Elementary Corporation
Un puissant battement d’ailes. Une plume d’un bleu sombre et profond se balança dans les airs pendant quelques secondes avant d’achever sa gracieuse chute dans de longs cheveux noirs. Siron sursauta en sentant quelque chose sur son crâne et leva ses yeux bleus vers le Gueriaigle qui quittait son terrain d’observation à tire d’aile. Un soupir s’échappa de ses lèvres tandis qu’il frottait ses yeux rouges. Blotti contre lui, un grand Roucarnage ouvrit un œil en sentant son dresseur s’agiter. L’Ornithologue s’était assoupi en pleine observation.
« - Tout va bien Eclipse. »
Le jeune homme apaisa sa camarade en lissant le plumage de son torse. L’oiseau roucoula de plaisir -pour ne pas faire de mauvais jeu de mot ! – et s’étira comme après une longue nuit de sommeil. Siron Milvard jeta un coup d’œil à sa Pokémontre. Après quelques manipulations pour fermer ses applications sur le peuplement des oiseaux et la vitesse de leur vol, le jeune homme réussit enfin à voir l’heure. 17h37. S’étirant à son tour, le dresseur épousseta le long manteau bleu qui constituait son uniforme et se passa une main dans les cheveux. Puis, comme s’il venait subitement de se rappeler quelque chose, il bondit sur ses jambes.
Nom d’Arceus il était 17h passé ! Le jeune Milvard était plus qu’en retard ! Le bruit d’un hoverboard confirma la remarque qu’il venait de se faire. Il reconnut l’uniforme blanc des Scientifiques avant-même que le surfer volant n’arrive à son niveau. Un Symbios habitué à ce genre de voyage se cramponnait aux épaules de son dresseur. Siron remballait ses affaires et son matériel d’étude quand il entendit la voix de son collègue l’interpeller, visiblement agacé. Mais Siron compatissait, son chef pouvait être particulièrement mauvais lorsque quelque chose lui déplaisait et il était prêt à passer ses nerfs sur tous ceux qui l’entouraient. L’Ornithologue l’avait appris à ses dépens.
« - M. Milvard ! Il vous cherche depuis une demi-heure. Il a dit que vous aviez un rapport à lui faire il y a plus de quarante minutes. Il est à deux doigts d’envoyer des agents à Megrador.
Le ton sec du Scientifique fit hérisser les longues plumes rouges et jaunes sur la tête d’Eclipse et l’oiselle poussa un cri menaçant en direction de la planche volante. Mais le dresseur se contenta de renifler avec dédain et de repartir sur son engin aux réacteurs bleus en répétant :
- Il vous cherche. »
Siron aurait voulu le remercier mais le nom de Megrador avait éveillé en lui trop de souvenirs. L’aîné leva ses yeux vers le ciel nuageux et se surprit à sourire avec nostalgie. L’odeur de la mer lui manquait depuis qu’il était à Balvert. La mer mais pas seulement. Un nouveau coup d’œil à sa montre l’informa qu’ils étaient jeudi. Voyons… le jeudi… après quelques instants de réflexion, le Scientifique se souvint.
Il se souvint que Vake et Shadan devaient déjà être à la maison en train de combattre très certainement. Soros les rejoindrait d’ici quelques instants dans la voiture de leur père après son cours de dessin, et avec son Teddiursa il tenterait de participer au combat sans grand succès. Zarod… Zarod devait probablement avoir les yeux rivés sur ses écrans à moins qu’une éclosion n’ait accaparée son attention, l’obligeant à rester à l’élevage jusqu’à la nuit tombée. Arkas, s’il n’était pas de garde rentrerait alors en même temps que leur mère vers 18h30.
Eclipse poussa du bout de son bec le grand brun et ce contact tira le dresseur de sa nostalgie pour le ramener à la réalité. Il sourit à son Pokémon et grimpa sur son dos, s’accrochant au grand foulard bleu que portait le Roucarnage. Un nouveau soupir s’échappa de ses lèvres fines et Siron se vit déjà dans le bureau de son chef pour y subir de violentes remontrances. Mais il ne savait pas qu’en cet instant même, dans la maison familiale près de la mer à Megrador, l’ambiance n’était pas vraiment propice à la joie et à la bonne humeur.
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La mine d’un crayon se rompit brutalement sur une feuille de papier blanche, faisant sursauter celui qui le maniait. Un jeune garçon d’une douzaine d’année soupira et saisit un petit taille crayon électrique d’un rouge criant dans lequel il enfonça son engin. Une fois la mine suffisamment pointue, l’élève de quatrième année reprit le trait arrêté dans sa course.
« - Bouge pas Coffee ! intima-t-il à son modèle.
Son modèle ? Un Teddiursa exaspéré qui se tenait tant bien que mal sur une petite boite en carton. Mais le pauvre ours n’était pas le seul Pokémon dans ce cas-là, car aujourd’hui le thème obligatoire du cours était un portrait de son Pokémon favori. Aussi, en face des élèves des différentes années se tenaient un Poussifeu, un Ecremeuh, un Lugulabre, un Pichu, un Goinfrex ou encore un Pitrouille. Certains amusés, d’autres ravis d’être le centre de l’intérêt de leur dresseur, et d’autres encore comme Coffee, exaspérés de se voir reprendre à chaque mouvement.
Mais Soros se moquait pas mal de l’avis de son compagnon, car il s’améliorait de jour en jour en dessin et quoi que ses parents puissent en dire, le jeune dresseur espérait secrètement pouvoir devenir Artiste un jour…
- Coffee si tu bouges encore une fois je te fais une trompe de Phanpy à la place de ta truffe ! »
La menace fit son effet car le petit Pokémon s’immobilisa instantanément. Le garçon se gratta la tête, étalant par mégarde du fusain noir sur sa chevelure argentée. Ses deux grands yeux rouges ne cessaient de faire des allers-retours entre son compagnon et sa feuille. Il était plutôt satisfait du résultat pour l’instant ! Changeant de crayon pour s’attaquer aux ombres, le jeune Milvard entendit la porte s’ouvrir juste avant que la mine de son outil n’atteigne son dessin. Un marin en bel uniforme blanc entra dans la classe et s’excusa brièvement avant de murmurer quelques mots à l’oreille de leur professeur de dessin. Pokémons et apprentis artistes avaient les yeux rivés sur le marin, visiblement haut gradé à en juger par les barrettes dorées de ses manches et de sa casquette.
Mais si tous les regards semblaient s’interroger quant à la venue d’un Commandant de la Marine Kyogre dans cette salle, le regard de Soros était plus inquiet qu’autre chose, puisqu’il s’agissait de son père. Monsieur Milvard était un solide dresseur aux épaules carrées et musclées qui se tendaient sous son uniforme. Si l’âge avait transformé ses muscles abdominaux en un petit ventre rebondi, sa musculature était celle d’un militaire proche de la retraite. Ses yeux bleus étaient vifs et sa mâchoire recouverte d’une barbe poivre-sel finement taillée. Il fit un signe à Soros et le professeur de dessin prit la parole :
« - Reprenez vos travaux s’il-vous-plaît, Soros Milvard quittera le cours un peu plus tôt pour raisons personnelles aujourd’hui. Soros, rangez vos affaires et terminez ce devoir chez vous pour la semaine prochaine. »
Le petit groupe se remit doucement au travail, non sans quitter des yeux l’impressionnante silhouette de Monsieur Milvard Père et surtout du Pokémon à ses côtés : un Aligatueur à la carrure toute aussi inquiétante que son dresseur. Soros se dépêcha de ranger ses affaires tandis que son père l’attendait devant la salle. Evitant les poses des différents Pokémons et les sacs de matériels qui jonchaient le sol, le dernier Milvard réussit à se frayer un chemin jusqu’à la porte. Il salua le professeur avant de rejoindre son père.
- Salut Njörd ! lança Soros à l’Aligatueur avant de se tourner vers son géniteur, bonjour papa, il y a eu un problème au port ?
Alors que Coffee grimpait tant bien que mal sur le dos de Njörd, Soros suivit le pas rapide et cadencé de son père pendant que ce dernier s’expliquait, visiblement soucieux.
- L’un des tes frères a eu un souci, Shadan m’a appelé…
Soros eut un sourire désabusé et répondit avec ironie :
- Laisse-moi deviner, ce n’est quand même pas Vake ?
Le regard noir que son père lui lança empêcha le reste de ses plaisanteries de sortir de sa bouche. Ce souci-là avait l’air plus important que les précédents, vu la réaction du chef de famille !
- Allez, dépêche-toi de monter. Désolé pour ton cours mais je n’avais pas le choix, maman va bientôt rentrer à la maison et je n’aurais pas eu le temps de venir plus tard, il faut que je voie Vake… »
Etrangement, il n’y avait pas de colère dans le ton du marin, Soros en déduit donc que Vake avait véritablement eut un problème et que pour une fois, il n’était peut-être pas responsable de ce dernier. Sans plus attendre, le jeune dresseur grimpa à l’avant de la voiture volante de son père aux couleurs de la Marine Kyogre et jeta un coup d’œil derrière lui. Coffee était toujours perché sur le dos de Njörd et l’Aligatueur bondit agilement à l’arrière du bolide, sur une plateforme sans toit préparée à cet effet. Une fois tout ce beau monde installé, le Commandant Milvard appuya sur l’accélérateur et la voiture s’élança en lévitant à quelques mètres au-dessus de la route piétonne.
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« - Vake…
Une voix douce mais inquiète résonnait dans la tête du jeune homme endormi.
-Vake réveille-toi…
Le jeune homme repoussa avec violence le bras que sa sœur enserrait autour de lui en criant :
-Laisse-moi Shadan !
La tristesse et la colère formaient un cocktail explosif dans son cerveau. Il s’en voulait tellement que s’il avait pu s’endormir pour ne plus jamais se réveiller, il l’aurait fait. Il n’avait que cette envie. Pendant un instant il avait voulu se lever pour crier sa rage au monde, taper dans les murs ou casser quelque chose, se défouler. Mais un seul mouvement pour se redresser lui avait arraché un cri de douleur au niveau des côtes: il avait au moins dû s’en briser quelques-unes pour que la douleur soit aussi intense. Aussi était-il tourné vers le mur d’un jaune fluorescent, dos à Shadan, en train de se morfondre sur son existence. Une main fraîche et insistante se posa à nouveau sur son bras :
-Vake, quelqu’un a besoin de toi…
Mais le dresseur la repoussa encore plus durement en criant, les yeux embués de larmes :
-Personne n’a besoin de moi, va-t-en Shadan ! »
Sa sœur n’y était pour rien, il le savait. Mais il s’en moquait, il se moquait de tout, plus rien n’avait d’importance. Il se renfonça dans le lit de son frère et fixa le mur d’un air buté. Derrière lui, Shadan soupira et regarda Tsunami. Son Carabaffe portait dans ses bras le corps de Forban. Elle le lui prit délicatement des mains et le posa entre le mur et Vake, devant le nez de son petit frère.
Vake sentit son cœur s’emballer et les larmes mouiller son visage. Pourquoi mettre le corps juste devant lui, n’avait-il pas assez souffert ? Il posa sa main sur Forban et… et… ce n’était pas possible ! Vake se redressa soudainement, retenant avec difficulté un cri de douleur. La souffrance lui fit tourner la tête, mais il la dépassa sans réellement s’en soucier.
« - Forban ! s’exclama-t-il, Forban t’es vivant ! T’es vivant, oh par Arceus t’es en vie mon grand ! T’es avec moi !
Shadan fronça les sourcils devant le spectacle qui s’offrait à ses yeux :
- Comment ça… Tu croyais qu’il était mort ?
Vake aurait voulu répondre, mais l’adolescent serrait contre lui le gros Malosse, sa poitrine se secouant au gré de ses sanglots. Son visage était baigné de larmes qui ruisselaient sur ses ecchymoses. Il se contenta donc de hocher la tête alors que Forban se réveillait doucement.
-D’après Tsuna, il a été paralysé puis endormi, certainement un Pokémon de type Plante ou Fée. C’est ce qui explique qu’il mette autant de temps à reprendre ses esprits. Mais il n’a rien, pourquoi étais-tu si inquiet ?
Vake renifla bruyamment et s’essuya le visage sans quitter son Malosse des yeux -ou plutôt de l’œil.
-Il… il a dit qu’il l’avait tué… Il avait un couteau ensanglanté… d’où vient le sang alors ? Il m’a dit qu’il lui avait fait... qu'il lui avait...
En y repensant, le jeune dresseur se sentit défaillir et préféra replonger dans le lit son Malosse dans les bras. Il n'arrivait même pas à énoncer ce qu'il s'était passé.
-Je ne comprends pas ce que voulait ces hom…
Shadan se tut lorsque quelqu’un arriva derrière elle. Dans l’encadrement de la porte se tenait leur père. Le Commandant avait enlevé sa casquette et la déposa sur une chaise proche. Il tenait dans sa main une petite carte argentée dont l’aspect métallique brillait sous les néons de la chambre de Zarod. Il la brandit devant ses enfants :
-C’était sur la table de la cuisine. »
Gravées en police de bronze, ces quelques lettres pouvaient y être lus : « ELEMENTARY CORPORATION »