Pikachu
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» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 23/04/2016 à 12:34
» Dernière mise à jour le 18/05/2016 à 15:21

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Présence de personnages de l'animé   Présence de shippings   Suspense

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Chapitre 7 - Impitoyable réalité
Mourir pour quelqu’un qu’on aime est la plus belle façon de mourir. Mais vivre grâce au sacrifice de quelqu’un qu’on aime est la pire façon de vivre.

~*~


Tout est noir autour de moi. Le sol, le ciel, tout. Je ne vois absolument rien.

« Où es-tu ? »

J’ai froid. J’ai tellement froid. J’ai beau me recroqueviller sur moi-même, je n’arrive pas à me réchauffer.

« Est-ce que tu m’entends ? »

Je ne sais pas où je suis. Ni ce que je fais là. Pourquoi suis-je seul ? Où sont tous mes amis ?

« Réponds-moi ! »

Et lui, où est-il ? Ne m’entend-il pas l’appeler ? Pourquoi ne me répond-il pas ?

- Pikapi !

Ce cri me tire de ma torpeur. Je me retourne. Il est là. Ce ne peut être que lui. Je reconnais sa petite silhouette jaune, qui se découpe parfaitement sur ce décor de ténèbres.

- Pikachu !

C’est lui, c’est bien lui. Je me lève, je cours vers lui. L’euphorie me donne des ailes.

Mais ma joie est de courte durée. Tout à coup, un rayon rouge sorti de nulle part frappe Pikachu, et le cloue au sol. Il me lance un cri désespéré.

- Pikapi !
- Non, Pikachu !

Je tente de le retenir, en vain. Pikachu se volatilise comme de la brume, et ma main ne rencontre que le vide. Je tombe à genoux. Est-ce de l’eau que je sens sous mes jambes ? Les gouttes qui éclaboussent mon visage ont un goût aussi salé que les larmes qui roulent sur mes joues.

J’entends l’Homme Masqué éclater de rire, un rire froid et cruel.

- Tu es faible… Si faible…, susurre-t-il.

Je lève la tête ; Pikachu est de nouveau devant moi. Mais il est différent. Ses yeux sont rouges vifs. Ses babines forment un sourire carnassier. Puis soudain, il commence à se transformer. Il grandit, de plus en plus. Une crinière noire lui pousse le long de l’échine. Ses griffes deviennent acérées. Sa queue s’allonge et se dédouble.

Je voudrais m’enfuir, hurler, ou même juste bouger. Mais je ne contrôle plus rien. Je suis étranger à mon propre corps.

Méga-Raichu se tient désormais face à moi. Sa queue en forme de faux vise mon cœur. Le rire résonne toujours dans ma tête, de plus en plus fort. Je hurle. De toutes mes forces.

« Pikachu !! »

La lame me transperce la poitrine.


Je me réveillai en hurlant, le corps en nage. Immédiatement, je palpai mon torse. Rien. Pas de blessure.

- Sacha ?

Une main se posa sur mon épaule. Je sursautai si violemment que la personne qui l’avait mise la retira aussitôt. Mon cœur battait si vite que j’en avais la nausée.

- Allez-y doucement, il est encore sous le choc.

Encore une voix. Mais qui parlait ? Ce n’était pas l’Homme Masqué… Alors qui ?

Encore prisonnier du monde de ténèbres où je me trouvais il y a quelques instants, mon cerveau peinait à assimiler les informations envoyées par mes yeux. Puis, petit à petit, ma vision s’éclaircit. Des visages apparurent devant moi ; des visages familiers.
La tête lourde, j’avais du mal à penser. Leurs noms m’échappaient, pourtant je connaissais ces personnes…

- Sacha ? Tu…tu m’entends ?

La voix, douce et familière, apaisa un instant la tempête qui régnait dans mon esprit. Je levai la tête ; deux yeux aussi bleus que le saphir se plantèrent dans les miens. La mémoire me revint instantanément.

« Serena… ? » Et à côté, c’était… Lem ? Et Clem ?

Oui, c’était bien eux, assis à mes côtés, qui me considéraient avec une expression où se mêlaient soulagement et inquiétude. Mais que faisaient-ils ici ? Et au fait, où étais –je ?

Eperdu, je scrutai les environs comme un Pokémon affolé. A ma grande stupeur, je découvris que j’étais allongé dans un lit, vêtu d’un simple tee-shirt et d’un short. Autour de moi, le noir des ténèbres avait cédé la place à des murs d’un blanc éclatant, presque aveuglant. Une infirmière Joëlle inspectait du regard d’étranges appareils disposés à côté du lit, tout en prenant des notes sur un calepin.

Où est-ce que j’étais, bon sang ? Où étaient passés l’Homme Masqué, et Méga-Raichu ? « Ce n’était qu’un rêve… ? » J’aurais rêvé tout cela ? Impossible… Mais si c’était bel et bien le cas ? Alors…

- Pikachu !

Sans crier gare, je me ruai hors du lit, bousculant au passage mes compagnons. Sourd à leurs appels, je me précipitai hors de la pièce, courant à l’aveuglette à travers des couloirs aussi blancs que l’albâtre.

Si toute cette histoire n’était qu’un mauvais rêve, un simple cauchemar…Alors… Mon cœur se remplit d’espoir. Cela signifiait que Pikachu n’avait rien ! Peut-être même était-il ici, entre ces murs, à m’attendre !

Je zigzaguai sans arrêt, passant d’un couloir à l’autre sans jamais m’arrêter. Qu’est-ce que c’était que cet endroit immense ? Comment pourrais-je trouver Pikachu ici ?

Un violent élancement irradia soudain dans tout mon bras gauche, me coupant le souffle. Courbé sous l’effet de la douleur, je heurtai un mur et m’écroulai sur le sol. Tout mon corps me faisait tout à coup atrocement souffrir, à croire que tous mes muscles s’étaient brusquement déchirés en même temps. Une puissante quinte de toux me déchira la poitrine. Quand la crise fut passée – après un temps qui me sembla infini – j’étais toujours étalé par terre, le corps secoué de soubresauts, et un horrible goût métallique dans la bouche.

Péniblement, je me redressai, malgré les protestations de mon abdomen. Je sentis un liquide chaud me couler sur les mains. Avec horreur, je vis que c’était du sang. Mon propre sang. Les bandages autour de mon bras et de mon bassin étaient trempés d’un rouge écarlate. D’ailleurs, d’où sortaient ces bandages ? Depuis quand les avais-je ?

Appuyé contre le mur – non, en fait, contre une vitre – je me tentai de me remettre debout. Mes jambes tremblaient ; elles ne supporteraient pas longtemps mon poids. Mais je m’en fichais. Au-delà de toute souffrance, mon esprit n’était focalisé que sur une seule chose : retrouver Pikachu.
Alors j’avançai un pied. Puis l’autre. Une nouvelle quinte de toux vint me brûler la gorge, me forçant à m’arrêter.

Ma vue commença à se troubler. J’avais perdu trop de sang, me soufflait une petite voix dans ma tête. Mais une autre, plus forte, m’incitait à chercher Pikachu, encore et encore. Alors je regardai autour de moi, tournai la tête…

Et là, ce que je vis derrière la vitre me glaça d’effroi.

Ils étaient là. Tous les quatre. Allongés sur des tables d’auscultation, leurs corps étaient eux aussi couverts de bandages et autres pansements. Reliés à tout un tas d’appareils de mesures au moyen d’électrodes et de perfusions, tous tremblaient fébrilement, comme à l’agonie.

Sonistrelle. Brutalibré. Flambusard. Et Croâporal.

Grodoudou, l’assistant de l’infirmière Joëlle, s’affairait à les soigner du mieux qu’il pouvait, mais on voyait bien qu’ils souffraient le martyr.
La vérité s’imposa à moi aussi violemment que toutes les blessures qui me brûlaient le corps. Ce n’était pas un rêve. Tout était bien réel. Mon état, celui de mes Pokémon.

Et surtout, surtout, l’absence de Pikachu.

Mes jambes se dérobèrent sous moi. Alors que je tombais à genoux, mes mains moites laissèrent de pâles traces rouges sur la vitre. Je ne voulais pas y croire… Je refusais d’y croire… Et pourtant, c’était la réalité. L’impitoyable réalité.

Pikachu n’était plus là. Cet homme l’avait emmené. J’avais perdu.


~*~

Immobile devant la grande porte en bois dont la peinture blanche s’était écaillée avec le temps, Serena jouait nerveusement avec ses doigts. Elle devait le faire, elle devait entrer… Mais ses jambes ne lui obéissaient pas, comme paralysées par une force mystérieuse.

Pourtant, ces deux derniers jours, elle avait passé tout son temps dans cette pièce, de l’autre côté de la porte. Deux jours durant lesquels elle n’avait cessé de veiller Sacha, attendant patiemment qu’il se réveille. Deux jours rythmés par les « bip-bip » réguliers de l’encéphalogramme, où elle avait craint chaque minute, chaque seconde de voir s’afficher le tellement redouté signal plat.

Et puis soudain, ce matin, sur les coups de trois heures, le signal s’était accéléré. Craignant le pire, Serena s’était dépêchée d’appeler l’infirmière Joëlle. Lem et sa sœur venaient d’accourir quand Sacha fut brusquement sorti de son état comateux. Il avait l’air hagard, certes, mais il était vivant. Sur le coup, cela avait suffi pour Serena.

Mais ensuite, Sacha s’était échappé en criant comme un possédé, et avait disparu dans les couloirs du Centre Pokémon. Ses amis l’avaient retrouvé à terre, en sang, le front plaqué contre la vitre de la salle d’auscultation où avaient été placés ses Pokémon. Il pleurait.

Pris de pitié, les trois compères avaient ensuite ramené le blessé dans sa chambre. Sacha s’était laissé faire sans protester. Son regard était devenu vide.

- Il a reçu un gros choc psychologique, leur avait expliqué l’infirmière Joëlle. Pour le moment, il vaut mieux ne pas trop le brusquer. Il faut lui laisser le temps de se remettre de ses émotions.

Sauf que l’état du garçon ne s’améliorait pas. Si physiquement, l’infirmière avait assuré qu’il s’en sortirait du moment qu’il se reposait, moralement, Sacha était clairement au plus bas. Forcément, après tout, ses Pokémon étaient tout ce qui comptait le plus pour lui. Les voir à demi-morts dans une salle d’opération avait certainement été terrible pour le jeune dresseur.

Mais Serena et les autres savaient qu’il y avait une autre raison à l’abattement soudain de leur ami. Et cette raison, c’était Pikachu. Le petit Pokémon était toujours porté disparu, et malgré leurs efforts, les recherches des trois amis étaient restées vaines.

La journée passa ensuite sans que Sacha n’avale quoi que ce soit – ce qui était vraiment exceptionnel de sa part – ni ne prononce un seul mot. Bien que de temps à autres, ses amis l’aient entendu psalmodier toujours la même phrase : « Tout est de ma faute… Ma faute… »
Le jeune garçon restait constamment prostré dans son lit, les yeux perdus dans le vague, pareil à un spectre.

Inquiets pour sa santé, ses amis avaient décidé d’agir.

- Il faut que tu ailles lui parler, Serena, avait suggéré Lem à la jeune fille. S’il se sent vraiment coupable de la disparition de Pikachu, j’ai peur que Sacha ne soit en train de se refermer sur lui-même. Si ça continue, il sera incapable de guérir.
- Mais… Pourquoi moi ?
- Il vaut mieux ne pas y aller tous en même temps, lui avait expliqué l’inventeur. N’oublie pas qu’il faut le ménager.
- Et puis, toi, tu sais lui parler, Serena, avait ajouté Clem. Sacha est toujours plus à l’aise quand tu es près de lui. C’est mieux que ce soit toi qui ailles le voir.

Et voilà comment Serena s’était retrouvée là, plantée comme une idiote devant cette porte de marbre, à trépigner sur place sans oser rentrer.

« Comment ça, il est plus à l’aise avec moi ? » Le souvenir des paroles de Clem fit monter le rouge aux joues de la jeune fille. « Où est-ce qu’elle a été imaginer ça… ? »

Mais Serena devait bien l’avouer, elle ne pouvait pas supporter l’idée de rester sans rien faire alors que son ami était au plus mal. Lui qui l’avait toujours aidée par le passé, avait désormais besoin de son aide.

Cette pensée donna le courage à la jeune fille de passer le pas de la porte.

Elle frappa trois coups légers, puis entra, veillant à ne pas faire trop de bruit. Serena se sentit un peu ridicule de s’approcher de Sacha comme d’un Pokémon sauvage…

Il était là, dans son lit, toujours dans la même position, à savoir le dos appuyé contre la tête de lit et les bras pendant mollement le long du corps. Il avait une perfusion au bras gauche, en raison de la quantité de sang importante qu’il avait perdu.
Sur une table à côté du lit était posé un plateau contenant un bol de soupe encore légèrement fumante et une miche de pain frais. L’infirmière Joëlle avait dû passer ici peu avant Serena afin d’amener à manger à son patient. Cependant, Sacha n’y avait pas touché, comme il n’avait pas touché tous les autres plateaux qui avaient précédé celui-ci.

- Tu ne veux toujours pas manger, Sacha ?

Pas de réponse. La jeune fille soupira et s’assit au chevet de son ami. Elle observa un instant son doux visage. Ces yeux ambrés d’ordinaire pétillants paraissaient désormais ternes, voilés par une peine que Serena était bien loin de concevoir.

« Si seulement je savais ce qui t’est arrivé… Je voudrais tant t’aider, mais j’ignore comment faire… »
La jeune fille chercha désespérément quelque chose à dire. Mais qu’est-ce qu’elle pouvait bien dire à quelqu’un qui avait perdu l’être qui comptait le plus au monde pour lui ?


~*~


{Hymn for the Missing - RED}


Je m’en souviendrai toujours, de ce moment. Celui où j’ai saisi pour la première fois cette balle rouge et blanche, différente des autres de par l’éclair qui était dessiné dessus. D’ailleurs, c’est comme ça qu’il est apparu. Dans un éclair. Je m’en rappelais parfaitement : cette petite silhouette qui se matérialisait devant moi. Ces grands yeux noirs et profonds qui me considéraient avec un mélange de méfiance et de curiosité.

Le plus beau cadeau d’anniversaire que j’aie jamais eu. Pikachu. Mon vieux copain.

Le souvenir s’évapora, avant de devenir une bulle qui flotta dans le vide. D’autres bulles la rejoignirent, comme autant d’autres souvenirs. J’en saisis une nouvelle. Cette fois, ce fut le souvenir de ma victoire à la Ligue Orange qui apparut. Pikachu avait vaincu le Dracolosse de Didier après un combat acharné. Un des plus beaux moments qu’on ait jamais vécu, avec mon vieux copain.

Je me repassais tous ces instants heureux un à un, comme un album photo qu’on feuillette pour se rappeler le bon vieux temps. Une bulle s’approchait, je la saisissais, et revivais l’instant vécu. Puis le souvenir s’évaporait, pour laisser la place à un nouveau. Inlassablement. Où étais-je ? Aucune idée. Je n’avais aucune conscience de l’espace et du temps ici. Tout était noir, évanescent… Peut-être rêvais-je encore ?

Bah, qu’importe, après tout ? Ici, je ne sentais pas la douleur qui me déchirait le corps, et me rappelait ma défaite face à l’Homme Masqué. Ici, au moins, je pouvais revoir Pikachu…

Comme si le simple fait de penser son nom l’avait appelé, Pikachu apparut devant moi. Il me tournait le dos. Ce n’était pas un souvenir, mais ce n’était pas non plus la réalité. Juste une illusion.

« Pikachu… » Mon ami ne réagit même pas au son de ma voix. « On a vécu tant de choses, toi et moi… Dis-moi… » Cette fois, Pikachu tourna légèrement la tête. « Tu vas vraiment tout oublier ? Tu vas m’oublier, moi, ton vieux copain ? »

Je sondai les yeux de mon ami. Mais ils n’étaient rien de plus que deux puits noirs sans fond. Puis Pikachu sourit. Il avait ce même sourire la dernière fois que je l’avais vu. Juste avant qu’il n’abatte sa Queue de Fer sur le sol.

Soudain, Pikachu s’éloigna. « Attends ! » Je voulus le retenir, mais je ne pouvais pas bouger. J’avais beau me débattre, j’étais comme paralysé. « Attends, s’il te plaît ! Reviens ! »

Les bulles éclatèrent toutes en même temps tandis que Pikachu s’enfonçait toujours plus loin dans les ténèbres. « Ne me laisse pas ! Pikachu !! »

Trop tard. Je l’avais perdu de vue. J’étais de nouveau seul. Seul, avec mes regrets. Je sentis les larmes me monter aux yeux.

« Pourquoi… ? Pourquoi tu me laisses endurer tout ça ? » J’avais soudain si froid. Et si mal… « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Tout à coup, je sentis une intense chaleur sur ma main. Ensuite, ce fut comme si j’avais été frappé par la foudre. Je fus aspiré hors de ce monde sombre et glacé où Pikachu avait disparu. J'étais de retour comme par enchantement dans cette chambre aux murs blancs aveuglants, qui sentait le produit chimique.

- Sacha ? Tu m’entends ?

Dérouté, je reconnus Serena assise à côté de moi, sa main posée sur la mienne.

- Qu-qu’est-ce que tu fais là ? bredouillai-je, encore secoué par mon brusque retour à la réalité.
- Je…suis venue voir comment tu allais…

A l’évidence, elle était mal à l’aise, si on en croyait ses yeux baissés et son ton hésitant. J’avisai nos mains entrelacées. Serena suivit mon regard, et devint subitement aussi rouge qu’une baie Tamato. Aussitôt, elle retira sa main, visiblement gênée. Elle était vraiment bizarre, des fois…

- Laisse-moi tranquille, soupirai-je.
- Pas question ! protesta-t-elle avec une soudaine véhémence. Je ne peux pas rester sans rien faire alors que tu te laisses dépérir, Sacha !
- Fiche-moi la paix… Mon état ne concerne que moi.
- Comment peux-tu dire ça ?!

Sa voix était empreinte de douleur. Ça me faisait de la peine de la repousser sans ménagement alors qu’elle s’inquiétait pour moi… Mais le vide laissé par Pikachu était encore beaucoup trop grand. Celui que je voulais voir, c’était mon vieux copain, et personne d’autre. Pas même Serena.

- Ça ne te ressemble pas de te laisser abattre, me reprocha-t-elle. Tu imagines ce que Pikachu dirait, s’il te voyait comme ça ?
- NE ME PARLE PAS DE LUI !

Effrayée, Serena recula. Je regrettai aussitôt d’avoir hurlé. Mais l’entendre évoquer Pikachu était la goutte de trop.

- De toute façon, il n’est plus là… (Prononcer le nom de mon ami était bien au-dessus de mes forces) Ce type l’a emmené… Et c’est ma faute…
- Arrête, ne dis pas ça.

Je l’ignorai. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien comprendre à ma situation, hein ?

Un élancement me remonta soudain le long du bras gauche. Je crispai mes doigts sur mon membre bandé, dans un vain espoir de faire refluer la douleur, et remarquai la perfusion qui y était implantée. En levant les yeux, je découvris la poche de sang reliée à mon bras au moyen de ce petit tube transparent. Eh bien… Je ne devais vraiment pas être beau à voir…

- Ton bras te fait mal ?

Serena me fixait avec une inquiétude non dissimulée. Mon ventre se tordit légèrement ; ça me faisait toujours ce drôle d’effet quand elle me regardait comme ça...

- De toutes tes blessures, m’expliqua-t-elle, c’est celle-là la plus importante. Quand on t’a trouvé, avec tes Pokémon, au pied de la montagne, tu… (Elle s’interrompit un instant, comme si évoquer ce souvenir lui coûtait.) Tu avais le bras presque tranché en deux. Heureusement, d’après l’infirmière Joëlle, les terminaisons nerveuses n’ont pas été touchées ; tu devrais t’en tirer sans trop de séquelles.

Je hochai la tête, pensif. Les séquelles physiques seraient moindres, sans doute. Mais je ne pouvais m’empêcher de trembler en repensant au coup qui m’avait infligé cette blessure. Si mon cerveau avait inconsciemment effacé le détail de la sensation de la queue tranchante de Méga-Raichu s’enfonçant dans ma chair, j’avais encore une vague idée de la terreur que j’avais ressentie lorsque c’était arrivé.

- Et mes autres Pokémon ? m’enquis-je. Comment ils vont ?
- Croâporal et les autres étaient dans un aussi mauvais état que le tien…, Mais l’infirmière a dit que leurs jours n’étaient plus en danger, désormais. Cependant, elle pense qu’il vaudrait mieux qu’ils soient transférés à l’hôpital, pour recevoir des soins plus intensifs. D’ailleurs, tu devrais être transféré avec eux, toi aussi.

Je soupirai. Au moins, les autres s’en étaient tirés… Mais cela ne changeait rien au fait que j’avais perdu Pikachu.

- Dis-moi…, fit Serena. (Je reportai mon attention sur elle.) Celui qui vous a fait ça… C’est aussi lui qui a pris Pikachu ?

J’acquiesçai, de nouveau sur la défensive. Malgré mon air réticent, Serena poursuivit sur le sujet :

- Alors, il faut le lui reprendre !
- On ne peut pas, rétorquai-je, mi-irrité, mi-terrifié. Ce gars est bien trop fort.
- Et c’est une raison suffisante ? Tu n’es pas du genre à t’apitoyer sur ton sort, quand tu perds face à quelqu’un, pourtant.
- Sauf que cette fois, c’est différent ! Tu ne sais pas de quoi il est capable, Serena, ce type a vraiment voulu nous tuer !

Devant l’air effaré de mon amie, je me sentis obligé de continuer. Alors je lui racontai tout ce qui s’était passé. L’Homme Masqué, le combat, Méga-Raichu… Tout. Serena écouta mon récit sans m’interrompre, une lueur d’effroi grandissant dans ses yeux à mesure que j’exposais la violence de l’affrontement.
Quand j’eus fini, je tremblais de manière fébrile. Me rappeler tous ces douloureux événements avait été très pénible pour moi, en particulier le moment du sacrifice de Pikachu. Néanmoins, je devais l’avouer, ça m’avait fait du bien d’en parler. Je me sentais libéré d’un poids, tout à coup.

- C’est…vraiment horrible…, souffla Serena après un moment de silence. Je comprends mieux votre état, maintenant.

Je la vis tendre timidement la main vers moi, avant de se raviser quand un nouvel élancement m’arracha une grimace de douleur.

- Mais il y a une chose que je me demande…, reprit-elle.
- Quoi ?
- Ces Pokéballs Obscur dont tu m’as parlé… Elles peuvent vraiment effacer les souvenirs des Pokémon ?

Je pris un temps pour réfléchir. Tous les Pokémon de l’Homme Masqué avaient une Pokéball Obscur, et tous avaient le même regard : un océan de pure haine.

- Eh bien… Ce qui est sûr, c’est qu’elles les rendent très violents, et hyperpuissants, répondis-je. Quand l’Homme Masqué a prétendu pouvoir capturer mes Pokémon avec ses Pokéballs noires, il m’a dit qu’ils oublieraient mon existence, pour ne pouvoir servir que lui.

Une lueur s’alluma dans les yeux saphir de Serena.

- Et qu’est-ce qui te prouve qu’il a raison ?

Je la regardai comme s’il venait de lui pousser une deuxième tête.

- Comment ça ?
- Tout ce que as dit, c’est de cet homme masqué que tu le tiens, pas vrai ? Mais comment peux-tu être sûr qu’il ne t’a pas menti ?

Menti ? A bien y repenser, connaissant le personnage de l’Homme Masqué, je ne voyais pas pourquoi je devrais croire à ce qu’il racontait. Peut-être avait-il menti pour mieux m’embobiner… ? Ce n’était pas impossible ; c’était voire fort probable.

- Et puis en plus, poursuivit Serena, tu ne l’as pas vu capturer Pikachu, n’est-ce pas ? Si ça se trouve, il a réussi à s’échapper.

L’espace d’un instant, l’espoir fit bondir mon cœur dans ma poitrine. Mais cette sensation s’évanouit aussi vite qu’elle était arrivée.

- Vu les blessures qu’il avait reçues, ça m’étonnerait… En plus, le terrain était très escarpé, ç’aurait été du suicide de sauter. Si moi et mes Pokémon nous en sommes sortis, c’est grâce à la mousse de Croâporal… Mais…
- Je crois que tu sous-estimes Pikachu.

Surpris, je levai les yeux vers elle.

- Depuis le temps qu’on voyage ensemble, j’ai pu voir à quel point vous êtes pareils, lui et toi. Même quand quelque chose semble impossible, vous essayez, et faites le maximum. Jusqu’ici, ça a toujours fonctionné, pas vrai ? Il n’y a pas de raison que cela change aujourd’hui.

J’eus l’impression de prendre un seau d’eau glacée en pleine figure. Je pouvais presque entendre l’ancien moi, celui qui n’avait pas encore affronté l’Homme Masqué, parler à travers Serena. Car c’était sûrement ce que j’aurais dit, à sa place…

Soudain, sans prévenir, Serena posa de nouveau sa main sur la mienne. Je sursautai légèrement. Ma peau me picota là où elle frôlait la sienne.

- Ecoute, dit-elle doucement. Il est impossible que Pikachu t’oublie, Sacha. Vous êtes amis depuis si longtemps, lui et toi… Ce serait bien le dernier à t’oublier. Et aucune Pokéball, si obscure soit-elle, ne changera ça.

Je revis l’image de Pikachu qui me souriait, avant de s’enfuir, loin de moi. Etait-ce vraiment possible ? Pouvais-je vraiment espérer revoir Pikachu ?
Comme si elle avait lu dans mes pensées, Serena me souffla avec assurance :

- Ne t’inquiète pas, on t’aidera à le retrouver. C’est à ça que servent les amis.

Mon cœur se réchauffa à ces paroles. J’eus brusquement envie de pleurer ; mais je ravalai mes larmes. « J’en ai marre de toujours pleurer. Faut que j’arrête de me lamenter… »

Je jetai un œil à Serena. Puis, pour la première fois depuis longtemps – une éternité, me semblait-il – je souris. Très légèrement, si légèrement que je doutais que mon amie l’aie vu, mais je souris.

« Qu’est-ce que Pikachu dirait, s’il me voyait comme ça ? »