Chapitre 8 : Tout commence à bouger
Jamais Sinnoh ne s'était senti aussi à l'aise, dans des vêtements. Sous son manteau de Lieutenant, il portait un t-shirt noir, ainsi qu'un treillis de la même couleur. Il avait, en l'espace de trois jours, retrouvé le poids qu'il avait perdu depuis qu'il avait quitté Laim, et sa nouvelle vie lui plaisait énormément. Ce a tel point que l'affiche où figurait le nom de sa mère était sortie de son esprit, et n'était pas prête d'y entrer à nouveau. Aujourd'hui, il devait retrouver Sire Alexandre, le Directeur du GEP, pour faire la connaissance de son Capitaine, et cela manifestait chez le jeune garçon un léger trac. Ainsi, il traversait de longs couloirs blancs pour se rendre dans l'une des salles de réunion, où les deux hommes l'attendaient. Tous ces trajets étaient très longs, mais il ne tenait qu'à Sinnoh de s'y habituer. Il passa une énième porte, et pénétra dans une grande salle – comme toutes, d'ailleurs – blanche et parfaitement bien éclairée, au milieu de laquelle trônait une unique table longue, entourée par une vingtaine de chaises. A l'un des bouts était assis Alexandre, et debout à côté de lui se trouvait un homme portant le manteau réservé aux Capitaines. Il semblait jeune, était assurément très grand, et paraissait énergique.
« Ah, Sinnoh ! fit joyeusement le Commandant. Approche donc.
Celui-ci s'exécuta, et s'approcha des deux autres.
- Je te présente ton Capitaine, Osvald Grimm.
Il salua le garçon, qui lui-même se courba en signe de respect.
- Enchanté de te rencontrer, jeune homme. Le Directeur m'a dit que tu étais très prometteur, alors j'espère que c'est bien le cas.
Intimidé, le jeune Lieutenant ne sut quoi lui répondre, et c'est ainsi qu'un faible gémissement gêné sortit d'entre ses lèvres. Osvald Grimm le perçut, mais par politesse se contenta d'esquisser un léger sourire, le fixant droit dans les yeux. Chaleureux. Tel était le mot qui, selon Sinnoh, caractériserait au mieux cet homme. Il s'était déjà fait la même réflexion pour Alexandre ; à croire que tous, dans le GEP, étaient chaleureux est rassurants.
- J'ai cru comprendre que tu ne prendrais sérieusement tes fonctions de capitaine que d'ici quelques semaines, poursuivit le Capitaine. Cela veut dire que tu ne rencontreras tes subordonnés directs que une fois ce temps écoulé. Cependant, à mes yeux, le travail est plus important que tout, puisqu'il mène à ce que tu souhaites.
Alors que les deux premières phrases prononcées par l'homme étaient concrètes, rationnelles, et claires, la troisième, bien que partie d'un bon sentiment, s'écroulait, comme les mots choisis, une fois assemblés, ne lui donnaient pas beaucoup de sens.
- Allons droit au but, veux-tu, fit Alexandre, s'impatientant visiblement.
- Bien entendu, mes excuses, Sire. Ce que je voulais dire, jeune homme, c'est que malgré tes treize ans, je suis convaincu que tu es en mesure d'apprendre ce que doit faire un Lieutenant. Car oui, tu as des droits ainsi que des avantages, mais également des devoirs à ce poste.
- Je comprends, dit Sinnoh. Mais j'ai une question.
D'un signe de tête, son supérieur lui indiqua de la poser.
- Rencontrerai-je les Généraux ?
Les deux hommes lâchèrent un éclat de rire, et la réponse apparut clairement à Sinnoh. Évidemment, se dit-il après coup, quelle idée de demander à rencontrer les chefs de l'organisation. Pourtant, il connaissait bien Alexandre, qui lui-même était au-dessus d'eux...
- Quelle audace, répondit le Directeur, souriant. Le temps viendra, jeune homme, mais rien ne presse. Je comprends ta curiosité, étant donné que ce sont des gens n'apparaissant jamais en public. Toutefois, tu risque d'être déçu ; aucun d'eux n'est particulièrement amical, mais psychopathes sur les bords, et énormément clichés. Pour faire court, ce sont... des machines à tuer les Pokémon. C'est l'une des raisons pour lesquelles ils sont à ce poste, et ce depuis des années maintenant.
- D'accord... Cependant j'ai une dernière interrogation : le GEP est-il hors-la-loi ?
Stupéfait par cette question, Osvald se tourna vers Sire Alexandre, qui se dirigea vers Sinnoh. Il se baissa à la taille du garçon et posa l'une de ses mains sur son épaule, en toute bienveillance.
- Tu poses là une question intelligente. Alors laisse-moi te répondre. Cette ville, ce pays, ce monde a mis en place des lois que chacun se doit de respecter. Si nous ne le faisons pas, nous risquons d'être enfermés. L'une de ces lois interdit de faire du mal aux Pokémon, sous prétexte que ce sont des créatures à protéger. Pourtant, nous savons tous de quoi ils sont capables, quels sont leurs dangers, et pourquoi nous devons nous battre. Mais les gouvernements ne le voient pas de la même manière, et ainsi nous n'avons pas d'autre choix que de nous cacher. Nous nous battons pour une noble cause, bien qu'aux yeux de ceux qui nous dirigent, nous soyons des hors-la-loi. Pour résumer, sache que ici, tu n'es pas en tort.
Ça avait le mérite d'être clair, et Sinnoh l'avala sans en demander plus ; cette explication le satisfaisait largement. Le Capitaine se leva alors, tandis que sa conversation avec le Directeur s'achevait, s'apprêtant à partir.
-Sire Alexandre dit vrai, fit-il tout en se tournant vers le garçon. Nous nous battons pour une noble cause : la progression de l'humanité vers un stade où nous serions libérés de leur présence. Maintenant, je me dois d'y aller, nous nous verrons plus tard, Lieutenant.
Ce dernier s'inclina une nouvelle fois, et son supérieur fit de même vis à vis de l'autre homme, avant de sortir de la pièce.
- Osvald Grimm est un homme très compétent, dit Cicatrices. Il n'apparait peut-être pas comme tel au premier coup d'oeil, mais il est très strict vis-à-vis de ses hommes, et plus particulièrement des nouveaux. De ce fait, il m'a semblé plus juste que tu sois placé sous ses ordres, afin de t'habituer rapidement à l'univers du GEP. Ah, aussi ! Désires-tu vraiment voir les Généraux ?
- Euh... C'est à dire que ça me gêne de ne pas savoir qui sont les gens qui me dirigent. Mais pourquoi m'en reparlez-vous ?
- Je place de grands espoirs en toi. Tu ne m'as encore rien montré, mais j'ai un bon pressentiment. Une intuition, la même que j'avais pour les actuels chefs. Tu le comprendras, je souhaite qu'un jour, tu occupe cette place importante. Toutefois, chez nous, ce n'est pas un poste qu'il faut prendre à la légère, et pour que tu saches à quoi t'attendre, il est important que tu voies à quoi tu devras ressembler. Je devance tes propos et t'explique ce que j'entend par là : afin de s'adapter à leur rôle, les Généraux actuels ont rencontré les précédents, les ont observé, et se sont calqués sur eux. Ainsi, les années qu'ils ont passé ici, avant d'atteindre le grade suprême, ils ont fait leur possible pour leur ressembler, pour ressembler au modèle que nous avons créé.
- Je dois vraiment leur ressembler ? Ne puis-je pas être différent de tous les autres ?
- Ne t'inquiète pas, sourit Alexandre, ce n'est qu'au niveau du mental. Je t'ai dit qu'ils sont des machines à tuer. Or, tuer à grande échelle n'est pas inné, ni aisé à faire, et il faut des nerfs d'aciers ainsi qu'un coeur plus dur que la pierre pour le faire. C'est ce que j'attends de toi.
Sinnoh hocha la tête, résigné.
- Je comprends, fit-il."
Comme cela avait été convenu avec Chloé Larissa, le petit détective de treize ans s'était installé chez elle, squattant pour une durée qu'il n'avait expressément pas spécifiée. La jeune femme était partagée : d'un côté, sa présence ajoutait de la vie à son quotidien, mais d'un autre, son intimité s'en retrouvait brisée. D'ailleurs, corrigeons un fait : il n'ajoutait rien, assurément. Pour être plus clair, il passait ses journées sur son ordinateur portable à "chercher des informations" sur internet. Entre guillemets, car Chloé n'avait aucune preuve, et ne pouvait en aucun l'affirmer. Mais tandis que l'une semblait ne pas particulièrement apprécier cette soudaine et nouvelle cohabitation, l'autre s'en trouvait réjouit. Jusqu'à lors, elle ne lui avait rien demandé concernant son passé, et peut-être le ferait-elle une fois son neveu retrouvé, si c'était encore possible. Sa seule lueur d'espoir se trouvait en l'instant présent affalée sur le canapé, fixant un écran treize pouces, pianotant d'une main, et attrapant les chips gout poulet grillé de l'autre. Ah, oui, les chips poulet grillé ! Chaque jour, chaque heure, chaque instant où il "travaillait", le garçon les engouffrait, et de celles-ci se dégageait une odeur dans un premier temps apétissante, mais ensuite plutôt écoeurante, une fois qu'elle eut infestée tout l'appartement. Ils étaient deux à faire les frais de cette consommation abusive : le budget nourriture de la jeune femme et la poubelle, car tandis que l'un se vidait, l'autre se remplissait tout aussi rapidement.
Assise dans sa cuisine, coude posé sur la table, ennui peint sur son visage, Chloé fixait le dos du détective, ne trouvant rien de plus intéressant à faire. A sa grande surprise, celui-ci ferma son ordinateur, le posa à côté de lui, et se leva. Il trifouilla dans son sac, posé non loin, et en extirpa un objet, que sa colocatrice ne parvint pas à identifier.
"Je sors, dit-il. J'ai besoin d'aller voir quelque chose.
Cette envie soudaine de prendre l'air, la première depuis son arrivée ici, étonna la jeune femme.
- Puis-je... savoir où ?
Il hocha la tête, et la fixa droit dans les yeux.
- Il est possible que j'ai découvert où se cache le GEP. Je vais enquêter sur place.
- Mais encore une fois, tu n'as aucune certitude que ce sont eux qui ont mon neveu ! fit Chloé. Tu les accuses peut-être pour rien, et tu ne feras que t'attirer des ennuis !
- Cela me parait le plus probable, cependant. Pendant ces quelques jours, j'ai vérifié, et ce ne serait pas le premier cas. En fait, c'est justement cela qui me fait le plus peur.
- Que veux-tu dire ?
- Je t'ai déjà parlé de la hiérarchie présente dans l'organisation, et de l'importance de certains membres, ayant le grade de Généraux. A vrai dire, l'actuelle génération aurait été, selon plusieurs sources, recrutée en suivant le même schéma. Et ceux-ci sont des monstres, qui ne craignent pas de tuer.
- Voilà pourquoi je dis que c'est risqué ! protesta la jeune femme, montant la voix. Tout seul, tu n'as aucune chance !
Hoenn sourit.
- Je ne suis pas tout seul, dit-il.
Sur ces mots, il se dirigea vers la porte, sortit, et l'autre ne trouva rien à ajouter. Pas tout seul, vraiment ? Qui voudrait bien l'aider dans cette quête ? Personne ne se risquerait à tenir tête à une organisation capable de meurtres. Personne d'humain, en tout cas.
Lorsqu'il fut sortit du grand bâtiment, il plongea la main dans sa poche, et en extirpa un petit objet. Il appuya sur le bouton central, et l'auparavant petite sphère devint plus grande. Le garçon la pointa alors devant lui, et s'ouvrant, celle-ci laissa échapper un étranger rayon lumineux rouge, matérialisant une forme.
- Allons-y, Gobou, adressa le garçon à la créature."
Le Pokémon sourit et grimpa sur l'épaule de son maître, qui entama sa marche, direction le bâtiment de la SPP, la Société Protectrice des Animaux. Peu à peu, les éléments se mettaient en place, et les pions bougeaient.