Ch. 07 : Une existence malheureuse
C'était bien notre jour de chance. Nous venions de livrer le plus rude combat de notre ridicule existence, et déjà le boss final nous tombait dessus, dans son mode rage cinq – si je peux me permettre – et alors qu'il nous restait moins d'un millième de notre santé.
Je me tournai vers Kishki, tout aussi paniqué que moi. Il avait vraiment choisi le meilleur moment pour faire son entrée en scène, le vilain macaque. Et nous, nous étions dans la pire situation possible, face à colère-man en personne.
— Vous... fit-il. Vous, vous avez osé remettre les pieds ici après m'avoir menacé et volé, et maintenant, vous tuez mes soldats et détruisez ma base... Je ne vais pas laisser passer ça, vous pouvez me croire...
C'est... Je peux pas... Non, je peux pas résister à la tentation.
— Oui enfin, vu comment tes singes étaient forts, je pense pas que tu sois un ennemi coriace.
Oh putain j'aurais pas du... Je vis littéralement la haine et la rage s'échapper du corps du singe. Il se mit à grogner, et une aura brune s'échappa de son corps, fissurant le sol sous ses pieds. Par Arceus qu'il ne le brise pas.
— Toi, l'Arcko... Tu as osé m'insulter... MOI, le grand Colossaps... Tu vas le regretter !!
Au moins, on ne pouvait pas lui enlever le fait qu'il fasse peur. M'enfin, c'était à peu près du même niveau qu'un enfant faisant un caca nerveux. En somme, la seule chose qui m'inquiétait était notre état. Pouvions-nous fuir ? Non. Pouvions-nous combattre ? Non. Pouvions-nous discuter ? Euh... non. Que faire, donc ?
— Zalen, me chuchota la Minisouris. Il faut qu'on trouve un moyen de se sortir de là. Je sais qu'on a progressé et qu'en temps normal on pourrait le vaincre, mais là, on est pas dans notre état normal...
— Euh... Tu sais que même si on dit ça, on finira tout de même par l'affronter ?
Il hocha la tête, absolument convaincu de ce qu'il disait.
— Oui, mais au moins, on aura essayé.
Devais-je dire qu'il avait raison ? Vraisemblablement non, même si c'était le cas. Seulement, comment se sortir de là ? Lui tenait à peine debout, et moi, au moindre mouvement trop brusque, je manquais de hurler de douleur. Je pouvais l'affirmer, nous étions dans une situation quelque peu déplaisante. Ma niveau de panique s' accentua de deux niveaux lorsque je vis qu'il chargeait un coup de poing.
— Maintenant, fit-il, CREVEZ !!
Oh, quelle mouise intersidérale, sérieux !
— Att...Attends !! criai-je. On fait partie de Volta !!
Il se stoppa net, entendant ce nom. Ça avait marché. En fait, mon plan était de parier sur le fait que Volta soit la plus puissante faction de la zone, jouant ainsi sur sa peur.
— Volta ?! répéta-t-il. Alors vous faites partie de ce groupe d'enfoirés... Une raison de plus POUR VOUS EXPLOSER !!
Je n'avais pas honte d'affirmer que je faisais bourde sur bourde. Certes, la première était faite exprès, mais la deuxième partait d'une bonne idée. Visiblement trop bonne pour cet abruti de singe. Ne souhaitant pas discuter davantage, il fila tel un missile vers nous. Je l'esquivai d'un saut sur le côté, mais sentis aussitôt une douleur terrible dans le ventre. Je m'étalai de tout mon long au sol, me tenant fermement la hanche de mes deux mains, et agonisant dans mon coin. Cela causait une instabilité de mon boost, si bien que je ressentais par moment des accès de douleur. Je trouvai néanmoins la force de me retourner, pour apercevoir Kishki, au sol, subir l'attaque de Colossaps.
— Kishki !! hurlai-je malgré mes blessures.
Le choc fit trembler l'air, et je crus apercevoir une onde de choc s'étaler autour du point d'impact. Le petit Pokémon fut alors projeté à une impressionnante vitesse à travers les baies vitrées, filant hors de mon champ de vision. Je ne trouvais pas la force de dire quoi que ce soit, trop abasourdi par ce qui venait de se passer.
Je serrai les poings, enrageant. Même réduit, mon corps aurait pu résister un minimum à ce coup. Pourtant, je me suis enfui comme un lâche et ait laissé mon compagnon blessé se faire attaquer. C'est moi qui aurait dû finir à sa place...
— Ne te fais pas d'idées, me dit le Colossinge. Ton boost faiblard ne t'aurait en aucun cas permis de résister à ce poing chargé. Il est infiniment plus puissant que ceux de mes soldats. Même tous réunis, ils ne sont rien face à moi.
Hm... Ça va, les chevilles ? Bref, ce n'était pas important. Pour l'heure, j'étais énervé contre moi-même. Et je devais fuir, par un quelconque moyen. Kishki avait dit que la faction possédait un garde-manger, non loin, si ma mémoire ne me trompait pas. C'était mon but ; je devais atteindre cette pièce, où je pourrais me restaurer.
Seul bémol : il fallait que je reste éloigné de mon adversaire, sachant qu'il ne prendrait certainement pas le temps de me regarder manger, et qu'il fallait que je digère. Fichu organisme.
— Maintenant que le voleur est parti, il ne reste plus que toi, l'Arcko. Je voulais justement me faire un plaisir de t'écraser de mes propres mains !
Moi aussi, mais dans de meilleures conditions, ça aurait été mieux
— Euh... On peut pas attendre que je sois rétabli ? proposai-je. Ce sera plus équitable, et le combat n'en sera que mieux...
— Silence !! Comment oses-tu... Comment oses-tu te moquer de moi ?!
Il chargea son poing, et fonça vers moi. Au diable la douleur ! Je chargeai comme je le pouvais une Green Tornado dans ma main, sentant la douleur m'engourdir de nouveau le corps. Mais pas le temps de pinailler, faut survivre ! Après quelques secondes, la tempête fut totalement chargée, et tendant mon bras devant moi, je la laissai filer vers le Colossinge à toute vitesse.
L'autre sentit le danger, et alors que les premières feuilles allaient le toucher, il disparut, et réapparaissant sur le côté, la dissipa d'un coup de poing, qui provoqua une onde de choc. Je grinçai des dents ; c'était mauvais. La seule solution pour que je puisse m'enfuir était de marcher, mais ça ne me permettrait pas de distancer mon ennemi. Et je ne pouvais pas non plus le bombarder de tornades vertes, comme même dans mon meilleur état, elles m'épuisaient beaucoup trop.
J'étais dans une véritable impasse, sans vrai moyens de m'en sortir. Tant pis, je n'avais pas le choix, je devais tout faire pour m'enfuir. Me relevant, je m'appuyais fermement sur ma blessure, courant doucement. Le primate me suivit du regard, puis en marchant, parvint à mon niveau.
Bon sang... Là, j'ai vraiment plus d'autres solutions. Serrant les dents, je fléchit mes jambes, et me propulsai alors au loin, retenant un cri de douleur. Je baissai les yeux, et vit avec soulagement que la plaie tenait bon. Quelle merveilleuse invention, la cautérisation.
Je m'écrasais au sol, trois étages plus haut, et serrant encore plus mes mâchoires, effectuai une seconde propulsion, me conduisait droit à l'autre bout du niveau. Me retournant comme je le pus, je pris appui sur un pilier, et filait une nouvelle fois à travers le palier, tentant de distancer mon adversaire. Je devais incroyablement forcer sur mes jambes pour atteindre une telle vitesse et ne pas m'écrouler au sol. En somme, c'était fortement douloureux.
⁂Hors de l'immeuble, Kishki était allongé sur le dos en plein milieu de la rue. Sa respiration était irrégulière, il parvenait difficilement à gonfler ses petits poumons, étant à bout de forces. Il ne tentait pas de bouger le moindre membre, étant blessé. Le coup que lui avait porté Colossaps était si puissant qu'il était passé au travers de l'immeuble d'à côté. Était-ce seulement possible, pour un simple chef de faction, d'avoir une telle force ?
A voir ses attaques, le Pichu était sûr d'une chose : son flux élémentaire n'était pas particulièrement puissant. Toutefois, sa spiritualité était... incroyable. Après tout c'était compréhensible, puisque le Colossinge avait été volé, insulté, avait vu ses sbires se faire tuer, puis encore insulté, et provoqué. Il y avait donc de quoi être énervé.
A travers le trou causé dans l'immeuble qu'il venait de traverser, les créatures se poussaient pour observer la Minisouris étalée au sol. Certainement étaient-ils surpris, et sûrement se moquaient-ils de lui. Qui serait assez fou pour s'en prendre ainsi aux FéroGuerriers, et surtout à leur chef ? Visiblement lui
Comment se relever et repartir au combat ? C'était ce que se demandait le Pichu.
Bon sang... Si je n'y retourne pas vite fait, Zalen ne pourra pas tenir... Il est trop blessé... Je savais que je n'aurais pas dû utiliser le Thunder Big Bang, même si ça nous a débarrassé des Férosinges, nous avons été trop blessés.Certes, les Pokémon possédaient une quantité d'énergie infinie, mais celle-ci étant puisée directement dans leur corps, ce dernier pouvait se fatiguer. C'était ce qui arrivait à la pile AAA, en plus d'avoir subi un fulgurant coup de poing. La balle n'était pas dans son camp, c'était indéniable.
Ailleurs, Lufasa, posté sur un immeuble, observait comme il le pouvait le combat. Ou plutôt les mouvements désespérés des deux créatures. Il était accompagné d'une créature inconnue.
— Tu ne crois pas qu'ils vont se faire tuer ? demanda cette dernière.
— Ça, ce n'est pas mon problème. Ce ne sont que des pions facilement remplaçables.
L'inconnu porta son regard vers le Luxray.
— Que des pions ? répéta-t-il. Alors pourquoi les avoir ainsi entraînés ? Tu n'y as pas passé que deux jours, il me semble.
Le Pokémon Brilloeil sourit.
— A vrai dire, c'était assez amusant de les voir ainsi souffrir. Qui plus est, ça ne m'a coûté qu'un peu de temps, rien d'autre. S'ils sont suffisamment forts, alors ils me permettront d'accélérer mon projet de conquête sans que je ne doive me battre ou mettre en péril la vie de mes soldats.
— Et tu les crois capables de vaincre toutes les factions de cette ville ? Regarde ce Pichu, il est dans un piètre état.
Lufasa soupira.
— Je ne peux pas leur en vouloir d'éprouver des difficultés à gagner, ce n'est que leur premier combat après tout. Ensuite, je ne garantis pas en effet qu'ils puissent tout gagner. J'aurais dès le début pu lâcher Golcab, mais j'ai comme projet de me servir des anciens membres de ces factions comme soldats. Il me faut une gigantesque armée pour m'emparer de Hoenn toute entière.
— Une armée et des soldats d'exception. Autrement, tu ne parviendras pas à vaincre les Frères d'Argent.
— Les Frères d'Argent, la plus puissante faction de la région... Ce sont eux qui possèdent toute la partie maritime d'Hoenn, mes types électrique me seront d'une grande aide.
— Souhaites-tu que je te prête main forte ? Je suis le Régent du nord d'Hoenn, mon aide peux t'être utile.
— Hmm, pourquoi quelqu'un de ta trempe m'aiderait, moi qui ne suis qu'un simple vassal ?
— Parce que tu es ambitieux, et que ton élément est plus utile que mon double type Sol et Spectre contre les Frères d'Argent. Je suis prêt à t'offrir toutes mes forces, à une condition : que je devienne ton second Roi.
Lufasa ria rapidement.
— C'est entendu, Tyfon. Toutefois, permets-moi de faire une modification. Si tu me prêtes toutes tes forces, tu seras en fâcheuse posture. Nous allons donc fusionner nos deux factions, et ensemble conquérir l'intégralité des terres. Puis, avec nos troupes comptant des centaines de milliers de Pokémon, nous envahiront la mer, et soumettront les Frères d'Argent. Ça ne sert à rien de les tuer en masse, mieux vaut qu'ils nous rejoignent.
Le dénommé Tyfon sourit.
— J'ai fait le bon choix, on dirait. Je suis content de connaître quelqu'un d'aussi ambitieux que toi...
Puis il disparut parmi les ombres, laissant le Pokémon Brilloeil seul. Celui-ci, un sourire sur les lèvres, l'observa partir, puis tourna la tête vers Kishki.
— Allez... Montrez-vous utiles, sales pions.
⁂Je m'épuisais bien trop vite, et mes jambes me tiraient dans tous les sens. Plusieurs fois je m'écrasai au sol, peinant à me relever, mais poursuivant tout de même. Sans parler de la douleur à ma blessure, qui évidemment, était terrible.
Mon Green Boost était au maximum, et ça me permettait tout juste d'avoir un niveau convenable pour esquiver. Derrière, Colossaps avait abandonné la traque, préférant marcher plutôt que de se fatiguer inutilement.
Je le comprenais, et c'était tout autant préférable pour moi. Il fallait que je mange, c'était impératif. Et pas des pieds de Férosinges. Quoique... Non, ça c'était le domaine de Kishki ! Il fallait plutôt se concentrer sur les baies, seul véritable remède disponible. Allez, cours, Zalen ! Si tu t'arrêtes, tu ne pourras pas repartir.
Ah mais au fait... Je vais où comme ça ? Je veux dire, la seule indication quant à la position du garde-manger que j'avais à ma disposition, c'étaient les paroles de Kishki qui me disait que ce n'était pas loin de là où nous trouvions. Si ça se trouve, j'étais trois étages trop hauts, dans la mauvaise direction ! Et dans ce cas-là, je serais vraiment emmerdé, si je puis me permettre.
Bref, où allais-je, sinon droit dans le mur ? La nourriture, dans notre monde, était quelque chose d'assez rare, dans le sens où les champs de baies n'étaient pas cultivées. Les guerres pour les denrées alimentaires s'ajoutaient donc à celles pour le pouvoir et le territoire. En somme, quelque chose d'aussi important ne devait pas être conservé au rez-de-chaussée, mais plutôt à un endroit difficile d'atteinte, tel que le dernier étage. Bien, c'était là qu'il fallait que je me dirige.
J'aperçus un trou dans le plafond, et freinant, je m'y engouffrai, espérant monter le plus haut possible. Je constatai qu'il n'avait pas été fait lors de la conception, et que c'était plus comme si quelque chose était passé au travers. Un Colossinge, par exemple ? Si tel était le cas, il me permettrait sans doute d'arriver au dixième étage.
Je dus à plusieurs reprises reprendre appui, et devant moi défilaient les niveaux de l'immeuble que nous n'avions pas explorés. Plus je montais, et plus ils étaient « propres » et labyrinthiques. Finalement j'arrivai au dernier palier, et poussant un soupir de soulagement, j'effectuai une douloureuse roulade, qui me plaqua au sol quelques instants. Doucement, je me relevai, et les mains posées sur ma blessure, j'avançai, un pas après l'autre, ordonnant à mes jambes récalcitrantes d'avancer.
Cet étage était bien différent de tous les autres ; alors que les précédents étaient emplis de cloisons dans tous les sens, celui-ci était vide de tout mur. Seuls des piliers éparses soutenaient la structure. Au milieu, sur une estrade, trônait un trône – c'est le cas de le dire. Je présumais qu'il s'agissait de celui de Colossaps.
L'espace d'un instant, j'eus de la peine pour cette créature. Il s'était construit un petit monde à lui, et s'était même embêté à dénicher un trône en bois. Avant que nous ne venions massacrer son peuple, ce roi devait vivre la vie dont il rêvait. Je fermai les yeux.
Il n'y a plus de place pour rêver, dans ce monde. Et si la quasi-totalité des Pokémon considéraient que la violence est le seul moyen de vivre, désormais, fallait-il vraiment les blâmer ? Même en sachant cela, je ne pouvais me résoudre à accepter cela. Si tous les êtres vivants pensaient ainsi, alors il n'y avait qu'à tous les tuer, sans exception. Je suis navré, Colossinge, mais je me dois te mettre fin à ton existence.
J'entendis alors un bruit au-dessus de moi, comme venant du toit. De quoi pouvait-il s'agir ? Il ne restait plus qu'une créature ici... Colossaps ? Puis soudain, le plafond craqua, et je sentis un poing me heurter le visage à une puissance phénoménale. Sous moi, je vis le sol céder lui aussi, et propulser à une incroyable vitesse, je passai à travers tous les étages, brisant le béton sous mon passage.
Je heurtai finalement le sol, provoquant un nuage de poussière. Sur le dos, je pouvais voir à travers le trou, et... et j'aperçus le primate fonçant vers moi, pour m'écraser de tout son poids. Il avait chargé ses pieds en flux, et autour de nous le sol se fendit, le morceaux de béton tombés furent projetés vers le haut. A chaque coup que mon adversaire portait, je croyais voir son pelage s'illuminer d'une lueur blanche.
Il s'écarta de moi, et d'un uppercut rasant le sol, il me projeta en diagonale vers les étages supérieurs. Je commençais à en avoir marre de jouer les ascenseurs. Après le premier choc contre le béton, je me mis à tournoyer sur moi-même, et rebondissant sur un mur, j'échouai au sol.
— Bordel !! m'exclamai-je en relevant la tête. C'est quoi ce délire, sérieusement ?! On va pas me dire que c'est la même à chaque fois qu'il y a un combat entre chefs de factions ?!
Mon adversaire sauta jusqu'à la où je me trouvais, et atterrit à quelques mètres de moi, provoquant un énième tremblement.
— Tout dépend de la puissance de ceux-ci, me répondit-il calmement.
J'en étais presque étonné. Et sa remarque provoqua chez moi un rire nerveux, mêlé à l'angoisse et la panique qui occupaient mon esprit.
— Ah.. ahah... Et tu vas me dire que toi... Toi tu es l'un des plus forts ?!
— Non, mais j'ai été simplement entraîné par le même professeur que toi !
J'affichai des yeux ronds, entendant cela. Le même professeur que moi... Lufasa ? Cela voulait-il dir qu'il avait fait partie de Volta ? Je croyais commencer à comprendre... Non...
Mobilisant tout ce qu'il me restait de forces, je me propulsai vers l'arrière, à savoir vers la baie dé-vitrée. Une fois sorti du bâtiment, j'accrochai mes mains au mur, et grimpai vers le haut. Et oui, pratique, d'être un Arcko, des fois.
Ici, il ne pourrait pas me suivre, et cela me permettrait de réfléchir calmement. Si lui aussi avait été entraîné par le Luxray, nourrissait une certaine colère envers lui, et faisait partie d'une autre faction, c'est que quelque chose devait s'être mal passé. J'entendis un bruit de béton qui saute – oui je commençais à le connaître, à force – et une seconde plus tard, Colossaps brisa le mur, se plaçant au-dessus de moi. Pour ne pas tomber, il planta ses pieds dans la paroi bétonnée.
Oui, j'avais oublié que c'était un singe et qu'il avait une force abusée. Qu'importe, je devais en savoir plus sur lui, et sa relation avec Lufasa.
— Tu as fait partie de Volta ? demandai-je, toujours accroché au mur.
— En quoi ça te regarde ?! Si je te dis oui, tu vas aller tout lui raconter, pour qu'ils m'éliminent ?! Mais ne te fais pas d'idées, ils savent que je suis là !! Et j'ai bien fait exprès d'être leur voisin !!
— Non... Je veux juste savoir. Selon mon hypothèse, tu aurais été « recueilli » par le Luxray alors que tu étais un Férosinge faiblard. Puis, il t'aurait entraîné comme un dingue à frapper contre des frigos jour et nuit, ainsi qu'à faire des pompes avec huit cent tonnes sur le dos. Puis, quelque chose se serait mal passé, et tu aurais alors quitté Volta, pour créer ta faction, et un jour être en mesure de te venger. C'est ça ?
Visiblement, ce que je venais de dire le troublait. C'était signe que je me rapprochais du but.
— Comment... Qui es-tu, pour ainsi en savoir autant ?! Tu as demandé des informations à ton chef, c'est ça ?!
Je l'ignorai et continuait. Les idioties qu'il pouvait raconter en étant déstabilisé m'importaient peu.
— Et est-ce que, par le plus grand des hasard, cette chose qui se serait mal passée, ce serait un truc du style... du style que tu t'es rendu compte qu'il te manipulait, et que sans que tu le veuilles il t'avait forcé à rejoindre sa faction ?
(arrêtez la musique, et passez à la suivante)
Ses yeux auparavant de forme triangulaire devinrent rond.— Que.... D'où est-ce que tu sais ça ?!
Je soupirai. C'était bien ce que je pensais.
— Tu es donc comme nous. Permets-moi, Colossaps, de t'en dire plus à notre sujet. Il y a deux semaines, ce Pichu et moi, après vous avoir échappé, avons décidé de devenir plus forts. Nous avons donc eu l'idée d'envahir, à nous deux, l'arène pour y établir notre base et nous y entraîner. Cependant, tout ne s'est pas passé ainsi et notre opération a foiré. Résultat, nous avons imploré l'aide de Lufasa. Il nous a fait faire son entraînement infernal, et au final, nous a forcé à rejoindre Volta sous le titre de « commando », prétendant qu'on avait une dette envers lui. Je savais qu'il allait le faire, mais ça m'importe peu. Au final, ça ne change pas le fait que je compte bien le tuer, lui et sa clique.
Mon adversaire écoutait chaque mot de mon histoire avec attention, et prenait grand soin de les enregistrer. Il abaissa sa garde, et voyant que je n'en profitai pas, continua. Oui après tout, je n'étais pas lâche à ce point.
— Alors vous aussi... dit-il. C'était il y a cinq ans de cela, et ça s'est passé exactement comme tu l'as dit. J'étais un Férosinge avec une faible constitution, et n'ayant aucune connaissance des flux. J'avais entendu parler de lui et de sa grande expertise, alors j'y ai cru. J'ai pensé que si je l'implorais de m'aider, il accepterait, et je pourrais devenir plus fort pour former ma propre faction. Il a bien voulu de m'aider, et j'étais alors incroyablement heureux. A ensuite commencé l'entraînement physique, pour lequel je me suis donné à fond. Je me fichai de la douleur et des blessures que je m'infligeais, tout ce qui comptait pour moi était de progresser. Lorsqu'il fut fini, Lufasa me fit intégrer Volta en tant que commando, sans que ne puisse rien dire. J'étais... abasourdi. J'ai commencé alors à nourrir une haine profonde pour lui, qui s'est accentuée à chaque mission. Elle a atteint son paroxysme lorsqu'il m'a obligé à mourir pour lui. C'est à partir de ce moment que je me suis enfui, emportant avec moi le désir de me venger. J'ai créé les FéroGuerriers, mais rien n'était pareil. Je ne le faisais plus pour mon rêve, mais simplement pour l'éliminer. Alors je peux comprendre que toi aussi, tu veuilles le faire, mais abandonne tout simplement. Ce type... il est bien trop fort. Entre lui et Golcab, je ne sais quoi penser.
Je méditai sur ce qu'il venait de me dire. Son récit était le même que le mien, à quelques détails personnels près.
— Si tu as créé ta faction uniquement pour te venger, pourquoi martyriser d'autres Pokémon ? Ce Pichu vagabond, solitaire, qui voulait te prendre juste un peu de nourriture pour survivre, pourquoi l'avoir traité ainsi ? N'étais-tu pas comme lui avant ? Alors pourquoi t'acharner ainsi sur d'autres qui n'ont aucun rapport avec toi ?!
— Lorsque vous nous avez échappé, j'avais donné l'ordre à mes soldats de ne pas utiliser toute leur puissance et de jouer le jeu. Ce Pichu, nous l'avions en effet capturé, mais si un être aussi chétif que lui était parvenu à s'échapper, ce n'était pas par hasard. S'il avait pu également franchir les trois étages menant à la sortie sans qu'aucun Férosinge ne soit là, ce n'était pas par hasard non plus. Et si je l'ai menacé de le torturer, c'était pour qu'il ne remette pas les pieds dans ce bâtiment. Un Pokémon seul et sans défenses n'a rien à faire dans la base d'une faction, car si pour ma part je ne nourris qu'un rêve de vengeance, d'autres s'amusent réellement à faire souffrir. Je me souviens que tu as dit vouloir me tuer, et j'ai vu cette flamme de haine dans ton regard. Certainement pouvais-tu le dire pour cette souris. Cependant, qu'est-ce qui t'a obligé à massacrer tous mes soldats ? Vous pouviez tout à fait les rendre inconscients, avec vos pouvoirs. Pourtant, vous les avez tous tués, et avez même ri de leur mort. Je vois aussi dans tes yeux cette rancune envers les autres, sans distinction aucune. Je ne sais pas par quoi tu es passé, mais réponds-moi : est-ce que tu considères que l'on peut vraiment rire de la mort ?! Est-ce que pour toi, des êtres vivants qui perdent atrocement la vie, quels qu'ils soient, peuvent être source de plaisanteries ?! Notre monde est tâché jusqu'aux entrailles par le sang versé. Si tu as perdu quelqu'un, tu dois savoir à quel point la mort est cruelle. Cette douleur indéfinissable et introuvable que tu éprouves...
— En effet, j'ai perdu mon clan... Nous étions une vingtaine en tout, et j'y avais ma famille et mes amis.
— Alors dis-toi que comme tu as perdu vingt personnes qui t'étaient précieuses, à un âge où tu peux te reconstruire, moi j'en ai perdu soixante trois, que je considérais tous comme mes frères. Sans eux, je ne suis plus rien, seule la colère donne un sens à ma vie. Toutefois, en te tuant maintenant, celle-ci disparaîtrait, et je sombrerais dans la folie. Qu'y gagnerais-je ? Tout ce qu'il me resterait à faire serait de mourir à mon tour, ne pouvant plus exister. Toutes les factions ne sont pas identiques. Pourtant, t'es-tu dis autre chose que « je viens pour tuer » en entrant ici ?
Je ne sus quoi lui répondre. Jamais je n'avais brisé la vie de quelqu'un comme on avait fait pour moi. Et même si je comprenais la douleur de ce Colossinge, j'éprouvais une certaine satisfaction à l'avoir fait. Ainsi, j'étais capable de détruire une existence sans la faire disparaître. C'était quelque chose que je devrais refaire !
Mais malgré tout, il avait raison. Pas une seule fois, je n'avais songé à tout ça. Même si j'avais mes convictions, au fond j'étais le seul fautif. Au plus profond de moi, j'éprouvais une certaine tristesse.
— Comme je l'ai dis, fis-je, je veux tuer Lufasa. Si à nous deux, avec Kishki, nous n'y arrivons pas, alors veux-tu nous aider ? Veux-tu te joindre à nous ? Je sais que ma demande est ignoble après ce que nous avons fait, mais si, tu as encore la chance de te reconstruire. Et si je ne peux réparer ce que j'ai brisé, alors je n'aurais qu'à le rebâtir ! Si tu n'as plus de raisons de vivre, alors nous allons t'en donner une ! Rien ne pourra nous pardonner, mais je suis convaincu que tu pourras de nouveau apprécier ta vie !
Pour la première fois, Colossaps sourit. Un sourire sincère, mélangeant une réelle joie et une tristesse extrême. J'en fus moi-même touché. En cet instant, j'avais envie de pleurer. C'était ridicule, ça ne convenait ni à mes actions ni à mes motivations. Pourtant, ce Pokémon... je le voyais, il était comme nous. Il avait vécu des peines pires que moi, tout ce que je voulais maintenant, c'était tenter de me racheter !
— J'ai passé ma vie à voir les gens que j'aimais mourir. Quand, tout petit, ce fut ma famille qui disparut, je crus que rien ne pourrait me sortir du gouffre dans lequel je tombais. Pourtant, j'ai trouvé des amis, il y a tout juste vingt ans. L'un d'eux était un Jungko, d'ailleurs, du nom de Dragon. Puis ils sont morts, et j'ai fini seul, une fois de plus. C'est après ça que j'ai rejoint Volta, et tu connais la suite. Ainsi, ce Pichu s'appelle Kishki... Dis-moi, quel est ton nom, jeune Arcko ?
Les larmes affluèrent en moi, mon menton tremblait.
— Z...Zalen... Je... Je suis le fils... de D... Dragon...
Le singe parut d'abord surpris, puis après quelques secondes sourit de nouveau.
— Je vois... C'est un bien étrange coup du destin...
Je devais lui dire, c'était impératif !
— Dragon... Mon père n'est pas mort ! J'en suis certain, il a échappé au massacre de mon clan... ! Alors s'il te plaît, rejoins-nous, et nous le chercherons ensemble ! Je suis sûr qu'il sera heureux de te revoir !
Toujours souriant, il secoua la tête, et je vis quelques larmes se former autour de ses yeux.
— Ce monde est bien injuste, tu sais. Le fait que je sois en vie alors que tous les gens autour de moi sont morts est injuste. Je n'ai plus ma place ici, je ne désire qu'une chose, c'est mourir, pour rejoindre ceux qui me sont cher. Mon plus grand regret, certainement, et de ne pas pouvoir revoir ton père. Toutefois, lorsque tu le retrouveras, salue-le de ma part, et dis-lui que son ami n'a pas oublié les moments passés en sa présence...
— N... Non... Colossaps... Je t'en supplie !!
— Je ne peux pas. Ça aurait été un honneur de me battre à vos côtés, mais je n'ai plus l'âge pour. J'incarne le monde passé, vous le futur. Alors, s'il te plaît Zalen, tue-moi. Je refuse de mourir lentement et seul, je préfère en finir maintenant. Je t'en conjure, élimine-moi.
— C...C'est impossible... sanglotai-je. J...Je n'ai plus assez... de forces...
Le Colossinge souriait toujours, mais je voyais bien les larmes ruisseler dans sa fourrure. Lui aussi était triste, infiniment plus que moi.
— Je vois... Ce n'est pas gra...
— Dans ce cas, je le ferai ! le coupa une voix, plus bas.
Je me tournai et découvris Kishki, qui avait visiblement entendu toute la conversation. Il était debout malgré les blessures, et tenait dans sa main une incroyable lance longue de trois mètres, concentrant toute l'énergie qu'il pouvait développer. Il était couvert de sang, et je n'imaginais pas quelle quantité astronomique de flux il avait du déployer, ni quelles souffrances il avait dû endurer pour satisfaire la volonté du Pokémon. Je ne savais pas ce qu'il ressentait, comme il semblait se forcer à rester stoïque. Pourtant, le ton de sa voix le trahissait. Il s'était exprimé vite, comme s'il voulait rapidement passer à autre chose, et ne pas revenir sur chaque mot pleins de significations qu'il prononçait. J'étais convaincu qu'il ressentait de la tristesse et de la culpabilité, lui aussi.
— Cette lance... fit-il d'une voix peinée. Cette lance te désintégrera immédiatement, tu ne souffriras pas ! Quant à toi Zalen, descends de là où tu seras touché !
Ça y est, il se mettait à sangloter. Après tout, ce qu'il éprouvait devait être encore pire que moi. Alors que je n'avais tué qu'une dizaine de Férosinges, lui en avait massacré cinquante trois. Alors que j'étais soi-disant trop faible pour achever Colossaps, lui s'était blessé jusqu'au sang pour former une arme suffisamment puissante. Alors que j'essayais de convaincre le Pokémon de rester avec nous, lui s'était déjà préparer à le tuer. Et alors que je me contentais de regarder ce spectacle, lui allait donner le coup de grâce à ce Pokémon brisé.
— Je vous en remercie infiniment, sourit le chef des FéroGuerriers. Vous êtes des enfants biens, et j'espère de tout cœur que vous irez loin. Et maintenant descends de là, cher Zalen. Je ne voudrais pas t'emporter avec moi de l'autre côté.
Il ferma les yeux, se vida de tout son flux, et attendit. Moi, je n'avais plus la force de rester là, et je me laissa donc tomber dans les fourrés.
— Adieu.
Telles furent les dernières paroles de Colossaps. Kishki projeta sa lance vers lui. Dès que celle-ci fut en contact avec le béton, l'immeuble fut purement et simplement pulvérisé. La flèche de foudre poursuivit sa course jusqu'au Pokémon, et en un instant, celui-ci fut réduit en poussières. Il n'en resta absolument rien, pas la moindre cendre.
Je tournai la tête vers mon ami ; son visage était tel une fontaine de larmes, rougies par le sang. Je regardai de nouveau le ciel bleu, et songeait à ce qui venait de se passer. Alors que j'avais pris plaisir à tuer des êtres vivants, je pleurais désormais la mort d'une seule créature. Ce Colossinge ne méritait pas de souffrir tant. Et pourtant, nous lui avions infligé cette tristesse extrême.