Toute la nuit durant, Alizée mit en place un stratagème. Celui-ci était basé sur la vengeance que la jeune femme espérait accomplir. Elle se confia à Roxanne.
« Tu veux te servir de Bastien pour rendre jaloux le type qui t'a humiliée ? »
L'avis de la championne de Mérouville était mitigé. Bastien n'était pas un mauvais garçon : se servir de lui comme arme la dérangeait.
« Si Bastien se rend compte de quelque chose ? »
Alizée haussa les épaules. Bastien ne lui ferait aucun mal, il l'appréciait trop pour ça. Il piquera une crise de colère passagère, voilà tout.
Quelques jours passèrent. Alizée allait mieux depuis qu'elle avait arrêté un plan net. L'excitation d'assouvir son désir de vengeance primait sur tout autre sentiment.
Pour s'assurer du bon fonctionnement de son stratagème, elle téléphona à l'arène de Clémenti-ville. Elle apprit que Norman s'était absenté quelques jours pour se rendre à Cimetronelle. Alizée savait que son déplacement n'était pas une coïncidence. Il était l'heure des explications.
Alizée savait que Norman essayerait de la revoir pour lui expliquer sa situation. Mais quand ?
C'est pour cette raison que toute la semaine durant elle déjeuna aux côtés de Bastien. Ils étaient aller manger dans un petit bistrot où autrefois s'était au bras du champion de Clémenti-ville qu'elle s'y était rendue. La première fois qu'elle y remit les pieds accompagnée de Bastien, elle se souvint de la table où elle et son ancien amant s'était assis. Ils avaient mangé une omelette, une salade. Ils avaient bien rit, ce jour-là. Tout ce repas semblait lointain, presque illusoire. L'avait-elle seulement vécu ?
Bastien lui désigna une table, à proximité de la baie vitrée. Adoptant l'attitude d'un homme galant, le colosse tira la chaise de son invitée avant qu'elle ne s’assoit. Il la complimenta tout au long du repas ; toutefois Alizée, davantage concentrée sur la vue extérieure que sur le déjeuner, répondit d'un air distrait.
Soudain son visage soucieux se teinta de rouge. Bastien crut qu'elle rougissait suite à un nouveau compliment qu'il lui faisait.
Kyo - Je saigne encoreNorman les avait vu. Il était dehors et observait le bistrot de la rue. Leurs regards perdus parmi les passants s'étaient d'instinct retrouver après plusieurs jours d'absences, comme si ils ne s'étaient jamais quittés.
La poitrine de la jeune femme se gonfla : elle n'aurait su si son cœur battait de colère ou s'il était animé par le désir. L'amour et la haine ont en commun de faire battre le cœur d'une femme de la même manière. La distinction des palpitements de sa poitrine fut difficile à cerner pour Alizée.
Quand elle lança de nouveau un regard à l'extérieur, Norman venait d'entrer dans le café. N'écoutant que la voix qui lui dictait d'accomplir sa vengeance, elle se jeta sur Bastien et l'embrassa suffisamment longtemps pour que Norman ne les rate pas. Après ce long baiser, le colosse ne quitta plus son sourire bêta. Les yeux pétillants de la conquête enfin accomplit, il voulut embrasser son invitée encore une fois. Son geste fut stoppé par la présence de Norman, posté à côté de leur table, blanc comme un cadavre.
Celui-ci chercha ses mots pendant un moment, le souvenir du baiser en tête.
« Je... voudrais te parler... laissa-t-il tomber dans l'assiette des deux champions. »
Alizée qui s'attendait à ressentir un plaisir sadique à torturer son ancien amant ne ressentit que de la pitié pour ce dernier. Pour ne pas faire remarquer ce sentiment qu'elle voulait dissimuler aux yeux des deux hommes, elle répondit qu'elle était en pleine conversation, qu'il la dérangeait.
« Ce ne sera pas long. Je t'en prie. Laisse-moi tout t'expliquer.
- T'as pas compris qu'elle ne voulait pas t'écouter ? On est occupé alors repasse plus tard, mon gars. »
L'identité de Norman avait disparu de la mémoire de Bastien depuis leur brève rencontre à la convention des champions. Norman avait un physique plutôt commun qui le camouflait dans la masse de tous les hommes que le champion de Myokara avait rencontré jusque là.
« T'es qui ? aboya Bastien, mécontent qu'un inconnu vienne le déranger pendant un déjeuner romantique.
- Tu n'as pas besoin de le savoir. Je suis l'homme qu'Alizée aime. »
Le colosse se leva bruyamment. La chaise s'était renversée dans la précipitation. Tous les clients ne regardaient qu'eux.
Alizée anxieuse à l'idée de savoir ce qui allait se passer sous ses yeux, exhorta Norman à partir.
« Pas avant de t'avoir convaincu que je t'aime encore malgré ce que tu as pu apprendre sur moi. »
Bastien fulminait, la mâchoire contractée dans une grimace mauvaise. Malgré sa montagne de muscles, il était nettement plus petit que Norman. Ce dernier avait repris des couleurs depuis qu'Alizée daignait lui répondre.
Au milieu d'un silence que même les clients n'osaient briser, le coup de poing partit. Norman, sonné, répliqua aussitôt. Face aux bras développés du champion surfeur, il n'avait aucune chance.
« Arrêtez ! ordonna Alizée, effrayée de voir du sang couler. »
Le coup qu'avait reçu Norman lui avait ouvert l'arcade sourcilière. Un filet rouge s'échappait de sa blessure mais le regard inquiet que lui lança Alizée eut un effet instantané, revigorant. Le colosse en face de lui brûlait de la même envie d'en découdre ; il agitait ses poings tel un boxeur sur un ring.
Parmi les clients certains étaient excités par l'affrontement, certains apeurés par la tournure que prenaient ce règlement de compte. Les serveurs notaient sur leur bloc-note les pronostics que leur dictaient les consommateurs du bar.
Inquiète de voir les deux hommes se ruer l'un sur l'autre, Alizée se jeta entre les deux hommes, prête à recevoir un coup. Mais devant le minois désespéré de la jeune femme, ils cessèrent toutes leurs offensives. N'osant se retourner pour voir l'état de l'homme dont elle avait voulu se venger, la championne lui demanda de partir sur-le-champ. Le ton de sa voix n'imposait aucun refus.
Cette altercation fit grand bruit dans la ville. Deux champions d'arènes qui en viennent aux mains pour une femme était une chose rare, inhabituelle. On les considérait comme des modèles, des figures locales. Ils étaient respectés de par leur poste mais surtout parce qu'ils avaient réussi le concours qui leur donnait droit d'exercer cette fonction. Un concours que peu de personnes ne pouvait se féliciter d'avoir passer sans encombres.
Après ce violent accrochage, les deux "rivaux" s'étaient séparés. Bastien avait emmené Alizée, encore sonnée par le spectacle auquel elle avait assisté. Sonnée par des coups qu'elle n'avait pas reçu mais qu'elle croyait avoir senti sur son corps meurtri. Bastien avait été légèrement blessé tandis que Norman avait la moitié du visage en sang.
Des clients l'emmenèrent à l'hôpital. La mine sombre, il eut un vague sentiment de honte qui le poursuivit jusque dans la salle d’auscultation.
Bastien était connu pour ses entraînements musclés qu'il faisait suivre à ses Pokémon. Le champion de Myokara était un sportif de haut niveau qui avait participé à nombre de compétitions de surf. Son profil et sa carrure lui donnait l'avantage aux combats aux corps à corps. Mais le récent classement du magazine Hoenn Tribune l'avait répertorié parmi les champions les moins forts et les moins stratégique. Norman était nettement plus haut classé que lui. L'issue d'un éventuel combat Pokémon entre les deux hommes avait déjà un résultat tout donné.
En rentrant chez elle, Alizée s'écroula sur son canapé. Roxanne était absente. Bastien qui l'avait raccompagné, ne la quittait pas des yeux.
« Tu n'as rien à me dire ? C'était qui ce type ? Ton ex ?
- Veux-tu boire quelque chose ? »
Alizée se mit à marcher à toute vitesse vers le frigidaire d'où elle sortit une bouteille d'eau minérale. Elle avala le contenu d'un verre, priant pour que Bastien disparaisse avec ses questions.
« Vas-y, réponds-moi !! hurla-t-il, saisissant le bras de la jeune femme.
- Lâ-che moi, tu me fais mal Bastien.
- Dis-moi son nom, dis-moi qui il est ! »
Le bras d'Alizée était enserré par les puissantes phalanges du champion. Pour la forcer à répondre, il la secoua. Mais la violence ne semblait pas l'affecter.
« Cela ne te suffit pas de lui avoir casser la gueule ? Tu veux recommencer avec moi ?
- Quoi ! »
Ses yeux cherchaient ceux du colosse. Il recula et la lâcha. Sa main posée sur son front, il ne réussit pas à exprimer l'incompréhension que l'on pouvait lire sur son visage.
« Ce type... Tu l'aimes encore ? C'est ça ? Et moi ? Qui je suis pour toi ? »
Pour la première fois, Alizée baissa son regard. Ses doigts s'emmêlèrent entre eux. Elle bafouilla quelques mots mais il n'entendit rien.
« Je ne voulais pas te faire de mal. Je t'aime bien Bastien, tu es quelqu'un de formidable. »
Elle voulut répéter sa phrase plus fort, même mille fois pour qu'il l'entende et la laisse tranquille. Soudain au milieu du silence, il eut comme un éclaircissement dans son esprit. Après avoir analysé ce déjeuner au bistrot, il comprit la signification du baiser d'Alizée, son regard sans cesse fuyant pendant le repas.
« Tu m'as utilisé pour le rendre jaloux... C'est ça ? C'EST CA ?! »
Il se jeta sur elle, la secoua comme un diable avant de la relâcher. Sous l'impulsion de la colère, il brisa quelques babioles. Par terre, Alizée gémissait. Son plan avait échoué. Elle aimait toujours Norman et avait fait souffrir deux personnes ainsi qu'elle-même pour arriver à cette triste conclusion.
Avant de quitter la pièce, Bastien revint vers elle, furibond.
« Cet homme, c'est Norman ? »
Lentement, elle leva son visage larmoyant pour essayer de bien comprendre. Comment pouvait-il savoir qu'il s'était battu avec Norman ? Ils n'en avaient jamais parlé ; Roxanne n'était même pas au courant. Elle garda le silence.
Il monta dans la chambre de la jeune femme et revint avec une boîte à chaussures. Alizée la reconnut. Un frisson la maintint à terre, impuissante.
Il renversa toutes les lettres que contenait la boîte. Les enveloppes et les papiers glissèrent sur la moquette, dans un interminable silence.
« Une fois j'ai fait tomber mon portable par terre et j'ai découvert ce carton. Tu t'étais absentée. J'y ai jeté un œil. J'croyais que c'était des factures ou des documents administratifs. Mais ce n'était que ça... »
Le regard méprisant, il laissa Alizée devant le tas de lettres et s'en alla. Quand Roxanne revint, son amie était assise à table, devant un verre de vin. Les lettres traînaient encore par terre.