souffriras plus…

Lentement, je sentis mes membres s’engourdir. Et bien que je fusse toujours cerné par les flammes, je sentis un froid mortel s’insinuer dans mon corps. Mon esprit s’engourdissait progressivement, si bien que j’eus bientôt du mal à aligner deux pensées cohérentes.

- Dors… N’est-ce pas agréable de se laisser glisser dans les ténèbres ? Laisse-toi aller…

Petit à petit, mes paupières s’alourdirent. Je me retrouvai à genoux sans m’en rendre compte. Je tentai de résister, mais je n’arrivais plus à réfléchir correctement. J’avais de plus en plus froid… Et de plus en plus sommeil…

- Abandonne… Laisse-toi aller…

Me laisser aller ? C’était une idée plutôt agréable à supposer… Dormir, et tout oublier… Si ça pouvait étouffer mes peurs… et ma souffrance… c’était…tentant…

- Pikapi !!

Un cri traversa la brume qui enveloppait mon esprit.

« Pikachu ? » Aussitôt, un sursaut d’énergie me fit reprendre conscience. Je frappai le sol du poing ; la douleur provoquée diffusa une vague de chaleur dans tout mon corps, et les sensations de froid et de torpeur s’évanouirent.

- Ne l’écoute paaas…, susurrait toujours la voix, mais de manière plus ténue. Abandooonne…
- Parce que tu crois que je vais renoncer comme ça ?! m’écriai-je sans savoir à qui je m’adressais entre Pikachu ou l’ombre. J’ai déjà abandonné mes amis, abandonné mes Pokémon… Ne me demande pas d’abandonner le peu de volonté qu’il me reste ! Si je veux un jour redevenir comme avant, je dois continuer à vivre ! A vivre et à me battre ! Alors maintenant…
- C’est inutiiile… Laisse-toi all-
- TAIS-TOI !!

Je voulus m'échapper, je devais m'échapper. Mais m'échapper de quoi, déjà ? Tout s'embrouillait dans ma tête.
Puis soudain, j’aperçus un ruisseau sur le côté. Sans réfléchir, je plongeai dedans. Mais à peine mes mains rencontrèrent-elles la surface de l’eau que celle-ci se changea en glace, avant de se briser.

Alors, pour la énième fois en quelques jours, je me sentis tomber, et perdis conscience.


~*~

Lorsque je me réveillai, la forêt avait disparu, remplacée par des parois rocheuses escarpées. Les murs de pierre n’étaient espacés que de quelques centimètres par endroits, et parfois par plus d’un mètre.
J’étais dans une crevasse.

Que s’était-il passé ? Où étaient passés l’incendie, et l’ombre aux yeux rouges ? Et la voix ? Je ne l’entendais plus, désormais.

Avais-je rêvé tout cela ? Mais alors comment étais-je arrivé ici ? Une chose était certaine, la migraine qui tambourinait sous mon crâne était bel et bien réelle…

- Sacha ! Tu m’entends ?

Je tournai la tête en direction de cette nouvelle voix. Et là, je n’en crus pas mes yeux.
Pikachu, Croâporal, Brutalibré, Flambusard et Sonistrelle. Ils étaient là, tous les cinq. Et ils me considéraient avec une inquiétude non dissimulée.

- Pikachu ? (Je me raclai ma gorge sèche.) Les amis ?

Aussitôt, tous se jetèrent sur moi, et se blottirent dans mes bras. Etourdi, j’en restai sans voix. Je ne m’attendais pas à une si soudaine démonstration d’affection, surtout après tout ce que je leur avais dit…

Pikachu leva des yeux brillants sur moi.

- Oh Sacha, on a eu tellement peur pour toi !

Il y eut un moment de silence. Je clignai des yeux, croyant avoir halluciné.

- Qu…quoi ?
- Tou l’as dit, amigo ! s’exclama Brutalibré. Heureusement qué yé t’ai rattrapé à temps !
- Euh… ?
- Navré, très cher, mais sans mes Grebulles, vous vous seriez écrasés comme des mouches contre ces parois de pierre tranchantes, répliqua calmement Croâporal.
- Qu’est-ce t’insinues là, pendejo ? (NDLA : "pendejo" est un juron espagnol pouvant se traduire par "imbécile")
- Mais quelle vulgarité ! Dois-je te rappeler qu’il y a un enfant en bas âge, ici, espèce de rustre ?
- Ma, imbécil ! Tou né sais même pas ce qué veut dire pendejo !
- Peut-être, mais même un tas de muscles sans cervelle comme toi pourrait comprendre qu’il s’agit d’une insulte !

Front contre front, l’amphibien et le volatile se défiaient du regard, chacun tentant de pousser l’autre en arrière.

- Oh, pitié, vous battez pas…, soupira Pikachu.
- De vrais gamins, ces deux-là, marmonna Flambusard.
- Vous êtes de petits bébés ! rit innocemment Sonistrelle.
- Bon, ça suffit, arrêtez vos bêtises, tempêta le type électrique en séparant les deux opposants. Sacha est sain et sauf, c’est tout ce qui compte, non ?

Je regardai un à un mes Pokémon, la mâchoire sur le point de se décrocher. Je ne rêvais pas… ? Leurs lèvres bougeaient en même temps que j’entendais toutes ces voix différentes parler…

- PARLER ?!

Mon cri fit sursauter les cinq Pokémon.

- C’est quoi, ce délire ?! m’écriai-je. Pourquoi vous pouvez parler ?!
- Qu’est-ce qui te prend, tout à coup ? demanda Pikachu, intrigué.
- Comment ça, qu’est-ce qui me prend ? Mais vous parlez !!
- Euh… oui, enfin, comme d’habitude, quoi. T’es sûr que tu te sens bien, Sacha ?

Je ne sus quoi ajouter. D’abord la forêt prenait feu, ensuite je me réveillais dans une crevasse… Et voilà qu’à présent, mes Pokémon parlaient le langage humain. Si ce n’était pas un rêve, alors je devais être devenu complètement fou…

- Bah, non, pas vraiment…, lâchai-je en me massant les tempes. J’avais déjà mal à la tête, mais là, c’est encore pire… C’est pas normal ; pourquoi est-ce que je peux comprendre ce que vous dites ?
- En quoi est-ce si étonnant ? fit Croâporal. Tu as toujours été capable de nous comprendre, mon cher Sacha. C’est d’ailleurs l’une des qualités que j’apprécie le plus chez ta modeste personne.
- Attends, l’interrompit Flambusard. Je crois qu’il veut dire qu’il nous comprend mot à mot.
- Caramba ! s’écria Brutalibré. C’est imposible, voyons ! Les humains ne peuvent pas comprendre la langue des Pokémones !
- Ouais, c’est imme-possiblé ! renchérit Sonistrelle en essayant vainement d’imiter l’accent mexicain de l’oiseau de combat.
- Alors pourquoi est-ce qu’il réagit comme ça, à ton avis ? riposta l’oiseau de feu.
- Vous n’allez pas vous y mettre aussi, vous deux ? s’impatienta Pikachu.

Malgré le caractère invraisemblable de la situation, je ne pus retenir un sourire. Si on m’avait dit que les conversations entre Pokémon étaient si animées…

Mon sourire, toutefois, s’effaça bien rapidement.

- Au fait… (Les Pokémon s’interrompirent pour se tourner vers moi.) Pourquoi êtes-vous ici ? Après tout ce que je vous ai dit…

Je ne pus en dire plus, ne trouvant pas les mots adéquats. Un silence gêné tomba entre nous.

- Dis, papa-Sacha…

La voix, timide et fluette, fit se tourner toutes les têtes. Sonistrelle faisait jouer ses petites griffes, comme s’il hésitait à s’exprimer.

- …T’es toujours fâché contre nous ?

La simplicité de sa question me bouleversa. Je jetai un œil aux autres Pokémon ; tendus, ils attendaient de voir comment j’allais réagir.

Je reportai mon attention sur Sonistrelle, qui fixait obstinément le sol. Après avoir laissé passer un moment, je lâchai un soupir et lui caressai la tête. Le petit Pokémon écarquilla les yeux.

- Bien sûr que non, je ne suis pas fâché, lui répondis-je avec un sourire. En tout cas, pas contre vous. Je suis le seul à blâmer dans cette histoire, tu sais.
- Et y recommence…

Surpris, je levai les yeux vers Pikachu. Le Pokémon électrique regardait ailleurs, en tapant du pied.

- T’es pénible, à la longue, soupira-t-il. Et vas-y que c’est ma faute ; et vas-y que vous n’avez rien à vous reprocher, gnagnagna… Bon, on a compris, au bout d’un moment, quoi, stop !

Nous le regardâmes tous avec un air effaré. Je n’aurais jamais cru que Pikachu puisse être aussi…abrupt.

- Franchement, Sacha, t’en as pas marre de toujours te plaindre ? On dirait ton double du monde-miroir ! T’es pas comme ça, d’habitude ! Faut que tu te ressaisisses, mon vieux !
- Si je puis me permettre, intervint Croâporal, il n’a pas entièrement tort. D’ordinaire, tu es toujours le plus enthousiaste d’entre nous… Mais là, il semblerait que tout espoir t’ait définitivement quitté, mon cher...
- Ils ont raison ! renchérit Brutalibré. Où est donc passé ta passion abrasadora, amigo ?
- M…ma passion quoi ?
- Brûlante, si tu préfères, traduisit l’oiseau. Celle qui enflamme mon cœur de hombre ! Là, disculpame, mais ta passion actouelle, on dirait plutôt oune pétard mouillé.

Je lâchai un petit rire nerveux devant la comparaison.

- Je vous l’ai dit, non ? Je me sens dépassé par tout ce qui m’arrive. Ce qui nous arrive, corrigeai-je aussitôt. Je suis perdu…
- Et c’est pour ça que t’as sauté ? Parce que t’en avais marre ?

Je regardais Flambusard avec effarement.

- Sauté ? De quoi tu parles ? Quoique, attends, je me rappelle avoir plongé dans une rivière…puis m'être senti tomber… et après, plus rien, c’est le trou noir.
- Une rivière ? répéta Pikachu, ahuri. Sacha, t’as sauté dans un précipice ! Me dis pas que tu l’as pas vu !

Confus, je leur expliquai ce qui m’était arrivé après que j’aie quitté le lac. Les racines vivantes, l’incendie, l’ombre. Je passai toutefois sous silence mon passage dépressif qui avait précédé ces phénomènes étranges.

- … T’as complètement déliré, mon vieux, finit par lâcher le rongeur. On n’a rien vu de tout ça, et pourtant, on a suivi tes traces tout du long.
- Mais pas de racines vivantes, et encore moins d’incendie, confirma Croâporal.
- Pourtant… ça paraissait tellement réel, me défendis-je.

Puis, au même instant, un détail me revint en mémoire.

« Le Bois du Dédale est protégé par un gardien. Tous ceux qui y entrent impunément subissent des hallucinations, et deviennent complètement fous. »

Alors c’était donc ça… J’avais été victime d’illusions. Et d’ailleurs, cela pouvait aussi expliquer le fait que je puisse comprendre ce que mes Pokémon me disent. Encore des illusions provoquées par ce fameux gardien… Mais dans quel but ? A quoi cela rimait-il de faire parler mes Pokémon… ?

- Bon, c’est pas important, trancha Pikachu. Mais la prochaine fois, fais attention. Tu nous as fait une peur bleue…
- Désolé…, souriai-je, gêné.

Lâcher simple « désolé » fit remonter mes regrets à la surface. Je baissai les yeux.

- Je suis désolé…, répétai-je. Pour tout.
- Oh non, tu vas pas reco-
- Non, s’il te plaît, écoute-moi !

Pikachu se tut à contrecœur, et attendit.

- Écoutez-moi tous, les amis. J’ai conscience d’agir comme si j’avais tout laissé tomber. Et en vérité, n’est-ce pas le cas ? Je sais que notre style à nous, c’est de ne jamais renoncer, quoi qu’il arrive. Mais ça veut dire quoi, « quoi qu’il arrive » ? Que je ne dois pas cesser le combat tant que vous n’êtes pas tombés raides morts ? Non, ne commencez pas à protester, vous savez très bien que c’est ce qui a failli se produire lors du combat contre l’Homme Masqué.

Il y eut un bref silence. Je repris ma respiration, et poursuivis :

- J’ai pris trop de décisions que je regrette aujourd’hui. Des décisions irréversibles, pour vous comme pour moi. J’ai peur que la prochaine fois soit la fois de trop. Et que je perde tout ce que j’ai de plus cher, sous le coup d’un mauvais jugement. C’est d’ailleurs presque le cas…

Silence, de nouveau. Mais cette fois-ci, je soutins sans ciller le regard de mes Pokémon. Lesquels me le rendaient, une expression indéchiffrable sur leurs visages.

- Du coup, t’abandonnes, ou pas ?

Je posai des yeux ronds sur Sonistrelle.

- J’ai pas trop compris…, expliqua le petit Pokémon… Tout à l’heure, avant de sauter, t’as dit que tu voulais redevenir comme avant… Mais là, tu dis que t’abandonnes… Du coup, je sais plus, moi…

A la surprise de tous, Brutalibré éclata de rire.

- Hey, il a raison, lé pequeño ! Tou té prends la tête pour trois fois rien, amigo !
- Quoi ?
- Je vais tenter de faire une explication plus claire, fit Croâporal. Tu te poses comme seul coupable de tous nos malheurs, cher Sacha. Mais pourquoi t’infliger un tel traitement ? Nous sommes tout à fait conscients de notre part de responsabilités.
- Quelle part ? lui demandai-je, perdu.
- Si on en est là aujourd’hui, c’est aussi notre faute, m’expliqua Pikachu. Rappelle-toi : on a tous tenté de se sauver les uns les autres. et on a tous échoué. C’était aussi ton choix, ça ? Non. C’était le nôtre. Tout comme c’était mon choix de me laisser capturer pour vous permettre de vous enfuir.

Il détourna la tête, visiblement peu désireux de se rappeler cet épisode. Et de mon côté, je n’en avais pas non plus très envie. Mais le mal était déjà fait.

- Tu crois être le seul à blâmer ? reprit mon vieil ami après un bref silence. Le seul à te sentir faible et impuissant ? Le seul à t’en vouloir ? Eh bien, détrompe-toi. C’est aussi notre cas. Cette défaite, on l’a subie ensemble, Sacha. Et je veux que ce soit ensemble qu’on la surmonte, tu comprends ?

Croâporal acquiesça avec vigueur.

- Il a raison. Nous formons une équipe. Si nous devons progresser, c’est ensemble qu’on le fera. Ne me l’as-tu pas promis ?

Je compris qu’il évoquait le futur grandiose que lui avait prédit Astera, la championne d’arène de Flusselles. Ces hauteurs que nous devrions atteindre.
Ensemble.

- Tu n’es pas seul, Sacha, reprit Pikachu. Même si Serena et les autres ne sont plus là – et OK, t’aurais pu nous consulter avant de décider de partir comme ça – tu nous as toujours, nous. Et nous serons toujours là pour toi. J’ai pas raison ?

Les autres approuvèrent. De mon côté, je sentis les larmes me venir aux yeux. Mais des larmes de joie cette fois. J’étais ému au-delà des mots.

- Même si je vous crie dessus ? soufflai-je entre deux trémolos.
- Même si tu nous cries dessus. Ne va pas croire qu’on va te laisser nous abandonner comme de vieilles chaussettes !
- Aye, c’est vrai quoi ! Tou n’es pas comme ça, amigo ! On te connait assez pour lé dire !
- Notre entêtement est sans doute la plus belle qualité que tu nous aies transmise, cher ami, sourit l’amphibien.
- Enfin, qualité, ça dépend des fois ! s’exclama Flambusard. Parce que sauf ton respect, Croâporal quand t’as une idée en tête, tu lâches rien, et ça peut vite devenir pénible !
- Yé confirme…
- Que dois-je comprendre ?! s'insurgea l'intéressé.
- En fait de têtes de mule, vous êtes surtout de vrais barbares…, soupira Pikachu. Sérieusement, ça vous arrive de penser à autre chose qu'à vous battre ?
- Moi, j'pense à manger, des fois, dit Sonistrelle.
- Comme ton dresseur ! Tel maître tel Pokémon, qu'on dit non ?

Je les regardai se quereller, le cœur gonflé d'affection. Mon visage se fendit d’un sourire de plus en plus large, et brusquement, je me mis à rire. D’abord nerveusement, puis à gorge déployée. Je ris sans plus pouvoir m’arrêter.

- Eh bah, t’as déjà meilleur mine, mon vieux ! fit Pikachu.

Et nous rimes tous aux éclats. Je ris si fort que j’en eus mal au ventre et aux joues.

J’avais vraiment les meilleurs Pokémon dont on puisse rêver. Ils n’étaient peut-être pas les plus rapides, ni les plus puissants. Mais ils étaient mes meilleurs amis.

Et ça, aucune illusion ne pourrait me faire affirmer le contraire.

- Bon allez ! clama Pikachu. Si on se bougeait un peu et qu’on sortait d’ici ?

Approbation générale. Même moi, je me laissai emporter par l’enthousiasme de mon vieux copain. Qu’est-ce que je ferais sans lui ?

Soudain, Pikachu me lança quelque chose. Par réflexe, je rattrapai l’objet au vol.
C’était ma casquette. Je n’avais même pas remarqué que je l’avais perdue.

- Tu sais, Sacha, dit le rongeur. Tu ne fais peut-être pas toujours les bons choix, mais c’est normal. Personne n’est infaillible, pas même toi. Mais il faut que tu saches : quoi qu’il arrive, et quelle que soit ta décision, on te fera toujours confiance. Parce qu’on croit en toi.

Croâporal et les autres acquiescèrent de nouveau. Bouleversé par ces paroles, je cachai mes larmes derrière la visière de mon couvre-chef.

- Merci, les amis. Vous êtes les meilleurs.

Les intéressés eurent un rictus qui voulaient dire : « Allez champion. Relève-toi. » Je souris à mon tour, et détournai le regard pour m’intéresser à la crevasse, qu’il nous fallait à présent remonter.
Tout à coup, une idée me vint à l’esprit.

- Vous savez quoi ? Je crois bien que j’ai un plan pour qu’on se sorte de là.

Et pour la première fois, depuis longtemps me semblait-il, je fus convaincu de ce que j’avançais.