Ch. 01 : Un monde sans pitié aucune - [Arc I : Volta]
Ça doit bien faire vingt ans, maintenant. Je ne suis pas sûr, mais c'est ce que disent les anciens. Mon père me parlait toujours du temps où il était ami avec ce... ce dresseur, je crois. Oui, le soir, il appréciait me conter son ancienne vie. Sa vie, deux décennies plus tôt. Je me souviens d'un regret qu'il avait, aussi... Ah, ça me revient : il était triste parce que l'humain qu'il appelait dresseur n'avait pu le voir à son dernier stade d'évolution. Ce devait être quelque chose d'important pour qu'il le regrette autant. Ce n'était pas le seul à en parler, d'ailleurs. Dans notre clan, tous avaient été liés à des « dresseurs ».
En ce qui me concerne, je suis né après. Ainsi, je ne peux pas comprendre tout cela. C'est étrange, car même si d'un côté cela m'intéresse, au fond, je sais que tout ça n'a aucun rapport avec moi. Je préfère me tourner vers l'avenir. Du moins, si avenir il y a. J'ai vu autour de moi des proches disparaître, d'autres s'en aller. Certains ne voulaient pas supporter cette vie, d'autres ne l'ont pu. Donc oui, ça fait vingt années pleines, vingt hivers. Depuis lors, la vie des Pokémon a bien changé. En bien ? En mal ? C'est difficile à dire. Ou en tout cas, moi, je ne peux pas. Je n'ai pas vécu assez longtemps, et ne sachant pas ce qu'il se passait
avant, je ne peux me prononcer. Mais quand je les vois se lamenter, je me dis que ça devait être mieux.
Oui, tout compte fait. Quand je vois ce que notre monde est devenu, avec les années, je ne peux que me dire que c'était mieux. Ou en tout cas,
est-ce que ça aurait pu être pire que ça ? Non, c'est impossible. Je le sais maintenant, j'aurais mille fois préféré naître avant. Quarante, cinquante ans plus tôt, quand le monde était encore beau et agréable. Quand j'aurais pu me lier d'amitié avec un « dresseur », et quand nous étions encore unis, nous tous. Que reste-t-il, aujourd'hui ? Plus rien. Enfin, c'est ce que j'imagine, car j'étais né que déjà ces conflits existaient. Ils se sont simplement amplifiés.
De plus grandes puissances se sont formées, et entre elles, les petits clans ont fini par être détruits. Certains ont choisi de les rejoindre, mais d'autres n'ont pu, et ont été exterminés. Je crois que c'est le cas du mien. Il ne reste plus personne. Ni mon père, ni ma mère, personne. Elle est morte, en même temps que le reste de ma famille et de mes amis. Seul mon père est peut-être encore en vie. Où ça ? Je ne le sais pas. D'ailleurs, peut-être que j'ai mal vu, quand je marchais parmi les cadavres. Peut-être était-il là, caché sous le corps d'un autre. C'est difficile à dire. Toujours est-il que mon clan a été décimé, et peut-être en suis-je le seul survivant. Maintenant, j’erre sans but particulier. Enfin, il y a bien celui de
me venger, mais je ne suis ni fou ni stupide ; m'attaquer aux factions ne fera qu'accélérer l'échéance de ma mort. Même si je n'ai pas de raison pour rester en vie.
Cela fait vingt ans. Vingt ans que les humains ont disparu. Vingt ans que l'anarchie s'est installée parmi les Pokémon. Selon les anciens, ils ont déserté leur planète du jour au lendemain, sans laisser de trace. Les créatures enfermées dans ce qu'ils appelaient les « Pokéball » ont été relâchées. Seules subsistent leurs constructions, leurs véhicules vides, en somme le concret de leur existence. Parfois un bateau à la dérive vient s'échouer sur une plage, vide de tous ses passagers. Par miracle, il arrive que les Pokémon à bord survivent. Ce n'est pas toujours le cas cependant, et il est déjà arrivé qu'il ne reste que des cadavres. Bêtes mortes de faim ou entre-tuées.
Une fois, cependant, l'un de ces bateaux, incroyablement long, est revenu à la terre ferme avec tous ses passagers. Les créatures s'étaient alliées, motivées par un certain Pokémon, et avaient uni leurs forces. Elles avaient choisi de combattre ensemble, et de recruter davantage de membres, pour devenir une force immense. C'est cela qui avait donné
l'Ouest. A cause de ça, les factions ont vu le jour, et ont changé la face du monde. Alors que tous pensaient à s'entraider, l'Ouest a introduit la notion de pouvoir. Un pouvoir politique, économique, et physique. Altar, le Dieu de l'Ouest – son chef – les a tous concentrés pour lui, avec la promesse de créer un lieu utopique pour les Pokémon. Ces derniers l'ont cru, et l'ont vénéré, d'où son statut de « Dieu ». Son utopie, il ne l'a partagée qu'avec les membres de sa faction, dont les recrues affluaient en masse. Il a offert la force, et le droit d'être parmi les plus puissants. Puis, d'autres étant désireux de connaître le même succès, le concept de faction unique mis en place par Altar a été brisé, et ont vu le jour le Nord, le Sud, et en dernier l'Est. Leur Dieu, respectivement Mei, Baron, et Vincede ont rapidement gagné en puissance, et tout aussi rapidement ils se sont retrouvés en rivalité les uns contre les autres. Longtemps, Altar a été considéré comme le plus coriace, étant le premier a avoir fondé sa faction, mais ce n'était qu'une illusion, puisque tous étaient de force égale. Ces quatre puissances sont représentables par un vase, rempli à ras bord d'eau. Tant que celle-ci reste stable, le liquide ne peux couler le long du contenant. Mais lorsqu'une perturbation vient troubler cette eau, le vase finit par déborder. L'eau, ce sont les quatre factions principales.
Autour du plus grand vase s'en trouvent d'autres, plus petits, dépendants de celui-ci. Lorsque le liquide déborde, il finit par atteindre l'un d'eux, et l'eau continue sa chute dans d'autres vases toujours plus petits et plus nombreux. A l'écart, toutefois, on trouve d'autres jarres, en nombre bien plus grand. Il y a là toutes sortes de tailles, allant de la plus petite, à d'autres presque aussi hautes que le réservoir principal. Ce sont les factions indépendantes. Elles, à l'inverses de toutes les autres, ne sont pas vassales des quatre Cardinaux, et sont libres de faire ce qu'elles veulent.
Certains prétendent que si le monde est dans un tel état, c'est de leur faute. Ceux-là soutiennent l'une des quatre grandes factions, et n'ont pas connu la douleur. Pourtant, les Cardinaux y ont joué un grand rôle aussi ; tant qu'ils ne s'attaquent pas entre eux, ils ne craignent pas de faire déborder le vase. Toutefois, cela ne les empêche pas d'attaquer des entités plus fragiles et faibles qu'eux, telles que les indépendants et les clans.
En ce qui me concerne, je suis un Arcko. Tout simple, le Pokémon lambda que l'on pouvait trouver n'importe où, avant. Je m'appelle Zalen. D'après ce que me racontait mon père Jungko, ça provient de la couleur vert. Ou tout du moins, le mot signifiant « vert » dans cette mystérieuse langue y ressemblait. Mon nom, c'est peut-être la seule chose dont je suis fier, puisque c'est tout ce qu'il me reste de mes parents. Aujourd'hui, j'erre seul dans les ruines de la ville qui s'appelait autrefois Lavandia. Maintenant, on ne lui donne plus de nom. Ce n'est plus qu'un vestige du passé, du béton.
Je marche ainsi dans une rue, entouré d'immeubles gris et sombres. La plupart des vitres sont brisées, et la seule couleur contrastant avec le matériau terne est le vert. En vingt années, la végétation a repris ses droits. Trop rapidement, d'ailleurs. Le pied des bâtiments est décoré de fougères et autre flore envahissante. Les murs sont recouverts de plantes grimpantes, de lierre, de lianes... Malheureusement, aucune fleur, rien qui puisse égayer ce paysage. Parfois, je jette un coup d’œil à travers l'embrasure d'une porte, dégondée depuis belle lurette, pour n'y apercevoir que de l'obscurité et des fougères. Je n'ose y entrer, sachant que ces hauts immeubles sont le refuge de nombre de factions.
Un bon moyen de connaître la force de celles-ci est de compter le nombre d'étages, et leur largeur. Pour sûr, plus un bâtiment est grand, et plus il peut héberger de Pokémon. Mais ce n'est pas aussi simple ; généralement, les groupes les habitant refont l'architecture. Ils détruisent donc des murs, en recréent d'autres, brisent des sols, modèlent la zone comme bon leur semble. Pourquoi ? Je dirais que c'est pour éviter d'être trop proche de ses colocataires. Hum... Je vais reformuler plus clairement.
Les Pokémon de différentes factions se détestent. Toutefois, à moins qu'elle soit assez puissante, une seule de ces factions ne peut habiter un immeuble entier. Plusieurs s'y installent donc, chacune avec un bout de territoire. Mais qui aimerait avoir ses ennemis tout près de soi ? Personne. Des affrontements éclatent donc quotidiennement pour s'emparer du territoire de l'adversaire, et le déloger. Ces buildings sont donc des nids à ennuis, et le berceau de la violence, incubateurs du régime de terreur mis en place par les Cardinaux. Parfois, lorsque ces factions ont accaparé suffisamment de territoire, elles osent franchir la route, et attaquer les bâtiments face à elles. D'autre fois, lorsque deux immeubles sont collés, elles détruisent l'épais mur les séparant, et prennent de surprise leurs voisins.
Mais les factions ne se cachent pas que dans les villes. Partout, en fait. Dans une forêt, par exemple, elles s'adapteront à la végétation, construiront des sous-sols, etc. Même les égouts sont le théâtre d'affrontements sanglants. Plus personne ne prend le risque de marcher dans la rue, le long d'une route déserte, détruite et tâchée de sang. Moi, je profite de ma petite taille pour passer furtivement dans les fourrés, parmi les herbes hautes de plusieurs mètres longeant les bâtiments. Je suis dans mon élément, ça ne peut que m'être favorable. En tout cas, ça me permet de ne pas me faire tuer par des créatures assoiffées de sang et de conquêtes.
Où vais-je ? Je n'en ai pas la moindre idée, je me contente de marcher. J'espère trouver, un beau jour, un lieu coupé du reste du monde où les Pokémon seraient encore unis. Une île magique, un endroit vraiment... utopique. J'ai toujours vécu dans un univers en guerre, même si je ne l'ai pas ressenti directement durant mes premières années. Maintenant que je suis seul, toutefois, je sais ce que c'est d'être sans défense et démuni face à ce destin tragique.
Pour être plus exact, je me dirige vers l'est de Lavandia, vers la mer. Ce n'est pas cette dernière qui m'intéresse, mais ce qu'il y a après : la route menant à l'ancienne ville Cimetronelle. A vrai dire, c'est de là que je proviens. Évidemment, en ce lieu je suis dans mon élément. J'espère donc y trouver refuge, et pouvoir me cacher jusqu'à la fin de ma vie. Je ne souhaite rien d'autre. Pourtant, même là-bas, je risquerais de me faire attaquer par des factions. A ex-Lavandia, il y a peu de vassaux, et ceux-ci se regroupent, avec les plus grands indépendants, surtout dans les grands bâtiments, notamment l'arène ou le centre commercial, lieux symboliques. Plus au nord, dans la jungle, je ne trouverai que de petites factions indépendantes.
Alors que je me déplace dans les fougères, camouflé par la verdure, j'entends un bruit. Je m'allonge immédiatement sur le sol, et retiens ma respiration. Mon sang n'a fait qu'un tour, mais je suis habitué à ce genre de situations. Par chance, je ne me suis jamais fait attaquer, mais je sais qu'un jour, je ne pourrai pas y échapper.
Je suis non loin de l'entrée d'un immeuble, dont la porte a bien entendu été arrachée. De ma position et à travers les feuillages, j'aperçois un Férosinge qui en sort. La créature tourna la tête de tous côtés, comme cherchant quelque chose ou quelqu'un. Je crains que, perdu dans mes pensées, je n'ai fait un peu trop de bruit. Un simple bruissement suffirait à éveiller l'ouïe de ces bêtes. Un autre de ses semblables sort et arrive derrière-lui.
— Qu'est-ce qui t'arrive, t'as vu quelque chose ? demande-t-il.
— Nan, j'en sais rien. J'ai entendu un truc, ça venait de par là.
J'en étais sûr. Il n'y a que moi dans la rue déserte, alors je devais être à l'origine de ce bruit.
— Perds pas ton temps, c'est pas un Pokémon solo qui va nous causer des ennuis. Faut pas rester trop longtemps dehors, le chef aime pas tu sais bien.
— Ouais je sais, fit le premier. J'aurais quand même aimé mettre la main sur cet enfoiré.
Il jeta un dernier coup d’œil autour de lui, et rentra, accompagné de son acolyte. Voilà à quoi se résumait ma vie : vagabonder dans un monde en ruines et en proie à la guerre, et me cacher pour ne pas mourir inutilement. Je m'autorisai enfin à expirer. Question apnée, je me débrouillais bien. C'était essentiel, après tout, pour faire le moins de bruit possible. Je restai immobile encore quelques instants, voulant être certain que les Férosinges étaient partis. Par quelques instants, j'entends une longue minute. Je levai alors la tête, tout doucement et très légèrement, et observai par la fenêtre sans vitre. Rien. Je m'en serais douté, après tout ; il faudrait être fou pour rester au rez-de-chaussée. Rassuré j'avançai, pouvant passer devant l'embrasure de la porte sans risque de me faire massacrer.
Ces deux Pokémon, un peu plus tôt, j'imaginais le genre de faction à laquelle ils pouvaient appartenir. Cette espèce reste la plupart du temps en troupeau, et n'aime pas se confondre avec les autres. Donc, celui qu'ils avaient appelé « chef » devait être un Colossinge. C'était intéressant, mais ça ne m'aidait en rien. Tout ce que je souhaitais, moi, c'était de m'échapper de cette ville. Par chance, je suis à des centaines de kilomètres de l'un des Cardinaux, mais je me pose la question... Qu'est ce qui est mieux : un petit banc de gros Sharpedos, ou un grand de petits Bargantuas ? Je n'en ai aucune idée, à vrai dire.
Je continue d'avancer, personne ne me remarque, mais... Me voilà face à un gros problème : une rue perpendiculaire. S'il ne s'agissait que d'une rue, encore ça ne poserait pas de soucis, mais le problème est le bâtiment qui suit : l'arène. Ce serait suicidaire d'y passer, et je ne peux pas traverser la rue non plus, je serais fortement à découvert. Je sens mon rythme cardiaque s'accélérer, et je m'assois, dos au mur de béton, pour réfléchir plus calmement. Je ne peux rester caché là éternellement, il me faut progresser. Je soupire. Pour aller où, en fait ? Je ne me sens plus à l'abri nulle part.
Soudain, j'entends un bruit. Ça vient de derrière moi. J'espère que les Férosinges ne sont pas de retour... Je crains que ce soit ça, comme cet étrange couinement provient de leur immeuble. Mais... Les Férosinges, ça couine ?! Non. J'ose regarder par la fenêtre, pour apercevoir un Pichu dévaler l'escalier le plus proche, et foncer vers moi. Il avait l'air en panique, et courrait comme si sa vie en dépendait. Comme je doute qu'il eut pu faire partie de leur troupe, j'émets l'hypothèse qu'il s'agit d'un prisonnier. Ou plutôt qu'il s'agissait. Le petit court... vers moi. C'est pas vrai. Par réflexe, je me recule un peu, sans pour autant pouvoir détacher mon regard de cette peluche jaune transpirant incroyablement. Il ne m'a pas vu, mais saute par la fenêtre vers moi, et me percute de plein fouet, me faisant tomber en arrière. Il ne fait peut-être que deux kilos, mais quand une créature deux fois moins lourde que vous vous fonce dessus, difficile de rester stoïque.
Je n'en crois pas mes yeux. Ce Pichu venait de ruiner mon plan de discrétion en un instant. Nous tombons tous deux, et bien que cela ne nous prenne que deux secondes, elles paraissent pour moi cent fois plus longues. Je le vois, le sol, le bruit que ça va faire, et surtout... je les entends. Les Férosinges poursuivant le prisonnier. Je heurte le bitume, et l'autre pousse un cri. Puis :
— Attrapez-le, il est juste là !
Des voix. Peut-être dix, vingt ? Je n'en sais rien, mais toujours est-il que les Porsinges nous foncent dessus. Le Pichu se relève, sonné, et me regarde, ne comprenant pas. Une demi-seconde plus tard, il saisit, et écarquille les yeux. Oui, tu m'as heurté...
— Et tu m'as surtout foutu dans la mouise !! lui hurlai-je, bien qu'étant à dix centimètres de lui.
— Ah...Euh...Je...Ah...Beh...
Je relève la tête et aperçois les Férosinges qui commencent à passer par la fenêtre.
— Cours !! lui criai-je de nouveau.
Malgré mon ordre, je l'attrapai par le bras, et prenant appui sur le mur, exécutai un semblant de Vive-Attaque. Je ne suis pas bon combattant. Donc, je ne sais maîtriser aucune capacité, et celle-là n'y fait pas exception. Je me propulse donc, toujours allongé, et racle le sol à grande vitesse, pendant que le Pichu s'amuse. N'ayant rien prévu, je m'encastre dans le mur en face. Par chance, percuter du béton, ça ne fait pas beaucoup de bruit, et je doute que ses occupants ne nous aient repérés. Je me redresse douloureusement, et observe les Pokémon. Je souris. Ils n'osaient pas s'approcher, ne voulant pas traverser la dangereuse route. C'était dans la poche, jusqu'à ce qu'un élément perturbateur n'apparaisse.
Sortant fièrement par l'embrasure de la porte, et entouré de ses dizaines de subordonnés, le chef, un Colossinge, s'avance. A voir son expression, je devine qu'il est énervé. Je me tourne vers la Minisouris, qui me regarde à son tour, toute paniquée.
— Tu étais leur prisonnier ?! lui demandai-je.
— O...Oui...
C'était mon jour de chance. D'un autre côté, bien qu'étant dans une fâcheuse situation, je ne pouvais pas bien m'en tirer, ne pouvant progresser davantage. Ce Pichu sorti de nulle part était simplement une pique sur ma route plate.
— Tu leur as fait quoi ?!
— Je... Je les ai volés... J...J'y peux rien... J'ai des t...tendances cleptomanes i...incontrôlées...
Mes yeux s'agrandissaient peu à peu. Pourquoi, par Arceus, avais-je dû rencontrer cet énergumène ? Encore ça aurait été un Mackogneur, je l'aurais aidé à se relever, mais là... Si par chance il pouvait maîtriser des attaques électriques, ça ne suffirait pas à vaincre une armée entière de singes hystériques et violents. Je me relevai, le plaçai sous mon bras, sa tête vers l'avant, et prenait un regard héroïque comme jamais, dans ma vie ça ne m'était arrivé. Je n'ai jamais eu l'occasion de briller, et je ne l'ai jamais voulu. Je ne souhaite qu'une existence paisible. Pourtant... Je ne peux rien faire d'autre. Fixant mes adversaires, je lui demande :
—Dis-moi, Pichu... Est-ce que tu sais voler ?
Il ne comprend pas, au début. Puis, il réfléchit et regarde sa position.
— NON ! ARRETE ! COURS, PLUTÔT !
Le petit n'a pas tort. Je regarde des deux côtés ; je viens de l'ouest, et me dirige vers l'est, vers la mer. Dans la première direction, il y a une grande zone de plaines, menant jusqu'à l'ancien village de Vergazon. Une surface plane de verdure, ce n'est pas une bonne idée, comme nous serions les cibles de Pokémon de type Vol. Dans l'autre direction, c'est la mer. Enfin... D'abord la ville, puis la plage et la mer. Autant dire que pour s'échapper, c'est impossible. Ma plus grande crainte, outre celle d'être attrapée par une faction de Férosinges random, serait de tomber nez à nez avec un groupe de Leviators enragés. Cela étant un pléonasme.
— COUUURS ! fit-il de sa petite voix fluette.
Le Colossinge, immobile, leva le poing et prit la parole.
— Soldats ! s'égosilla-t-il. De quoi avez-vous peur ?! Nous sommes la plus puissante faction du quartier, nous n'avons à craindre personne ! Franchissez cette route et capturez ces vermines !!
Je me tournai vers la boule de poils jaune.
— Bon sang... Il a VRAIMENT fallu que tu voles la faction la plus forte de la zone ?
— Désolé... C'est incontrôlé... Je ne voulais pas, au début...
— Attrapez-les !!
Suivant ce signal, et poussant des cris stridents, les Porsinges se jetèrent sur nous. Je regardai de tous côtés, essayant de choisir une destination. La droite ? La gauche ? Je n'en sais rien. Mais je dois me décider, et vite ! Je bouge la tête fébrilement, cherchant à déterminer un moyen de choisir.
— Viiiite !! me rappela le Pichu.
Je me décidai.
— Au milieu ! m'écriai-je.
Mon passager, comprenant mon choix stupide, resta bouche ouverte, sans savoir quoi répondre. Pour ma part, j'étais déterminé à survivre. N'importe comment, mais je me devais de me tirer de cette situation. Je fonçai donc, traversant la route dans l'autre sens, sous le regard stupéfait de nos assaillants. Face à moi, le Colossinge, furieux, et armant un Poing-Karaté. A un mètre de lui je sautai, et...
— Vive-Attaque !!
Une chose était certaine : en cet instant, ma faiblesse allait nous aider. Je pris donc appui sur mes petites jambes, et percutai l'autre de plein fouet, utilisant également le Pichu comme un bélier. Il tomba à la renverse, et tous les Férosinges cessèrent de bouger, le fixant, craintifs. Par chance, la collision avait réduit la vitesse, et je pus atterrir – presque – en douceur.
— Abruti ! me hurla le Pichu. Tu viens d'entrer dans leur base !
— Il y a d'autres factions, à l'intérieur ? demandai-je.
— Non aucune, mais ce n'est pas une rai...
— Alors on court !!
Je lui plaquai une main sur la bouche, l'empêchant de me critiquer, et fonçai vers l'escalier le plus proche, celui par lequel il était descendu. Sautant avec toute la force de mes jambes, j'atteignis rapidement le premier étage. Là, plus d'escalier. Ou du moins... escalier à l'autre bout. En bas, j'entendis le chef se relever, et hurler après ses sbires de nous pourchasser, puis des cris aigus, provenant des Férosinges. Pas le choix, il fallait que je continue. Toujours mon paquet jaune fluo sous le bras, je me mis à courir vers les marches, qui me semblaient infiniment loin. Derrière, nos poursuivants gagnaient du terrain, étant plus rapides que moi.
Après avoir traversé une série de pièces en ruine et ne ressemblant plus à rien sinon à un champ de bataille, je me retrouvais face aux escaliers. Je pris une grande inspiration et me mis à monter, utilisant le peu de force que j'avais dans mes muscles pour grimper plus vite. Arrivé à l'avant-dernière marche, je sentis une patte m'attraper, suivie d'une deuxième, d'une troisième, et ainsi de suite. Je tombai contre le ciment, m'y cognai violemment le menton, et lâchai le Pokémon Minisouris, qui roula au-delà de l'escalier. En un instant, je fus écrasé par une horde de singes très en colère. La masse me tombant dessus me coupa la respiration.
— Fais quelque chose ! dis-je au Pichu dans un dernier souffle.
Il hocha la tête, et commença à charger ses joues d'énergie électrique. Bon sang, je ne la sentais pas, cette future attaque. Son corps s'illumina, et il sauta de quelques centimètres, se recroquevillant sur lui-même, avant de s'entourer d'un halo d'électricité, et de projeter un éclair vers eux, et par extension moi.
— Prenez-çaaaa ! fit-il.
Nous nous prîmes son attaque Éclair, et je sentis pour la première fois la sensation d'électrocution. Les Férosinges également, d'ailleurs, puisqu'ils tombèrent en bas des marches, évanouis. Je profitai alors de cette occasion, et prenant appui sur l'un des Pokémon inconscients, j'utilisais Vive-Attaque. Le pauvre fut envoyé contre le sol, et je crus discerner le bruit des os qui craquent. Qu'importe, je n'avais pas le temps de songer à l'un de ces monstres avides de sang, alors que ma vie était en jeu. J'attrapai au passage le Pichu par les oreilles, et fonçai à travers un trou du plafond, ignorant ses puériles gémissements. Perdant ma vitesse, nous atterrissons en roulant sur le sol.
—Euh... Bien joué ! adressai-je au Pokémon électrique. Mais on en discutera plus tard, il faut d'abord qu'on se tire de là !
— Si seulement t'étais pas entré dans cet immeuble, on n'en serait pas là !
Je soupirai.
— Si seulement toi et ta cleptomanie incontrôlée ne m'étiez pas rentrés dedans, je ne me serais pas retrouvé dans cette galère !
— Ma cleptomanie s'excuse... fit-il de sa toute petite voix.
Je soupirai une deuxième fois, exaspéré par la petite bête jaune toute mignonne. Nous nous relevâmes et nous mîmes à courir à travers l'étage de béton, qu'importait la fatigue. J'entendais, plus bas, les Férosinges crier de colère. Ayant un étage d'avance, nous avions eu de la chance.
— Au fait, pourquoi est-ce que tu donnes des noms à tes attaques ? me demanda-t-il, tandis que nous courions.
— Eh bien... C'est mon clan qui m'a dit que c'était bien...
— C'est un truc d'humains, ça ! A ce que je sais, c'est que c'était plus facile pour eux de nous diriger. Mais maintenant, tu n'en as pas besoin. Toi, tu sais ce que tu fais !
Certes, mais sachant que je ne sais rien faire, à part balancer des Vive-Attaque mal contrôlées... Enfin ce Pichu avait raison, ça ne servait à rien que je mette de tels noms sur mes capacités. Surtout que « Vive-Attaque », ce n'est pas vraiment classe. Et puis, y a-t-il vraiment une quelconque utilité à donner un nom à une propulsion ?
Nous vîmes l'escalier, et comme si notre vie en dépendait, nous y sautâmes, le grimpant le plus rapidement du monde.
— Il y a combien d'étages ?! demandai-je, haletant.
— Au moins une dizaine ! me répondit l'autre, dans le même état de fatigue.
Nous ne devions pas être à la moitié, si je ne me trompe pas. Et même si nous arrivions au sommet, que ferait-on ? Je n'en avais pas la moindre idée, mais je crois savoir que notre situation était plutôt compliquée. Nos poursuivants nous rattrapaient, j'entendais leur pas d'ici. Évidemment, ils avaient été retardés grâce à l'intervention de Pichu, mais ça n'avait pas suffi à les terrasser. Les quelques Férosinges évanouis avaient dû reprendre leurs esprits, plus en colère que jamais, et ce n'était pas bon pour nous.
— Faut qu'on fasse quelque chose ! criai-je. On peut pas détruire un pilier pour faire s'écrouler le sol ?! Ils vont nous rattraper, là !
La Minisouris tourna la tête, et déjà les premiers Porsinges franchissaient l'escalier.
— Si seulement il y avait eu qu'un seul grand escalier, on aurait pu le faire s'effondrer, mais là...
En effet, c'était plus dangereux pour la faction de n'en avoir qu'un seul, car en cas de cohabitation tous les groupes l'empruntaient, et en cas d'invasion, un grand flot d'ennemis était difficile à arrêter. Soudain, j'entendis des cris provenir de devant. Je levai la tête, et d'un trou au plafond tombèrent trois Férosinges, décidés à nous tuer.
— On s'arrête pas de courir ! fis-je à l'autre Pokémon, qui acquiesça.C'est vrai, dans le feu de l'action je n'avais pas songé au fait que d'autres combattants puissent être restés dans le bâtiment. Ce Colossinge n'était pas bête, mine de rien. Les trois singes poussèrent un cri, et je vis leurs griffes s'illuminer. Si on ne parvenait pas à les éviter, on risquait de mourir. Ils devaient être entraînés, et un seul de leurs coups pouvait très certainement nous lacérer le ventre. J'avais bien une idée pour leur échapper, mais c'était risqué, compte tenue de mon expérience et de la proximité que nous avions avec eux. J'évaluai les risques et les chances d'y arriver.
Hauteur sous plafond : trois mètres. Distance nous séparant des Férosinges : actuellement dix mètres, mais deux prévus lors de l'exécution de mon plan. Taille d'un Porsinge : en moyenne cinquante centimètres. Ma taille : à peu près pareille. Cela me laissait donc deux mètres de marge, avec une flexion l'augmentant jusqu'à deux mètres vingt. Ce n'était pas énorme, et si je me contrôlais mal, je risquais de m'écraser. C'était une première, pour moi. Seulement, je n'avais pas le droit à l'échec ; même si rien de mieux ne m'attendait dehors, je ne voulais pas perdre la vie ici. Était-elle trop précieuse ? Non. Plus aucune vie n'est précieuse dans ce monde. Pourtant, je veux vivre.
— Le Pichu, accroche-toi à mon dos, colle-toi le plus possible à moi, et tiens-toi bien !
Ne demandant rien d'autre, il fit un petit bond pour atterrir sur moi. Faute de griffes, il utilisa ses petites mains pour m'étrangler. Au moins, il ne tomberait pas. Je pris – comme je pus - une grande inspiration, et continuai à courir. L'angoisse montait encore davantage, c'était pile ou face. Et...
— Maintenant ! hurlai-je.
Je me stoppai net, et fléchis les jambes, pour me propulser violemment au-dessus des Férosinges, soulevant un nuage de poussière. Deux mètres, j'avais calculé. Tout juste les ai-je dépassé que je me retournai, tête à l'envers, pour reprendre appui in extremis au plafond. Dans mon dos, la Minisouris fermait les yeux. Partie Un de l'opération réussie. Maintenant, partie Deux. J'utilisai ma vitesse pour de nouveau fléchir les jambes, collé au plafond, et je me propulsai une seconde fois vers le sol, derrière les ennemis. Je le heurtai violemment, et roulant sur le côté, je jetai le Pichu loin devant, en espérant qu'il ait le réflexe de courir et non de tomber. Me délestant de ce poids, je fis une roulade sur le sol rocailleux, essayant de limiter les dégâts de ma chute au maximum. J'avais mal à l'épaule toutefois, j'étais tombé en plein dessus. Partie Deux à peu près réussie. Partie Trois, maintenant ? Elle n'était pas prévue, celle-là.
Mon acolyte rouvrit les yeux, et faisant un magnifique salto d'acrobate – pratique, quand on fait trente centimètres et deux kilos – se retourna vers les trois Férosinges qui me fonçaient dessus, comme je ne parvenais plus à les distancer.
— Dégageeeez ! cria-t-il.
Il se chargea d'énergie électrique, et balança un puissant éclair, qui me frôla le visage, grillant ma peau. J'eus tout juste le temps de me retourner pour voir les singes être électrocutés, les poils noircis, tous inconscients.
— B...Bien joué, lui adressai-je.
Il sourit, et me hocha la tête en signe de réponse. Je me tournai vers lui, et lui faisant signe, nous reprîmes notre course. Ce n'était pas le moment de s'arrêter ; nous avions, certes, mis hors d'état de nuire trois adversaires, pendant quelques instants seulement, mais ce n'était pas suffisant. Derrière-nous, il y en avait dix fois plus qui voulaient notre peau. Je le rejoignis et, de toute la force de nos jambes, nous continuâmes à courir, motivés par les cris non loin.
Soudain, il y eut un tremblement, suivi d'un bruit de roche brisée. Puis, émergeant du sol, le Colossinge, chef de la faction, se planta devant nous. Nous nous arrêtâmes de courir, et je retins ma respiration, de peur. Lentement, je tournai la tête vers le Pichu, et vis qu'il tremblait. Je ne sais pas par quoi il est passé avant de me rencontrer, mais ça ne devait pas être que du bonheur.
— Vous pensiez vraiment pouvoir nous échapper, à nous, la faction des FéroGuerriers ?!
Plus original comme nom, tu meurs. Qui plus est, comme le copyright nom n'existe pas, des dizaines d'autres groupes devaient avoir la même nomination. Il s'avança, lentement, écrasant le sol sous chaque pas.
— Et vous avez osés foutus avortons, ME toucher, moi, Colossaps ? Je vais vous le faire payer !
Une chose était certaine, en tout cas : il faisait peur. Cette faction devait en effet être assez puissante, et si tel était le cas, son chef, à savoir ce Pokémon, devait être tout à fait redoutable. Pour le coup, je voyais mal comment nous pouvions nous en sortir. Pour ma part, je n'avais aucune compétence en combat, je n'étais donc disposé qu'à fuir. Le Pichu, lui, pouvait lancer des éclairs. Toutefois, de un ils étaient peu puissants, et de deux... il n'était pas apte à combattre. Le Porsinge se tourna vers lui, et le fixa droit dans les yeux.
— Toi, fichue boule de poils, tu vas regretter d'avoir tenté de nous voler. Tu vas connaître la douleur d'être un vrai prisonnier des FéroGuerriers. Crois-moi, si jamais tu sors vivant d'ici, tu ne pourras plus jamais marcher, voir, ou parler.
L'autre tremblait toujours, incapable de répondre quoi que ce soit. La colère montait en moi. Cet enfoiré me rappelait les meurtriers de mon clan. J'ai toujours tenté de reléguer ce désastre au second plan, car il n'y a rien que je pouvais faire. Depuis qu'ils sont morts, j'ai passé mon temps à vivre seul, dans l'incapacité de me venger. Dans cette situation, je ne pouvais que penser à autre chose. Je me disais que dans ce monde, nous étions tous pareils. J'avais raison. Et aujourd'hui encore, il n'y a rien que je sois en mesure de faire. Toutefois... ce n'est pas pour ça que je me laisserai faire. Je veux atteindre ce lieu utopique où les Pokémon seraient de nouveau unis avec leurs dresseurs, où nous n'aurions pas à nous faire la guerre, où n'importe quel endroit en cette terre ne serait pas empreint de danger, où des innocents n'auraient pas à mourir...
— TU PEUX ALLER TE FAIRE VOIR !! hurlai-je au Colossinge.
J'attrapai le Pichu, et ne lui laissant pas le temps de réagir, je me propulsai derrière-lui. Une fois que je l'eus dépassé, je me retournai, et lui adressai :
— Crois-moi, un jour je te ferai la peau ! Je le jure sur le nom de mon clan !
Je savais par où sortir. Face à nous, des baies vitrées menant à... rien. Où du moins, plus hautes que le toit du bâtiment suivant. J'utilisai mes dernières forces pour augmenter ma vitesse, et protégeant le visage de la Minisouris de mon bras valide, je brisai le panneau de verre, et nous tombâmes sur le toit de l'arène Pokémon. Nous n'étions pas encore sortis d'affaire. Je continuai à courir, tenant fermement mon passager, et nous finîmes par atterrir sur la route, parmi les fougères. J'ignorai la furtivité, et dans un bruissement de feuilles, je courrai. Peu à peu je ralentissai, et je m'autorisai enfin à souffler, comme le stress redescendait. Je jetai un œil derrière-moi : personne. Nous l'avions fait. Nous avions réussi à nous échapper de la base d'une faction.