La championne de Mérouville fut surprise d'apprendre que l'homme dont Alizée s'était éprise était Norman. Mais au fond, cela n'avait pas d'importance.
Pour respecter l'intimité et la vie privée de son amie, elle ne lut aucune lettre et les rangea soigneusement dans une boîte en métal. Malgré les conseils avisés de son amie, Alizée voulut les garder auprès d'elle, dans sa chambre. Plus que jamais, Roxanne entoura son amie d'attention permanentes. Elle prolongea son congé à Cimetronelle.
Alizée redoutait la visite de Norman. Celui-ci était sans doute sorti de l'hôpital suite aux soins de ses blessures superficielles. Mais les jours passaient sans que son amant ne réapparaisse dans sa vie. Un mélange de soulagement mais aussi d'impatience la soulevait chaque matin. Son quotidien reprit son cours malgré elle. A l'arène, Roxanne l'assistait. Parfois cette dernière la conseillait dans ses match qu'Alizée perdait par manque d'attention.
Un soir, la jeune femme eut de profonds doutes concernant sa vocation de championne.
« Et si j'arrêtais tout ça ?
- Quitter ton arène ? Quelle idée ! Elle va très bien.
- Mais moi je vais mal. Je ne suis pas sûr d'assurer mon rôle encore longtemps... »
Puis un jour, elle eut la visite étonnante d'une challenger qu'elle avait déjà rencontré. Flora.
Celle-ci, après avoir apprit que la championne de Cimetronelle avait repoussé tous ses match, s'était rendu à Algatia où elle avait remporté son cinquième badge. Ayant entendu que les combats d'arène avait reprit à Cimetronelle, elle y retourna.
Roxanne qui s'occupait du listing des challenger, l'inscrivit. Le combat aurait lieu le lendemain.
Alizée, en revoyant la fille de Norman, avait ressenti quelque chose qu'elle croyait avoir perdu : de la détermination. De la combativité. Pour la première fois depuis des semaines, elle s'entraîna assidûment toute la journée et une partie de la nuit en vue de ce combat qu'elle voulait mémorable.
Affronter l'enfant de l'homme qu'elle aimait ne paraissait pas l’inquiéter. Flora était comme à son habitude : insouciante. Rien ne présageait qu'elle était au courant de quoi que ce soit.
Norman était un champion très fort. Sa fille, avec cinq badges, devait l'être aussi. La championne se remémora les débuts de sa passion avec cet homme qu'elle avait d'abord admiré derrière l'écran de son ordinateur. Aucun match ne lui avait échappé. Par manque de temps, elle n'eut pas le temps de les visionner avant son match.
Très tôt, Roxanne s'était levée et avait préparé un petit déjeuner assez copieux à son amie. Tartines de beurre, confitures, café, thé, fruits, jus d'orange. Devant ces mets, Alizée retrouva pour quelques minutes le goût de manger.
« Pas trop stressée ?
- Non. Tu sais, ça reste un match comme j'en ai disputé des centaines.
- Celui-là est particulier. Tu affrontes la fille de Norman. Pourras-tu la regarder dans les yeux ? »
La remarque étonna la championne jusqu'à son arrivée dans l'arène. Flora était déjà là, impatiente de commencer. En entrant dans la salle principale vide, Alizée se sentit soudainement seule. L'arbitre se présenta.
Le terrain était à ciel ouvert. De gros nuages menaçaient de faire pleuvoir des éclairs sur l'arène. Des bourrasques de vent bousculaient les moutons noirs chargés d'électricité.
Roxanne s'installa dans les tribunes. Elle sortit un calepin où elle notait tous les détails qui lui venaient à l'esprit quand elle regardait Alizée se battre. Heureusement le style de la championne n'avait rien à envier à celui des autres champions. Bien au contraire. Même si ces derniers temps, Alizée offrait trop facilement ses badges Plume, cette fois-ci Roxanne sentit que les circonstances allait changer beaucoup de choses chez son amie.
Dans la salle, les deux adversaires n'étaient pas seules. Roxanne le remarqua. Près de la sortie, elle aperçut un homme. Norman. Les mains posées sur la rambarde, en hauteur, loin derrière sa fille, il détaillait Alizée. Celle-ci ne semblait pas l'avoir aperçu, concentrée par le combat qui allait débuter.
« Le match opposant la championne d'arène Alizée de Cimetronelle à Flora, la challenger, va commencer. Vous aurez droit à deux Pokémon chacune. Le match se déroulera sans limite de temps. Seule la challenger aura le droit de changer de Pokémon au cours du match ! »
Alizée frissonnait. Flora semblait sûre d'elle. Elles échangèrent un sourire puis l'arbitre siffla le début du match.
La championne envoya Bekipan, l'un de ses meilleur atout. Flora, déconcertée, hésita puis rangea la Pokéball qu'elle s'était apprêter à lancer.
« Je ne me suis pas renseignée mais de quel type sont tes Pokémon ? demanda-t-elle à la championne.
- Tu ne vois pas leur particularité ? Ils volent ! »
La fillette fit un "oh" du bout des lèvres. Elle sortit une Pokéball de son sac et l'envoya face au Bekipan d'Alizée. Un Ninjask aux couleurs rougeoyantes fit son entrée sur le terrain.
« Je veux me battre à arme égale avec toi. Donc je ne vais utiliser que des Pokémon vol. »
Le pélican soulevait son corps avec quelques battements d'ailes. Ninjask ne donnait pas l'impression de voler mais de léviter tant ses mouvements étaient rapides.
L'arbitre leva deux drapeaux -un rouge et un vert- pour annoncer le début des hostilités.
Flora ordonna à son Pokémon de s'envoler le plus haut possible. L'insecte se dirigea vers les nuages menaçants. Bekipan attendit les ordres de sa dresseuse. Alizée savait que ce type de nuages étaient dangereux pour les oiseaux. S'y aventurer pourrait causer des torts à son Pokémon. Elle attendit de voir éclater un orage au dessus d'elle.
En effet, la foudre retentit au dessus du terrain et un éclair ne tarda pas à frapper les alentours. Devant le risque que courait Ninjask, Flora l'exhorta à redescendre. Heureusement, il ne fut pas blessé par les caprices de la météo.
« Tu veux continuer à te battre même si les éclairs frappent le terrain ? demanda la gamine.
- Le ciel fait partie du terrain. Donc les nuages aussi. »
Une pluie torrentielle s'abattit sur l'arène. Alizée était protégée par son costume mais Flora s'affola car elle n'avait rien à mettre sur sa figure mouillée. Son bandana était dans son sac.
« Bekipan, Vibraqua ! »
Trop occupée à enfiler son bandana déjà trempé, Flora n'entendit rien à cause de la foudre et de la pluie. Elle constata que le Pokémon de son adversaire passait à l'offensive. Ninjask, frappé par la boule d'eau que lui avait envoyé Bekipan, s'écrasa sur le sol. La pluie brouillait la vue de la jeune dresseuse qui hésitait à rappeler son Pokémon.
Soudain, un éclair s'invita dans les tribunes, derrière Flora, révélant la présence d'un homme. Imperturbable sous l'orage, Norman fixait intensément le terrain. Alizée, surprise de découvrir cet invité qu'elle n'espérait plus attendre, faillit crier son nom. Norman l'arrêta, posant un doigt sur ses lèvres. Il lui offrit un de ses sourires charmeur mais profondément mélancolique.
Maintenant qu'il était là, une chaleur diffuse parcourut les muscles de la championne. Alizée semblait avoir évacué son stress. Restée concentrée allait lui demander un effort se sachant évaluer par l'un des meilleurs champion. Qui soutenait-il ? Elle aurait donner sa démission pour le savoir.
Elle fit le pari de laisser Norman tranquille, de le laisser à sa vie de famille si elle perdait. Si elle gagnait, elle essayerait de le récupérer.
Le combat aurait donc deux enjeux : un enjeu des plus classique tandis que l'autre serait amoureux. Un combat qui se dispute le cœur d'un homme... Et Alizée n'avait pas l'intention de le perdre.
Aussi vite que l'orage s'était déclaré, la pluie s'arrêta. Le ciel se trouva dégagé, débarrassé des nuages présents il y a quelques secondes encore.
Le soleil aux rayons ardents redonna de l'assurance à Flora.
« Reflet ! »
L'insecte se redressa. Il fit naître des illusions de lui-même avec lesquels il encercla Bekipan. Ces clones fictifs étonnèrent Alizée de par leur ressemblance exacte avec le Pokémon original. Mais loin d'être déstabilisé, le pélican frappa chaque hologramme d'un Aéropique.
« Tranche ! s'exclama Flora, une main en avant. »
L'insecte planta ses griffes dans le ventre de son adversaire.
« Gobe-le, Bekipan ! »
L'oiseau ouvrit son bec et aspira l'insecte dans son gosier assez grand pour contenir un caddie de course. Bekipan savait désormais ce qui lui restait à faire. Il prit son envol lentement, savourant la victoire assurée. Ninjask avait beau se débattre dans la poche qui le retenait prisonnier, celle-ci demeurait hermétiquement close.
Pendant l'ascension du pélican, Alizée se permit de quitter le terrain des yeux, connaissant déjà l'issue du duel. Elle posa son regard sur Norman, imperturbable, les sourcils froncés. Elle ne réussit pas à savoir ce qu'il pensait. Était-il amusé de voir sa fille en difficulté où faisait-il preuve de sévérité envers sa maîtresse ?
Bekipan plongea à toute vitesse, lâchant juste à temps le Pokémon insecte pour qu'il s'écrase au sol sans pouvoir en réchapper. L'arbitre déclara Ninjask incapable de continuer le match. Dépitée, Flora douta pour le choix de son second Pokémon. Elle ne possédait que quatre Pokémon. Deux d'entre eux pouvaient voler... Mais l'autre était... comment dire... rebelle. L'envoyer au combat alors qu'il n'obéissait pas, serait un suicide. Elle soupesa la Pokéball qui contenait le Pokémon qu'elle redoutait d'appeler. Finalement elle tira de son sac la balle de Flobio.
Dans un éclair lumineux, un Dracolosse entra sur le terrain. Devant le dragon orange, les trois champions crurent à une mauvaise blague. Flora n'eut pas le temps de rappeler son Pokémon que l'arbitre annonça que la deuxième manche pouvait commencer.
« Je ne t'ai demandé de veniiiiir ! s'écria Flora, accablée à l'idée de voir son badge lui passer sous le nez. »
Comme elle s'y était attendue, elle ne réussit à rien tirer de son Pokémon. Il était sortit pour prendre le soleil dans l'intention de ne pas être dérangé par cette fillette arrogante. Bekipan, devant cet adversaire inattendu, hésita à attaquer, redoutant une riposte cinglante.
« Ne te laisse pas impressionner par son physique. Il n'est pas en mesure de te battre. »
Même les Pokéblocs que Flora lui proposait ne changeait en rien la position du dragon : il ne combattrait pas aujourd'hui.
Norman faillit intervenir. Cependant le combat auquel il assistant n'était pas le sien mais celui de sa fille.
Bekipan passa à l'offensive. L'agressivité du pélican déplut au dragon, dérangé pendant sa sieste. Des étincelles crépitèrent au bout de ses griffes qu'il planta dans le plumage immaculée du Bekipan. Celui-ci, complètement sonné par cette décharge électrique, resta à bonne distance de son adversaire.
« Bekipan ! appela la championne, mécontente de la retenue de son Pokémon. »
Même l'autorité de sa dresseuse n'arrivait pas à faire disparaître l'angoisse d'être de nouveau attaqué par ce gigantesque dragon. Celui-ci s'était rendormi pour le plus grand malheur de Flora. L'issue du combat se fit longtemps attendre.
Un son guttural finit par sortir du gosier de Dracolosse pendant son sommeil. Le bruit du Ronflement devint presque insupportable pour tous ceux qui se trouvaient à proximité du terrain.
Bekipan vacilla puis s'écroula, les tympans percés. A la surprise générale, Dracolosse avait attaqué sans le vouloir, donnant la victoire à Flora. Celle-ci, reconnaissante, vint câliner son dragon avec l'intime conviction qu'il lui obéirait à l'avenir.
L5 - Toutes les femmes de ta vieAlizée rappela Bekipan, tout sourire. Flora ne se débrouillait pas si mal. La championne envoya Hélédelle sur le terrain. Ce Pokémon à la forte valeur symbolique pour les deux amants, réveilla en eux des souvenirs. Leur balade sur le dos de ce dernier mais aussi toutes les lettres échangées par voie aérienne.
L'oiseau jeta un rapide regard dans la direction de Norman, visiblement mécontent que le champion se présente devant sa dresseuse après l'avoir fait tant pleuré et souffrir. Mais l'attention d'Hélédelle se posa sur le gros dragon qui ronflait toujours aussi bruyamment.
Contrairement à son prédécesseur, le Pokémon d'Alizée ne fut pas en reste devant l'indisposition de son adversaire. Dormir pendant un combat était un manque évident d'éducation. Vexé d'être ignoré, Hélédelle bouscula le ventre de Dracolosse avec une Vive-Attaque.
Flora serrait les poings. Elle cria des ordres dans l'intention de voir se réveiller le Pokémon dragon.
Dans l'esprit d'Hélédelle, Dracolosse était associé à Norman. Certes cet homme n'était pas officiellement le challenger mais sa présence restait associé à celui de sa fille Flora, donc à celui de ce Pokémon. Battre Dracolosse serait une belle revanche pour le Pokémon ailé. Une revanche pour les larmes versées par sa dresseuse.
Dracolosse s'étira, prêt à retourner dans sa Pokéball. Il s'avança vers Flora, lui adressant par gestes son envie de retourner dans sa balle.
« Tu ne peux pas me faire ça ! Si tu y retournes, j'aurais perdu ! »
Le dragon, indifférent aux supplications de sa dresseuse, fouilla ouvertement dans le sac de cette dernière. Il saisit la capsule entre ses griffes. En levant la tête, le Pokémon aperçut Norman. Le regard furieux qui émanait du champion fit ouvrir de grands yeux au dragon. Alizée jeta un coup d'œil discret à Norman. Il était furax, voire enragé. Jamais elle ne l'avait vu aussi en colère. Même pendant son altercation avec Bastien, il n'était pas aussi énervé.
A l'idée d'assister à la défaite de sa fille à cause d'un vulgaire dragon récalcitrant, le champion de Clémenti-ville était révolté. Il menaça d'un geste du poing Dracolosse d'en découdre sur le terrain si il n'obéissait pas à sa fille. Devant cet homme prêt à affronter à mains nues un des plus grands dragons qui existe, Dracolosse resta figé d'admiration. Il aurait tant aimé avoir un dresseur comme lui !... Pas une gamine écervelée telle que Flora...
La gamine voulut voir ce qui troublait tant son Pokémon. Alizée, pour détourner son attention, ordonna à Hélédelle d'attaquer. Norman remercia la championne d'un clin d’œil. Si sa fille apprenait qu'il était présent, elle ne serait plus concentrée et voudrait lui montrer ses progrès. Les soupçons quand à sa présence étaient aussi une chose à éviter : pourquoi assisté à ce match d'arène en particulier si ce n'est pour être en compagnie de la jolie Alizée ?
Dracolosse reposa sa Pokéball entre les mains de Flora. Il s'avança vers le centre du terrain, déterminé. Le simple regard de Norman avait réussi à le convaincre de passer à l'action. Il allait se battre par instinct, nullement sous les ordres de cette fillette...
« Attaque Cage-Éclair ! »
Le dragon aux écailles orangées battit des ailes, provoquant un Ouragan. Le tourbillon fit place net sur le terrain. Hélédelle, malgré la force de ses ailes, se retrouva plongé dans l'abîme du cyclone. Secoué de toutes parts, il n'entendait plus les ordres d'Alizée. Il fit en sorte de garder son cap mais l'apparition de Dracolosse dans l'Ouragan le fit osciller.
De sa propre initiative le Pokémon dragon donna un violent coup de griffes dans la poitrine du Pokémon oiseau. Celui-ci tenta de le repousser mais la paralysie l'en empêcha. Une sorte de cage électrique le retint au cœur du cyclone. Alizée, désespérée par la force de son adversaire, ne savait que faire.
Norman voulut la serrer dans ses bras, la réconforter. A voir son visage, il compatissait réellement de l'issue que prenait le match.
Cela ne faisait rien à Alizée de perdre un badge Plume, elle s'en fichait pas mal. Mais à l'idée de perdre son pari, de laisser partir Norman alors qu'elle l'aimait encore... A cette idée, ses poings se crispaient, sa gorge se retrouvait prisonnière d'un étau.
« Hélédelle, sors-toi de là ! Je t'en prie ! N'abandonne pas ! Fais-le pour moi !! »
Roxanne n'avait jamais vu son amie dans un état pareil. En effet, Alizée avait les mains posées devant son visage, priant de toutes ses forces.
« Dracolosse, Poing-Éclair ! »
Le dragon avait quitté l'Ouragan pour préparer son coup final. Mais l'ordre de sa dresseuse n'y fit rien : c'était à lui de choisir ses attaques. Hélédelle, à travers les bourrasques de vent qui le malmenaient, aperçut le visage pitoyable de sa maîtresse. A l'aide d'une Vive-Attaque il bascula sur le côté et réussit à sortir du cyclone mais la Cage-Éclair faisait toujours effet.
« Écoute-moi Dracolosse !
- Hélédelle, Reflet ! »
Des illusions du Pokémon volant apparurent mais s'évanouirent immédiatement. Il réitéra l'attaque mais rien n'y faisait. Roxanne se mit debout, expliqua à son amie :
« Alizée ! La paralysie absorbe toute l'énergie de ton Pokémon ! Il faut attaquer ! Ne perd pas plus de temps, sinon tu risques de perdre ! »
La championne voulut la confirmation d'une tierce personne : Norman hocha douloureusement la tête. Roxanne avait raison.
Alizée prit une grand inspiration, ferma un instant les yeux. L'issue du combat se jouerait sur une seule attaque. La meilleure qu'Hélédelle connaissait était Aéropique. Mais la paralysie ferait que son offensive serait diminuée de vitesse.
Brusquement un rayon bleuté s'échappa de la mâchoire de Dracolosse. Le tir fut si dévastateur qu'il rejeta Hélédelle jusqu'au fond des tribunes.
« Qu'est-ce que ?! s'écria Roxanne sous le choc.
- Hélédelle !! hurla la championne, s'échappant du terrain pour aller retrouver son Pokémon. »
Norman resta figé devant l'attaque Ultralaser qu'avait lâché Dracolosse. Une telle puissance dans les mains d'un dragon aussi désobéissant causerait de grands torts aux futurs adversaires de sa fille.
« Alizée a... perdu, laissa-t-il échapper en quittant la salle, tête baissée. »
Dans les tribunes, Alizée réalisa qu'elle venait de perdre un combat très important : celui de l'amour. Elle s'effondra sur le corps blessé de son oiseau. Roxanne et Flora la rejoignit.
« Je n'ai pas donné d'ordres à Dracolosse, essaya d'expliquer la fillette, balbutiant des excuses.
- Tu as gagné. Roxanne, offre-lui sa récompense. »
Alizée n'avait plus la force de se lever, de serrer la main de sa challenger. Roxanne lui jeta un regard sévère.
« Tu es la championne de Cimetronelle. C'est à toi de remplir tes devoirs. »
La championne ailée sécha ses larmes, consciente de la situation gênante qu'elle causait. Qu'allait penser Flora si une championne de sa trempe pleurait pour une simple défaite ? Mais elle n'avait pas perdu qu'un badge Plume : l'homme qu'elle aimait venait de s'effacer de son futur.
Au moment de donner son badge à Flora, Alizée ressentit de la fierté pour avoir affronter la fille d'un champion reconnu comme Norman. Sa fille aurait un grand avenir dans la Ligue d'Hoenn.
« Tiens, je te remet le badge Plume, preuve de ta victoire à l'arène de Cimetronelle.
- Minute... »
Roxanne attrapa le badge en forme de plume, l'enferma dans la paume de sa main.
« Je suis moi-même une championne. Nous nous sommes d'ailleurs affrontés à Mérouville. Alizée te laissera ton badge à une condition : que tu dresses correctement ton Dracolosse. Cette victoire n'est pas la tienne. Dracolosse a gagné seul le duel contre Hélédelle. Comme il ne t'obéit pas, on ne peut pas le considérer comme étant ton Pokémon. Promets-tu de faire suivre à ton dragon un dressage rigoureux ?
- Oui, je vous le promets ! C'est dans l'intérêt de tous que Dracolosse m'obéisse. Je m'en souviendrais ! »
Roxanne s'absenta pour superviser les disciple d'Alizée tandis que cette dernière faisait ses adieux à Flora.
« Merci pour ce combat. Ça a été le plus intense que j'ai livré depuis des années, lui dit-elle en saisissant les poignets de la fillette.
- Pour moi aussi !
- Passe le bonjour à ton papa pour moi, rajouta la championne, rouge comme une baie Tamato . »
***
Flora avait presque fini son tour de la région. Il ne lui manquait que deux badges : celui d'Atanalopolis et de Clémenti-ville. L'arène de Marc était fermée pour une durée indéterminée. Décidée à revenir chez elle en attendant sa réouverture, Flora prit la route de Clémenti-ville pour demander un match contre son père.
Quelques jours après son combat contre Alizée, elle saisit un train à Cimetronelle. Il fallait compter trois heures de trajet entre les deux villes. Dans le wagon où elle s'était installée, Flora réfléchissait à un moyen de faire obéir son Dracolosse. L'appâter avec de la nourriture ne marchait pas, les câlins et les compliments non plus. Elle aurait tant aimé connaître la raison qui avait poussé Dracolosse à se battre alors qu'il voulait retourner dans sa Pokéball...
Devant chez elle, la fillette eut l'impression de rajeunir de quelques mois. Rien n'avait changé dans la ville. Flora avait déambulé dans les rues, à la recherche de choses qui auraient marqué son absence mais rien ne sautait aux yeux.
Elle ouvrit le portail menant à la porte d'entrée, chercha ses clés dans son sac. Comme à son habitude, tout traînait en désordre à l'intérieur. Les Pokéball côtoyaient les mouchoirs qui étaient en profonde amitié avec le miroir de poche.
Le trousseau en main, elle poussa la porte. Elle entendit des voix dans le salon. Celles de ses parents.
Sur le tableau où habituellement étaient accrochés les clés, elle retrouva la cravate qu'elle avait offerte à son père avant son départ de la maison. Le tissu était impeccable. Curieuse et en même temps amusée à l'idée de l'enfiler, elle passa l'accessoire autour de son cou.
Soudain les voix qu'elle avait discernés élevèrent le ton. Une nouvelle dispute, pensa Flora. Hélas, c'était plus grave. Caroline poussait des cris entrecoupés de sanglots. Norman, d'habitude si calme, balbutiait des phrases incompréhensibles.
Voulant comprendre la raison de cette nouvelle querelle, Flora demeura dans le couloir de l'entrée.
« Comment as-tu put faire voler en éclats plus de dix ans de mariage, Norman ! Ce n'est pas possible...
- Caroline...
- As-tu pensé à Flora ? »
La gamine, collée contre un mur, déglutit.
« Quand elle va savoir que tu as détruit sa famille pour... me tromper avec une autre... Explique-moi !
- Caroline, j'aime Alizée. Notre couple, notre famille sont les plus belles choses qui me soit arrivé à tes côtés. Seulement, la vie que nous menons ne m'intéresse plus. J'ai besoin de changement."
Caroline s'écroula sur le premier fauteuil à porter de mains.
« Depuis combien de temps cette comédie dure-t-elle ?
- Plusieurs mois. Le départ de Flora a été le coup de grâce.
- Ne mêle pas notre fille à cette conversation ! C'est honteux de te cacher derrière ta fille ! Bientôt tu vas me dire que c'est à cause de Flora si... si... !! hurla Caroline, étouffée par le chagrin et la rage. »
Flora aurait tout imaginé sauf ça. Son père avait trompé sa mère avec Alizée... Était-ce la même Alizée, la championne de Cimetronelle qu'elle avait défié quelques heures plus tôt ?
« Quand comptais-tu me parler de cette femme ?
- J'attendais que cela devienne plus sérieux. »
Caroline comprenait à présent les raisons qui poussaient Norman à s'absenter trop souvent de Clémenti-ville.
« L'air de Cimetronelle est agréable aux bras d'Alizée ? demanda-t-elle, sarcastique. »
Plus de doutes possible pour Flora. Il ne pouvait plus y avoir de coïncidences. C'était Alizée, la championne, que Norman avait choisit pour tromper sa mère.
« Comment as-tu su ? demanda le trentenaire après un long silence sinistre.
- Un homme est venu à la maison hier. Il m'a parlé. »
Elle ouvrit le tiroir d'un secrétaire et présenta une feuille sous les yeux de son mari. Il s'agissait d'une lettre que lui avait remis cet homme aux bras imposants.
« C'est ton écriture. Tu l'as signé d'un pseudonyme mais les informations révèlent que c'est bien toi.
- Je ne le nie pas. »
Par maladresse ou volontairement, Flora lâcha le trousseau de clés, dévoilant sa présence. Norman pâlit. Il eut l'impression de se regarder dans un miroir tant la pâleur de sa fille ressortait de ses traits. Caroline se leva d'un bond, incapable d'avancer.
Flora se mit soudain à pleurer sans pouvoir contrôler les larmes qui coulaient le long de ses joues blanches. Norman sentit monter en lui une sourde colère contre lui-même. Il s'approcha posément de sa fille, mesurant ses pas. Il avança une main mal assurée.
« Ma puce... »
Il était le seul à user de ce surnom intime. En l'écoutant de la bouche coupable de son père, la fillette détourna les yeux dans une grimace.
Elle se mit à courir vers la porte puis quitta la maison, abandonnant les clés à terre. Elle entendit au loin son nom crié par ses parents. Malgré les larmes qui continuaient de couler, elle avançait, décidée à s'éloigner le plus possible de son père. Elle eut peur qu'il la rattrape, la saisisse par le col et la ramène de force à la maison.
Elle se rendit compte bien plus tard qu'aucune main malveillante n'était assez rapide pour l'intercepter dans sa course. Pendant qu'elle s'échappait, elle réalisa que sa main étreignait le morceau de tissu noir que son père portait chaque jour autour de son cou. Le souvenir de la promesse qu'il lui avait faite lui revint au milieu de sa course. Comme un doudou balayant le chagrin qui l'accablait, elle serra plus fort la cravate contre sa poitrine. Des larmes tombaient sur le tissu.
Il fit nuit très vite. Flora voulut atteindre la ville la plus proche. Elle s'engouffra dans les profondeurs du bois Clémenti. Dans le bois silencieux, les pleurs étaient les seuls sons qui berçaient les arbres et les buissons.