En rentrant chez lui, Norman accabla sa femme de reproches. Il l'attaqua sur la moindre contrariété qu'il rencontrait. Des vêtements mal rangés, des produits qu'elle avait oublié d'acheter durant son absence... D'une certaine manière il voulait lui faire payer sa potentielle rupture d'avec Alizée. Le mot laissé par son épouse et découvert par sa maîtresse l'avait contrarié. Caroline tentait d'éviter cette pluie de critique en abordant un sujet qu'elle savait conciliant avec Norman : leur fille.
« J'ai eu Flora au téléphone, tout à l'heure. Elle a déjà remporté quatre badges !
- C'est vrai ? s'écria le père qui faillit s'étouffer en avalant de travers.
- Elle a décidé de te défier en dernier pour obtenir ton badge. Là, elle est à Cimetronelle. Elle va défier la championne demain puisqu'elle s'était absentée pour votre réunion. »
Une seconde fois, il crut s'étouffer. Flora à Cimetronelle ? Il se précipita dans leur chambre, le portable à la main.
« Alizée, réponds... ! »
Personne ne décrocha. Si Flora révélait son identité à Alizée, qui elle était, son lien avec le champion de Clémenti-ville... Il la perdrait pour de bon. Voyant l'affolement soudain de son mari, Caroline l'interrogea. Il répondit vaguement qu'il avait oublié de communiquer une information importante à sa collègue championne concernant la réunion passée. Le repas se termina dans l’anxiété la plus totale. En quittant la table, Norman n'eut toujours pas de réponse au texto qu'il avait envoyé plus tôt à Alizée.
"Je dois te parler de toute urgence, ça concerne Caroline."La jeune femme venait de recevoir le SMS de son amant. Elle n'eut pas le temps de composer le numéro de Norman qu'on toqua chez elle. Une fillette se trouvait derrière la porte. Alizée lui ouvrit, intriguée.
« Je suis Flora. Je viens me présenter avant notre match de demain.
- Enchantée, Flora. Vas-y, entre, je t'en prie. Veux-tu boire quelque chose ? Un jus de fruit ? »
La gamine se mit à rire doucement.
« Si mon père savait que j'acceptais de boire un jus de fruit à cette heure, il serait furieux. Il ne cesse de me répéter que le jus d'orange ne fait pas dormir. Il est très protecteur. »
Alizée lui proposa un jus d'abricot. Une fois assise l'une en face de l'autre, Flora sembla gênée.
« Vous êtes mon modèle, Alizée. Si je puis me permettre de vous appeler par votre prénom... Si cela n'est pas trop familier...
- Aucunement. Au contraire. J'aime beaucoup connaître mes futurs challengers. Je suis flattée que tu m’ait pris comme idéal.
- Vous êtes connue jusqu'à Johto d'où je suis originaire !
- De quelle ville ? demanda distraitement la championne en fixant son portable.
- Oliville. »
Alizée s'interrogea quelques secondes, comme interpellée par un détail. Elle passa outre. La championne attrapa son portable furtivement, tâta l'écran avant de le reposer, soucieuse du dernier message envoyé par Norman. Devait-elle le rappeler ? Le désir de tout savoir lui faisait tourner la tête. Elle en oubliait presque son interlocutrice.
« J'ai décidé d'affronter mon père en dernier pour obtenir son badge, reprit Flora après une gorgée.
- Ton père est champion d'arène à Hoenn ? s'étonna la jeune femme, intéressée de nouveau par la conversation.
- Oui, c'est lui qui dirige l'arène de Clémenti-ville. Vous devez déjà l'avoir rencontré : il s'appelle Norman ! »
Alizée, la bouche grande ouverte, ne répondit mot. Elle fut comme pétrifiée devant la révélation que lui confiait cette gamine.
« Tu-tu veux dire que ton père est Norman ?
- Exactement ! répondit Flora, un sourire innocent sur les lèvres. »
Alizée crut sentir sa chaise s'effondrer sous le poids de la vérité qui l'écrasa. Ses doigts frémissants se mirent à la recherche du portable. Derrière l'écran demeurait enfermé le texto du père de la fille qui se trouvait en face d'elle. Norman... est père, répéta-t-elle en boucle.
Son extrême pâleur fit réagir Flora.
« Est-ce que vous allez bien ? demanda celle-ci visiblement inquiète.
- Caroline est ta maman, n'est-ce pas ? réussit-elle à demander. Norman m'a parlé d'elle.
- Oui, ils sont ensemble depuis que je suis née. C'est rare de voir un couple aussi soudé, n'est-ce pas ?" »
Alizée voulut garder une contenance devant l'insouciance de cet enfant. Si Flora apprenait sa liaison avec Norman, le mal serait étendu à deux personnes. En effet, Alizée était la seule blessée pour le moment. Caroline devait ignorer l'aventure extra-conjugale de son mari au vu du mot qu'elle lui avait glissé dans la valise.
« Je suis fatiguée, prétexta la championne. Peux-tu me laisser ? Si nous devons nous battre demain, il faut que nous soyons en forme toutes les deux. »
Pour se lever, Alizée dût faire un véritable effort. Ses jambes tremblaient, ses mouvements étaient embrouillés par l'ahurissement. Une fois que la fille de son amant fut dehors, elle s'assit quelques instants et explosa en larmes.
Sheryfa Luna & Léa Castel - Il avait les motsSes sanglots non dissimulés réveillèrent Hélédelle endormit dans la chambre de sa dresseuse. Le jeune femme se blottit contre le plumage bleutée de son oiseau, serrant ses plumes à les arracher. Le Pokémon, constatant l'état de sa maîtresse, la cajola en frottant son bec contre son dos. Ce geste de tendresse fit sangloter davantage Alizée.
« Il m'a trompé... Je l'aimais... Il m'a menti ! J'aurais dû deviner que Caroline était sa femme ! Quelle cruche j'ai pu être ! »
Soudain, au milieu des cris qui s'échappaient de sa bouche crispée, elle releva son visage trempé de larmes.
« Il faut que je vérifie... ! »
Malgré son état de détresse, elle composa le numéro de Roxanne d'une main fébrile. Son amie connaissait probablement l'adresse de Norman puisqu'il le lui avait soigneusement caché pour éviter d'envoyer ses coursives passionnées dans le foyer où sa famille vivait.
Roxanne décrocha sans reconnaître la voix mouillée de sa collègue et amie. Après s'être renseignée sur son état, Roxanne indiqua à son ancienne élève le lieu où le champion de Clémenti-ville vivait avec son épouse.
Alizée, toujours fiévreuse malgré les consolations de son amie, enfila son uniforme aérien et fit porter le harnais à Hélédelle. La tristesse avait fait place à la détermination et à la colère. Elle voulait voir le foyer de celui qu'elle aimait pour s'assurer qu'elle s'était bien trompée sur son compte. Le trajet fut douloureux par les souvenirs qui remontaient à la surface.
Lui revint le jour de la convention des champions. Son voyage sur le dos du Pokémon vol lui donnait un goût amer. Les visages de Norman qui avait cheminé sa route quelques semaines plus tôt lui semblaient faux, hypocrites. A présent dans le ciel nocturne elle n'apercevait que des cœurs hideux, brisés.
Elle, de coutume si attentive parmi les étoiles, demeurait tourmentée. Le trajet parut s'éterniser. Hélédelle accélérait la cadence comme pour répondre aux ordres silencieux de sa dresseuse. Les lampadaires qui éclairaient les rues désertes formaient un tapis lumineux sous les plumes agités du Pokémon.
« C'est ici, désigna-t-elle, un doigt pointé devant elle. »
Clémenti-ville.
Il fut aisé de dénicher la maison de Norman malgré la nuit qui tombait depuis quelques heures. La jeune femme n'avait pas eu besoin de lire les panneaux où étaient inscrits le nom des rues. Cela lui semblait évident, comme si elle avait déjà parcouru ce chemin des centaines de fois auparavant. Elle ne sût pourquoi mais ce trajet lui parut familier, ainsi que cette maison. Alors qu'à l'intérieur ce n'était pas elle qui s'endormait aux côtés de Norman mais une autre femme, légitime celle-là.
De vivre avec lui, elle en avait secrètement rêvé. Peut-être même de fonder une famille, pourquoi pas. Mais tout était déjà fini avant même d'avoir vu le jour. Comme un bébé mort né.
Elle s'avança vers le bas portail qui indiquait l'entrée de la maison. Avant de le franchir, elle distingua une lumière par une fenêtre, sur le côté. Il y avait quelqu'un. Norman était là, Caroline aussi. Elle perçut le son d'une télévision allumée et la voix d'une femme. Cette voix appelait Norman.
Alizée s'avança, cachée par un arbre du jardin. Suffisamment prêt de la fenêtre éclairée, elle détailla l'intérieur de ce qui semblait être le salon. A travers les rideaux fins elle vit la silhouette svelte de Caroline se déplacer aisément entre les meubles. Les voix semblaient lointaines ; elle décida de s'approcher davantage pour surprendre quelques mots, voire quelques phrases.
Au lieu de cela, elle fixa Norman, nonchalamment allongé sur le canapé, papotant avec un de ses Pokémon. La légèreté de sa posture, le ton badin qui animait ses lèvres la bouleversèrent. Elle serra les dents pour ne pas hurler son chagrin.
Caroline vint s'asseoir aux côtés de son mari, amenant avec elle deux tasses chaudes. Ils trinquèrent.
« A ton retour de Vaguelone ! s'exclama Caroline, solennelle.
- Et à Flora qui va décrocher son cinquième badge ! »
L'enthousiasme du père pour les exploits de sa fille ainsi que le caractère festif des retrouvailles conjugales firent prendre conscience à la jeune femme qu'elle n'aurait jamais une place aussi élevée dans le cœur de Norman que pouvait avoir sa fille ou bien sa femme. Pour lui, elle n'avait été qu'une distraction, un loisir.
Elle s'éloigna de la fenêtre puis de la maison calmement. Hélédelle vint frotter son doux plumage contre ses jambes redevenues raides. Elle se plût à sentir le réconfort de son fidèle Pokémon.
« Allons-nous en, il y a plus rien à faire ici. »
***
Malgré l'insistance de Flora à vouloir défier la championne de Cimetronelle, cette dernière repoussa le combat pour une durée indéterminée. Son état était préoccupant selon Roxanne qui s'était déplacée jusque chez cette dernière pour s'assurer que tout allait bien. Mais tout foutait le camp. Alizée ne s'alimentait plus, négligeait ses obligations de championne d'arène et surtout aboyait contre quiconque venait la contrarier.
« Il faut te changer les idées ! Sortons nous promener.
- Sans façon, je n'ai pas envie de me balader. Je veux avoir la paix. »
Bien sûr, les textos que Norman lui adressait demeuraient sans réponse. Il la harcelait au téléphone mais au bout du fil, l'homme savait qu'il était trop tard. Flora avait dû lui révéler son identité. Malgré tout, il restait confiant sur un point : il l'aimait toujours. Cela n'avait pas changé.
Hier soir il avait fêté son retour avec sa femme sans véritable joie. Il était surtout content d'avoir retrouvé ses Pokémon qui lui avait manqué. Il hésitait à se déplacer jusqu'à Cimetronelle. Le fait qu'Alizée puisse le repousser le rendait malade. Peut-être se faisait-il des idées : elle boudait suite à la découverte du mot de Caroline. Son silence n'avait rien à voir avec Flora.
Pour s'en assurer, il contacta sa fille. Ravie d'entendre son père, Flora répondit volontiers aux questions étranges que ce dernier lui posait.
« As-tu eu une discussion avec la championne de Cimetronelle ?
- Ouais, elle est super sympa. Même si son attitude a changé tout d'un coup.
- C'est-à-dire ? Que lui as-tu dit ? demanda-t-il anxieux.
- Que je voulais affronter mon père pour obtenir mon dernier badge et que mon père c'était toi. »
Norman s'assit lourdement sur la chaise derrière lui. Il passa une main sur son visage pâle.
« Est-ce que ça va, papa ? demanda Flora à travers l'écran de l'ordinateur.
- Oui, oui. J'ai eu un étourdissement.
- C'est drôle, Alizée a eut la même réaction quand je lui ai dit que tu étais mon père et que je voulais te défier pour avoir ton badge. Pourtant tu n'es pas le premier champion à avoir des enfants, que je sache ! »
Le rire de sa fille eut la même résonance qu'une craie crissant sur un tableau. Ses tympans chauffaient tout comme son visage d'où s'écoulait des gouttes de sueur. Alizée savait. Il devait s'expliquer avec elle. Machinalement il salua Flora et fit une nouvelle fois sa valise en vitesse.
***
Malgré les interdictions formulées par la championne, Roxanne avait invité Bastien. Celui-ci avait longtemps espéré être ici, chez la belle spécialiste ailée.
« Alizée m'a juste confié qu'elle vivait un chagrin amoureux. J'ai connu ça. Il lui faut quelqu'un pour lui faire oublier son jules. Ce quelqu'un c'est toi, lui avait expliqué Roxanne au téléphone. »
Bastien avait accouru comme une charogne flairant un cadavre à des kilomètres. C'était sa chance.
« Je sais que tu as le béguin pour elle, je compte sur toi. Bien sûr ,trouve un prétexte pour ne pas dévoiler mon plan. »
Alizée lui fit un accueil glacial. Elle parut indifférente devant le tas de muscles qu'était le champion de Myokara. Bastien, bien décidé à lui plaire,
remonta ses manches et prit une pose de surfeur à deux sous.
« Veux-tu bien m'accorder un rencard, gracieuse hirondelle ? »
Alizée, piquée par le compliment, s'enfuit dans sa chambre en claquant bruyamment la porte.
« Qu'est-ce que j'ai dit ? demanda Bastien, choqué par la violente réponse de sa dulcinée.
- Laisse-lui le temps. »
Serré contre un oreiller, Alizée pleurait une nouvelle fois. Le surnom qu'avait proclamé Bastien était l'un de ceux qu'avait utilisé Norman pour la faire sienne.
L'idée de revoir le champion de Myokara la rendit perplexe : dragueur comme il l'était, il ne la lâcherait pas. Mais si Norman apprenait qu'un autre homme lui tournait autour, cela le rendrait jaloux. Du moins si il éprouvait toujours des sentiments pour la jeune femme. Alizée se mit à sourire pour la première fois depuis son malheur. Ce sourire fut celui d'un prédateur convaincu d'attraper sa proie.