013 - Faire des compromis
La respiration saccadée de Will résonnait dans les couloirs vides des laboratoires. Avec le son de ses chaussures de ville claquant contre le carrelage d'un blanc immaculé, c'était le seul bruit audible dans le complexe. Il ne comprenait plus trop ce qu'il se passait, à vrai dire. Son meilleur ami, Walter, les avaient entraînés, lui et sa sœur Linda, dans une histoire à dormir debout. L'amie de Walter, une certaine Liz, ayant été assassiné, le voleur avait souhaité faire la lumière sur toute cette affaire, et visiblement, ils s'étaient tous trois jetés dans la gueule d'un Grahyèna affamé. Ethan Sterling tirait les ficelles de toute cette histoire, et il aurait besoin d'une bonne excuse pour s'en tirer indemne.
Le blond songea à son ami, qu'il venait de croiser dans un état un peu préoccupant. Les cheveux tout blancs et les yeux d'un bleu étrangement vif, ainsi qu'une peau anormalement blanche. Sans doute que quelque chose s'était passé entre Sterling et lui, et Will se promit de tirer tout cela au clair très rapidement. En réalité, il ne savait pas trop où il allait, car le complexe scientifique se révéla immense et peu d'indications parsemaient son chemin.
En arrivant dans un couloir différent des autres, il ralentit un peu son allure pour reprendre son souffle. Sa course l'avait exténué. Le carrelage blanc cédait ici sa place à un sol de marbre, et les portes semblaient faites de bois solide. Il avisa la plus grande d'entre elles et tenta d'actionner la poignée. Cela fonctionna, et il put entrer dans la pièce éclairée d'une faible lumière tamisée. Il y trouva deux personnes qu'il n'avait jamais rencontrées de toute sa vie, mais qu'il parvenait à identifier sans problèmes.
Ethan Sterling se trouvait là, assis sur un canapé, un verre de ce qui devait être de l'alcool dans une main, une cigarette à moitié consumée dans l'autre. Il fixait, sans la moindre émotion, l'homme blond qui venait de faire irruption dans son bureau. Sans un mot. Il semblait même totalement serein.
Quant à la jeune femme, adossée au mur, il la reconnut grâce aux descriptions que Walter avait pu faire d'elle. Ses longs cheveux bleus tombant en cascade dans son dos étant son trait le plus remarquable. Mais ce ne pouvait pas être elle. Liz Bradley avait été assassinée de sang-froid par Freddy Kane. Du moins, le voleur, en le lui racontant, semblait en être certain. Peut-être qu'il avait commis une erreur de jugement, bien que cela ne lui ressemble pas. Après tout, Walter était un homme d'une intelligence bien supérieure à la sienne...
"Que lui avez-vous fait ?"
Will décida d'aller droit au but. Après tout, Walter, en le croisant dans le couloir, lui avait donné l'impression de vouloir s'enfuir le plus loin possible. Et puis le changement d'apparence de son ami l'intriguait énormément. Il voulait savoir. Il le devait. C'était comme une question de vie ou de mort, maintenant. L'ignorance lui nouait les entrailles. Ethan tira une bouffée de sa cigarette et le regarda dans les yeux.
"Je n'ai rien fait du tout. Vous avez le droit de ne pas me croire. Il est même très probable que vous ne me croyiez pas... Qui êtes-vous exactement ?"
Le blond haussa un sourcil et s'approcha du médecin, qui ne broncha pas. Il devait être quelqu'un de particulièrement maître de ses émotions. Rien à voir avec Will ou sa sœur jumelle, qui avaient tendance à laisser transparaître tout ce qu'ils pensaient sur leur visage.
"L'ami de l'homme que vous venez de transformer en... je sais même pas quoi, mais il a complètement changé d'apparence.
- Tout n'a été qu'un accident malencontreux, surtout que l'échange s'est très bien passé... j'en suis aussi désolé que vous. Je ne veux pas faire le mal."
Will parut totalement décontenancé par la sincérité d'Ethan. Il ne pouvait pas mentir. C'était impossible. Et visiblement, Liz, toujours silencieuse, lui faisait plus ou moins confiance, car rien ne l'empêchait de partir, et pourtant elle restait là. Se pourrait-il que ce médecin soit digne de confiance ? Pour l'heure, il s'interrogea plutôt sur ce qui le tracassait vraiment.
"De quel échange parlez-vous ?
- Vous devez être au courant que votre ami Freeze est un scientifique brillant ayant mis au point une formule cryogénique étonnante...
- Bien sûr. Je sais tout ça.
- Eh bien, j'ai besoin de cette formule pour... accomplir un objectif personnel. J'ai donc monté un plan pour utiliser cette jeune femme - et j'en suis désolé - comme monnaie d'échange."
L'homme blond sourit. Certes, Ethan n'avait pas l'air d'être quelqu'un de mauvais, mais il n'hésitait pas à avoir recours aux méthodes les plus infâmes pour arriver à ses fins. Sa cause, quelle qu'elle soit, lui tenait certainement beaucoup à cœur. Mais il n'en dirait pas plus, cela se lisait dans son regard gris fuyant.
"Qu'est-ce que vous entendez par accident, exactement ?"
Le médecin écrasa sa cigarette dans le cendrier et soupira.
"Je regrette que les choses se soient passées ainsi, mais... j'ai maladroitement glissé, le pistolet cryogénisant est tombé, le mécanisme s'est activé et le coup est parti droit sur votre ami. Je suppose que la résistance au froid qu'il a acquise à force de faire toutes ses expériences lui a permis de ne pas se faire congeler. Son organisme semble même avoir absorbé la glace. Je ne m'explique pas tout à fait ce phénomène. Il faudrait que je l'étudie pour...
- Assez. Vous croyez que je vais avaler votre baratin ? C'est un peu gros pour être vrai, vous ne trouvez pas ?!
- C'est vrai", intervint Liz.
Will se tourna vers la jeune femme qui n'avait pas dit un mot depuis son arrivée. Elle s'approcha d'eux, l'air très sérieuse.
"Ethan dit vrai, j'étais là et j'ai tout vu. Le coup aurait dû me toucher, mais Walter m'a poussée pour se faire toucher à ma place. Je ne sais pas pourquoi il a fait ça."
Le blond se doutait un peu de la raison, mais n'en dit rien. Il ne souhaitait pas le moins du monde envenimer les choses, d'une manière ou d'une autre. Il voulait comprendre, et rien d'autre.
"Je suis vraiment navré que tout soit de ma faute. Mon objectif était uniquement d'acquérir la formule, je ne voulais causer de tort à personne..." soupira Ethan en prenant sa tête dans ses mains, comme s'il souffrait d'une migraine intense.
Liz baissa la tête. Elle était un peu triste de ne pouvoir rien faire pour ce médecin qui avait été si gentil avec elle, prenant la peine de la soigner et de venir la veiller pendant plusieurs heures durant son rétablissement. Certes, il n'avait pas été bavard du tout, mais l'intention lui avait suffi. Elle sentait bien qu'il n'était pas quelqu'un de mauvais, et elle était très douée pour cerner les gens, même les plus complexes. Or celui-là n'avait rien d'un génie du crime. Juste quelqu'un qui avait besoin de quelque chose et qui en était venu à commettre des actes répréhensibles par la loi.
"On va attendre le retour de Linda et de Walter, si elle arrive à le ramener, pour décider de ce qu'on fera de vous ensuite."
La voix de Will avait résonné dans le vide de la grande pièce luxueuse. Personne n'avait rien à redire à cela, et tous les trois se murèrent dans un silence éloquent.
x x x
Linda, essouflée, s'arrêta de courir. Elle avait rapidement compris qu'elle ne rattraperait jamais Walter, mais son cœur battant à cent à l'heure lui disait de poursuivre l'amour de sa vie, coûte que coûte. Et puis, elle n'était pas femme à abandonner, après tout. Son courage et sa détermination impressionnaient même son frère, plus posé et moins enclin à se fourrer dans des situation inextricables.
La jeune femme tomba sur ses genoux, sur le sol de béton froid de la zone industrielle d'Ondes-sur-Mer. Ces lieux étaient un véritable labyrinthe, pas étonnant qu'elle ait perdu de la trace de Walter. En plus d'être plus rapide qu'elle, il savait aussi tirer avantage de tout ce qui se trouvait à sa disposition. En l'occurence, la disposition complexe des lieux. Il avait dû se rendre compte qu'elle le suivait, et rien de plus facile pour lui que de disparaître, d'une manière ou d'une autre.
"Bordel..."
Linda resta ainsi quelques minutes, prostrée sur le béton glacial. Quelle idée elle avait eue, de porter une robe et des talons, ce soir ? Sans cela, elle aurait pu courir plus rapidement, et éventuellement le rattraper. Cela ne servait à rien de se blâmer, mais elle n'y pouvait rien. Elle décida de retourner à l'intérieur, pour retrouver son frère et cet Ethan Sterling, qui passerait un sale quart d'heure en sa compagnie. Elle lui ferait payer pour ça. Personne ne faisait de mal à Walter Leary sans en payer les conséquences.
x x x
Lorsqu'il entendit un bruit de pas, Will se leva pour aller ouvrir la grande double-porte de bois. Linda, qui se trouvait dans le couloir, accourut malgré ses jambes douloureuses. L'homme blond remarqua que Walter ne se trouvait pas avec elle et grimaça.
"Je suis désolée, Will... j'suis désolée...
- T'en fais pas, on en discutera et on trouvera une solution."
Elle acquiesça et suivit son frère jumeau à l'intérieur du bureau d'Ethan Sterling. Elle repéra Liz, assise sur l'un des canapés.
"Cette femme, c'est...
- Ouais. Je t'avoue que j'ai eu du mal à y croire, mais toute cette histoire de meurtre n'a été qu'un stratagème pour attirer Walter ici."
Linda eut du mal à saisir.
"Mais qu'est-ce que Sterling voulait à Walter ?"
Le principal intéressé en profita pour répondre lui-même.
"Sa formule, quoi d'autre ?
- Sa... formule ? répéta Linda, perplexe. Quelle formule ?"
Will serra les dents. Il l'avait toujours préservée de la vérité. Si elle avait su que Walter pratiquait des expériences sur des êtres humains ou les Pokémon pour mettre au point des formules cryogénisantes, elle réagirait probablement très mal à cela.
"Vous ne pouvez pas ignorer ce que votre ami a crée. Freeze est connu pour sa tendance à congeler ceux qui lui mettent des bâtons dans les roues, après tout.
- Freeze... ne me dites pas que...
- Vous l'ignoriez ?" s'étonna le médecin.
Linda secoua vivement la tête.
"Cela ne peut pas être possible ! Walter ne ferait pas de mal à des innocents qui n'ont rien demandé...
- Je suis surpris que vous accordiez autant de crédit à un voleur. Après tout, c'est un criminel."
La jeune femme blonde n'y tint plus, et s'approcha d'Ethan pour le gifler fortement. L'homme brun recula un peu et porta sa main à sa joue. Il ne répliqua pas cependant.
"Si ce geste a pu vous aider à vous sentir mieux, j'en suis ravi. Maintenant, si vous le voulez bien, acceptez la vérité. Vous avez sans doute plus urgent à faire que de débattre sur la double identité de l'ami que vous recherchez."
Elle avait beau avoir toutes les raisons du monde d'en vouloir à ce médecin, il avait raison. Cela ne servait à rien de tergiverser là-dessus. Elle en discuterait elle-même avec Walter une fois qu'ils se retrouveraient, et tout rentrerait probablement dans l'ordre. Probablement.
Will s'approcha d'Ethan avec un sourire en coin.
"Si vous saviez combien de gifles comme ça j'ai encaissé dans ma vie, vous seriez heureux de ne pas la connaître."
Il se surprit à plaisanter avec cet homme qui était leur ennemi il y a à peine une heure. Mais maintenant que tout partait en vrille et qu'il s'avérait qu'Ethan ne leur voulait aucun mal, qu'allaient ils faire ? Leurs routes se sépareraient-elles ? Will songea que ce serait un peu idiot de s'arrêter en si bon chemin. Il était persuadé que le médecin savait bien plus de choses qu'il ne voulait en dire.
"Vous allez rester avec nous pendant quelques temps. Jusqu'à ce qu'on retrouve Walter, je suppose. Vu ce que vous nous avez fait subir, vous avez une dette envers nous. Et votre intelligence nous sera sûrement très utile.
- Vous... vous pouvez compter sur moi, je suppose..." répondit timidement l'homme brun en évitant soigneusement le regard de Linda, qui semblait révulsée à l'idée même de faire équipe avec lui.
[center]x x x
Esther se réveilla, allongée à même le sol de béton de l'entrepôt jouxtant le laboratoire, les mains liées et le regard encore voilé par le sommeil. Ce qui ne l'empêchait pas d'arborer un sourire mauvais sur son beau visage aux traits fins et délicats.
"Ectoplasma", murmura-t-elle doucement.
Son Pokémon, comme pour répondre à son appel, surgit des ténèbres. Il avait pris soin d'aller se cacher dans l'ombre, comme sa dresseuse le lui avait demandé d'un regard éloquent. Esther indiqua à son Pokémon de s'approcher d'elle, ce qu'il fit.
"Détache ces misérables liens, je commence à avoir les poignets douloureux."
Ectoplasma s'exécuta. La jeune femme se leva et saisit la corde. L'Hypnose ne devait plus faire effet, maintenant. Elle s'étira pour se dégourdir un peu les membres, et fit quelques pas dans l'immense hangar.
"Je ne m'attendais pas à ce que ce blondinet retourne ma technique contre moi... mais il a beau être un adversaire coriace, je ne m'inquiète pas trop à son sujet !" souffla la dresseuse d'élite.
Esther allait partir, lorsqu'elle entendit comme un murmure provenant de derrière elle. Son visage se fendit d'un large sourire inquiétant. Freddy Kane, ligoté tout comme elle l'avait été jusqu'à maintenant, baragouinait des choses qu'elle n'entendait pas. Elle s'approcha de lui.
"...détache...moi...
- Te détacher ? Et pourquoi ferais-je ça ? On n'est pas des amis proches, ni des amis tout court. Je n'ai aucune raison de t'aider !
- ...j't'en prie..."
Pour toute réponse, Esther le redressa et plaça la corde qui l'avait retenue précédemment comme une écharpe autour du cou du colosse, qui était probablement en train de se faire dessus. Puis elle commença, progressivement, à resserrer, tout en se délectant de la peur et de la douleur de Freddy, qui finit étranglé. La jeune femme lâcha la corde et laissa l'homme retomber lourdement au sol.
Elle regarda son Ectoplasma, qui souriait de toutes ses dents, ayant probablement apprécié le spectacle autant qu'elle.
"Je déteste les faibles qui supplient pour leur vie. Allez, viens. Nous avons encore des comptes à rendre au patron, après tout."
Et ils s'éloignèrent, elle de sa démarche gracieuse, et lui en dandinant son corps rondouillard comme le ferait un pingouin, dans la nuit noire.