Les hommes creux (OS) de Eliii

À mesure que la nuit tombe, la lumière se fait ténèbres, et un voile étoilé recouvre le monde. La Lune, de son éclat d'argent, remplace le grand astre, de là-haut dans le ciel, et éclaire la nature de sa lueur bienveillante, observant de loin, spectatrice de toute cette agitation qui caractérise si bien la Terre.

À mesure que le jour se lève, les ténèbres deviennent de nouveau lumière, et les nuages reprennent leurs droits sur les étoiles, et le Soleil évince la Lune en attendant la prochaine tombée de la nuit. Un cycle perpétuel et sans fin, qui se répète, jour après jour, année après année, siècle après siècle...

Un cycle immuable qui, quoi que l'on veuille faire, restera toujours ainsi. Un cycle immuable qui, chaque matin et chaque soir, se manifeste par le lever ou le coucher du Soleil à l'horizon. Un cycle immuable que ce satané Homme ne prend pas la peine de considérer comme le fondement même de sa vie.

"Tu vois, fils, a un jour dit une Némélios à son jeune enfant, ce que tu vois là, c'est un spectacle qui nous rappelle chaque jour que le temps est précieux et que la vie, si courte qu'elle puisse être, mérite d'être vécue sans regret ni appréhension. Vis, fils, comme ce Soleil levant qui démarre une nouvelle journée de travail harassant, à éclairer notre Terre de sa lumière bienveillante."

Le petit Hélionceau a alors regardé sa mère, avec ces yeux remplis de curiosité et d'entrain, ces yeux qui représentent si bien l'insouciance, et l'ignorance, et l'innocence de la jeunesse.

"Tu crois que le Soleil vit, et éprouve des émotions comme nous ?"

La mère, le regard perdu dans le lointain, rivé vers cette aube magnifique, répond d'une belle voix. C'est une belle voix emplie de bonté et de sagesse, une voix que l'Homme ne connaît pas et ne connaîtra jamais, car il est et sera toujours guidé par un seul mot d'ordre dans sa vie, une seule raison d'être et de penser. L'argent pour certains, le pouvoir pour d'autres...

"Bien sûr, fils. Vois comme ce visage franc et ardent souffre du labeur constant, tout le jour durant, sans même se reposer, ni s'amuser, ni nous faire faux bond. Vois comme il est pur, qu'il incarne un cœur noble et vertueux, et lumineux. Il représente la lutte constante contre les ténèbres qui nous enveloppent, contre le mal qui nous ronge. Vois, fils, comme le Soleil est courageux."

Depuis lors, mère et fils partagent, chaque matin, un moment privilégié devant ce spectacle d'une beauté au-delà des seules apparences. Vient un jour où l'Hélionceau a suivi sa mère hors de la tanière, de nuit, pour la voir postée au même endroit que le matin. Elle a regardé son enfant approcher, et a souri.

Un de ces sourires francs qui vous marquent à vie. Un de ces sourires qui semblent vous dire que quoi que vous fassiez, vous serez toujours aimé par quelqu'un. Un sourire qui vous met en confiance. Un sourire qui en dit bien plus long que le plus impressionnant des discours humains.

"Vois, fils, comme la lune brille haut dans le ciel ce soir, comme elle éclaire de ses nuances argentées toutes ces étoiles minuscules, qui ne sont que points scintillants pour nous. Vois, comme à l'instar du Soleil, elle se montre courageuse. Chaque nuit, fidèle au poste, elle veille sur nous de là-haut."

L'enfant émet un bâillement sonore et regarde sa mère, avec ces yeux fatigués qui caractérisent si bien la fragilité, et l'amour, et la tendresse dont a besoin la jeunesse.

"La Lune aussi, est comme le Soleil ?"

La Némélios majestueuse acquiesce, le regard perdu dans le lointain, contemplant ce voile étoilé qui recouvre le monde.

"Oui, fils. La Lune est comme le Soleil. Dis-moi, as-tu déjà entendu parler des Hommes ?"

Hélionceau imite sa mère, ses yeux brillants d'émotion.

"Les mâles de la tribu les évoquent souvent. Ils disposent d'étranges objets rouges et blancs, qui peuvent nous enfermer à l'intérieur. On dit qu'ils sont méchants."

La mère se blottit contre son enfant.

"Je ne sais pas, fils. Rien n'est blanc, rien n'est noir. Certains sont bons, certains sont mauvais. La vie est ainsi faite. Nous autres Pokémon ne sommes pas tous bons non plus.
- As-tu déjà rencontré un Pokémon mauvais ?"

Némélios semble plongée dans une réflexion intense, ses yeux plissés et sa crinière flottant dans la brise légère et agréable.

"Peut-être, fils. Il est difficile de juger un livre à sa couverture. Ne juge pas les Hommes trop durement. Veille à observer avant de te forger une opinion. Retiens bien cela, mon fils. N'oublie jamais les leçons de ta vieille mère, et enseigne les à tes enfants ensuite. Ces enseignements doivent se perpétuer à travers nos générations.
- Tu peux me faire confiance. Tout le monde doit savoir ce que le Soleil et la Lune font pour nous."

L'enfant, pensif, ne parvient pas à dormir, cette nuit-là. Il pense au Soleil et à la Lune, ces deux astres si courageux, et si altruistes, et si magnifiques. Et aux Hommes, aussi. Il aimerait bien en voir, pour enfin être certain qu'ils sont comme le disent les mâles de la tribu.

Les Hommes sont creux, vides et sans âme, lui a-t-on dit. Des coquilles, comme celles des noix, sans rien à l'intérieur. Les hommes sont des hommes empaillés, carcasses sans rien d'autre que de la vieille paille pourrie à l'intérieur. Leurs voix sont sourdes, et lointaines, et inanes, elles se perdent dans l'immensité du monde qui les entoure et qu'ils continuent d'ignorer, préférant songer à le dominer. Les Hommes sont faibles, animés seulement par des fantasmes fantasmagoriques, des illusions illusoires, de douces rêveries... les Hommes sont creux. C'est ce que lui ont répété tous les mâles de la tribu, et pourtant, il ne sait pas quoi croire. Cette nuit-là, le petit Hélionceau qui aime tant regarder le lever du soleil et contempler la nuit étoilée s'est juré de se forger sa propre opinion en rencontrant lui-même un être humain.

Et si l'Homme est creux, le Pokémon cependant
Est un grand cœur vertueux, qui n'est jamais perdant.