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Entre infini et au-delà de Cyrlight



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» Auteur : Cyrlight - Voir le profil
» Créé le 24/04/2016 à 01:00
» Dernière mise à jour le 04/07/2016 à 11:34

» Mots-clés :   Action   Drame   Fantastique   Mythologie   Suspense

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Film 18 (1/5) : Si

Si - Zaz


Ce bonus fait suite à Dis-lui toi que je t'aime.


Lilith cessa un instant de courir. Elle se trouvait dans une forêt sombre, à l'aura menaçante. Il s'agissait certainement de celle de Vestigion. Aucun humain ne s'aventurait si profondément dans ses entrailles, d'ordinaire, mais elle n'était pas comme les autres. Elle n'avait pas peur.

Elle était forte et robuste, capable d'affronter à mains nues la majorité des pokémon qu'elle croisait sur son chemin, un exploit qu'aucun mortel normal, pas même le plus puissant d'entre eux, n'aurait été capable de réaliser.

Une Feuforêve jaillit soudain devant elle, menaçante. Lilith l'observa. Elle soutint son regard avec bravoure, presque avec défi, même, tandis qu'il scintillait dans la nuit. Ces créatures insipides ne l'effrayaient pas. Comment y seraient-elles parvenus quand elle avait vécu si longtemps au milieu de pokémon légendaires ?

De temps en temps, lorsque cela s'avérait nécessaire, son Séviper l'aidait à se battre pour survivre. Il était la seule chose qu'elle avait pu conserver de sa vie dans la Salle Originelle. Il la protégeait également lorsqu'elle devait se reposer, car elle vieillissait et se fatiguait encore plus vite sur Terre que cela n'avait été le cas avant.


- Je croyais t'avoir interdit de garder un oeil sur elle ?

D'un violent coup de queue, Arceus balaya l'image que les pouvoirs psychiques des Zarbis avaient fait apparaître sous les yeux d'Athéna. Ils disparurent, sans doute pour regagner leur antre située sur Terre, au temple Sinjoh, en attendant que leur maîtresse ne les réclame à nouveau.

- Je me contente de la surveiller, répondit calmement la déesse.
- De la surveiller ? Ou de la protéger ? Ce Tyranocif, l'autre jour... Elle n'aurait pas pu le vaincre seule. Vas-tu me faire croire qu'il s'agissait d'un accident si le sol s'est effondré sous lui au même moment ?
- Comment...
- Moi, je la surveille. Ou du moins, les autres le font pour moi. Tu n'es pas la seule à avoir ce genre de pouvoirs. Darkrai en est capable, lui aussi. Grâce à lui, je peux m'assurer qu'elle ne représente pas une menace.

Athéna esquissa un sourire. Bien sûr... Darkrai. Arceus était naïf de croire qu'il l'aidait, alors qu'il se contentait de lui donner simplement un os à rogner. Il ne lui montrait que ce qu'il voulait lui faire voir. Si Lilith mettait au point quelque sombre dessein, il les garderait pour lui, voire même s'empresserait de la rejoindre dans le monde d'en-bas afin de lui prêter main-forte.

- Une menace ? se contenta-t-elle de relever. Comment veux-tu qu'elle en soit une ? Elle est affaiblie et seule au monde. Presque... humaine.
- C'est Lilith, elle est aussi fourbe qu'un reptile. Je préfère être sur mes gardes. Ne t'avise plus jamais de lui sauver la vie, Athéna, ou je peux t'assurer que tu t'en repentiras. J'ai promis à Némésis qu'elle ne mourrait pas de ma main, mais si la nature décide d'interférer en ma faveur, laisse-la agir.

La déesse fronça les sourcils, mais n'ajouta rien. Arceus quitta son antre, située le long du Couloir d'Argent dans la Salle Originelle. Elle poussa un soupir. Depuis le bannissement de Lilith, elle était victime d'un mauvais pressentiment, mais elle ne pouvait se résoudre à user des pouvoirs des Zarbis pour le découvrir, car elle avait encore trop peur de la réponse. Le savoir était à double-tranchant. Elle n'était pas encore assez forte pour ne pas s'y couper.

***
- Et maintenant ?

Athéna entrouvrit les paupières. Elle était en train de méditer lorsque la voix d'Arceus perça les barrières de son mental. En dehors de lui, personne n'osait jamais pénétrer dans son antre, pas même son propre père.

Tout était blanc, d'une teinte encore plus pure que le reste de la Salle Originelle. Le mobilier était sombre, entièrement taillé dans du marbre. Au centre de l'immense pièce trônait une sphère à la lumière aveuglante, à l'intérieur de laquelle une forme étoilée se découpait. Jirachi dormait paisiblement. Il l'avait créée, et pourtant Athéna n'avait encore jamais eu l'occasion de le connaître. Elle devrait pour cela attendre son réveil.

- Maintenant quoi ? interrogea-t-elle en se mettant gracieusement debout.
- Ne la considères-tu toujours pas comme une menace ?
- Pourquoi ? Elle est différente de nous. Elle n'a aucun pouvoir, elle n'est même pas immortelle. Dans moins d'un siècle, elle n'existera plus. Qu'est-ce qui te pousse à t'inquiéter de la sorte ?
- Artémis, Latias et Satan l'ont rejointe.

La déesse ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Artémis et Satan ? Elle était convaincue qu'Inari aurait été la première, mais elle s'était trompée. En tout cas, cette nouvelle ne la surprenait guère. Elle était même étonnée qu'ils ne soient pas partis retrouver leur amie avant.

- Depuis quand ?
- Comme si tu ne le savais pas, répliqua Arceus d'un ton sec.
- Non, je l'ignore. Tu m'as interdit de garder un oeil sur elle, je te rappelle.
- Ne me prends pas pour plus sot que toi, Athéna. Même sans faire appel aux Zarbis, tu as bien souvent, trop souvent, même, une longueur d'avance sur nous tous.
- Ils s'inquiétaient pour elle. Ils craignaient qu'elle ne survive pas sans une aide quelconque dans le monde d'en-bas. Moi-même, je dois avouer que je ne m'attendais pas à la voir s'en tirer aussi bien. Elle est décidément pleine de ressources.
- Silence ! gronda l'Alpha. T'entends-tu parler ? C'est d'une traîtresse dont il est question. D'une paria. D'une... renégate.

Athéna ne releva pas. Elle avait cessé depuis longtemps de tenter de discuter avec Arceus du cas de Lilith. De tous les sujets qui la préoccupaient, il était le seul qu'elle s'efforçait de ne plus aborder, car à chaque fois, elle se heurtait à un mur. Elle détourna donc la conversation.

- Je ne l'observe plus, mais j'étudie quand même le reste de l'humanité. Combien de temps crois-tu qu'elle va tenir ainsi ? J'espère au moins que tu es fier de toi.

Une légère pointe de colère rendait sa voix vibrante. Athéna s'énervait rarement, mais les injustices avaient le don de produire cet effet sur elle. Depuis que Lilith avait été bannie de la Salle Originelle, la Terre était totalement livrée à elle-même. Arceus ne s'en préoccupait plus et il avait interdit à ses sbires de le faire à sa place.

- Tu les as créés, rappela-t-elle. C'est ton devoir de veiller sur eux.
- Ils sont nés de Lilith. Elle a été mon modèle, ma base dans sa conception. Ils sont donc aussi impurs, aussi mauvais et aussi corrompus qu'elle. Je ne veux pas d'une espèce comme celle-ci dans mon monde.
- En attendant, ils ne sont pas les seuls à souffrir, il y a aussi la nature et les pokémon. L'équilibre que tu ne protèges plus ne touche pas seulement les humains que tu abhorres à cause d'elle, mais le monde entier. Il se dégrade inexorablement et il sera vite trop tard si tu n'agis pas.

L'Alpha garda le silence un instant, durant lequel Athéna l'observa avec attention. Elle s'inclinait souvent devant lui, néanmoins cette fois-ci, elle n'avait pas l'intention de céder un pouce de terrain. Pas quand le bien-être d'autant de vies était en jeu. En dépit de sa loyauté envers lui et envers Zeus, elle ne pouvait se le permettre.

- Non, finit-il par souffler. Je n'ai que faire du monde d'en-bas, désormais. Il n'est là que pour me rappeler à quel point ma création était imparfaite. Qu'il périsse. Les légendaires devaient apprendre aux humains à survivre. Tout ce qu'ils savent faire, c'est s'entretuer. Lilith en est l'exemple rêvé.
- Ils s'entretuent parce que personne ne leur a enseigné la justice. Récompense-les de leur bonté, châtie-les de leur crime. Sois le dieu que tu es censé être pour eux.
- Pourquoi ferais-je cela ? Pourquoi ? gronda-t-il en frappant le sol de sa patte. J'ai guidé Lilith, je l'ai éduquée, ce qui ne l'a pas empêché de sombrer dans les ténèbres.
- Tu l'as délaissée... Toujours est-il que ce n'est pas la question. Nous avons tenu cette discussion cent fois et elle ne nous a jamais menés nulle part, alors inutile de la ramener une fois encore sur le devant de la scène. Je te parle des autres, Arceus. Tu as le pouvoir et le devoir de les aider. Fais-le.
- Non. Ma décision est prise, ce n'est pas la peine d'insister.
- Que feras-tu lorsqu'Elle s'en apercevra ? Elle ne t'approuvera pas.

Le Créateur, qui allait tourner le flanc, se figea. Athéna, une expression triomphante sur le visage, croisa les bras sur sa poitrine. Elle savait toujours tout avant tout le monde, même avant Némésis, mais celle-ci n'avait jamais trop de retard sur elle pour découvrir la vérité.

- Tu as un rôle. Si tu ne t'y tiens pas, tu mériteras d'être puni, comme tout un chacun. Aurais-tu oublié ce qui se passe, à chaque fois qu'Elle se met en colère ?
- Je... Est-ce une menace ?
- Douterais-tu de moi, Arceus ? Je ne t'ai jamais trahi, malgré certaines de tes décisions avec lesquelles je suis en désaccord. Némésis finira par comprendre que tu as décidé de laisser choir l'humanité. A partir du moment où tu leur as donné naissance, tu en es devenu responsable. Si tu renonces à cette responsabilité, elle interprétera cela comme un caprice de ta part, or tu sais combien elle les déteste. Elle t'a accordée le droit de bannir Lilith, mais ce n'est pas une raison pour faire payer le reste de ses semblables, uniquement parce que tu penses qu'ils ne valent pas mieux qu'elle.
- Ils ne valent pas mieux. Je ne le pense pas, j'en suis convaincu. Il y a un fragment d'elle en chacun d'eux. L'égoïsme, la luxure, la colère... Ses pêchés sont les leurs. Ses fautes aussi.
- Elle est autant l'une d'entre eux que l'une des nôtres, souligna Athéna. Arceus... Ne te montre pas aussi manichéen, je t'en conjure. Prouve-moi... Prouve-moi que tu es au-dessus de tout cela. Que tu es digne d'être l'Alpha.
- Evidemment que je le suis ! rugit-il. Qui en douterait ? Toi ? Je crains que le don des Zarbis ne t'ait rendue un peu trop suffisante à mon goût. Tu n'as pas à me juger. J'écoute ton avis parce que Zeus te considère comme sa fille et que, par conséquent, tu es un peu la mienne. Ne l'oublie pas, si tu ne tiens pas à ce que je te retire cette faveur.

Arceus enveloppa Athéna d'un regard impitoyable. Il avait appris à être dur, désormais, et à ne plus laisser quiconque atteindre son coeur, ainsi que Lilith l'avait fait. Il l'avait aimée plus que n'importe laquelle de ses créations, plus que Zeus lui-même, car il la considérait comme son joyau. Au lieu de lui rendre cette affection, elle l'avait trahi. Elle avait détruit la moindre chaleur qui existait en lui.

- Et si... commença la déesse avant de s'interrompre.
- Quoi ?
- Si je parvenais à te démontrer qu'ils ne sont pas tous comme elle... Que certains humains sont dotés d'un bon fond et de qualités que toi-même tu louerais, accepterais-tu de leur accorder une seconde chance ? Tu fondes ton jugement uniquement sur l'attitude de Lilith. Laisse une occasion aux autres de faire leurs preuves.
- Une occasion ? Je suis las des humains. Je leur ai accordé tout mon temps, depuis que le monde d'en-bas est né, et maintenant, j'en ai assez.
- Si tu renonces maintenant, tu auras effectivement fait tout cela pour rien !

Le légendaire ouvrit la gueule, mais la referma aussitôt. Il secoua la tête. Sa déception avait été trop immense pour qu'il consente à en essuyer une seconde. Il ne voulait pas revivre cela, d'autant qu'il ne s'était pas encore remis de ce que Lilith lui avait infligé. En dépit de cette haine farouche qu'il vouait désormais à l'humanité, et à elle en particulier, il n'avait pas pour autant envie d'affronter Némésis. Il avait beau être l'Alpha, face à elle, il n'était pas mieux loti qu'un autre.

- En admettant que j'envisage un instant d'accepter... Comment t'y prendrais-tu ? lâcha-t-il après un très long moment de silence.
- Je sélectionnerais plusieurs humains et je leur ferais passer un test afin de prouver leur valeur. C'est ce qui me semble le plus juste en de telles circonstances.
- Quel genre de test ?
- Un qui saura mettre en évidence les qualités que tu juges essentielles. Il suffira simplement que tu me dises lesquelles tu désires les voir posséder.

Arceus poussa un soupir et son encolure s'affaissa légèrement. En cet instant, il n'avait plus rien du pokémon farouche et puissant qu'il était à l'accoutumée. Il paraissait âgé, en dépit de son immortalité, mais surtout terriblement fatigué.

- Je vais réfléchir. Accorde-moi du temps pour cela et veille à ce qu'en attendant, Elle ne vienne pas interférer dans mes affaires.
- Ne tarde pas trop. Personne ne peut contrôler Némésis, pas même moi.

***
D'un oeil bienveillant, Athéna observait à distance Rayquaza, qui venait d'entourer le corps d'Horus de sa queue. Bien qu'il ne soit né que quelques mois auparavant, fruit de l'union d'Isis et Osiris, il semblait déjà à mi-chemin de sa pleine maturité physique. En revanche, il peinait encore à percer le secret de ses dons, car il ignorait en quoi ils consistaient. Ils ne s'étaient quasiment jamais manifesté jusqu'à présent.

La déesse ne s'inquiétait pas pour lui. L'immense pokémon aux écailles d'émeraude s'était entiché de lui dès la première fois où leurs regards s'étaient croisés et il avait choisi de lier son destin au sien, lui qui ne possédait pas encore d'humain. Elle savait que Rayquaza prendrait soin de guider celui qu'ils surnommaient tous affectueusement le "nouveau-né".

Elle avait de la peine, parfois, lorsqu'elle les observait si complices. Elle n'avait pas eu la chance de connaître son légendaire, plongé dans un profond coma depuis le jour où il avait souhaité la faire apparaître. En son absence, elle ne pouvait compter que sur elle-même pour faire face à qui elle était, ainsi que sur Zeus, raison pour laquelle elle était tant attachée à lui.

Elle secoua la tête. Elle ne devait pas se laisser aller à la mélancolie. La patience était une vertu qui accompagnait obligatoirement l'immortalité. Elle rencontrerait Jirachi le moment venu. En attendant, elle le garderait bien à l'abri auprès d'elle, dans son antre.

Rayquaza dut déceler sur ses traits sa peine soudaine, car il tourna dans sa direction ses grands yeux jaunes. Elle lui adressa un sourire rassurant. Au sein de la Confrérie, beaucoup ne connaissaient pas son véritable visage, celui d'une divinité aux dons presque aussi surpuissants que ceux de Némésis elle-même, mais il faisait exception.

Elle le considérait comme son plus proche ami, à l'exception de Prométhée. Ils faisaient partis des rares qui avaient su déceler sa douceur et sa gentillesse sous son masque distant. Tous les autres l'appréciaient peu, la jugeant froide et hautaine, alors qu'elle agissait simplement ainsi pour se préserver. Elle ne voulait pas qu'en découvrant ses dons, ils la craignent autant qu'ils ne la redoutaient Elle.

- Athéna...

Rayquaza désigna l'arche d'accès à la salle d'un mouvement de tête, au centre de laquelle Arceus se tenait. Il s'y était glissé sans un bruit, si bien que la déesse n'avait pu l'entendre s'approcher. Assise sur le sol, elle se leva avec grâce pour tourner le dos à ses amis et se diriger vers lui.

- Qu'y a-t-il ? s'enquit-elle doucement.
- Pas ici. En privé.

D'un mouvement de la tête, l'Alpha lui exhorta de le suivre, ce qu'elle s'empressa de faire. Elle se laissa docilement guider jusqu'à son antre où ils seraient, d'après ses propres dires, plus à même de discuter sans risquer d'être surpris par quiconque. Personne n'osait s'aventurer à proximité de ses quartiers.

- J'imagine que tu as réfléchi à ma proposition, déclara-t-elle une fois qu'ils furent en lieu sûr.
- En effet. Et je suis prêt à l'accepter... sous mes conditions.

Un sourire discret étira les lèvres d'Athéna. Naturellement. A quoi aurait-elle pu s'attendre d'autre de sa part ? Il fallait toujours qu'il ait le dernier mot, même face à elle. Seule Némésis ne le lui accordait jamais, raison pour laquelle il La tenait si peu en estime.

- Quelles sont-elles ?
- Pour commencer, il m'appartiendra de choisir la nature du test, ainsi que les valeurs à prouver.
- D'accord. Jusque là, je n'y vois aucun inconvénient. Ensuite ?
- Ensuite ? Un seul humain sera sélectionné. Il portera sur ses épaules le poids de l'avenir de tout son peuple.
- Un seul ? répéta Athéna, les yeux ronds. C'est...
- Si les mortels ne sont pas corrompus comme Lilith, puisque c'est ce que tu sembles affirmer, le résultat devrait être le même pour tous. Que j'en prenne un ou cent, ils sont censés réussir, non ?

La fille de Zeus ne releva pas. Il l'avait dupé. Elle avait suffisamment observé les habitants du monde d'en-bas pour savoir que, s'il y en avait des très bons, d'autres pouvaient se révéler plus cruels encore que la Première.

- Quoi d'autre ? demanda-t-elle, soudain beaucoup plus suspicieuse.
- Que tu tiennes Némésis à l'écart le temps qu'il faudra. En fonction des résultats de cette expérience, je livrerai ou non l'espèce humaine à elle-même et, si elle tente de m'en tenir rigueur, j'appuierai sur le fait qu'ils se sont condamnés par leurs propres agissements.
- Je ne suis pas certaine qu'elle apprécie de découvrir une forme de justice différente de la sienne le moment venu, mais soit. Je le ferai. Est-ce tout ?
- Pas vraiment. Puisque c'est toi qui as décidé de t'élever en protectrice de la cause des mortels, je vais te mettre au défi, toi aussi.
- Moi ? Pourquoi cela ?
- Pour te donner une chance de renoncer à cette perte de temps. Pour te prouver, sans avoir besoin de ce test inutile, que nous ne pouvons avoir confiance en eux.
- Comment comptes-tu t'y prendre ?
- En te mettant à l'épreuve. Le test que j'ai mis en place consiste à conserver un objet. Une boîte, pour être plus précis. Afin de prouver son obéissance et sa fiabilité, l'humain ne devra l'ouvrir sous aucun prétexte. Et pour que tu prennes conscience des folies qu'ils sont capables de commettre et qu'ils commettront tant qu'ils existeront, j'ai choisi... ceci.

Arceus souffla devant lui, où un halo de lumière aveuglant apparut aussitôt. Athéna plissa les paupières, éblouie, tandis qu'une forme rectangulaire se matérialisait sous ses yeux. Plus la clarté s'atténuait, plus elle devenait visible. Il s'agissait d'un coffret sombre, terriblement ancien, duquel émanait une aura malveillante.

- Non ! s'écria-t-elle dès qu'elle l'eut identifié. Non ! Tu ne peux pas...
- Pourquoi pas ? répliqua le Créateur avec un sourire mauvais. Si les humains sont dignes de la confiance que tu leur accordes, il n'y a rien à craindre. Si tu en doutes, alors mieux vaut renoncer dès à présent.
- Ce n'est pas rien, Arceus ! Il s'agit de l'âme de Cronos. C'est tenter... Serais-tu réellement prêt à risquer une apocalypse uniquement pour me démontrer que j'ai tort ?
- Je pense surtout que tu as besoin d'une bonne leçon pour te dissuader de t'élever une nouvelle fois face à moi à l'avenir. Tu es trop sûre de toi, Athéna, or tu n'es pas infaillible. Tu pourrais l'être, naturellement, mais tu es également trop modeste pour jouir de ce don. A moins que tu n'aies tout simplement peur que j'ai raison. Si tes précieux amis t'en donnent la preuve, elle sera irrémédiable et toutes tes croyances, toute ta volonté de voir meilleure qu'elle ne l'est l'humanité, s'envoleront en fumée.

La déesse ne releva pas. Elle était trop occupée à fixer sans ciller le coffret qu'Arceus faisait léviter devant elle. Elle entendait les murmures qui s'en élevaient, la voix du démon qui quémandait sa liberté. A son seul souvenir, elle frissonna.

L'Alpha l'avait vaincu à l'époque du Chaos, bien avant son apparition. Il avait détruit sa forme corporel et l'avait réduit à l'état d'ombre, vidé de toute sa puissance. Au fil des années, il avait néanmoins fini par recouvrer une infime partie de celle-ci, assez pour lui permettre de rôder à nouveau autour de son ancien compagnon de solitude. C'était à ce moment-là qu'Athéna était intervenue.

Quelques mois seulement après son apparition, alors qu'elle commençait à peine à découvrir l'immensité de ses pouvoirs, elle avait affronté Cronos, ou plus exactement ce qu'il restait de lui, pour l'enfermer dans une boîte fabriquée à partir de sa magie blanche. Elle le retenait captive tant que personne n'en soulevait le couvercle. Une simple fissure, une simple interstice, permettrait toutefois au monstre contenu à l'intérieur de s'en échapper.

Si elle avait été chargé de le combattre, c'était parce qu'Arceus n'était plus de taille à s'en charger. Son combat dans le néant contre lui, suivit par la création du monde, l'avait rendu trop faible pour songer à un face à face avec son rival de toujours. C'était la raison pour laquelle elle s'était dévouée. Elle seule était au courant de l'existence de cet être maléfique. Personne d'autre ne savait, pas même Zeus, ni Némésis.

- S'il brise le sortilège, je ne parviendrai pas à l'arrêter une seconde fois. Plus le temps passe et plus il regagne en puissance. Même captif, il ne cesse d'accroître ses pouvoirs, jusqu'à leur permettre d'atteindre à nouveau leur sommet. Je le sens à travers l'aura qui émane de cet objet.
- La décision t'appartient, Athéna. Soit les humains sont assez dignes de confiance pour mettre notre sort en jeu, soit tu renonces. Ce n'est pas plus compliqué que cela. Tout dépend de ta capacité à croire en eux.
- Il peut les manipuler. Tu l'entends comme moi. Il s'exprime au travers du coffret. Il peut les emmener à l'ouvrir par quelques paroles joliment tournées. Il sait promettre monts et merveilles. C'est ce qu'il a fait lorsque je l'ai combattu.
- Tu n'as pas cédé, pourtant.
- Je suis une légendaire, Arceus. Là, il est question de mortels. S'ils étaient comme nous... Tu ne les traiterais pas de la sorte.
- Non, et pourtant tu m'empêches de me comporter avec eux comme bon me semble. Je t'ai exposé mes conditions, Athéna. Tu as trois jours pour te décider. Passé ce délai, j'en arriverai à la conclusion que tu les livres à eux-mêmes et tu endosseras cette faute auprès de Némésis.
- Comment oses-tu te livrer à ce chantage odieux ? rétorqua-t-elle avec une virulence inhabituelle chez elle.
- Je suis l'Alpha. Toi, tu n'es rien. Il serait tant que tu t'en souviennes et surtout que tu t'y plies. C'est moi qui commande. Ni toi, ni Némésis.
- Alors pourquoi la crains-tu ?
- Parce que contrairement à toi, je sais qu'elle n'hésiterait pas à me faire du mal si l'envie lui en prenait. Trois jours, Athéna. C'est très court pour des êtres tels que nous. A ta place, j'entamerais ma réflexion dès à présent.

Sur ces mots, Arceus tourna les talons. La boîte de Cronos ne disparut pas avec lui. Elle continua de flotter devant Athéna, qui ne parvenait pas à détourner les yeux d'elle, complètement hypnotisée. Le Créateur lui avait damé le pion. Il avait été plus malin qu'elle, cette fois-ci, au point de la mener dans une impasse. Quelle histoire venait-elle de provoquer ?

***
- Fais-les entrer. Maintenant.

Palkia ouvrit la porte de l'immense salle au plafond voûté, dans laquelle Némésis régnait en maîtresse absolue. Elle était assise sur un trône d'ivoire, élégamment vêtue d'une robe blanche qui épousait sa silhouette gracieuse, et faisait face à une balance démesurée, sur laquelle les dragons légendaires auraient pu tenir assis sans peine. Cela symbolisait son pouvoir de justice.

Les deux battants pivotèrent, révélant Chronos qui tenait fermement Seth par un bras, tandis qu'Osiris marchait paisiblement devant Dialga. Aucune inquiétude ne se lisait sur son visage tranquille, au contraire de celui d'Isis, à sa droite, qui exprimait une profonde panique.

- Là-bas, ordonna Némésis en désignant la balance d'un simple mouvement de la tête.

Chronos poussa l'humain légendaire qu'il cramponnait dans la direction indiquée, pendant que son frère s'y installait dessus sans avoir besoin d'y être contraint. Leur soeur, quant à elle, resta immobile, interrogative au sujet de la façon dont il lui convenait d'agir.

- Va te placer entre eux, au niveau de la hampe.

Elle s'exécuta aussitôt, soucieuse de fuir le regard autoritaire que la déesse liée à Lugia venait de poser sur elle. Personne n'arrivait à soutenir ses yeux ténébreux durant plus de quelques secondes, pas même Arceus. Athéna y serait sûrement parvenue, néanmoins elle n'avait jamais eu besoin de le faire.

- Encore ? lâcha-t-elle sèchement.

Elle observa les trois divinités à tour de rôle après qu'ils aient chacun rejoint leur place. Aucun d'eux n'osa lui répondre. S'il y avait quelque chose de respectueux dans le silence d'Isis et Osiris, celui de Seth, en revanche, ne reflétait que son mépris à l'égard du monde qui l'entourait.

- Vous avez totalement saccagé l'Antre Désertique et vous avez même réussi à perforer le plafond de la Salle Originelle. Qu'auriez-vous fait si Kukulkan ne s'était pas interposé ? Vous l'auriez complètement détruite, à n'en pas douter. Vous êtes inconscients, irresponsables et immatures.
- Il... commença le dieu au teint bleuté.
- Silence ! Je ne vous ai pas autorisé à vous exprimer. Lorsque je parle, vous vous taisez. Il s'agit de la première règle à observer en ma présence. Est-ce clair ?

Osiris et son épouse acquiescèrent d'un hochement de tête, mais Seth demeura immobile, l'oeil vif. Apparemment, il attendait avec une impatience mal dissimulée le moment où il lui serait permis de communiquer.

- J'ai fermé les yeux sur vos broutilles jusqu'à présent parce que je ne les jugeais pas suffisamment digne d'intérêt pour requérir mon intervention, mais à présent, vous commencez sérieusement à m'agacer. Tous les trois !

Isis ouvrit la bouche avant de la refermer aussitôt. Plutôt que de clamer son innocence dans cette histoire, elle décida de suivre la voix de la prudence, qui lui intimait de se taire. Némésis était assez furieuse ainsi, sans qu'elle n'ait besoin de l'énerver davantage.

- Qui est responsable ?

Seth et Osiris s'accusèrent mutuellement. La Justice leva les yeux au ciel. Elle ne s'était pas attendue à une autre réaction de leur part. Ils étaient pathétiques, tous les deux. Elle se moquait éperdument de leur querelle fraternelle, néanmoins celle-ci avait pris une tournure si violente qu'elle s'était vue forcée d'intervenir, pour le bien de l'ensemble de la Confrérie, mais surtout pour celui du jeune Horus, qui souffrait de ces tensions plus que quiconque.

- Isis, que s'est-il passé ?
- Ils... Ils se sont battus, Ma dame.
- Je le sais, qu'ils se sont battus. Comme à chaque fois. Ce que je veux savoir, c'est la raison de cette énième rixe.
- Il m'a agressé et je me suis défendu, indiqua Osiris. Il a commencé à user de ses pouvoirs contre moi. J'ai répliqué, après quoi la situation a dégénéré.
- Tu m'as provoqué de façon ostentatoire. Tu as gagné, je te rappelle. Tu as ta femme, ton fils. Est-il encore nécessaire que tu me jettes ce bonheur au visage ?
- Accepte-le au lieu de nous en tenir rigueur.
- Je t'avais interdit de remettre les pieds dans mon antre. Tu n'es plus mon frère ! Tu n'es plus rien à mes yeux.
- Mais moi, je suis toujours ta soeur et je ne désespère pas de vous voir un jour vous réconcilier, intervint Isis. Vous...
- Tais-toi donc, petite sotte ! Comment souhaites-tu me voir lui pardonner quand c'est lui que tu as choisi et pas moi ? Chacune de tes mièvreries ne fait qu'accroître mon tourment, alors garde-les pour faire risette à Horus.
- Seth ! s'offusqua la déesse. Ne le mêle pas à cela.
- Alors laissez-moi tranquille. Et tiens ton odieux mari loin de moi, sans quoi la prochaine fois, je lui crèverai les yeux.
- Quel piètre châtiment, souligna Osiris sans se départir de son calme. Je n'en souffrirais que quelques heures, alors que la douleur qui t'habite, elle, sera éternelle.
- Espèce de...
- Assez ! gronda férocement Némésis. Je crois que le problème, dans l'histoire, ne vient ni de l'un, ni de l'autre, mais de la relation que vous entretenez ensemble. Et toi, Isis, tu n'es pas étrangère à tout cela. Seth t'a répété à maintes reprises qu'il ne voulait plus vous voir, or tu es incapable de le laisser en paix. Tu as fait un choix, il me semble. Te serait-il impossible de t'y tenir ?
- Comment ? Non ! Je ne le regrette aucunement, mais dois-je perdre un frère pour avoir sélectionné un époux ?
- Si cela vous mène à de telles, bien sûr que oui. Ce que tu éprouves ne m'intéresse pas et je ne veux pas t'entendre te lamenter. Mon principal précepte est d'assumer les conséquences de ses actes. Tu savais dès le début que tu ne pourrais avoir les deux. Accepte-le.
- Je...
- Ce n'était pas une question, mais un ordre. Tiens-toi à l'écart de Seth, désormais, sans quoi je te punirai sévèrement. Sors, à présent. Il me reste à disposer de leur sort.

Isis s'écarta de la hampe contre laquelle elle était adossée pour s'éloigner de la balance, sur les plateaux de laquelle ses frères étaient assis, respectivement de part et d'autre. Elle leur jeta un regard inquiet, avant d'afficher une moue suppliante à l'attention de Némésis.

- Je Vous en prie... chuchota-t-elle. Je vous en supplie. Ne soyez pas trop dure avec eux. Tout est de ma faute. Prenez cela en compte et, s'il Vous plait, montrez de la clémence à leur égard.
- De la clémence ? répéta Némésis avec un sourire mauvais. Je ne suis pas clémente, ma chère, mais juste. Si tu étais vraiment responsable, comme tu sembles le croire, je t'aurais châtiée également, au lieu de quoi je t'ai simplement mise en garde. Ces deux-là ont déjà eu plusieurs avertissements, dont ils n'ont pas tenu rigueur. Tu es peut-être la cause de leur dispute, mais en aucun cas tu ne les as incités à se combattre et à ravager une section entière de la Salle Originelle. Ils ont choisi de leur plein gré d'agir de la sorte, au lieu de se maîtriser. Va-t-en, désormais. Il me reste à faire.

La divinité parut hésiter à abandonner ses frères à leur sort, néanmoins elle s'y résolut. Personne ne tentait jamais d'échapper aux ordres de Némésis. Elle, dont le courage n'était pas la principale qualité, n'allait certainement pas s'y essayer.

La Justice attendit patiemment qu'elle ait quitté la pièce avant de ramener son intérêt sur les deux prévenus. Ils attendaient qu'elle s'exprime, cependant elle prit tout son temps pour le faire. Elle n'était pas pressée. Elle pouvait parfois rester des heures, voire même des jours ainsi, avant de rendre son jugement, uniquement pour mettre les nerfs des dieux installés face à elle à l'épreuve.

Au bout d'un long moment, ses lèvres écarlates s'ouvrirent enfin pour lui permettre de parler. Le regard vif, elle étudiait leur visage avec soin, pendant qu'ils se fusillaient à tour de rôle. Elle allait les guérir de cette haine farouche qu'ils nourrissaient l'un envers l'autre ou, plus exactement, s'assurerait qu'elle ne causerait plus de dégâts quelconque autour d'eux.

- Puisque vous semblez incapable de vous entendre à partir du moment où l'un d'entre vous prononce le moindre mot, je vous enjoins à ne plus vous adresser la parole. Plus jamais. Ainsi, je suis certaine que les répliques acerbes que vous vous lancez régulièrement ne provoqueront plus de catastrophes identiques à celle que Kukulkan s'efforce actuellement de réparer.
- Plus jamais ?
- Dans ma grande mansuétude... Disons jusqu'à ce que vous soyez capable de croiser les yeux de l'autre sans éprouver le besoin irrépressible de le saigner à blanc. Cela prendra sûrement plusieurs siècles, raison pour laquelle vous allez avoir besoin d'un petit entraînement au silence.

Némésis souleva ses deux bras à l'horizontal, qui formait un angle obtus par rapport à son corps. Un souffle puissant s'en échappa pour plaquer Osiris et Seth contre le mur, situé juste derrière eux. D'un mouvement, elle fit apparaître des arcs de lumière qui les lièrent à la paroi. Ils s'agitèrent dans l'espoir de s'en libérer, mais leurs efforts furent vains.

- Vous êtes pitoyables... souffla-t-elle. Surtout toi, Osiris. Tu es censé être intelligent. Crois-tu qu'il soit suffisant de te trémousser pour parvenir à briser ma magie ? Sottises ! Vous êtes prisonniers, et ce jusqu'au moment où je choisirai de vous libérer. En attendant, vous allez vous plonger dans un profond mutisme. Si vous prononcez le moindre mot, non seulement vous verrez votre châtiment se prolonger, mais vous souffrirez également.
- Comment ? interrogea Seth.

Au même instant, une lance à la pointe acérée jaillit du néant pour fondre sur lui et l'empaler au niveau de la cuisse, avant de disparaître aussi vite qu'elle n'était apparue. Il poussa un hurlement de douleur, la jambe en sang, bien que l'hémorragie ne se soit arrêtée d'elle-même une minute plus tard.

- Bien sûr, si vous essayez de vous servir de vos pouvoirs, pour vous guérir, amoindrir la douleur ou même l'un contre l'autre, cette sentence sera moindre à côté de celle que je vous infligerai. Est-ce clair ?

Les deux frères acquiescèrent d'un hochement de tête, n'osant plus prendre le risque de s'exprimer par crainte d'être blessé. Némésis croisa les bras sur sa poitrine, satisfaite. Elle ne doutait pas que le résultat de cette punition serait concluant : elle ne se trompait jamais.

- Je repasserai dans quelques semaines, afin de réévaluer votre cas. En attendant, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

Elle leur adressa un sourire mauvais, face auquel Osiris resta de marbre. Seth, quant à lui, se contenta de soupirer de mépris. Il était l'un des rares légendaires à montrer ostensiblement sa haine à son égard, quand tous les autres se contentaient de la redouter en silence. Elle admirait cette forme de courage stupide qui contrastait avec l'hypocrisie latente du reste de la Confrérie.

Sans rien ajouter, elle tourna le flanc et quitta la pièce. Il n'y avait rien d'étonnant à ce que tous les légendaires aient peur d'elle. Ses sentences étaient d'une sévérité exemplaire, cependant elle ne les aurait changées pour rien au monde. C'était en partie grâce à elles si elle possédait cette autorité sur ses semblables.

***
- Non ! Non, non et non !

Une chaise vola violemment à travers l'espace pour aller se briser contre le plafond orné d'élégantes peintures. Tous les meubles se trouvaient en lévitation, s'entrechoquaient parfois dans un bruit assourdissant, sans que cela n'attire l'attention d'Athéna sur eux.

Son corps tout entier était auréolé de lumière. Ses pouvoirs se manifestaient sans qu'elle en ait conscience, réduisant son antre au chaos, tandis qu'elle réfléchissait. Elle avait mal à la tête. Bien que cela soit normalement impossible pour un être comme elle, elle souffrait d'atroces migraines lorsqu'elle réfléchissait trop longtemps.

- Non ! s'égosilla-t-elle.

Les cristaux qui constituaient le lustre volèrent en éclats, juste avant que celui-ci ne se décroche de la voûte à laquelle il était suspendu pour s'écraser sur le sol. Par chance, elle faisait les cent pas, sans quoi il se serait abattu sur elle. Elle arpentait nerveusement la pièce gigantesque.

Une vague d'énergie déferla hors de son corps pour aller frapper l'immense porte de plein fouet. Celle-ci poussa un gémissement plaintif, oscilla, mais ne se brisa pas. Malgré la force colossale d'Athéna, elle était trop solide pour céder dès le premier assaut.

Les deux battants s'ouvrirent précipitamment alors qu'elle prenait son visage entre ses mains en poussant un cri de douleur. Les yeux clos, elle s'effondra à genoux sur le sol, où elle sentit rapidement deux bras robustes enlacer ses épaules.

- Ma dame... Relevez-vous, je vous en conjure. Vous... Ce vacarme va alerter toute la Confrérie. Vous ne souhaitez pas qu'ils vous découvrent dans cet état, n'est-ce pas ?

Prométhée la redressa laborieusement et, sitôt qu'elle fut debout, elle s'effondra contre son épaule, la respiration saccadée. Elle était hystérique, un phénomène propre à elle-même dont les autres légendaires étaient épargnés.

- Que se passe-t-il ? Que vous arrive-t-il ? Je croyais que vous aviez le contrôle, désormais,
- Il... Zeus. Allez chercher Zeus. Lui seul sait comment me calmer !
- Est-il bien prudent de vous laisser seule, ma dame ?
- S'il vous plaît, allez !

A contrecoeur, Prométhée relâcha l'étreinte qu'il appliquait sur son buste et, après s'être assuré qu'elle parvenait à tenir debout par ses propres moyens, il quitta la salle en courant à demi, afin de se lancer à la recherche de son père. Athéna resta immobile, toujours en proie à son angoisse, jusqu'à leur retour, un long moment après. Elle n'était pas parvenue à s'apaiser.

- Est-elle ainsi depuis longtemps ? interrogea précipitamment Zeus en fondant sur sa fille.
- Je l'ai trouvée il y a une bonne vingtaine de minutes, sire.
- A-t-elle causé des dégâts ?
- Matériels, comme vous pouvez le voir, indiqua Prométhée. Elle a ravagé une bonne partie de son antre. En dehors de cela... Je ne crois pas.

La déesse hoqueta bruyamment, tandis que son père passait un bras autour de ses épaules pour l'inviter à venir se blottir contre lui. Alors que son corps était toujours parcouru de soubresauts, il glissa une main dans ses cheveux et lui caressa doucement le crâne.

Au bout de quelques secondes, il se mit à fredonner. Il s'agissait d'un chant qu'Apollon avait composé à l'intention d'Athéna. Bien qu'il ne possède pas les dons de son auteur, capable de soigner n'importe quel mal, physique ou psychologique, par la musique, il savait que cet air possédait la capacité de détendre sa fille lorsqu'elle rentrait en crise.

- Tout va bien, ma chérie. Calme-toi. Je suis là, d'accord ? Que s'est-il passé ?
- Je... J'ai paniqué. L'espace d'un instant, j'ai eu l'impression d'étouffer et...
- C'est terminé, à présent. Respire. Prends ton temps et essaye de te détendre.

Prométhée observait la scène en retrait, ses bras musculeux croisés sur sa poitrine. Même s'il soupçonnait la puissance incommensurable qu'Athéna dissimulait sous son masque de réserve, il ne l'avait encore jamais véritablement vue à l'oeuvre. Il était d'ailleurs convaincu que ce qu'il venait d'apercevoir à l'instant ne représentait pas le quart de ses véritables talents.

Zeus l'aida à s'asseoir sur le sol, où elle ramena ses genoux contre son buste afin de se pelotonnée sur elle-même. Elle tremblait encore légèrement, mais elle paraissait déjà se contrôler beaucoup mieux. Les objets avaient tous cessé de voler et gisaient désormais sur le sol, brisés pour la plupart.

- Ne veux-tu pas m'expliquer ce qui t'a causé une telle angoisse ? interrogea le maître de la foudre.

Elle secoua la tête en signe de dénégation. Elle se sentait nauséeuse et elle n'avait plus la moindre envie d'ouvrir la bouche. Qui plus est, elle ne désirait pas mettre son père au courant de la lutte qu'elle menait afin d'assurer la prospérité des humains. Il les détestait plus qu'Arceus lui-même et ne lui pardonnerait sûrement pas de s'être alliée à leur cause qu'il qualifiait de perdue.

- Je vais bien, père. Je te remercie d'être venu si vite. Grâce à toi, je me sens nettement mieux. Je me suis simplement laissée dominer par mes émotions une seconde de trop, affirma-t-elle lorsqu'elle eut retrouvé le courage et la volonté de s'exprimer.
- Souhaites-tu que je reste avec toi ?
- Non, je ne tiens pas à accaparer ton attention. Va. Je t'appellerai si j'ai de nouveau besoin de toi. En attendant, je suis entre de bonnes mains.

Elle esquissa un sourire à l'attention de Prométhée, qui le lui rendit aussitôt. Elle avait toujours eu un faible à son égard, qu'elle savait réciproque. Hélas, cet attachement mutuel était mis à mal par l'affection profonde que Volupté éprouvait également à son égard et qu'il lui rendait bien.

Quand Zeus eut quitté l'antre de sa fille, non sans lui avoir jeté un dernier regard inquiet au préalable, le géant vint prendre place à côté d'elle, qui était restée agenouillée sur le sol, les mains paisiblement posées sur les cuisses, les paupières mi-closes.

- Némésis a jugé Seth et Osiris. J'ai pu entendre ses hurlements depuis la Salle du Trône, déclara-t-il afin de ne pas aborder le sujet de sa crise.
- Cela devait se produire. Ils ont abusé de sa patience. Isis a-t-elle été épargnée ?
- Je crois que oui, mais elle ne le sera pas davantage si une telle situation venait à se reproduire.
- Qu'arrivera-t-il le jour où vous choisirez, Prométhée ? Le jour où vous déciderez qui de Volupté ou de moi-même est digne de votre coeur ?

L'intéressé ouvrit la bouche pour répondre, mais la referma aussitôt. Cette question, qu'il ne s'était jamais vraiment posée, devenait récurrente dans son esprit depuis que les deux frères causaient tant de soucis.

- Vous n'avez pas l'impulsivité et la noirceur d'âme de Seth, ni la vanité et l'orgueil d'Osiris, que ce soit l'une ou l'autre. Je sais que, si je venais à prendre une décision, celle qui serait évincée la respecterait. Volupté a un sens de l'honneur inné, elle est extrêmement vertueuse. Quant à vous, vous êtes beaucoup trop sage pour songer à vous battre contre elle, surtout si cela risque de nous causer du tort à tous.

"Causer du tort à tous..." se répéta mentalement Athéna. C'était précisément ce qu'elle menaçait de faire, alors qu'à l'origine, elle avait cru agir pour le mieux. A présent, elle se trouvait dans une impasse. Elle ne voulait pas donner raison à Arceus, car elle savait qu'il avait tort d'agir comme il le faisait. En dépit de cela, était-elle prête à faire encourir un tel danger à l'univers tout entier dans l'unique but d'avoir, pour une fois, le dernier mot face à lui ?

- Mon ami... Puis-je me confier à vous ? s'enquit-elle soudain dans un souffle.
- Vous savez très bien que oui. Parlez donc.
- Cette conversation devra rester entre vous et moi. Ne répétez à quiconque ce que vous allez entendre de ma bouche.
- Je serai une tombe, ma dame. Vous pouvez placer votre entière confiance en moi, ainsi que vous l'avez toujours fait jusqu'alors.
- Voila. C'est...

Athéna s'interrompit et prit la main de Prométhée dans la sienne avant de poursuivre. Le contact de sa peau tiède, légèrement rugueuse, lui donnait le courage de s'exprimer. Elle n'avait pas l'intention de trahir les secrets de l'Alpha, néanmoins elle éprouvait le besoin de se livrer à quelqu'un.

- J'ai décidé d'interférer en faveur des mortels, ce qui n'a pas plu à Arceus. Je lui ai demandé de leur accorder une dernière chance, afin de ne pas les condamner sur l'erreur de Lilith. Après réflexion, il a accepté, mais ses conditions... Elles sont terribles. Il veut soumettre un humain à un test qui, en cas d'échec, sera fatal pour son espèce, ainsi que pour tout son monde.

"Et le nôtre", ne put-elle s'empêcher de songer. Elle ne pouvait cependant tenir de tels propos à voix haute. Personne ne devait connaître l'existence de Cronos, sans quoi cela éveillerait la panique au sein de la Confrérie. Ils se croyaient tous invulnérables. Cela briserait leur piédestal s'ils apprenaient que ce n'était pas le cas.

- Etes-vous vraiment prête à courir un tel risque, ma dame ? Vous avez une chance sur deux de les conduire irrémédiablement à leur perte.
- Peut-être, mais si je ne le fais pas, Arceus les livrera à eux mêmes. Sans les Oiseaux pour réguler le climat, les golems pour créer la matière... Ils ne survivront pas davantage. Ils tiendront quelques décennies, quelques siècles tout au plus, après quoi ils périront. Ils ont besoin du soutien des légendaires pour résister. Contrairement aux pokémon, ils ne se suffisent pas à eux-même. Ils évoluent beaucoup plus lentement qu'eux. Il leur faudra longtemps avant de maîtriser cet environnement souvent hostile qui les entoure. Et puis... Ce n'est pas tout.
- Comment ? Qu'y a-t-il d'autre ? interrogea aussitôt le légendaire de Ho-Oh.
- Si je refuse d'aller au bout de mon entreprise, je devrais affronter Némésis seule. C'est à moi qu'il incombera d'endosser la responsabilité de l'abandon de l'humanité.
- Elle saura que c'est faux.
- Sans doute, mais si je m'accuse, elle ne pourra lutter contre mes aveux et sera obligée de me tenir pour unique coupable.

Prométhée secoua la tête, ses cheveux drus s'agitant sauvagement autour de sa barbe rêche. Il n'arrivait pas à le croire. Il était le pokémon auquel son propre père était lié, et pourtant il n'hésitait pas à soumettre à Athéna un choix aussi cornélien que celui-ci.

- Les humains ont-ils une chance réelle de réussir ce test ?
- Rien n'est impossible avec beaucoup de volonté et de détermination, répondit-elle d'une voix blanche. S'ils échouent, cependant, tout le monde en paiera le prix, y compris les pokémon. Qui sait ? La revanche d'Arceus sera telle qu'elle aura peut-être même des répercussions jusqu'à nous.
- Allons... Qu'est-ce qui pourrait bien nous abattre ? Nous sommes les êtres les plus forts et les plus robustes de cet univers.

La déesse lui jeta un regard en coin, qui en trahissait long sur son scepticisme. Elle ne releva pas, toutefois. Comment aurait-elle pu exposer à son ami ce qui menaçait de se produire sans trahir la promesse faite à Arceus ? C'était impossible.

- Athéna, ma chère... Si ce dilemme vous taraude autant, vous pouvez vous l'épargner. Je sais à quel point vous détestez user de la magie des Zarbis, cependant eux sauraient vous montrer la voie à suivre. Vous craignez que leur savoir ne soit trop grand ou trop dangereux, mais je pense qu'il le sera sûrement moins que l'une de vos crises destructrices.
- Je...

Elle était forcée d'admettre qu'il avait raison. Ses pokémon possédaient toutes les connaissances, qu'elles soient présentes, passées ou futures. Ils seraient à même de l'éclairer. Le voulait-elle, seulement ? Ou désirait-elle être l'unique maîtresse de la décision qu'elle prendrait, au risque de se tromper ?

- Je... Je vais réfléchir. Voulez-vous bien me laisser, je vous prie ? Le délai qu'Arceus m'a accordé touche à son terme et j'ai besoin de solitude pour réfléchir à cette ultime option qui s'offre à moi.
- Bien sûr, ma dame. Je reste à votre entière disposition si vous avez de nouveau besoin de moi.

Prométhée lui baisa la main avec déférence, avant de se retirer précipitamment. Les ordres d'Athéna sonnaient toujours davantage comme des suggestions ou des suppliques, cependant personne ne refusait jamais de s'y soumettre.

***
Les Zarbis tournoyaient autour d'elle depuis des heures lorsque le Créateur fit irruption dans son antre, intégralement plongée dans les ténèbres à l'exception du halo qui émanait des créatures au corps alambiqué. Athéna était assise en tailleur sur le sol, les mains sur les genoux, les paupières closes. Elle méditait.

- Je suis venu entendre ta réponse, mais d'après ce que je peux voir, ce sont tes précieux amis qui te l'auront apportée. C'est dommage. J'aurais tant aimé qu'elle provienne de toi.
- Elle proviendra de moi, Arceus. Je n'ai pas utilisé leur pouvoir, j'ai seulement réfléchi.
- Et ?

La déesse se leva. Son visage était serein, il n'exprimait ni crainte ni doute. Elle avait retrouvé son impassibilité habituelle, quoique plus douce que l'air autoritaire que Némésis arborait au quotidien. D'une voix parfaitement mesurée, elle déclara :

- Il faut bien que quelqu'un leur fasse confiance. Ce quelqu'un, ce sera moi. Je relève le défi. Je descendrai dans le monde d'en-bas et je choisirai l'être humain auquel je confierai l'âme de Cronos.
- Tu n'es qu'une pauvre folle ! Ils échoueront.
- Peut-être, mais tu ne me laisses pas le choix. Je préfère être solidaire de leur malheur plutôt que de les laisser se perdre seuls.

Arceus secoua violemment la tête et frappa le sol de sa patte. Un souffle puissant s'échappa de ses naseaux, toutefois il ne prononça pas le moindre mot. Il se contenta de pivoter rageusement sur lui-même, pour disparaître hors de l'Antre d'Athéna.

***
Un petit cri franchit les lèvres de Némésis et elle sursauta. Ses paupières, closes jusqu'alors, s'ouvrirent en grand afin de dévoiler ses yeux ronds. Elle parcourut rapidement la pièce dans laquelle elle se trouvait du regard, la respiration saccadée. Lugia vint se poser près d'elle d'un battement d'ailes.

- Que se passe-t-il ?

Elle était plongée dans un état de profonde méditation et, d'ordinaire, rien ne savait l'en arracher tant qu'elle ne l'avait pas décidé, à l'exception d'une intervention physique, or personne ne l'avait touchée. L'oiseau blanc l'étudia avec inquiétude.

- J'ai eu... C'était étrange. Un sentiment différent de ceux que j'éprouve à l'accoutumée.
- Un nouveau péché vient-il d'être commis parmi les nôtres ?
- Non... Cela n'avait rien de comparable. En fait, je crois que c'était plutôt... Un pressentiment. Un mauvais pressentiment.

***
Athéna baissa les yeux sur la tenue qu'elle portait. Cette robe élimée contrastait avec la faste des vêtements qu'elle arborait le reste du temps, mais n'altérait en rien la splendeur de son physique. Accoutrée de la sorte, elle pensait pouvoir se mêler aisément au peuple du monde d'en-bas, toutefois elle s'était trompée. Quelque chose émanait d'elle, une perfection qui l'empêchait de passer véritablement inaperçue.

Elle sentait les yeux des humains qu'elle croisait la suivre de loin, l'observer avidement dans son ensemble de déterminer qui elle était, elle, une sublime créature à la grâce inconnue des mortels. Elle s'efforçait de baisser la tête à chaque fois qu'elle apercevait l'un d'entre eux. Etaient-ils assez intelligents pour en déduire qu'elle n'était pas comme eux ? Elle espérait que non. Comment auraient-ils pu soupçonner sa véritable identité ?

Les légendaires, lors de leurs allers et venues dans le monde d'en-bas, s'étaient toujours efforcés de demeurer aussi discrets que possible, afin que nul ne soupçonne leur existence. Cela n'empêchait cependant pas l'ensemble de l'humanité de croire que des êtres ou des puissances supérieurs avaient donné naissance à leur univers, ce qui était parfaitement fondé. La déesse était toutefois convaincue qu'ils n'en savaient pas davantage à leur sujet.

C'était la première fois qu'Athéna descendait ici, dans ce lieu qu'elle ne connaissait qu'à travers les visions fournies par ses Zarbis. Le plus souvent, elle évitait de quitter son antre, où elle se sentait à l'abri de tout, y compris d'elle-même. Il n'y avait qu'en s'isolant qu'elle pouvait protéger l'univers de ses talents dévastateurs, au cas où elle viendrait un jour à en perdre le contrôle.

Elle inspira profondément. Ils étaient si nombreux. Leur avenir était entre ses mains, elle ne pouvait pas choisir un individu au hasard, quand de sa mission résulterait le salut ou la ruine du reste de l'humanité. Elle devait mûrir sa réflexion mais, comme toujours, Arceus lui avait accordé un délai très court, à la vue de leur éternité.

Qui était assez digne de recevoir le coffret contenant l'âme de Cronos ? Cet homme, là ? Et pourquoi pas celui-ci ? Ou bien cette femme, qui tenait un enfant par la main ? Elle aurait pu sélectionner n'importe lequel d'entre eux. Souhaitait-elle simplement retarder l'échéance ? Une voix dans sa tête lui soufflait que oui.

Jamais elle ne s'était sentie aussi seule qu'en cet instant. Elle aurait aimé que Jirachi, ce pokémon dont elle ignorait tout, soit là, à ses côtés. Il l'aurait aidée, il l'aurait guidée, ainsi que le faisait tous les légendaires envers ceux à qui ils étaient liés. Elle, elle n'avait personne.

Elle se trouvait dans un village, que ses habitants nommaient Floraville. Ce sobriquet était cruellement ironique, car rien ne poussait sur la petite colline sur laquelle il était bâti. La terre était sèche et les plantes mourraient avant même d'avoir atteint leur maturité. Tout n'était que désolation. L'inactivité des divinités commençait déjà à se faire sentir sur Terre. Dire qu'ils avaient le pouvoir de faire tomber la pluie sur cette contrée désolée, mais qu'ils ne s'en servaient plus...

Alors qu'elle observait les champs presque nus, un bruit étrange attira son attention. Au début, elle s'interrogea sur sa provenance. Les humains s'exprimaient de la même façon qu'eux, or ce son qu'elle entendait n'était pas articulé. Il ne ressemblait pas pour autant au cri d'un pokémon quelconque.

A force de tendre l'oreille, elle finit par déceler l'endroit d'où il s'échappait. Il était émis par une jeune fille, assise en tailleur sur le sol craquelé recouvert de touffes d'herbe brûlée, le visage enfoui dans ses mains. Lorsqu'Athéna s'approcha d'elle, elle leva la tête. De l'eau ruisselait sur ses joues.

"Des larmes..." songea la déesse. Elle avait entendu parler du phénomène, mais elle en voyait pour la première fois. Si elle n'avait pas su qu'elles étaient la plupart du temps la conséquence d'une profonde tristesse, elle les aurait trouvées fort jolies, pareilles à du cristal liquide.

- Bonjour, murmura-t-elle doucement en s'approchant de l'humaine.

L'autre ne lui répondit pas. Elle était très jeune. Le teint mat, les cheveux sombres, à l'instar de ses yeux, elle ne semblait pas être âgée de plus de seize ans, ce qui était peu, même pour un mortel. Athéna s'accroupit face à elle, pour prendre son visage entre ses mains. Elle voulait l'observer de plus près. C'était la première fois qu'elle avait l'occasion de contempler avec autant de minutie ces êtres qu'elle tenait tant à protéger.

- Laissez-moi tranquille ! protesta l'adolescente. Ne me touchez pas !

Elle repoussa violemment les doigts de la fille de Zeus avant de se lever d'un bond, puis de partir en courant, l'air terrifié. Athéna fronça les sourcils. Quelle réaction étonnante... Comment avait-elle pu l'effrayer à ce point ? Elle n'avait été que délicatesse.

- Attends ! s'exclama-t-elle en la prenant presque aussitôt en chasse. S'il te plaît, reviens !

La jeune fille paraissait agile. Elle se mouvait avec légèreté, en effleurant à peine la terre sous elle à chacune de ses foulées. Le jupon de sa robe, crasseuse et rapiécée, flottait dans son sillage. Elle était rapide, cependant elle ne faisait pas le poids contre une personne dotée de capacités physiques supérieures telle que la déesse.

- Je ne te veux aucun mal, affirma Athéna dès qu'elle l'eut rattrapée. Je t'assure. Tu peux me faire confiance.
- Qui êtes-vous ? interrogea l'autre d'une voix tremblante.
- Je...

Elle hésita. Que convenait-il de répondre ? Qu'était-elle exactement ? Une divinité ? L'association de Jirachi ? Cette pauvre humaine tremblait comme une feuille. De telles révélations auraient raison du peu de sang-froid qui lui restait, à condition bien sûr qu'elle la croit.

- Je m'appelle Athéna, déclara-t-elle simplement. Je suis ravie de te rencontrer. Tu es ?
- Pandore. Pandore Higlehow.
- Est-ce que tu veux bien me dire pourquoi tu étais si triste à l'instant, Pandore Higlehow ?
- En quoi cela vous intéresse-t-il ? Je ne vous connais pas. Je ne vous ai même jamais vue à Floraville auparavant.
- C'est parce que je viens juste d'arriver. J'ai passé ces derniers jours à observer ses habitants, mais toi aussi, c'est la première fois que je te vois. Ils sont tous très taciturnes, cependant tu le sembles être la plus peinée d'entre eux. Pour quelle raison ?
- Cela ne vous concerne pas. Laissez-moi, à présent. S'il vous plaît.

Sa réplique relevait davantage de la supplique que de l'ordre. Aucune autorité ne transparaissait dans sa voix et elle ne semblait pas en posséder beaucoup. Elle était mince, presque chétive, avec des joues creuses, comme si elle était mal en point.

- Tu me donnes l'impression d'être une humaine très particulière, constata Athéna.
- Comment ? Qu'avez-vous dit ?

La déesse se mordit la lèvre. Quelle erreur elle venait de commettre ! Les mortels se qualifiaient entre eux d'homme ou de femme, d'enfant ou d'adulte, mais sûrement pas d'humains. Comment allait-elle réparer cette sottise ?

- Que tu me sembles être quelqu'un de très spécial.
- Je ne suis pas spéciale du tout. Je ne suis qu'une pauvre fille qui n'a pas trouvé de quoi nourrir sa famille aujourd'hui.

Athéna ouvrit la bouche, puis la referma aussitôt. Pour elle, la notion d'alimentation était totalement étrangère. Les légendaires étaient exemptés de tous ces besoins bassement matérialistes, au contraire des créatures terrestres qui leur étaient soumises. Elle avait cependant étudié suffisamment le phénomène pour comprendre de quoi il était question.

- Que voulais-tu leur rapporter ?
- Je ne sais pas... avoua Pandore, penaude. N'importe quoi. Mon petit frère... Il grandit beaucoup, en ce moment, alors il a besoin de bien manger. Et ma soeur... Elle n'a que six ans. La pauvre, elle ne comprend pas pourquoi elle est privée de la sorte.
- Tes parents ne peuvent-ils pas se charger de cela ?
- Mon père a quitté la maison, il y a de cela plusieurs années. Il était convaincu qu'il n'y avait aucun avenir pour nous à Floraville, alors il a décidé d'aller chercher mieux ailleurs. J'ignore s'il y est parvenu. Toujours est-il qu'il n'est jamais revenu. Quant à ma mère, elle s'est éteinte dans d'atroces souffrances, au terme d'une longue maladie.
- Oh ! C'est épouvantable. Tous les autres sont-ils dans la même situation que toi ?
- Les autres ? Quels autres ? s'exclama Pandore, à moitié étonnée, à moitié offusquée.
- Les autres hum... habitants. Ils ont tous des mines si dépitées. Que se passe-t-il dans cet endroit ?
- La famine nous guette. Depuis des décennies, nous tentons de rendre fertile cette colline, en vain. Les rares pokémon que les Anciens ont réussi à dresser sont impuissants. Ils ne peuvent pas nous aider. Comme nous sommes également dépourvus d'argent, nous nous battons au quotidien pour assurer notre survie.

Athéna secoua la tête, le regard triste. C'était horrible. Comment des êtres vivants pouvaient-ils vivre dans de telles conditions ? Malgré les crimes qu'Arceus reprochait à Lilith, ses semblables ne méritaient décidément pas un sort pareil à celui-ci. Plus elle apprenait à les découvrir, plus elle était outragée par leur misère imméritée.

- D'où venez-vous ? demanda soudain Pandore.
- De loin. De très loin. D'un endroit si peu connu du reste du monde qu'il ne porte même pas de nom.
- Est-il meilleur qu'ici ?
- Je... Je n'en suis pas certaine. Nous nous disputons sans cesse entre nous. Nous ne sommes jamais d'accord sur rien et cela se termine toujours de façon désastreuse. Je ne souhaite à personne de connaître cela un jour.
- Dans la famille, nous ne nous disputons jamais. Il faut dire que nous ne sommes plus que trois et, comme je suis l'aînée, mes cadets savent qu'ils doivent m'obéir, que quoi que je fasse, c'est toujours pour leur bien.
- Ta dévotion est touchante, alors que tu es si jeune...
- Ce n'est pas comme si j'avais le choix, répliqua Pandore. Je suis la seule sur qui ils peuvent compter. Sans moi, ils mourraient. Je ne dois pas faillir, jamais, même lorsque je me sens si lasse que je voudrais m'endormir et ne jamais plus me réveiller.

Le discours de l'humaine avait profondément touché Athéna. Si elle en avait eu la capacité, elle aurait certainement versé une larme de compassion. De tous les légendaires, elle comptait parmi les plus émotives, contrairement à ceux qui, comme ses oncles, possédaient un coeur bardé de glace, propre à n'exprimer que la haine la plus farouche.

Pandore lui inspirait confiance. Elle avait l'impression qu'un lien invisible mais ténu l'attirait inextricablement vers elle. Alors que l'humaine l'observait, avec encore un soupçon de crainte, elle murmura :

- Ce sera toi.
- Je vous demande pardon ?
- Je... Rien. J'ai pensé à voix haute. Je vais devoir m'en aller, jeune demoiselle, mais je reviendrai très bientôt. J'escompte, ce jour-là, que nous ayons une très longue conversation.

Elle aurait aimé faire davantage pour Pandore, néanmoins cela lui était impossible. Utiliser ses pouvoirs publiquement aurait constitué un acte téméraire et irréfléchi, même pour lui venir en aide. De surcroît, elle n'était pas certaine de parvenir à se servir correctement de ses capacités, en particulier dans ce monde où les dimensions étaient différentes du sien. Une seule erreur de sa part pourrait avoir des conséquences aussi lourde que l'ouverture de la boîte de Cronos.

- Tu es très courageuse, Pandore. J'espère que la dureté de ton existence n'aura pas raison de cette tendresse qui t'anime. Résiste jusqu'à mon retour, je t'en prie.
- Pourquoi ? Rien n'aura changé à ce moment-là, ni même après, d'ailleurs.
- Va savoir, répondit simplement Athéna avec un clin d'oeil. Tu devrais faire preuve de davantage de foi. Prie le Ciel et le Ciel t'entendra.

"Moi, en tout cas, je t'entendrai..." songea-t-elle avant de tourner les talons, laissant l'humaine seule au milieu de ces champs désolés.

***
- Je l'ai trouvé, Arceus.

L'Alpha ne daigna se lever de son gigantesque trône qu'une fois que les portes de la salle se furent refermées dans le sillage d'Athéna. Il ne releva pas immédiatement, préférant se mettre à arpenter l'espace d'un pas lent. Au bout d'un long moment, il brisa enfin le silence.

- Tu as été fort rapide, toi qui te plais à réfléchir longuement avant de prendre une décision importante. Comment est-il ?
- Il est... une femme.
- Quoi ? rugit aussitôt le Créateur. Une femme ? Je commence à me demander si tu n'as pas simplement l'intention de créer une seconde Lilith, avec tes sottises.
- Elle n'a rien à voir avec elle. Elle est très différente, justement. Courageuse, franche, honnête et dévouée. Voilà les mots qui me viennent à l'esprit pour la qualifier.
- Les femmes ne sont bonnes qu'à nous briser le coeur, voilà tout. Isis en est l'exemple parfait, et pourtant elle fait partie des nôtres.
- Isis est... Elle a été prise entre deux feux, exactement comme...

Athéna n'acheva pas sa phrase. Arceus n'avait pas besoin de connaître les détails du triangle amoureux qu'elle formait avec Prométhée et Volupté, sans quoi il rentrerait certainement dans une colère noire. Pour lui, les sentiments n'étaient qu'une faiblesse ou une vanité, qu'ils ne prenaient pas la peine d'étouffer alors qu'ils en avaient la capacité.

- Elle s'appelle Pandore Higlehow.
- Higlehow ? Un deuxième prénom ?
- Je crois. Les humains en utilisent souvent, pour se différencier au cas où le premier serait identique. Ils sont beaucoup plus nombreux que nous, ce n'est pas à toi que je vais apprendre cela.

Arceus laissa échapper un soupir, que son interlocutrice ignora. Elle lui emboîta le pas, alors qu'il continuait à se déplacer d'un mur à l'autre, et marcha dans son sillage pendant qu'elle poursuivait son récit :

- Je suis convaincue que je n'aurais pas pu trouver mieux qu'elle. Tu n'as jamais posé de conditions sur le choix de l'humain, Arceus. Vas-tu revenir là-dessus ?
- Je... Non. Elle ou un autre... Qu'est-ce que cela change, dans le fond ? Je suis persuadé qu'elle va échouer.
- Pour l'avenir de l'univers, ainsi que pour le nôtre, j'espère que non. Il est tout de même question de Cronos, ce n'est pas rien.
- C'est un risque que tu as décidé de courir, Athéna. Tu n'hésites pas à mettre en danger notre espèce pour protéger la leur.

La déesse décida de ne pas répondre. C'était un ultimatum pour l'humanité que l'Alpha lui avait soumis, pas un véritable choix. Elle avait conscience de la menace, néanmoins elle était certaine d'avoir agi de la bonne façon. Elle n'aurait jamais pu se pardonner d'avoir laissé tout un peuple être condamné sur un jugement hâtif.

- La boîte, s'il te plaît, réclama-t-elle.

Pendant un instant, elle crut qu'Arceus allait se refuser à la lui remettre. Contrairement à Lilith, qui n'avait toujours eu qu'une seule parole, ce n'était pas son cas. Il n'hésitait pas à revenir sur la sienne à chaque fois que cela l'arrangeait. Elle fut donc légèrement surprise de le voir s'exécuter.

Elle s'empara du coffret sitôt qu'il se fut matérialisé devant elle. Il n'était pas très grand, même si elle préférait le tenir à deux mains par mesure de précaution. Une simple chute pourrait suffire à le fissurer et permettre à Cronos de se faufiler à l'extérieur. Même captif, elle parvenait à sentir son aura maléfique.

- J'espère pour toi que tu n'auras pas à le regretter, murmura le Créateur avant de lui tourner le dos.
- Dans ce cas, j'en assumerai la pleine responsabilité et je ferai mon possible pour réparer mes erreurs. Je ne resterai pas en retrait, à laisser les conséquences de mes actes réduire le monde en fumée, moi.

***
Athéna scrutait les alentours, cherchant Pandore du regard. Elle ne l'apercevait nulle part, et elle ignorait laquelle des masures en bois qui l'entourait était la sienne. Comme elle perdait son temps à guetter son apparition, elle se rendit dans les champs qui bordaient le village.

Elle les observa avec attention, d'un air désolé. Dire qu'il aurait suffi d'un peu de magie pour rendre cette terre fertile... Kukulkan, Circé et peut-être même Isis en possédaient certainement le pouvoir, cependant Arceus lui avait interdit de venir en aide aux humains d'une quelconque façon tant qu'ils n'auraient pas réussi son test.

Elle regrettait amèrement cette contrainte, néanmoins sa loyauté envers l'Alpha l'obligeait à s'y soumettre. C'était contre son gré qu'elle laissait donc ces humains mourir de faim et de désespoir quand elle connaissait pourtant des êtres susceptibles de les sauver de leur misère.

- C'est vous ? lança soudain une voix.

La déesse se retourna et un léger sourire étira ses lèvres. Elle avait reconnu le timbre de Pandore bien avant de distinguer ses traits. Son visage semblait encore plus las que lors de sa précédente visite, signe que ses problèmes ne s'étaient pas arrangés depuis lors. Athéna se sentait navrée pour elle, ainsi qu'un peu coupable de son impuissance forcée.

- Oui, c'est moi. Tu tombes bien, tu es précisément la personne que je voulais voir.
- Pourquoi ? Vouliez-vous me dire quelque chose d'important ?

La jeune fille portait une robe crasseuse, rapiécée par endroits, et ses mains étaient sales d'avoir trop travaillé. Elle passa ses doigts dans ses cheveux bruns, collés entre eux par la poussière, avant de s'avancer vers la déesse, qui lui répondit aussitôt :

- En effet. Y a-t-il un endroit où nous pourrions discuter tranquillement, sans risquer d'être interrompu ou écouter par quiconque ?
- Hum... Je peux vous conduire chez moi. Mon frère et ma soeur seront là, mais je les enverrai dans la chambre. Vous m'effrayez, Athéna. Est-ce grave ?
- Pas ici. Je te suis, emmène-moi chez toi.

Pandore ne se le fit pas répéter. Elle n'était plus aussi méfiante que lors de sa première rencontre avec cette mystérieuse inconnue. Elle ne savait quasiment rien de plus d'elle, toutefois son instinct lui soufflait sans cesse qu'elle pourrait mettre aveuglément sa vie entre les mains de cette femme. Quelque chose, une force irrépressible, semblait lui inspirait confiance en elle.

Elle avait un peu honte de la guider jusqu'à sa masure. Malgré les vêtements qu'elle portait, elle était convaincue qu'Athéna était plus qu'une simple paysanne. Elle avait un maintien noble et une façon de s'exprimer qui relevait d'une éducation que les pauvres étaient incapables de s'offrir.

Sa maison était minuscule. En bois, que l'humidité commençait sérieusement a malmené, elle n'était constituée que de trois pièces. La plus spacieuse d'entre elles servait à cuisiner et à prendre les repas. Dans la seconde, sa famille entreposait toutes les affaires qui pouvaient leur être utiles ou qu'ils auraient l'occasion de revendre au marché. Quant à la troisième, il s'agissait de la chambre, où Pandore et les siens dormaient sur des matelas usés à même le sol.

- C'est ici que tu vis ? souffla Athéna en pénétrant à l'intérieur.

Elle écarquilla les yeux. Cet endroit était un véritable taudis. Comment l'humaine avec laquelle elle avait sympathisé parvenait-elle à supporter la médiocrité des lieux, qu'il lui fallait partager avec son frère et sa soeur ?

Ces derniers étaient assis, chacun sur une chaise bancale. Ils avaient la peau plus sombres encore que celle de leur aînée, à cause de la saleté qui la recouvrait. Les bains ne paraissaient pas être récurrents pour eux. Leur regard ne possédait pas l'innocence des autres enfants. Il exprimait déjà une certaine dureté, que seuls les adultes acquéraient pourtant au fil des années de malheur.

- Bonjour, déclara doucement Athéna, car ils paraissaient aussi effrayés que leur soeur lors de leur première rencontre.

Elle se présenta et, rendue mal à l'aise par leur mutisme, Pandore exigea d'eux qu'ils en fassent autant. Elle ne voulait pas qu'ils se montrent malpolis à l'égard de leur hôte, elle qui semblait si raffinée. Ce fut donc en bredouillant que le garçon, qui lui arrivait à peine au milieu du buste, déclina son identité :

- Je suis Antonin, madame. Et elle, c'est Joséphine. Elle ne parle pas beaucoup, elle est très timide.

Athéna leur adressa un sourire emprunt de tendresse à tous les deux, avant de répondre avec politesse qu'elle était charmée de rencontrer des enfants aussi adorables. A l'exception d'Horus dans les premiers temps qui avaient suivi sa naissance, elle n'avait jamais vu d'aussi petites créatures humaines.

- Vous voulez bien nous laisser seules ? s'enquit Pandore. Il nous faut discuter. Tenez, j'ai quelque chose pour vous occuper, pendant ce temps.

La fille de Zeus l'observa, intriguée, tandis qu'elle sortait de sa poche trois bâtonnets de couleurs distinctes. Pour elle, il n'avait rien d'extraordinaire, mais les yeux d'Antonin et de Joséphine se mirent à pétiller dès qu'ils les aperçurent.

- Oh, merci ! s'exclamèrent-ils en choeur. Merci infiniment, Panny !

Ils sautèrent dans les bras de leur aînée pour l'embrasser avec effusion, avant qu'elle ne leur remette ces étranges objets qui leur plaisaient tant. Ils les prirent avant autant de précautions qu'Athéna elle-même manipulait le coffret de Cronos, puis disparurent derrière la porte grinçante qui donnait sur la chambre.

- De quoi s'agit-il ? interrogea-t-elle, curieuse.
- De la craie. Ils s'en servent pour dessiner par les murs afin d'égayer cette maison. Toutes celles qu'ils possédaient ont fini par s'user et devenir inutilisables, alors ce matin, j'ai vol... trouvé celles-ci, pendant que je faisais le tour du marché.
- Cela les amuse-t-il ?
- Je n'ai pas les moyens de leur offrir de véritables jouets, hélas. Ils doivent s'en contenter. Je vous en prie, Athéna. Asseyez-vous.

Pandore lui désigna l'un des sièges en bois que les enfants avaient laissé vacants. Elle s'installa sur l'un d'eux et son interlocutrice ne tarda pas à l'imiter. Elle brûlait d'entendre ce qu'elle avait à lui dire.

La déesse redoutait de lui exprimer le véritable motif de sa présence en ces lieux. L'humaine la prendrait certainement pour une folle dès qu'elle aurait commencé son récit et elle ne pourrait lui tenir rigueur d'une pareille réaction. Toute cette histoire serait si abracadabrante pour quelqu'un comme elle.

- Voilà... débuta-t-elle avant de s'interrompre un court instant. Si je suis ici aujourd'hui, c'est parce que... Je suis une envoyée.
- Une envoyée ? répéta immédiatement Pandore, non sans une certaine stupeur. De qui ? Est-ce... Les autres villageois vous ont-ils... Ce n'était... Je n'ai pas... Quelques baies, rien de plus. Je sais que je l'ai fait souvent, ces derniers temps, mais... Je n'avais pas le choix.
- De quoi parles-tu ? interrogea Athéna, qui ne comprenait rien à la tournure que prenait soudain la conversation.
- Je... Ce ne sont pas les habitants de Floraville qui vous ont demandé de venir et de...
- Non, absolument pas. Je suis là sur ordre de quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un se nomme Arceus.

Elle ne s'attendait pas à ce que Pandore réagisse à la mention de ce nom, pourtant elle le fit. Sa bouche s'entrouvrit pour demeurer bée durant une longue minute, tandis qu'elle battait des paupières à une vitesse déraisonnable, l'air incrédule. D'un ton presque émerveillée, elle s'exclama :

- Arceus ? Ainsi donc, il existe réellement ?
- Oui, bien sûr, mais... Une minute... Tu as déjà entendu parler de lui ?
- Evidemment ! Lors des fêtes traditionnelles de Floraville, qui ont lieu une fois l'an, nous nous rassemblons autour des Anciens, qui nous content des histoires se rapportant à l'origine du monde.

Athéna n'en croyait pas ses oreilles. Comment les humains pouvaient-ils être au courant de l'existence de l'Alpha ? Pire, que savaient-ils d'autre encore ? Cette connaissance inattendue la désemparait et elle craignait d'en découvrir l'étendue. Décidément, ces individus étaient pleins de surprise.

- Ces histoires... D'où les tiennent-ils ?
- Du Grand Dragon Noir. D'après ce que les Anciens racontent, il serait un jour apparu au sommet du Mont Couronnée, qu'il aurait gagné depuis une autre dimension, celle dans laquelle il vit, afin de rendre visite aux hommes. Il pensait que, sans connaître nos origines, nous ne pouvions avoir d'avenir, alors il nous en a parlés. Il nous a révélé le secret de la naissance de l'univers, ainsi que beaucoup d'autres choses.
- La légende dit-elle pourquoi il a agi de la sorte ?
- Oui. Parce qu'il aimait l'une des nôtres et qu'il voulait que le peuple auquel elle appartenait soit digne de son rang. Il existe cependant de nombreuses versions du mythe et la plupart d'entre elles sont tellement invraisemblables qu'il est difficile de les croire. Plusieurs points se retrouvent néanmoins dans les divers récits. Il est question d'Oiseaux, capables de maîtriser le climat, de Golems, en mesure de créer la matière, et de maintes autres créatures.
- Des créatures ? Des pokémon, tu veux dire.
- Des pokémon, certes, mais pas comme ceux que nous avons l'habitude de côtoyer. Ils sont nettement plus puissants, presque... légendaires. Et apparemment, ils ne sont pas les seuls. Il existe également des humains identiques à eux, qui possèdent des dons exceptionnels à même d'influencer les lois de l'univers. Athéna, vous qui me semblez si cultivée... Croyez-vous qu'il y ait un fond de vérité, là-dedans ?

L'intéressée ne releva pas tout de suite. Le Grand Dragon Noir, avait dit Pandore... Giratina. A l'insu de tous, il s'était rendu dans le monde d'en-bas afin de révéler la vérité aux hommes sur leur création. Contrairement à ce qu'elle avait cru en se rendant sur Terre pour la première fois, ils n'ignoraient pas l'existence de la Confrérie. Au contraire, ils en savaient même bien trop à son sujet, ce qui ne serait pas du goût d'Arceus.

- Il semblerait que mon histoire vous ait captivée, car vous ne prononcez plus le moindre mot. J'en connais d'autres, si vous souhaitez les entendre. Il y a par exemple celle de l'immense Chien à la crinière de feu, dont les pouvoirs sont aussi brûlants que la lave en fusion. C'est peut-être un peu trop rocambolesque pour être vrai, non ?
- Non... murmura Athéna. Il s'appelle Entei.
- Entei ? Ainsi, vous connaissez déjà ce récit. Et avec plus de détails que moi, visiblement. Accepteriez-vous de partager votre savoir avec moi ?
- Tu te trompes, Pandore. Ce n'est pas ce récit que je connais, mais le Chien lui-même, à l'instar de ces légendaires que tu viens d'évoquer à l'instant. Oui, Arceus existe bel et bien. Oui, il a créé le monde. Oui, le Grand Dragon Noir, puisque c'est comme cela que le nomme, s'est éprise de l'une des vôtres. Il en a d'ailleurs payé le prix, et vous aussi.
- Comment cela ?
- Arceus, le jour où il a eu vent de cet amour qu'il qualifiait d'interdit, est rentré dans une colère noire. Pour se venger, il a exilé Giratina, le Grand Dragon Noir, dans le Monde Inversé où il règne en maître absolu, mais terriblement seul. A cause de l'acte de cette humaine, amoureuse d'un pokémon, il a décrété que toute votre espèce était indigne de son attention et, depuis lors, il a cessé de veiller à l'équilibre du monde, de même que chacun de ses sbires.
- Est-ce pour cette raison que la désolation parsème Sinnoh ?
- Je suppose que oui.
- Comment êtes-vous au courant de toutes ces choses ? Nos récits ne sont pas aussi complets. Et ce Chien... Où l'avez-vous rencontré ?
- Je suis l'une des leurs, Pandore. Je fais partie de ceux que vous qualifiez, exactement comme nous, les "humains légendaires".

La jeune fille ouvrit des yeux ronds, incrédule. Elle ne parvenait pas à croire les mots qui venaient de sortir de la bouche d'Athéna. Si ce qu'elle disait était vrai, cela faisait d'elle une divinité. Que faisait une divinité dans sa misérable masure ? C'était absurde. Tout cela n'avait aucun sens.

- Tu es sceptique, n'est-ce pas ? Je peux le comprendre. Je perçois les émotions des gens.
- Vous disposez donc de pouvoirs, comme les pokémon ?
- D'une certaine façon, oui, mais les miens sont... particuliers.
- Particuliers ? interrogea Pandore. Dans quel sens ?
- Ils sont très puissants. Trop puissants. Assez pour détruire votre village si l'envie m'en prenait.
- Et pour lui insuffler une nouvelle vie ?

Athéna inspira profondément. Malgré la stupeur dont son interlocutrice ne s'était pas encore totalement remise, elle voyait avec précision où elle souhaitait amener la conversation. Choisissant de prendre un raccourci, elle répondit sans détour :

- Moi, je n'en suis pas certaine, mais quelques-uns de mes semblables le pourraient, cependant ils ne le feront pas.
- Pourquoi ? C'est... C'est injuste. S'ils ont la capacité de nous aider, pourquoi nous laisser vivre ainsi ? Ceux qui ne sont pas emportés par la maladie meurent de faim, et ceux qui quittent Floraville pour migrer vers d'autres territoires, comme mon père, ne reviennent jamais. Vous êtes témoin, vous avez vu nos conditions de vie... Je vous en prie, essayez de les convaincre.
- Je le désire du plus profond de mon coeur, mais j'en suis incapable. La Confrérie, c'est-à-dire l'ensemble des humains légendaires, n'obéit qu'aux ordres d'Arceus. Il nous a interdit de vous venir en aide.
- Ne pouvez-vous le faire changer d'avis ? Je suis certaine que vous savez vous montrer persuasive.
- Moi, non. Toi, en revanche...
- Moi ? s'étonna Pandore. Enfin, c'est idiot ! Je ne suis qu'une pauvre fille... Même pas encore une femme ! Comment serais-je capable de convaincre un dieu de nous porter secours si tel n'est pas son dessein ?

Athéna la regarda dans les yeux. En cet instant, elle semblait si frêle, si fragile... Avait-elle vraiment les épaules assez larges pour endosser la responsabilité de la tâche qu'elle avait l'intention de lui confier ? Oui. Elle élevait seule un frère et une soeur en bas-âge, qu'elle n'avait même pas les moyens de nourrir à leur faim. Cela faisait sûrement d'elle la plus courageuse des mortels, sous son apparence chétive.

Après avoir pris une profonde inspiration, la déesse se lança dans un long récit, qui résumait en détails les attentes d'Arceus. Elle lui parla de Lilith, de son "erreur" qu'il fallait effacer et dont l'humanité tout entière devait se repentir. Quand enfin, elle arriva au terme de ses explications, elle fit apparaître le coffret de Cronos devant elle, par enchantement, ce qui émerveilla Pandore.

- C'est donc cette boîte que l'Alpha désire me confier ? Que contient-elle ?
- Tu dois l'ignorer. Si tu sais ce qu'il y a dedans, cela atténuera la tentation que tu risques d'éprouver, or il faut qu'elle soit intacte.
- Il n'est pas très grand. J'imagine donc qu'il ne s'agit pas d'un objet aussi important que l'on voudrait bien me le faire croire.
- Ne le juge pas à sa taille, c'est la seule chose que je peux te dire. Pandore, l'avenir de toute l'humanité est littéralement entre tes mains. Si tu soulèves ce couvercle, ne serait-ce qu'un bref instant, nous le saurons. Ce jour-là, tu condamneras ton espèce à cette existence misérable que tu déplores tant, voire pire. Arceus ne fera plus jamais preuve de clémence à votre égard.
- Et si je ne l'ouvre pas ?
- Les légendaires reprendront leur oeuvre dans le monde d'en-bas et rétabliront l'équilibre qui tend à disparaître.
- Cette boîte... Vais-je devoir la conserver close jusqu'à la fin de ma vie ou aurais-je l'occasion de jouir moi aussi des fruits de ma réussite avant de mourir ? Oh, je ne dis pas cela pour moi, bien sûr, mais parce que j'aimerais avoir l'occasion de voir Antonin et Joséphine être enfin heureux.
- Je ne peux répondre à cette question. Le test se prolongera tant qu'Arceus le jugera utile. Attends-toi tout de même à ce qu'il soit relativement long. Nous disposons de l'éternité, aussi nous considérons le temps d'une façon bien différente de la vôtre.

Pandore étendit une main hésitante en direction de la boîte, qu'elle effleura du bout des doigts. A peine l'eut-elle touchée qu'elle retira promptement sa main. Le matériau dans lequel elle avait été fabriquée, et qui semblait être un simple bois, était en réalité glacé. C'était sûrement la résultante d'une quelconque magie.

- Je sais que je ne dois pas douter de la parole du Tout-Puissant, mais... Si je réussis, puis-je être certaine qu'il tiendra sa promesse ?
- S'il ne le fait pas, je m'assurerai moi-même qu'elle soit respectée.

"Et je pourrai toujours mettre Némésis au courant de toute l'affaire s'il tente de m'en empêcher", ajouta-t-elle mentalement. Athéna poussa le coffret vers Pandore, qui l'observa avec méfiance. Elle savait qu'elle se trouvait face à une proposition qu'elle ne pouvait refuser, cependant elle redoutait de porter seule l'avenir du monde sur ses épaules.

- Si cela peut te rassurer, c'est moi qui t'ai choisie. Je ne l'aurais pas fait si je ne t'avais pas juger à la hauteur. Tu es juste et tu es brave. Deux qualités que je loue plus encore chez les humains que chez nous.
- Si vous avez confiance en moi, alors... Alors j'imagine qu'il me faut également me fier à vous. D'accord. Je conserverai cette boîte sans l'ouvrir, puisque c'est ce que l'on attend de moi. Cette misère ne peut plus durer. Puisque j'ai l'occasion d'y mettre un terme, je le fais.
- Je n'en attendais pas moins de toi. Prends-la. Elle est à toi, désormais. Manie-la simplement avec la plus grande prudence, car un accident est souvent trop vite arrivé.

Au moment où les mains de Pandore se posèrent de part et d'autre du coffret pour le soulever, un coup de tonnerre déchira le silence et un courant d'air froid s'engouffra sous la porte pour venir faire chuter la température de la misérable pièce. Le démon réagissait à cet incongru changement.

***
- Non ! Voilà que ceci recommence !

Lugia scrutait Némésis avec inquiétude. Alors qu'elle marchait le long d'un couloir de la Salle Originelle, elle s'était brutalement affaissée le long de mur, le corps parcouru de tremblements et la peau couverte d'une fine pellicule de sueur qui luisait dans la clarté environnante.

- Encore ton mauvais pressentiment ?
- Il était plus intense que la première fois. Que se passe-t-il, d'après toi ? Je ne devrais pas éprouver de tels sentiments, n'est-ce pas ?
- Non, en effet. De quoi as-tu peur, Némésis ? Tu es invulnérable. Personne ne peut rien contre toi, pas même Arceus.

La déesse se redressa. Ses jambes étaient légèrement flageolantes, néanmoins elle soutenait son poids. Elle s'apprêtait à approuver les propos de Lugia d'un hochement de tête lorsqu'une pensée fugace traversa son esprit. Au lieu d'esquisser le moindre mouvement, elle entrouvrit les lèvres et souffla dans un murmure à peine perceptible :

- Personne, sauf...

***
- Puis-je savoir où vous étiez passée au cours de ces derniers jours ?

Une autorité naturelle se dégageait de Némésis, aussi bien dans sa voix et dans ses gestes que dans son allure, ce qui contraignait les autres légendaires à lui obéir au doigt et à l'oeil, de crainte d'éveiller son courroux. Athéna faisait exception à la règle : contrairement au reste de la Confrérie, elle ne la craignait pas. En dépit de cela, elle la respectait également trop pour songer à l'offenser.

- Sur Terre. Arceus m'a enfin permis de découvrir le monde d'en-bas. Ce fut très instructif.
- Vraiment ? Lui qui vous l'a toujours interdit, il a cédé si facilement ? Cela m'étonne.
- Facilement est un grand mot, puisque je le suppliais de m'accorder cette faveur depuis des lustres. Mon absence vous a-t-elle dérangée d'une quelconque façon ? Si c'est le cas, vous m'en voyez navrée.
- Non, absolument pas, répondit aussitôt Némésis d'un ton sec, qu'elle ne parvenait à adoucir même lorsqu'elle le désirait. J'avais simplement une petite question à vous poser. Vous permettez ?
- Evidemment.
- Depuis quelque temps déjà, je suis victime d'événements particulièrement étranges. Un mauvais pressentiment m'étreint régulièrement. Je suis convaincue qu'il va se produire quelque chose de grave, cependant je ne peux prévoir à l'avance ce dont il s'agit. Avez-vous la moindre connaissance à ce propos ?
- Non.

La réponse brève et donnée sans hésitation d'Athéna éveilla les soupçons de la Justice. Sa hâte lui avait paru trop précipitée pour être honnête. En proie au doute, elle décida d'insister :

- Les Zarbis ne vous ont-ils averti de rien ?
- Némésis, votre savoir est presque aussi grand que le mien et j'imagine ne rien vous apprendre en vous rappelant que j'utilise leur pouvoir aussi peu que possible.
- Pas même pour observer Lilith ? Est-ce cela ? Prépare-t-elle une vengeance à l'encontre d'Arceus ?
- Je mentirais en vous affirmant que cette idée lui est étrangère. Sa haine à son encontre, déjà immense, ne cesse de s'accroître au fil des jours. Je ne pense toutefois pas qu'elle représente une menace dans l'immédiat.
- Très bien, dans ce cas... Rien d'autre ?
- Absolument rien.

Athéna soutint le regard ténébreux de Némésis, une prouesse dont elle seule était capable. Cela ne suffit pas à convaincre cette dernière de sa franchise pour autant. Elle était persuadée que la fille de Zeus lui dissimulait une information capitale. Quelle qu'elle soit, elle la découvrirait.

***
Pandore regarda, dépitée, la maigre pitance qui leur servait de déjeuner. Elle-même n'avait rien d'autre à avaler qu'une baie oran, car elle avait gardé le reste des denrées qu'elle était parvenue à trouver pour son frère et sa soeur. Ceux-ci engloutissaient leur contenu de leurs assiettes, affamés.

Ils sortaient généralement de table avec la faim, mais ils avaient appris à ne plus se plaindre depuis longtemps. Ils savaient les efforts que leur aînée faisait pour les nourrir convenablement, bien qu'ils ne soient pas récompensés à leur juste valeur.

- Dis, Panny, la jolie dame qui est venue te rendre visite, l'autre jour... Est-ce qu'elle va bientôt revenir ? demanda Joséphine d'une voix fluette, alors qu'elle léchait goulument sa cuillère.
- Je ne crois pas qu'elle en ait l'intention. Elle est originaire d'une contrée très lointaine et elle a dû repartir là-bas.
- Oh... Pourquoi ?
- Parce que c'est là-bas qu'est sa place.
- Et nous, la nôtre ? Elle est ici ?

Pandore contempla le visage juvénile avec tristesse. Elle réprima le soupir qu'elle brûlait de pousser et caressa les cheveux sombres de sa cadette dans un geste affectueux, avant de répondre :

- Je suppose que oui.

Elle attendit quelques minutes qu'ils aient terminé pour de bon, avant de porter la vaisselle dans un baquet d'eau, qu'elle avait été tirer au puits du village. Elle avait eu du mal à le transporter jusque-là car, à cause de sa sous-alimentation, ses forces l'abandonnaient progressivement. Elle ne devait pas faillir, cependant. Qui s'occuperait des enfants si elle n'était plus en mesure de le faire ? Les gens se souciaient de leurs propres problèmes avant d'endosser ceux des autres et nul ne pouvait leur en vouloir d'agir de la sorte, pas même elle.

Elle s'appuya contre le mur, lasse. Elle aurait voulu s'accorder une légère sieste, mais elle avait encore trop à faire pour se le permettre. Elle plaqua une main humide contre son front, inspira profondément, puis se remit à l'ouvrage en s'efforçant d'oublier les mouches qui dansaient devant ses yeux.

Elle ignorait de quoi saurait fait leur prochain repas. Elle n'avait même pas rapporté suffisamment de nourriture pour le déjeuner et il ne lui restait plus rien en réserve, hormis quelques noyaux de baies pêchas abandonnés sur le sol, avec lesquels Antonin et Joséphine jouaient parfois aux billes.

Les larmes affluèrent à la commissure de ses paupières lorsqu'elle retroussa ses manches. Ses bras étaient couverts de coupures sanguinolentes, qu'elle devait à la colère des Etourmi sauvages. Elle avait tenté d'en capturer un, mais sa horde et lui l'avaient sévèrement punie pour son acte. Ils l'avaient blessée en maints endroits, à coup de becs et de serres. Dire qu'elle avait simplement voulu s'assurer qu'ils auraient au moins toujours des oeufs pour se sustenter...

Elle essuya ses pleurs d'un revers de poignet avant de se remettre à l'ouvrage. Elle ne devait pas se laisser abattre. Elle n'en avait pas le droit. Ainsi qu'Athéna le lui avait affirmé, elle l'avait choisie. Elle devait se prouver à elle-même que ce n'était pas sans raison qu'elle avait été élue par une déesse.

***
Si Athéna ne revit pas Pandore au cours des mois qui suivirent, elle continua de se rendre régulièrement dans le monde d'en-bas, sans prendre la peine d'en informer Arceus, et encore moins son père qui aurait eu tôt fait de le lui répéter.

A présent qu'elle avait eu vent de l'action de Giratina, elle ne pouvait s'empêcher de l'approuver au fond d'elle-même, et s'était mise en tête de mener sa tâche à bien. Il avait raison sur un point plus que sur tous les autres : les humains devaient savoir d'où ils venaient.

C'était le seul moyen pour eux de ne pas se sentir responsable de leur situation, car ils en étaient victimes. Elle voulait les aider à relever la tête, leur donner l'espoir d'attendre des jours meilleurs, un jour où les dieux décideraient de se montrer à nouveau cléments envers eux.

Elle ne révéla jamais sa véritable identité à quiconque, à l'exception de Pandore qui la connaissait déjà, mais parcourut les diverses régions du monde afin de leur transmettre un savoir qu'ils méritaient de posséder. Ainsi, les mythes pourraient perdurer, pas seulement à Sinnoh où Giratina s'était déjà chargé de les diffuser, mais également à Hoenn, Fiore, Kanto...

Elle ne s'absentait jamais bien longtemps de la Salle Originelles car, depuis quelque temps, Némésis gardait constamment un oeil sur elle. Athéna craignait qu'elle soupçonne la vérité au sujet du test d'Arceus, néanmoins elle n'avait aucun moyen d'être au courant. Personne, en dehors d'elle-même, n'avait la clé de la connaissance absolue, dont elle jouissait aussi peu que possible.

***
Un immense bloc de pierre transperça la surface de l'eau pour s'élever élégamment. Des gouttelettes cristallines scintillaient d'un sublime éclat sur la roche, lui donnant l'air d'être ornée de milliers de minuscules diamants. Une arche démesurée permettait d'accéder à l'intérieur.

- N'est-ce pas un peu... ostentatoire ? interrogea Lugia.
- Je suis Némésis. Rien n'est trop grand ni trop beau pour moi. Poséïdon a un temple au fond de l'océan, Aphrodite se réfugie constamment au Mont Braise lors de chacune de ses venues, Hercule a bâti son édifice de ses mains dans la Forêt de Frimapic... Pourquoi serais-je la seule à ne pas avoir mon havre dans le monde d'en-bas ?
- Parce que tu n'y viens jamais. Tu es la seule légendaire que cet univers et les différences espèces qui l'habitent ne concerne pas. Pourquoi t'y rendre aujourd'hui ?
- J'ai besoin de réfléchir. Malgré l'enquête que j'ai mené dans la Salle Originelle, je ne sais toujours pas ce qu'Athéna tente de me dissimuler.
- Allons bon... Comment pourrait-elle être plus maligne que toi ?

Némésis, qui s'apprêtait à franchir le seuil de sa splendide construction, s'immobilisa. Un rictus tordit ses lèvres, sans altérer pour autant la beauté qui était la sienne. Les mains sur les hanches, elle pivota sur elle-même pour s'orienter face à Lugia, posé dans son dos, et l'observer avec dureté.

- Je crains que, sur ce point-là, tu ne sois comme tous les autres. Tu te laisses abuser par ce qu'elle paraît être, et par ce que Zeus et Arceus veulent bien nous faire croire. Athéna est à des lieues de l'image qu'elle donne d'elle. Je le sais. Je commettrai une erreur fatale en songeant que, contrairement au reste de la Confrérie, je n'ai rien à redouter d'elle.
- Tu le saurais également si elle était mauvaise. Sa magie est blanche et son âme est pure. Elle est au service du bien.
- Au service du bien, mais aussi d'Arceus qui, depuis la révélation de Lilith et Giratina, a radicalement changé d'attitude envers le monde entier. Elle lui est loyale, par rapport à Zeus. Elle ferait tout pour lui.
- A quoi penses-tu ? Qu'en dépit de ton interdiction, il se soit mis en tête de localiser Lilith et de la tuer ?
- Non. S'il avait dû outrepasser mes ordres, il l'aurait déjà fait. Il n'a aucune patience, il n'aurait pas attendu si longtemps pour cela. Qui plus est, ce serait dans le fond un fait sans gravité. Pas de quoi éveiller chez moi ce mauvais pressentiment qui me perturbe tant.
- N'as-tu toujours pas la moindre idée de ce dont il pourrait s'agir ?
- Peut-être que si... Plus le temps passe et plus j'ai l'impression que ce sentiment se précise. Je me doutais déjà que des heures sombres étaient à prévoir. A présent... Je suis convaincue que les événements futurs vont me dépasser.
- Te dépasser ? Toi ? Comment est-ce possible ?
- Si Athéna est derrière tout cela, rien n'est impossible, tiens-toi-le pour dit.
- Alors tu t'es rendue sur Terre dans l'espoir d'y être à l'abri ?
- Bien sûr que non. Je ne suis pas lâche, je ne fuis pas. Au contraire, je suis là pour trouver un moyen de pallier cette menace que j'anticipe avant qu'elle ne survienne. Peu importe ce qui se produira, je n'hésiterai pas à me battre si cela s'avère nécessaire. Ce sera... à leurs risques et périls, conclut-elle avec un sourire mauvais.

***
Athéna ferma doucement les paupières. Le ballet de ses Zarbis autour d'elle l'apaisait. Elle se serait sûrement assoupie si le sommeil lui était nécessaire, ce qui n'était pas le cas. Ils émettaient des sons étranges, sonnant comme une véritable mélodie aux oreilles de leur maîtresse.

En dépit des scrupules qu'elle avait à ne pas utiliser leur pouvoir de connaissance, elle avait décidé de faire une entorse à ses principes. Elle les avait sommés de l'avertir, juste après avoir confié la boîte à Pandore, de l'avertir si jamais celle-ci menaçait de l'ouvrir. Grâce à leur capacité d'anticipation, ils seraient en mesure de prévoir un tel événement à temps pour qu'elle l'empêche d'agir et éviter ainsi la résurrection de Cronos.

Plus les semaines et les mois s'écoulaient, cependant, et plus elle jugeait cette mesure inutile. A quelques reprises, elle avait observé la jeune humaine. Elle n'avait jamais été tenté de soulever le couvercle du coffret. Elle respectait pour l'heure sa part du marché à la perfection. Tiendrait-elle aussi longtemps qu'Arceus l'estimait nécessaire ? Athéna l'espérait.

***
- Est-ce que tu gardes toujours un oeil sur ta fille ?

Zeus acquiesça d'un hochement de tête, agenouillé face au trône d'Arceus. Celui-ci le toisait de toute sa hauteur, le regard méprisant. Un souffle bruyant s'échappa de ses naseaux lorsque son humain se redressa.

- Si je puis me permettre... Ne serait-ce pas plutôt cette humaine qu'il faudrait surveiller ? Cette... Pandore ?
- Inutile. Je suis persuadé que, si elle dénotait la moindre intention d'ouvrir la boîte, Athéna s'empresserait d'intervenir et me dissimulerait sans remords son échec.
- Ma fille est honnête, Arceus. Jamais elle...
- Elle aime les humains, bien que j'ignore pour quelle raison absurde. Elle serait prête à tout pour eux, même à me mentir.
- Je ne le permettrai pas.
- Alors ne la perds pas de vue. C'est tout ce que je te demande.

Zeus s'inclina avec respect. Comme il pensait que l'Alpha en avait terminé avec lui, il s'apprêtait à se redresser et à quitter l'immense salle, lorsque le légendaire reprit la parole de sa voix profonde :

- Quant à sa volonté de parler de nous à ces moins que rien... Je ne peux rien dire pour l'instant, sans quoi elle saura que je la fais surveiller, mais dès que cette histoire sera close, elle regrettera amèrement de s'être montrée aussi volubile. Je savais que ce n'était pas une bonne idée de la laisser au contact de ces insignifiantes créatures.

Un éclair d'inquiétude illumina la prunelle de Zeus, cependant il ne prononça pas le moindre mot. Il savait qu'Athéna avait été trop loin en mentionnant leur existence aux humains, pourtant cela ne l'empêchait pas de craindre le châtiment qu'Arceus lui réservait lorsque le moment serait venu. D'un autre côté, il préférait la voir subir son courroux plutôt qu'une sentence de Némésis.

***
- Presque deux années entières de travail pour parvenir uniquement à cela ? commenta Lugia, non sans un certain scepticisme.
- Cela ? As-tu la moindre idée de ce dont il s'agit ?

Une sphère mauve lévitait au-dessus de la paume de Némésis, à quelques centimètres à peine de sa peau. Elle tournoyait sur elle-même en émettant une faible lumière et un bruit lugubre, semblable à un Requiem, paraissait s'en échapper. Elle la contemplait avec fierté non dissimulée.

- Je suppose que ce n'est pas une simple boule lumineuse ?
- Non, en effet. C'est mieux que cela. C'est le type spectre, à l'état brut.
- Le type spectre ? répéta l'oiseau blanc, abasourdi. Comment est-ce possible ?
- Il y a là-dedans une énergie similaire à celle contenue dans les plaques d'Arceus, qui lui donne le pouvoir de contrôler un autre élément que le sien. A ceci près que cette petite merveille n'est pas destinée à un pokémon... mais à un humain.
- Serais-tu devenue folle ? Les humains... Que peuvent-ils t'apporter, Némésis ? Rien. Je croyais que tu mettais tout en oeuvre pour repousser ton mauvais pressentiment, mais je commence à me demander s'il ne t'a pas déjà rendue folle.
- Au contraire, je ne me suis jamais sentie aussi sensée que maintenant. Les humains ne peuvent effectivement rien m'apporter tant qu'ils sont comme ils sont. Avec cela, ils vont... évoluer, en quelque sorte. Devenir plus puissants. Développer des compétences qui feront d'eux des êtres à part.
- C'est donc cela ? Tu veux te créer une armée d'hybrides, mi-mortels, mi-typés ?
- Exactement. Dix-sept humains, pour les dix-sept plaques d'Arceus. Lorsque je les aurais rassemblé autour de moi, même Athéna ne pourra plus m'atteindre, si c'est vraiment ce qu'elle mijote. J'espère seulement que j'aurai le temps pour cela. En attendant, je sais déjà par qui je vais commencer.

***
- Panny ! Panny, réveille-toi !

Antonin secoua avec violence le bras de Pandore, qui peinait à émerger du sommeil. Elle s'était couchée très tard, la veille, comme chaque nuit depuis qu'elle avait trouvé un petit travail domestique dans l'une des rares familles aisées de Floraville. Cela l'éreintait, mais avec l'argent qu'elle gagnait, elle pouvait acheter assez de denrées pour que la maisonnée ne meure pas de faim.

Elle entrouvrit une paupière en gémissant. Son frère savait pourtant qu'il ne fallait pas la réveiller avant que le soleil ne soit passablement haut dans le ciel. Au bout de la longue minute qu'il lui fallut pour recouvrer ses esprits, elle songea -à raison- qu'il n'aurait pas agi ainsi si la situation n'était pas grave.

- Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, la bouche pâteuse.
- C'est Joséphine. Elle ne va vraiment pas bien !

Depuis quelques jours, la fillette avait semblé s'affaiblir, mais Pandore avait mis cela sur le compte d'un simple rhume dû à l'hiver, car elle toussait beaucoup. Comme il n'y avait aucun médecin à Floraville et qu'il coûtait trop cher d'en faire venir un des environs, elle n'avait pu demander un diagnostique plus précis à personne. Elle le regrettait, à présent.

Elle se leva d'un bond après avoir repoussé sa couverture et chancela légèrement, la tête vaseuse. La fatigue lui causait parfois de brefs malaises, toutefois elle s'efforçait de n'y prêter aucune attention tant qu'elle y parvenait. Sans perdre un instant, elle se précipita au chevet de sa cadette.

- Oh ! Elle brûlante de fièvre ! s'exclama-t-elle après avoir plaqué une main sur le front moite de sueur de la pauvre enfant. Va me chercher une bassine d'eau, s'il te plaît.
- Il n'en reste plus. Tu as utilisé le fond du tonneau hier pour préparer le repas.
- Bon... Reste à son chevet, alors. Je vais me rendre au puits.

Pandore passa une main dans les cheveux collés de Joséphine, qui somnolait. Sa température devait certainement assommer son esprit, raison pour laquelle elle était incapable de garder les yeux ouverts.

Il ne manquait plus que cela. C'était de sa faute, elle n'avait pas réagi à temps. Si elle avait pris au sérieux l'état de sa petite soeur dès le début, il n'aurait peut-être pas empiré à ce point. Hélas, son nouveau travail l'exténuait tant qu'elle avait préféré penser qu'un peu de repos et des soupes chaudes suffiraient à la guérir.

Comme elle s'en voulait ! Elle ne cessa de secouer furieusement la tête tandis qu'elle se rendait au puits, emmitouflée dans un châle épais pour se protéger de la rigueur de l'hiver, un seau dans chaque main. Elle n'avait plus le choix, désormais. Elle allait devoir se résoudre à dépenser ses économies si durement acquises pour faire venir le docteur. Elle espérait qu'il ne soit pas trop tard. Si tel était le cas, elle ne se le pardonnerait jamais.

Au cours de la semaine qui suivit, le médecin passa examiner Joséphine, après qu'elle lui a fait parvenir assez d'argent pour couvrir tous ses frais. Il diagnostiqua à la fillette une violente pneumonie, qui pourrait lui coûter la vie si elle n'était pas rapidement traitée.

- Votre soeur est très jeune et très fragile, mademoiselle Higlehow. Elle devra prendre un médicament à base de plante régulièrement, afin d'aider son organisme à lutter contre la maladie. J'ai toutefois peur que sa faible constitution ne contrarie son rétablissement.
- Vous voulez dire qu'elle... qu'elle risque de mourir ?
- Si son état ne s'améliore pas très vite, c'est une possibilité qui est à craindre, hélas. Tenez, voici le nom de l'élixir qu'il lui faudra avaler trois fois par jour, à intervalles réguliers. Vous pourrez vous en procurer chez l'apothicaire de votre village.

Pandore grimaça. Elle savait que les produits vendus dans cette boutique étaient particulièrement chers, surtout en hiver quand les plantes, leurs composants de bases, se raréfiaient. Puisqu'elle n'avait plus un sou devant elle, elle se demandait comment elle allait bien pouvoir payer le traitement de sa soeur.

- Antonin, remets une bûche dans la cheminée, s'il te plaît.

Elle s'était assise à table suite au départ du docteur et observait par la porte entrouverte qui donnait sur la chambre sa petite soeur, faiblement pelotonnée sur son matelas, où elle grelottait en dépit des deux couvertures étendues par-dessus son corps maigrelet. La tête de son frère apparut dans l'entrebâillement, le visage triste.

- Il n'y en a plus. J'ai utilisé la dernière ce matin. Et avec la neige qui s'est abattue sur la ville au cours des derniers jours, impossible de trouver du bois sec dans les environs.

Pandore ferma les yeux. Elle avait envie de pleurer, mais elle ne pouvait pas se le permettre. Il fallait qu'elle soit forte, qu'elle résiste. Antonin et Joséphine comptaient sur elle, elle n'avait pas le droit de craquer. Malgré ces paroles avec lesquelles elle se serinait pour se redonner du courage, cependant, la vie ne lui avait jamais paru aussi noire qu'en cet instant. Comment ne pas se laisser abattre quand le sort s'acharner sur elle ?

***
- Athéna !

Lorsque Pandore découvrit la déesse sur son seuil, elle se jeta aussitôt dans ses bras, oubliant l'espace d'une seconde la noblesse de la personne face à elle, et éclata en sanglots. Elle était à bout de force, totalement désespérée.

La fille de Zeus avait décidé de lui rendre visite afin de s'assurer que tout se passait bien avec la boîte, dont elle était la gardienne depuis désormais trois ans. Comme les Zarbis ne l'avaient averti d'aucune menace à ce sujet, elle avait cessé de garder un oeil sur elle. En dépit de cela, elle avait récemment éprouvé le besoin de la revoir. Elle s'était beaucoup attachée à cette simple mortelle, ce qu'Arceus aurait sans nul doute condamné.

- Je crois que j'arrive au mauvais moment. Que se passe-t-il ? demanda-t-elle d'une voix douce.
- C'est Joséphine. Elle est très malade. J'ai perdu mon emploi parce que j'étais trop préoccupée par son état pour me concentrer sur mon travail et je ne peux plus acheter ses médicaments. Je me suis déjà beaucoup trop endettée pour en obtenir. A présent, l'apothicaire refuse de me servir.

Les yeux gonflés et pigmentés de sang à cause de la fatigue, complètement échevelée, Pandore s'écarta pour la laisser pénétrer à l'intérieur. Athéna s'empressa de franchir le seuil de la masure. La détresse de son interlocutrice avait éveillé sa compassion.

- Je vous en conjure, dites-moi qu'Arceus juge que j'ai accompli ma mission et qu'il va reprendre le sort de l'humanité en main.
- Je... Non. Il n'est pas question de cela. Je l'ai interrogé sur l'échéance de ton test il y a quelques semaines de cela, mais il ne m'a donné aucune réponse précise sur le moment où il s'achèverait. Je crois qu'il désire te voir conserver le coffret encore un peu.
- Je sais, mais... Ne peut-il pas faire quelque chose ? Joséphine n'a plus beaucoup de temps devant elle. Si un miracle ne se produit pas, je crains qu'elle ne survive pas jusqu'à la fin du mois.
- Arceus n'interviendra pas en ta faveur, ni en celle de ton espèce, tant qu'il ne considérera pas ta mission comme accomplie.
- Cela peut durer des années, encore ! Et vous, Athéna ? Ne pouvez-vous pas m'aider ?

L'intéressée se pinça la lèvre. Elle avait appréhendé cette requête pourtant inévitable. Bien sûr, elle mourrait d'envie de se précipiter au chevet de la fillette souffrante et de voir ce qu'elle pouvait faire, mais cela équivaudrait à trahir sa parole donnée à l'Alpha. Comment, cependant, pouvait-elle assister sans réagir à l'agonie d'une innocente ?

- Je ne peux pas... Il me l'a interdit.
- Il n'en saura rien ! Je peux comprendre qu'il ait des griefs envers nous parce que beaucoup trop d'humains sont vils et égoïstes, mais elle... Elle est toute petite, elle n'a jamais causé le moindre tort à quiconque. Elle ignore même ce qu'est le mal, bien que nous vivions dedans. S'il vous plaît, Athéna... Je vous en conjure !

La fille de Zeus détourna le regard. Si elle n'avait pas peur de soutenir les ténébreux iris de Némésis, elle était incapable de supporter la vision de ceux baignés de larmes de Pandore. Elle porta une main à son front, sur lequel elle crispa ses doits au point de s'en faire blanchir les jointures.

- Je vais essayer de le convaincre. Continuez à prendre soin d'elle et de mon côté...
- Et s'il refuse ? Vous avez dit vous-même qu'il n'était pas prêt à cela. Pourquoi vous écouterait-il ?
- Je...

Athéna s'interrompit. Sa voix n'avait effectivement aucun point face à Arceus. Il ne l'écoutait bien souvent que dans l'espoir de lui prouver qu'elle avait tort, comme cela avait été le cas lorsqu'il avait décidé de la braver avec le coffret de Cronos.

Elle ne pouvait intervenir personnellement, au risque de compromettre le destin de l'humanité si l'Alpha découvrait qu'elle avait interféré dans l'existence de Pandore, toutefois elle devait quand même s'efforcer de le convaincre d'agir. Après tout, la jeune humaine avait déjà bien assez prouvé sa valeur en se montrant digne de sa tâche pendant trois longues années. Elle méritait une récompense pour cela. Arceus partagerait-il son point de vue, toutefois ? Elle en doutait.

- Si personne ne fait rien, ma petite soeur mourra... souffla Pandore, dépitée.
- J'en ai conscience. Si je fais quelque chose, cependant, je cours le risque de l'énerver et de réduire tous tes efforts à néant. Tu n'as pas un rôle facile, je le sais. Moi non plus, d'ailleurs. Bien sûr, j'ai le pouvoir de t'aider. Si je m'en sers, toutefois, c'est tout ton peuple qui paiera.
- Je me moque des autres ! Tout ce que je désire, en cet instant, c'est que Joséphine guérisse.
- Je sais, mais tu ne dois pas penser ainsi. Je t'en conjure, Pandore, ne laisse pas tes émotions prendre le dessus, sans quoi elles t'égareront. Tu dois toujours rester maîtresse de toi-même si tu tiens à réussir. Fais en sorte que tout ceci n'est pas été vain. Quant à moi, je vais faire le maximum de mon côté.
- Et si cela ne suffit pas ? s'enquit la jeune femme en essuyant ses joues humides de pleurs.
- Il le faudra bien.

***
Némésis, tapie dans un fourré, attendit patiemment que Satan et Artémis se furent éloignés pour s'approcher de la nouvelle tanière de Lilith. La localiser n'avait pas été simple, mais par chance, Satan ne l'avait entourée d'aucun sortilège de protection, ce qui lui avait permis de finir par y parvenir.

Elle se faufila à l'intérieur de la grotte dans laquelle l'épouse de Giratina avait temporairement élu résidence, car elle était toujours en perpétuel mouvement, pendant que Lugia surveillait les alentours.

- Lilith ? appela-t-elle lorsqu'elle vit luire une longue chevelure rousse dans les ténèbres.

L'intéressée n'eut même pas le temps de se retourner totalement qu'un rayon d'énergie s'échappa de la main de Némésis pour l'atteindre de plein fouet et la propulser contre la paroi de la caverne, contre laquelle sa tête rebondit. Elle s'effondra à terre, inconsciente.

La déesse n'avait pas voulu lui faire de mal, cependant il valait mieux pour elle qu'elle ne la voit pas en ces lieux. Elle ne tenait pas à ce que quiconque ait vent de son plan, surtout pas Arceus, sans quoi il serait sur ses gardes. Elle était toujours persuadée qu'elle était en danger et elle préférait garder secrète l'armée qu'elle avait l'intention de se constituer, pour jouir de l'effet de surprise le moment venu.

Elle s'approcha du corps inconscient de la jeune femme et fit apparaître dans sa paume la sphère contenant la magie du type spectre. Elle psalmodia une incantation en Ancien Langage, tout en approchant progressivement l'objet de sa peau. Quelques secondes plus tard, il fut absorbé en elle.

Elle n'eut pas le temps d'observer le résultat, car Lugia la contacta par télépathie au même instant afin de l'avertir du retour imminent de Satan et d'Artémis. Sans perdre un instant, elle quitta la grotte. S'ils l'apercevaient, cela risquerait de compromettre tous ses projets.

***
- Ma réponse est non, Athéna. Je trouve même cela absurde que tu aies jugé utile de me poser la question.
- Ce n'est qu'une enfant, Arceus ! Elle n'est pas encore corrompue comme peuvent l'être ces humains que tu tends à condamner. Sa soeur est noble, elle n'a pas ouvert la boîte, alors je suis convaincue qu'elle aussi, le moment venu, elle...
- Elle n'a pas ouvert la boîte pour le moment, rectifia l'Alpha.

La déesse se figea, alors qu'elle arpentait la Salle du Trône dans le sillage du légendaire. Un voile de colère obscurcit ses prunelles un bref instant, avant qu'elles ne recouvrent leur apparence normale. La fureur qu'éprouvait Athéna, toutefois, ne s'estompa pas aussi facilement.

- C'est cela, ton plan, n'est-ce pas ? Tu n'as jamais eu l'intention de pardonner aux humains une "erreur" que Lilith a commise ! Tu vas attendre, attendre, attendre... Jusqu'à ce que Pandore ouvre la boîte ! Et si elle ne le fait pas de son vivant, tu exigeras de moi que je la confie à quelqu'un d'autre, et ainsi de suite, jusqu'à ce que tu puisses te targuer d'avoir eu raison. Depuis le début, c'était cela, ton objectif.

Arceus ne répondit pas, mais Athéna n'en avait pas besoin pour savoir qu'elle avait raison. Comme elle avait été naïve de penser qu'elle tenait enfin le moyen de rétablir l'humanité dans ses bonnes grâces. En fait, c'était tout le contraire. Elle lui avait offert le moyen de les haïr jusqu'à la fin des temps et de les condamner sans remords, sans même que Némésis n'y puisse rien.

- Tu...

Elle l'aurait volontiers insulté, ou aurait au moins aimé tempêter contre lui, mais ce n'était pas dans sa nature. Elle était bien trop polie pour cela. Elle se contenta de secouer la tête avec mépris et déception, avant de tourner les talons. Insister n'aurait servi à rien, comme n'importe lequel de ses agissements lorsqu'il était question d'Arceus.

- Elle va faire une bêtise... murmura le Créateur dès qu'elle eut disparu hors de la salle. Tu sais ce qu'il te reste à faire. L'en empêcher.

Zeus s'écarta du Trône derrière lequel il s'était tenu jusqu'à présent pour acquiescer d'un hochement de tête. Il devait arrêter Athéna avant qu'il ne soit trop tard. Cette affection qu'elle nourrissait à l'égard des humains ne lui plaisait pas davantage qu'au pokémon auquel il était lié.

***
Athéna prit son visage entre ses mains. Elle avait terriblement mal à la tête et elle devait prendre sur elle pour ne pas céder aux pulsions qui prenaient possession de son être. Par lâcheté, elle n'avait pas osé retourner sur Terre annoncer à Pandore qu'Arceus était resté sourd à ses suppliques, ni que cette histoire de test n'était qu'une odieuse machination.

Lorsqu'elle s'en sentirait la force, elle se rendrait dans le monde d'en-bas et elle reprendrait la boîte. Puisque tôt ou tard, l'humanité finirait par perdre, il était hors de question qu'elle laisse l'Alpha triompher à ses dépends.

- Montrez-la-moi. Tout de suite.

Elle s'exprimait d'un ton sec qui ne lui ressemblait absolument pas. Les Zarbi s'agitèrent autour d'elle pour faire apparaître une image d'abord floue, qui gagna en netteté au terme de plusieurs secondes. Une petite fille se matérialisa sous ses yeux, grelottante. Sa minuscule main était crispée autour d'un mouchoir, dans lequel elle crachait du sang à intervalle régulier.

Pourquoi s'imposait-elle cette vision ? Pourquoi se contraignait-elle à assister à la douloureuse agonie de Joséphine ? La réponse était simple : par punition. A cause de son code de l'honneur qu'elle haïssait par-dessus tout, elle laissait mourir une enfant, uniquement pour tenir une promesse faite à Arceus, qui lui, dédaignait les siennes.

Elle se leva du sol sur lequel elle était assise et se dirigea vers la sphère protectrice entourée d'un halo étincelant, dans laquelle Jirachi dormait maintenant depuis plusieurs décennies. Elle caressa le sortilège d'une main tremblante.

- Si tu étais là, tout serait peut-être différent. Les humains doivent obéir à leur pokémon, parce qu'ils sont leur maître. Arceus ne m'a pas créé, mais lui, il est le maître ultime. En ton absence, je ne peux lui désobéir. Puisque Zeus est mon père, c'est un peu son cas aussi.

Elle n'obtint aucune réponse, bien sûr. Plongé dans son sommeil profond, Jirachi ne pouvait l'entendre et encore moins la conseiller. Athéna poussa un hurlement. Elle ne supporterait pas cette situation bien longtemps. Le poids de sa conscience la faisait souffrir horriblement.

Il fallait qu'elle se calme, qu'elle s'apaise très vite, sans quoi elle allait sombrer dans la folie. Circé pouvait l'y aider. Elle lui avait déjà donné des décoctions qui lui permettaient d'embrumer suffisamment son esprit pour lui éviter de perdre le contrôle de ses nerfs, or c'était précisément ce dont elle avait besoin en cet instant.

Sa tête la lançait violemment au moindre de ses mouvements, tandis qu'elle quittait son antre pour se diriger vers celle de la maîtresse des poisons. Circé avait transformé une salle banale en une véritable serre, où toutes les variétés de plantes existantes poussaient sur le sol, sur les murs, et même au plafond.

Athéna l'appela à deux reprises, mais sa voix fut à chaque fois étouffée par la luxuriante végétation. Elle savait approximativement où se trouvait l'atelier de la déesse et elle en prit la direction. Il s'agissait d'une gigantesque table en bois, installée au beau milieu de cette jungle sauvage, sur laquelle étaient posées maintes fioles et autres objets, plus alambiqués.

Son grimoire était au centre, bien en évidence. Sombre, avec une reliure cousue de fils d'or, la fille de Zeus savait qu'il contenait chacune de ses recettes, bien qu'elle ne cesse jamais d'en inventer. La curiosité n'était pas un défaut qu'elle possédait, sans quoi elle abuserait davantage de son don de connaissance, pourtant elle ne put s'empêcher de l'ouvrir.

En le feuilletant, elle tomba sur un remède contre les toux violentes, voire mortelles. Il était simple à préparer. Même elle, sans posséder le don de Circé, serait certainement capable de le préparer. Elle connaissait les baies, basiques, mentionnées sur la page en question. Oserait-elle ? Allait-elle braver Arceus ?

Elle avait toujours été de son côté, mais il ne faisait pas le moindre effort pour la convaincre d'y rester. Il l'avait profondément déçue en se comportant ainsi qu'il l'avait fait. Joséphine était innocente, pure et bonne. Elle ne méritait pas le sort que son entêtement allait lui infliger.

Athéna referma le grimoire d'un coup sec. Elle possédait une mémoire infaillible. Le médicament s'était déjà imprimé dans son esprit. Dès qu'elle l'aurait concocté, elle l'apporterait à Pandore, pour que celle-ci puisse sauver la vie de sa soeur. Puisque Arceus souhaitait tenir Némésis à l'écart de la situation et que lui-même s'obstinait à refuser tout pardon à l'humanité, il fallait bien que quelqu'un agisse de manière juste.

***
- Panny ! Panny !

Les cris d'angoisse s'imprimèrent dans l'esprit embrumé de Pandore. Son corps semblait être entièrement constitué de coton, car elle ne le sentait pas. Elle ne pouvait même pas se mouvoir. Entrouvrir une paupière lui demanda un effort surhumain. Sa vision floue ne lui permit pas de distinguer immédiatement les traits d'Antonin, sans quoi elle aurait vu l'inquiétude qui le taraudait.

- Panny, tu te sens bien ?

Elle voulut lui répondre, mais une bile acide remonta dans sa gorge. Elle contint une nausée, avant d'essayer de se redresser. Ses muscles paraissaient recouvrer progressivement leur fonction. Son bras gauche était extrêmement douloureux. Cela n'avait rien d'étonnant car, lorsqu'elle prit conscience de sa position, elle s'aperçut qu'elle était tombée dessus de tout son poids.

- Tu viens de t'évanouir. Tu m'as infligé la peur de ma vie ! protesta le garçonnet.
- Je suis désolée...

Pandore passait ses nuits entières à surveiller Joséphine, sans jamais dormir. Elle avait perdu tout espoir, désormais. Athéna n'était pas revenue. Elle n'avait sans doute pas réussi à convaincre Arceus de sauver sa petite soeur. Créateur ou non, divin tout-puissant ou pas, quel monstre était-il pour infliger pareil destin à une enfant ?

Elle en avait plus qu'assez de cette situation. Elle exécutait pour cet être suprême qu'elle ne connaissait même pas une mission qui ne la mènerait à rien. L'humanité ? Elle pouvait comprendre la haine que les divinités éprouvaient à son égard. L'apothicaire avait refusé de continuer à l'approvisionner en médicaments, sous prétexte qu'elle était incapable de les payer, et aucun des habitants de Floraville n'acceptait de lui faire la charité. Pourquoi restaurer l'honneur d'une espèce qui condamnait volontiers la pauvre Joséphine par son égoïsme ?

Des larmes se mirent à s'écouler sur les joues de Pandore, sans même qu'elle ne s'en aperçoive. Elle ne le remarqua qu'au moment où Antonin vint les essuyer d'une main crasseuse. Elle pressa délicatement ses doigts entre les siens, avant de murmurer :

- Tu es un grand garçon, maintenant. Tu veux bien aller jusqu'au puits et me ramener un seau d'eau, s'il te plaît ?

Son frère ne posa pas de question, trop soucieux de lui rendre service. En réalité, elle n'avait absolument pas besoin de cela. Elle tenait simplement à l'éloigner durant un certain temps. Il lui était assez difficile de voir sa cadette s'étioler au quotidien sans qu'il ne doive également assister à la déchéance de son aînée.

Les jambes de Pandore flageolaient lorsqu'elle se mit debout, dès qu'il eut quitté la masure. Après avoir arrangé les couvertures tirées par-dessus le corps décharné de Joséphine, qui gaspillait malgré elle le peu d'énergie qui lui restait en tremblant de froid, elle regagna la pièce à vivre. Les murs l'aidaient à se déplacer, car la tâche lui était fastidieuse.

Une fois là-bas, elle ouvrit la porte qui donnait sur le débarras. En hauteur, sur une étagère que ni son frère ni sa soeur ne pouvait atteindre, elle avait posé le coffret que lui avait remis Athéna. Elle ne s'était pas trompée : il était magique. En trois ans, elle ne l'avait pas manipulé une seule fois, or son couvercle n'était pas souillé du moindre grain de poussière.

Et s'il y avait là-dedans une magie quelconque, capable de soigner Joséphine ? Cette pensée n'avait cessé de l'obséder au cours de ces derniers jours. Si elle l'ouvrait, elle condamnerait l'humanité à une existence misérable, avait affirmé la déesse. Quelle serait la différence, toutefois, avec celle qu'ils possédaient actuellement ? Cela ne saurait être pire, elle en était convaincue.

***
Athéna approchait de Floraville lorsqu'une bourrasque agita violemment ses cheveux autour de son visage. Les Zarbi se matérialisèrent devant elle, fait étonnant, puisqu'ils n'apparaissaient d'ordinaire qu'à chaque fois qu'elle le leur demandait.

Tu as affirmé vouloir être avertie
Si l'humaine Pandore en ce lieu vous trahit
Elle s'apprête à ouvrir la boîte
Accours, accours en toute hâte


- Elle... Non !

Sans perdre une seconde, Athéna s'élança. Les Zarbi étaient capables de prévoir le futur, en plus de posséder toutes les connaissances, ce qui lui laissait une brève avance sur les agissements de Pandore. En se dépêchant, elle parviendrait peut-être à l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard.

Elle courait beaucoup trop vite pour continuer à se faire passer pour une simple humaine, néanmoins elle n'en avait que faire. Etre démasquée n'était rien à côté de permettre à Cronos de revenir hanter un monde dans lequel nul n'était plus en mesure de faire le poids face à lui.

Elle mit moins de cinq minutes pour rallier la masure de Pandore. Plutôt que de frapper, elle pénétra directement à l'intérieur, pour apercevoir la jeune femme dans le cellier, prête à soulever le couvercle, qu'elle pinçait déjà entre ses doigts.

- Non ! s'époumona-t-elle.

***
Némésis cessa de respirer un instant, pendant que son coeur s'affolait dans sa poitrine. Elle avait l'impression qu'un coup de tonnerre venait d'exploser à l'intérieur même de son crâne. Elle ferma les paupières, qu'elle plissa fermement, avant de les rouvrir presque aussitôt, pour lâcher d'une voix anxieuse :

- Cronos.