Norman et Caroline n'avaient pas dormi de la nuit. Ils avaient appelés les hôpitaux, les commissariats des alentours ainsi que tous les contacts de leur fille, sans obtenir la moindre nouvelle.
Dans leur salon plongé dans l'obscurité, ils ruminaient. Caroline, exprimant un silence rancunier, n'avait plus la force de pleurer. De rares frissons la tiraient de sa torpeur.
Norman était comme un lion en cage. Il faisait le tour de la pièce en quelques secondes, accablé. Dès que le téléphone sonnait, ils bondissaient tout deux, prêt à mettre de côté leur différent pour accueillir une bonne ou mauvaise nouvelle.
Le départ précipité de Flora les avaient surpris. Où pouvait-elle se trouver à cette heure ?
Le matin arriva. Le soleil d'habitude radieux était caché par de gros nuages annonciateurs d'une journée couverte. Norman ouvrit une fenêtre mais la referma quelques minutes après, ne pouvant supporter les cris joyeux qui provenaient de la rue. La maison plongée dans le silence lui donnait l'impression que le temps s'était figé. Il se rendit dans la cuisine d'un pas traînard. Comme à son habitude, il constata amèrement qu'il s'était une nouvelle fois brûlé à cause de la cafetière. Sous l'effet de la brûlure, il passa sa main sous l'eau froide.
Jetant un regard vers l'appareil électrique, il plaqua ses mains sur son visage pour ne pas que sa femme l'entende pleurer.
« Tu devrais laisser faire maman, cette cafetière ne t'aime pas, tu le sais. »Il se retourna, persuadé d'avoir entendu le rire pétillant de Flora qui lui conseillait de laisser faire sa mère. Hélas le souvenir s'évanouit aussi vite qu'il avait bouleversé son auteur.
Caroline l'avait rejoint. Elle examina la main de Norman puis lui recommanda d'aller changer son pansement suite à la blessure de l'autre jour. Pendant qu'il fixait la nouvelle compresse, le téléphone sonna. Il courut dans l'escalier, sautant des marches pour arriver plus vite au salon.
« J'arrive tout de suite, répondit Caroline en raccrochant. »
Elle mit une veste. Mais ses forces l'abandonnèrent. Norman, inquiet, la questionna.
« Flora est à l'hôpital. Elle est... dans le coma. »
Elle fut touchée de voir le désespoir dans les yeux fatigués de son mari.
« Je vais y aller.
- Je viens avec toi, répliqua-t-il en cherchant son manteau. »
Caroline l'arrêta. Elle voulut voir sa réaction.
« Il ne vaut mieux pas que tu viennes.
- Tu ne peux pas me demander ça, Caroline. Flora est ma fille, j'ai autant le droit que toi d'aller la voir.
- Si elle est dans cet état c'est par ta faute. Je ne suis pas persuadée qu'elle aurait envie de te voir quand elle se réveillera. »
Une seconde raclée de Bastien ne lui aurait pas fait autant de mal. Il se sentit rejeté. Cela ne l'empêcha pas d'enfiler son manteau et d'aider sa femme à mettre une veste sur son dos. Caroline approuva en silence l'attitude de son mari : si elle avait été à sa place, elle aurait répondu la même chose et serait quand même aller à l'hôpital.
Le trajet jusqu'à l'établissement médical fut morne. Les médecins leur expliquèrent que les pompiers avait trouvé leur fille au bord d'une route. Elle avait été percutée par une voiture. D'ailleurs le conducteur était là.
« Je suis désolé pour votre fille... Elle a surgit sur la route d'un coup. Un de ses Pokémon avait échappé à sa surveillance et traversait la route. Si elle ne s'était pas interposer pour le protéger, le Pokémon aurait été percuté à sa place. »
Dans la chambre nue où reposait le corps de leur fille, ils découvrirent une Pokéball vide sur la table, à côté de son lit. Norman, en l'examinant, conclut qu'il s'agissait de celle de Dracolosse. Il accusa le dragon du malheur qui avait conduit sa fille ici mais savait au fond de lui que tout était de sa faute. Jamais elle ne se serait rendue dans le bois Clémenti en pleine nuit.
Caroline s'absenta pour aller chercher quelque chose à boire. Norman fouilla dans sa poche. Il déposa dans l'étui à badge cabossé de sa fille, son badge Balancier.
« Si tu le veux vraiment, il va falloir te réveiller ma puce... »
Il voulait respecter la promesse que lui avait faite sa jeune dresseuse. Au milieu des autres badges, le champion eut l'impression que le sien faisait tâche. En touchant chacun des emblèmes, il tenta de se souvenir de chaque récit que sa fille lui avait rapporté, de tous ses match intenses disputé dans l'unique but de récupérer ses insignes. En passant le badge Plume entre ses doigts, il revécut le duel entre Dracolosse et Hélédelle. Le visage d'Alizée s'imposa. Devait-il la prévenir ?
***
Caroline, épuisée, rentra à la maison. Norman insista pour resté auprès de Flora.
Stanislas - La débâcle des sentimentsIl quitta la chambre pour passer un coup de fil. Il resta à proximité de la vitre d'où il observait le visage apaisé de sa fille.
Il raconta tout à Alizée dans un flot interminable de détails. Sa voix étranglée éveilla l'inquiétude de la jeune femme devant l'épreuve qu'il traversait.
« J'ai besoin de toi... Veux-tu venir ?
- Je ne sais pas si c'est une bonne idée. C'est notre faute si Flora est dans cet état aujourd'hui. C'est comme si tu demandais à un assassin de rentrer dans la chambre de la personne qu'il a voulu tuer pour l'achever. Je m'en veux tellement... »
Imaginer dans un lit d'hôpital la gamine pleine d'énergie qu'elle a défié il y a peu...
« Je t'en prie, ne me laisse pas affronter cette épreuve seul, la supplia Norman.
- Tu n'es pas seul. Caroline est là aussi. Je n'ai pas le courage de l'affronter. Ta place n'est pas avec moi mais avec ta famille.
- Tu es aussi importante qu'elle.»
***
Norman attendit fébrilement l'arrivée d'Alizée. Il avait prévenu sa femme qui avait consenti à sa venue. La seule présence de la jolie jeune femme soulagerait peut-être l'esprit tourmenté de Norman. Pour Caroline, le seul moyen pour que Flora revienne parmi eux était de sentir que ses proches allaient mieux. Si cela pouvait apaiser son mari d'être aux côtés de la seule personne capable de l'épauler, alors elle le laisserait faire...
La championne de Cimetronelle arriva chargé d'un bouquet d’œillets aux couleurs rouges tachetés de blanc.
« Dès que je les ai vu, j'ai pensé à Flora. Ces vêtements sont de la même teinte.
- Le rouge est sa couleur préférée. »
Norman mit dans un vase le beau bouquet qu'avait apporté la championne. Il déposa les fleurs sur la table, au chevet de l'enfant.
Pour ne pas que les deux femmes se croisent, Norman emmena Alizée à la cafétéria. Une fois assis, Alizée remarqua l'éternelle cravate accrochée au cou du trentenaire.
« Elle l'avait enfilé avant de s'enfuir, lui expliqua Norman, la serrant au point de la tordre. »
Tout chez cet homme avait changé. Il paraissait âgé d'une cinquantaine d'années. Ses cheveux d'habitude si soignés n'avaient pas été brossés depuis des jours. Des cernes apparaissaient sous ses paupières fatiguées. Une barbe se développait à mesure que le temps passait.
Chacun de ses gestes rendaient son corps plus lent. Sa vigueur n'avait d'égal que son accablement.
« Je suis venu pour te soutenir mais aussi pour te dire quelque chose, commença Alizée. Tu vas trouver l'excuse puérile mais c'est ce qui s'est vraiment passé. Lors de mon combat contre Flora, je me suis promis quelque chose : si je gagnais, je tenterai de renouer des liens avec toi. Mais le destin -ou bien ta fille- en a voulu autrement. J'ai perdu. Ma promesse veut que je te laisse auprès de ta famille. »
Elle posa une main sur celle de Norman.
« C'est un choix. Tu m'as fait beaucoup souffrir et je t'aime toujours. A cause de moi, à cause de nous, d'autres personnes ont subit des dommages collatéraux. Je ne veux pas que cela se reproduise. Toi, moi, Caroline, Flora, Bastien, tous ont payé le prix de notre histoire. Ils ne le méritent pas, comme nous, nous ne méritons pas de vivre heureux ensemble. Je resterai auprès de toi jusqu'à ce que Flora se réveille mais ensuite je partirai. »
Norman, les yeux humides, hochait la tête. Il allait perdre la femme qu'il aimait en plus d'avoir la possibilité de voir sa fille mourir.
« Je respecte ton choix et ne le trouve pas puérile. Il est responsable. Je... vais essayer de vivre sans toi. Mais je ne veux pas que tu m'oublies. »
D'un geste tendre, elle caressa la joue mouillée de Norman. Ce signe répondit à sa demande.
Caroline rappliqua devant eux. Elle reprit son souffle avant d'annoncer que leur fille venait de sortir du coma. C'était la fin d'un cauchemar. Mais le début d'un autre pour Norman. Il réalisa que si il laissait Alizée ici, quand il reviendrai, elle ne serait plus là. Absente de son futur. Qu'il ne la reverrait sûrement jamais.
Rejoindre sa fille ou laisser s'envoler la belle hirondelle...
Le choix de Norman fut instantané. Il se leva, embrassa furtivement Alizée et disparut au milieu des innombrables couloirs de l'hôpital.